« What was the price on his head? » (« Wake up », