On nous prie d’annoncer le décès de Mustafa Abou Yazid, dit Saïd Al Masri.

Le 21 mai dernier, un drone Predator – ou était-ce un Reaper ?de l’Empire a précipité le rappel à Dieu de Mustafa Abou Yazid, également connu sous le nom de Saïd Al Masri, ou Saïd l’Egyptien.

Né le 17 décembre 1955 en Egypte, Mustafa Abou Yazid avait été un cadre fondateur du Jihad Islamique Egyptien (JIE pour les initiés), avant d’intégrer l’équipe dirigeante d’Al Qaïda. Chargé des questions financières – qui ont toujours été rigoureusement gérées au sein de l’organisation comme l’ont montré les archives saisies en Afghanistan en décembre 2001 – il n’a jamais été un grand opérationnel et ne possédait pas l’aura et le charisme de son compatriote Mohamed Atef.

Jihadiste convaincu, il avait cependant manifesté auprès d’Oussama Ben Laden ses doutes au sujet du bienfondé des attentats du 11 septembre, tant il redoutait l’ampleur de la riposte américaine. Force est de reconnaître 1/ qu’il n’avait pas tort 2/ qu’il ne fut pas écouté.

Présenté par Al Qaïda elle-même, dans un communiqué publié cette nuit, comme le chef de l’organisation en Afghanistan, il était en charge des relations avec les Taliban depuis 2007.

Sa mort, qui ne devrait hélas pas avoir de conséquences opérationnelles directes, en dit long sur les capacités américaines, alors que le New York Times a révélé il y a quelques jours que le général Petraeus, chef du CentCom, a autorisé la conduite d’opérations clandestines dans sa zone d’action contre les membre d’Al Qaïda. L’intégration par la CIA, dans un but opérationnel, des renseignements humains et techniques a désormais atteint un niveau inégalé dans l’histoire militaire et promet de nouvelles frappes spectaculaires. A défaut de pouvoir gagner seule la guerre, cette puissance a au moins le mérite de sermer la mort dans le camp adverse, et ça n’est déjà pas mal.

L’agent se tasse (copyright Le Canard Enchaîné, 1983)

Sortant du silence qui fait son charme, l’Amicale des Anciens des Services Spéciaux de la Défense Nationale (AASSDB, cf. www.aassdn.org/) a récemment diffusé un communiqué au sujet des « révélations » de Maurice Dufresse/Pierre Siramy, l’homme qui n’en savait pas assez.

Je me permets ici de reproduire ce texte, qui a le mérite de refléter les sentiments des membres la communauté française du renseignement, actifs ou retraités, dans cette affaire : 

L’Amicale des Anciens des Services Spéciaux de la Défense nationale regroupe des anciens du Renseignement Français ; voici comment ils sont décrits par un de nos adhérents (1) :  «…les agents de ces services sont des vieux messieurs restés peu loquaces. Ce sont des muets par nature, incapables même d’énumérer les bonnes raisons qu’ils ont de se taire. Une parole peut toujours nuire. Il peut toujours y avoir une suite à une affaire à laquelle ils ont participé, des recoupements, des méthodes qu’il importe de ne pas dévoiler, un informateur à ne pas compromettre, un agent encore en piste quelque part, même longtemps après, un plus jeune en activité alors qu’eux-mêmes ont pris leur retraite. Dans le doute, ils se taisent éternellement. ».

L’Amicale a en particulier pour objectif de défendre les valeurs morales, l’Honneur et la Déontologie des Services de la Défense Nationale. (Art. I & 7). Le respect du secret en est une des bases.

C’est à ce titre que l’Amicale regrette qu’un cadre retraité d’un de nos services, Maurice Dufresse, en publiant un livre de souvenirs (?) sous le nom de Siramy, se soit affranchi des règles de ce secret qu’il avait fait serment de respecter. C’est une mauvaise action. Sur la forme, ce livre rédigé avec la complicité d’un journaliste, contient surtout des affabulations peu convaincantes, souvent basées sur des déductions un rien  paranoïaques (de qui veut-il se venger ?) ou, plus souvent, sur des analyses d’origine improbable ou des déductions personnelles; mais là n’est pas le problème. C’est sur le fond qu’il y a problème ; c’est un acte déloyal, la trahison du Secret de Défense, de la parole donnée, la rupture d’un engagement vis à vis de tous ceux qui lui ont fait confiance, trahison de sa communauté, de son ancien Service. 

Car le secret professionnel demandé à tous les hommes et à toutes les femmes du Renseignement est équivalent à celui du journaliste qui doit protéger ses sources, à celui du  prêtre qui reçoit la confession d’un tiers, du médecin vis à vis de ses patients.

Nous sommes bien dans l’Honneur et la Déontologie. Et l’Amicale ne peut que condamner cette trahison, qui quelque part rejoint les trahisons qui dans des temps de guerre bien plus difficiles ont fait tomber bien des nôtres.

L’Amicale a enfin constaté avec regret que l’intéressé se répandait sur les plateaux de TV et dans certains journaux ; cela fait partie sans doute de notre société actuelle. Et bien non, à part le parfum de scandale qu’il traîne désormais derrière lui, Dufresse n’a a priori plus aucune réelle compétence pour s’exprimer de façon responsable sur des affaires de renseignement. 

 

(1) « La Pierre qui parle » Marie Descours- Gatard – L’esprit du livre Editions – Collection Histoire et mémoires combattantes. Préface de Max Gallo.

« Les cons, ça ose tout, c’est même à ça qu’on les reconnaît » (Michel Audiard, dramaturge français, XXe siècle)

Disons-le tout net, non seulement on reconnaît les cons à leur capacité à faire et dire n’importe quoi, mais en plus ils ne nous déçoivent jamais. Saluons donc l’inventivité de Maurice Dufresse/Pierre Siramy, également connu dans certains milieux sous l’aimable sobriquet d’Enculator – d’après la jeune femme qui m’a confié ce secret il y a quelques semaines – qui a, hier sur LCI, froidement déclaré que Clotilde Reiss, l’étudiante retenue en Iran pendant 10 mois en raison de ses prises de position pro-manifestants, avait travaillé pour la DGSE.

Auréolé d’un inespéré succès de librairie avec « 25 ans dans les services secrets », notre ami Maurice avait déjà fait du mal à un Service fragilisé par dix années de réformes inachevées et devenu un exemple fascinant de dépression collective. En réglant ses comptes avec la grâce et l’élégance que chacun lui connaît, l’ancien chef des photocopieuses de la DGSE avait confirmé tout le bien que l’on pensait de lui, aussi bien au Ministère de la Défense que dans une certaine chambre régionale des comptes… Il revient décidément à ceux qui n’ont pas brillé au service de la République de compenser leur médiocre carrière par des saillies plus ou moins répétées, tandis que ceux qui n’ont pas démérité conservent, au contraire, le silence modeste de ceux qui savent. Il suffit, pour vous en convaincre, d’étudier les plateaux de télévision.

Que Maurice Dufresse crache dans la soupe et revisite son passé en occultant quelques pages peu glorieuses, pourquoi pas. Bon vivant, fumeur, buveur, il se sait au soir de sa vie et peut, à bon droit, livrer sa vision, quitte à glisser un ou deux secrets de 2e catégorie à des journalistes avides de révélations, même faisandées. Après tout, que retiendront les historiens des souvenirs remaniés d’un obscur sous-directeur ?

Hélas, en affirmant que Clotilde Reiss avait travaillé pour la DGSE, Maurice Dufresse franchit une ligne rouge et passe du statut de « gorge profonde » du pauvre à celui de saboteur, voire de traître. Entendons nous bien, il ne s’agit pas ici de nier cette affirmation – je ne détiens pas le moindre début d’information au sujet des activités de Clotilde Reisse, et quand bien même je n’en dirais rien – mais de m’étonner du comportement de M. Siramy.

En affirmant publiquement que Mademoiselle Reiss a travaillé pour la DGSE, il la place dans une situation singulièrement délicate. Soit ce n’est pas le cas, et elle traînera des années cette croix, en particulier au cours de sa carrière universitaire. Soit elle a en effet travaillé pour la DGSE, comme « honorable correspondante », et voilà qu’avec elle sont jetés dans la tourmente ceux qui l’ont « recrutée », « traitée », « formée ». Clotilde Reiss n’a pas été jugée en Suède ou au Canada, elle revient d’Iran, un Etat dont on connaît l’amour de la démocratie, de la justice impartiale, un Etat dont les services secrets sont gérés par un Ministère du Renseignement et qui joue avec le feu dans de nombreux dossiers : Liban, Irak, Afghanistan, nucléaire.

Les révélations de Pierre Siramy fragilisent d’un coup nos services, mobilisés depuis 30 ans par l’activisme iranien, mais aussi tous ceux, anonymes, civils, qui tentent de poursuivre l’étude d’un pays et d’un peuple fascinants. Elles fragilisent également la communauté française du renseignement, Elles exposent enfin la vie de nos ressortissants, que de plus en plus de terroristes et de criminels vont prendre pour des espions, pendant que Dufresse va poursuivre sa deuxième carrière. Après tout, comme on dit dans les armées, « la délation est un acte de combat ». Elle devient ici une simple manoeuvre publicitaire, dont la médiocrité ne tranche pas avec l’ensemble de la carrière de son auteur.

« Le premier principe, le second principe », et un seul devoir : lire ce roman.

Les romans d’espionnage de qualité sont rares, ceux écrits avec intelligence sont rarissimes. Quant à ceux présentant ces caractéristiques et écrits en français, disons-le franchement, on n’en voit pas souvent. C’est donc avec curiosité que j’ai lu « Le premier principe, le second principe » de Serge Bramly, et je n’ai pas été déçu. 

Alliant une écriture alerte et élégante à une construction habile et, pour tout dire, délicieusement littéraire, ce roman devrait être lu – mais son succès prouve qu’il l’a été et qu’il le sera encore – avec attention par tous ceux qu’attire ce qu’on pourrait appeler, pour reprendre le titre d’une émission d’Arte, « le dessous des cartes ». Loin des complots d’opérette orchestrés par un Dan Brown qui est au roman ce que Didier Barbelivien est à la chanson, Serge Bramly place la barre bien plus haut et s’approche des écrits d’Umberto Eco, voire de ceux de Borgès. Son habileté à tisser des liens entre les récits, à attirer le lecteur vers des complots tout en se riant des conspirationnistes doit être saluée aussi bien pour des raisons simplement littéraires que pour des motifs politiques. La page consacrée aux similitudes entre les assassinats de Lincoln et de JFK sont à ce titre édifiantes.

Plus sûrement encore qu’un Taguieff, Bramly démonte donc les mythes véhiculés par certains et glisse quelques phrases que nombre de commentateurs devraient méditer. Pour nous, qui avons vécu de l’intérieur crises et manipulations, il faut admettre que la lecture de ces pages nous a rassurés tant elles exprimaient ce que nous ne parvenions pas à verbaliser. Ainsi :

« Il y a une hauteur particulière à laquelle il faut planer pour débrouiller les faits sans se laisser distraire par la variété de leurs implications. Trop de recul, et l’on rate l’essentiel ; pas assez, et l’oeil s’embue dans la mesquinerie hypnotique des circonstances atténuantes, on pèse des « oeufs de mouche avec une balance en fils d’araignée », comme disait Voltaire. »

ou encore :

« Nous aimerions qu’un plan supérieur règle chaque tragédie. S’il faut désigner un coupable, le courroux de l’Olympe, la raison d’Etat, les intérêts d’une multinationale semblent préférables au hasard brut ou à la solitude du désespoir. Face au suicide d’un proche, devat l’abîme qu’ouvre cette trahison accusatrice, il suffit d’un trou d’emploi du temps, d’une bizarrerie, d’une vague ambiguïté pour mendier le réconfort d’une conspiration. »

Evidemment, dans ces conditions, il pourrait paraître mesquin de relever, ici ou là, les quelques erreurs que Serge Bramly a laissées dans son manuscrit et qui révèlent qu’il n’est pas encore parfaitement intégré aux fascinants mondes du renseignement et de la ventes d’armes. Personne n’est parfait, et je me permets de rappeler qu’avant la DGSE il y avait le SDECE et non le SDEC (mais on disait SDEKE à l’époque), et que l’hélicoptère WG-13 dans lequel monte le Président Mitterrand est généralement appelé Lynx dans l’aéronavale française.

  

Rien de bien grave donc, et qui ne saurait gâcher le plaisir de la lecture d’un roman qui, sous le divertissement, donne une leçon d’intelligence. Ce n’est pas si souvent.

Mais alors, Abou Zoubeida, il en était, ou pas ?

La presse canadienne a récemment rapporté que le citoyen algérien Mohamed Harkat, soupçonné depuis des années par les services occidentaux d’être lié à Al Qaïda, ne pouvait être coupable puisque son principal accusateur, le Palestinien Abou Zoubeida, détenu par les Etats-Unis depuis son arrestation au Pakistan en février 2002, n’avait aucun lien avec l’organisation terroriste. Forcément, ça change tout, du moins si l’on en croit les articles du Vancouver Sun (www.vancouversun.com/news/topic.html?t=Person&q=Mohamed+Harkat).

Mais, si on y réflechit un peu, qu’en est-il vraiment ? Je ne vais pas m’attarder sur le cas de Mohamed Harkat, dont le parcours peut en effet sembler suspect (http://en.wikipedia.org/wiki/Mohamed_Harkat) aux yeux des gars de ma partie – comme dirait Charles Lepicard/Bernard Blier dans « Le cave se rebiffe », mais plutôt me pencher sur Abou Zoubeida, le légendaire Palestinien de Peshawar.

On commence à parler de lui dans les milieux autorisés après l’arrestation mouvementée de Farid Melouk le 5 mars 98 à Bruxelles. Algérien, sympathisant du GIA, Melouk, soupçonnés par certains d’être l’auteur de l’attentat de Port-Royal (3 décembre 96), est intercepté en Belgique grâce aux services de police français qui sentent monter les menaces à quelques mois de la Coupe du monde de football. Lors de son arrestation, notre ami est trouvé en possession d’explosifs, de détonateurs semblables à ceux fabriqués dans les camps afghans, de cassettes audio du GIA et du GSPC, et surtout d’un carnet d’adresses et de numéros de téléphone. Comme lors de chaque arrestation, les enquêteurs découvrent que tous les islamistes radicaux – à l’époque on ne disait pas encore « jihadistes » – se connaissaient ou avaient des connaissances communes, sortes de points de convergence dans une mouvance qui manquait singulièrement de lisibilité pour les vieux routiers du contre-espionnage. Et parmi ces points de convergence apparaissait de plus en plus régulièrement Abou Zoubeida, un Palestien installé à Peshawar et qui semblaient passer ces jours et ces nuits au téléphone avec tous les terroristes radicaux sunnites de la planète.

L’omniprésence d’Abou Zoubeida va se confirmer tout au long des mois dans les analyses des services de renseignement mobilisés par la lutte contre Al Qaïda et ses alliés. Son rôle est en effet central : organisateur des filières de volontaires arabes vers les camps afghans, il se charge aussi de leur retour en Europe ou au Moyen-Orient et entretient ainsi des liens étroits avec de nombreuses cellules connectés à Al Qaïda. On trouve sa trace à Londres, à Stockholm, à Madrid, à Francfort, à Milan, à Montréal, à Amman, et le fait est que ce travail d’hôtelier un peu viril l’a mis en relation avec un grand nombre de projets terroristes.

A l’époque, disons-le clairement, à part les analystes et les enquêteurs, tout le monde se moque bien d’Al Qaïda. Quant à savoir si Abou Zoubeida est à jour de ses cotisations, la question ne se pose même pas tant elle est accessoire. Pour les spécialistes, la seule préoccupation est de comprendre ce que prépare cet homme afin de prévenir les menaces, tant il est évident que l’ISI pakistanaise ne le laissera pas, sauf cataclysme, être neutralisé par les Occidentaux. Mais justement, un cataclysme, il s’en produit un le 11 septembre 2001…

Il faudra un jour que je revienne sur le choix américain de traiter les terroristes capturés en – faux – prisonniers de guerre plutôt qu’en justiciables, mais une des conséquences les plus notables est que l’appartenance à Al Qaïda devient un argument pour la conduite de cette « long war ». Comme d’habitude, il y a autant d’avis sur la place publique que d’intérêts à défendre, et les seuls à ne pas parler sont ceux qui traquent l’organisation depuis près de 10 ans.

Des bellicistes qui affirment que tout ce qui est terroriste est directement imputable à Al Qaïda aux conspirationnistes qui affirment qu’Al Qaïda est un montage de la CIA pour dominer le monde, en passant par les sceptiques – qui ne savent pas qui croire, les journalistes – qui se donnent rarement la peine de comprendre parce que ça prend trop de temps au JT, et les experts surgis de toute part qui parlent d’autant plus qu’ils n’ont rien à dire, soyons clair, l’affaire est en effet confuse. Et le pire reste à venir.

En soustrayant les terroristes au FBI et en les confiant à la DIA – et un peu à la CIA, ce cher Donald Rumsfeld a empêché toute utilisation juidiciaire des renseignements obtenus à Guantanamo, à Bagram, ou dans d’autres accueillants centres de détention. Ainsi, tous les jihadistes – à présent, on peut le dire – conduits enfin devant les tribunaux bénéficient des failles dans les dossiers de l’accusation.

– Où et comment avez-vous obtenu ces aveux, Monsieur le Procureur ?

– A bord d’un porte-avions de la Navy, en mer d’Arabie, avec une perceuse, votre Honneur

– Je vois. Et l’interrogatoire du défendeur a-t-il eu lieu en présence d’un avocat ?

– Pas d’un avocat vivant, votre Honneur.

On le voit, on progresse. Arrêté lors d’une opération de la CIA au Pakistan, Abou Zoubeida, sérieusement blessé, est mis au secret et subit une série d’interrogatoires dont on sait à présent qu’ils n’ont pas fait honneur au code de procédure pénale américain. Drogues, des dizaines de waterboarding, rien ne lui est épargné et il devient une source infinie de renseignements pour la CIA, puis pour plusieurs Etats proches des Etats-Unis. Plus d’une centaine de rapports, m’a-t-on dit, sont ainsi rédigés par les experts de Langley puis transmis aux alliés. Très appréciées, ces milliers de pages fourmillent d’enseignements, et surtout d’un point qui nous intéresse au premier chef, s’agissant des développements de l’affaire Harkat : Abou Zoubeida n’a jamais été membre d’Al Qaïda.

Il ne dit pas ça pour se couvrir, tant le reste de ses déclarations en dit long sur son implication dans le jihad, mais il le rapporte comme un fait à connaître : il n’est pas membre d’Al Qaïda et il n’a pas prêté allégeance à Oussama Ben Laden – qu’il connaît, évidemment. De même, il précise que les camps d’entraînement en Afghanistan ne sont pas tous financés par Al Qaïda. Certains sont gérés par des groupes cachemiris pakistanais, d’autres par les Taliban. Tout ce petit monde se fréquente, s’aide, coopère, mais si le jihad mondial est en ligne de mire, il faut se souvenir que d’autres jihads, plus localisés, mobilisent des moyens : Cachemire, on l’a vu, mais aussi Philippines, Malaisie, Ouzbékistan, Xinjiang, Algérie, Somalie. Cette complexité de la scène jihadiste afghane n’est toujours pas comprise par de nombreux observateurs, et les défenseurs de Mohamed Harkat jouent sur cette incompréhension : Harkat a peut-être rencontré Abou Zoubeida, mais puisqu’Abou Zoubeida n’est pas membre d’Al Qaïda, tout s’arrange…

Tout s’arrange donc en droit, et l’impossiblilité pour les Etats-Unis et leurs alliés de judiciariser les interrogatoires de la CIA, et donc de les intégrer à une procédure impartiale, ruine des procès, fait le jeu des pacifistes, des conspirationnistes, des islamistes. Je ne dirai jamais assez à quel point les élucubrations de l’Administration Bush ont fait du tort à la lutte contre Al Qaïda. Plutôt que d’inventer des concepts juridiques bancaux, mieux valait – c’est la voie choisie par l’Administration Obama – poursuivre ce qui se pratiquait depuis le milieu des années 90s : si on peut arrêter et juger un terroriste, faisons le, car un procès mené dans le respect du droit permet aux autorités d’exposer la menace telle qu’elles la perçoivent, et aux radicaux d’apparaître sous leur vrai jour. Et si on ne peut se saisir légalement d’un suspect, et que celui-ci représente une REELLE menace, il appartient au pouvoir politique d’assumer ses devoirs et de le faire élminer par les services de l’Etat qui ont cette mission.

Mais revenons, pour finir, à Mohamed Harkat (www.justiceforharkat.com/news.php)  Il faut bien reconnaître que son parcours éveille des doutes dans l’esprit des contre-terroristes, mais il faut lui reconnaître le bénéfice du doute, et le droit à l’erreur. Son cas pose la question de l’ « après » dans les affaires de jihadisme : un terroriste islamiste peut-il renoncer à la violence ? Doit-il porter toute sa vie le poids du doute ? La question se pose de plus en plus régulièrement alors que s’achèvent certaines peines de prison prononcées à l’occasion des attentats de 1995, et elle n’a pas de réponse.

« Spartan » : l’autre Jason Bourne

On ne remerciera jamais assez Doug Liman et Paul Greengrass pour leur contribution salvatrice au film d’espionnage. Il faut dire que le genre était lourdement handicapé par l’affligeante médiocrité de la série des James Bond et autres pantalonnades hollywoodiennes.  

En 2004, David Mamet, le grand dramaturge et cinéaste américain, a donc profité du coup de balai donné par le premier épisode des aventures de Jason Bourne, « La mémoire dans la peau » (2002), pour réaliser « Spartan ». On y découvre un Val Kilmer en inquiétant ancien membre des Marines, sorte d’atout ultime à dégainer lors des situations inextricables. Chargé d’une mission ô combien délicate, il se révèle aussi dangereux de Bourne, moins spectaculaire sans doute, et surtout plus sobre que Jack Bauer (je ne faisais pas référence à la vie mouvementée de Kiefer Sutherland !). 

Mais comme toujours chez Mamet, l’important n’est pas dans l’action – il n’y en a d’ailleurs pas tant que ça – mais dans l’intrigue et dans le double-jeu des personnages.

Dramaturge reconnu, scénariste de talent (“Les Incorruptibles”, de Brian De Palma, en 1987, c’est lui), David Mamet aime à bâtir des intrigues complexes à l’aide de personnages ambigus, loin des clichés mille fois vus. Cette approche lui a permis de réaliser un polar méconnu en France, « Homicide » (1991),

puis “Glengarry Glen Ross” (1992) à la distribution exceptionnelle (cf. http://www.imdb.com/title/tt0104348/),

et surtout « La Prisonnière espagnole », un des films les plus remarquables qui soit sur l’art de la manipulation et qui devrait être montré à bien des fonctionnaires « spécialisés » français. 

 

« Spartan », loin de disposer des moyens de la série des Bourne ou de « Spy Game » (Tony Scott, 2001), nous montre une opération spéciale sobre montée dans la précipitation, comme souvent… Rien que pour ça, il faut voir ce film.

« Les experts/Les Lilas » : Pierre Siramy.

« Un barbu, c’est un barbu. Trois barbus, c’est les barbouzes » disait Francis Lagneau, dit « Petit marquis », dit « Chérubin », dit « Talon rouge », dit « Falbala », dit « Belles manières », également connu sous le sobriquet de « Requiem », dit « Bazooka », dit « La praline », dit « Belle châtaigne ».

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Seulement voilà, le hic est qu’il ne suffit pas de porter la barbe pour devenir une barbouze. Il faut également une éthique. Et il ne semble pas indispensable de publier ses mémoires (« 25 ans dans les services secrets ») sous un pseudonyme si c’est pour apparaître en couverture avec une barbe qui ne cache rien. On sent tout de suite le professionnel du renseignement… A moins que cette barbe ne soit une dernière manifestation de coquetterie.

La « couverture » de Pierre Siramy, qui a déjà commis pour le compte de Bakchich quelques dispensables articles sur les services de renseignement français, n’aura duré qu’une poignée de jours. La mystérieuse disparition d’un article de Jean Guisnel sur le site du Point a réveillé, hier, la blogosphère, et chacun sait à présent que « Pierre Siramy » est le pseudonyme de Maurice Dufresse, un ancien cadre supérieur de la DGSE (http://www.infosdefense.com/tag/maurice-dufresse/).

Ceux qui l’ont connu ne partagent pas l’enthousiasme de Laurent Léger, le co-auteur du livre, et confient, sous le sceau du secret bien sûr, quelques souvenirs émus de celui qui porta, à la fin de sa carrière, un surnom que ma parfaite éducation m’empêche de reproduire ici.

Je ne veux pas entrer dans la vaine et douloureuse analyse d’un ouvrage qui, manifestement, propose une relecture plus que favorable de la carrière de notre ami. Inutile de rappeler ici les péripéties de la chasse au Grand Maître du Complot ménée par les croisés de la contre-subversion. Inutile non plus de relater les interminables réunions consacrées à la luttre contre le financement du terrorisme, la nuit n’y suffirait pas.

Il ne paraît pas si étonnant de constater, une fois de plus, que ceux qui ont vécu des décennies à l’ombre de la DGSE – et non, on ne dit pas « la piscine », M. Léger – éprouvent le besoin viscéral de parler, d’en parler. On peut en revanche s’offusquer de la façon parfaitement irresponsable dont certaines procédures opérationnelles sont dévoilées ici. La nostalgie, ok. Le sabotage, non. Il aurait peut-être mieux valu que M. Siramy/Dufresse écrive, comme son épouse, des livres de cuisine. La justice sera peut-être saisie, l’avenir le dira.

Apostille : la lecture, à l’instant, d’une interview de notre maître espion incompris (cf. http://www.liberation.fr/societe/0101626088-l-agent-s-en-balance) me conforte dans mes commentaires…

« Les experts/Levallois » : Philippe Migaux

Les professionnels du renseignement sortent rarement de leur silence, et quand ils le font, il faut parfois le regretter. On a ainsi beaucoup vu et entendu cet ancien directeur-adjoint de la DST tenir, en 2007 et 2008, des propos lénifiants sans doute dictés par les services algériens au sujet d’Al Qaïda au Maghreb Islamique (AQMI)… Etre et avoir été.

Mais tous les policiers ne sont pas comme ce sous-directeur, et il faut ici rendre hommage à la démarche du commissaire Philippe Migaux, pointure du contre-terrorisme à la française, membre de la DCRI et acessoirement enseignant à Sciences-Po. Dans un livre publié en novembre 2009, ce grand professionnel présente sa vision de la mouvance islamiste radicale.

Très documenté, cet ouvrage constitue un ouvrage de référence qui complètera à merveille « L’histoire du terrorisme » écrite par l’auteur avec Gérard Chaliand. On pourra évidemment regretter le ton parfois un professoral de l’ensemble, mais je soupçonne Philippe Migaux d’avoir utilisé ses cours pour bâtir ce texte. Je lui demanderai.

Malgré tout le bien que je pense de ce livre, unique en son genre en français, qu’il me soit permis ici de formuler quelques remarques :

– je ne m’étends pas sur le titre, que je trouve maladroit et finalement assez peu accrocheur, mais je dois confesser ma surprise quand j’ai lu que l’auteur étudiait aussi bien ce que nous appelons le jihadisme – autrefois appelé islamisme radical sunnite – que l’idéologie révolutinnaire iranienne, chi’ite et par la même très différente. Le sujet est évidemment passionnant, mais il convient absolument de différencier le jihadisme, courant de pensée marginal, sans idéologue digne de nom et sans véritable centre de gravité, du chi’isme révolutionnaire iranien, structuré et au service d’un régime.

– je ne partage pas non plus le goût du commissaire Migaux pour les analyses trop fines et les précautions oratoires. Qualifier le jihadisme de salafisme combattant relève de l’excès de prudence et renvoie aux interminables disputes théologiques que connut l’Eglise à la fin du Moyen-Age.

– enfin, je ne peux m’empêcher de réagir à la préface de ce livre, rédigée par Gérard Chaliand. On ne présente plus M. Chaliand, et il faut noter ici qu’il entretient avec Philippe Migaux d’anciennes et amicales relations. Il est cependant permis de s’étonner tant cette préface jure avec le reste du livre, et tant elle en dit long sur les obsessions du maître. Celui-ci, tout à ses certitudes, n’hésite pas, une fois de plus me direz-vous, à relativiser la capacité de nuisance d’Al Qaïda. Cette manie – Raoul Volfoni aurait sans doute dit de Gérard Chaliand qu’il était la « proie des idées fixes » – conduit ce grand spécialiste à écrire que le bilan terroriste d’Al Qaïda est faible. A l’appui de cette bien péremptoire affirmation, M. Chaliand explique sans rire que le groupe n’a frappé qu’à de très rares reprises en Occident et qu’il n’a pu réellement se développer que dans des pays en guerre. Et de citer le Pakistan et l’Indonésie.

On est en droit de s’étonner tant cette certitude est contredite par les faits. Indonésie et Pakistan, des pays en guerre ? Que non -même si le Pakistan n’est plus loin de cet état). Al Qaïda, ses disciples et ses alliés y ont frappé à de nombreuses reprises depuis 2001, et si j’étais cruel je parlerais même de l’attentat de 1995 à Islamabad contre l’ambassade égyptienne.

Quant au faible bilan d’Al Qaïda depuis 2001… New-York, Washington, bien sûr, mais aussi Djerba (2002), Mombasa (2002), Casablanca (2002), Istanbul (2003), Riyad (2003 – 2005), Madrid (2004), Doha (2005), Londres (2005), Amman (2005), Charm el Cheikh (2005), Dahab (2006), Alger (2007), Bombay (2008), Djakarta (2009)…

On a vu bilan plus faible pour une mouvance traquée sans relâche à la surface du globe. Mais que les certitudes infondées de Gérard Chaliand ne vous empêchent pas de lire le livre de Philippe Migaux.

Rendez-nous Hubert Beuve-Méry

Toujours prompt à dénoncer les incompétences, réelles ou supposées, le site, lui aussi citoyen, Bakchich.info vient de se couvrir d’un ridicule d’une rare qualité.

Dans un article sobrement intitulé « Le M. Espionnage de Sarko grille son agent », le site d’informations affirme sans rire, sur la foi du compte-rendu d’une audition de Bernard Bajolet remontant au 27 janvier – quelle réactivité ! – que Pierre Camatte était un clandestin de la DGSE chargé de surveiller « l’ex-GIA » (cf. http://www.bakchich.info/Le-M-Espionnage-de-Sarko-grille,10165.html).

Par pure charité chrétienne, il paraît inutile de relever que le GIA a disparu des écrans il y a bientôt 10 ans et que l’actuelle AQMI n’est qu’une évolution du GSPC. Il semble par ailleurs illusoire de tenter d’expliquer que les barbus d’AQMI sont déjà surveillés par des moyens autrement plus sophistiqués qu’un sexagénaire isolé.

On peut en revanche souligner que les propos de M. Bajolet (cf. http://www.assemblee-nationale.fr/13/cr-cdef/09-10/c0910020.asp) devant la Commission de la Défense à l’Assemblée étaient en effet ambigus :

« M. Guillaume Garot. Quelles informations pourriez-vous nous transmettre sur les agents de nos services retenus en otage, leur nombre, leur situation ? Quelles sont les perspectives les concernant ?

M. Bernard Bajolet. Nous avons actuellement huit otages. Un au Mali, Pierre Camatte, quatre au Soudan, un en Somalie et deux en Afghanistan. »

La réponse de M. Bajolet est en effet étrange, et dès la fin de son audition certains s’étaient émus des conséquences de cette phrase sur la vie de nos otages. bakchich ne partage pas ces scrupules, on ne s’en étonne évidemment pas.

On est cependant en droit de demander pourquoi Bakchich ne clâme pas partout que les deux journalistes détenus en Afghanistan sont, eux aussi, des membres de la DGSE. Mais les auteurs de cet article savent-ils même ce qu’est un agent clandestin ? Que connaissent-ils du monde du renseignement ?

Rien, on le voit, et on ne peut que déplorer les ravages, dans une opinion déjà exaspérée, de telles approximations. Par ailleurs, d’autres affaires d’otages auraient sans doute pu attirer l’attention des rédacteurs de cet autre média citoyen, dont les écrits ne valent pas mieux que les vociférations d’internautres frustrés qui crient au loup à longueur de journée.

On a les dirigeants qu’on mérite, comme le disait un de mes amis. Il semble que nous ayons une presse obéissant aux mêmes critères.

Affaire Camatte : la fin d’un dogme

En forçant le Mali à libérer, dimanche dernier, 4 terroristes pour obtenir la libération de Pierre Camatte, détenu par Al Qaïda au Maghreb Islamique (AQMI) depuis le 26 novembre 2009, la France vient d’envoyer un bien étrange message aux terroristes.

Evidemment, personne n’a jamais cru qu’on ne négociait pas avec les terroristes, mais il y a un pas entre entretenir le contact par l’intermédiaire de mystérieux négociateurs et céder sur toute la ligne. En tordant le bras aux autorités maliennes afin qu’elles libèrent, après une parodie de procès, 4 membres d’AQMI, Paris a semé une belle pagaille au Sahel.

La crise diplomatique est en effet désormais ouverte entre Bamako, Alger et Nouakchott. Plus grave, notre coopération sécuritaire avec la Mauritanie a du plomb dans l’aile, sans parler des projets de coopération régionale contre les jihadistes. Et je ne parle même de nos détestables relations avec Alger.

La diplomatie supposée atlantiste de notre Président et les déclarations de fermeté n’y ont donc rien fait, et pour la première fois depuis les complexes prises d’otages au Liban, nous voilà pris en flagrant délit de compromission. Et ce ne sont pas les habituelles dénégations du Quai d’Orsay sur l’air de « nous n’avons pas payé » qui vont nous rassurer, tant il apparaît que la libération de ces 4 terroristes ressemble à s’y méprendre à une rançon.

Alors ? Alors, s’il faut se réjouir de la libération en bonne santé de notre compatriote, s’il faut saluer le travail des services de renseignement et des diplomates, à Paris comme à Bamako, il faut se rendre à l’évidence : en acceptant un deal avec AQMI, la France apparaît désormais comme le maillon faible de l’alliance internationale contre Al Qaïda. Les lois sur la burqa ou les rodomontades présidentielles n’y changeront rien, la France a cédé aux terroristes et a donc transformé la bande sahélienne en un immense supermarché dans lequel les jihadistes n’auront qu’à se servir. Attendons désormais les réactions de l’Espagne et de l’Italie, puisqu’AQMI garde en réserve trois humanitaires espagnols et un couple italo-brukinabé…

Et alors que le général Georgelin balance dans les médias le coût de la prise d’otages en Afghanistan de deux journalistes français (10 millions d’euros), attendons l’estimation du coût de la libération de 4 terroristes au Mali. Que dirons-nous lorsqu’ils tueront à nouveau ?

Espérons, pour finir, que la stratégie adoptée par Paris n’a été que la conséquence d’un bloquage persistant des contacts avec AQMI – hypothèse qui m’attristerait tant la compétence française dans le domaine est enviée – non la nouvelle manifestation d’une impatience qui devient la marque de fabrique de notre vie politique.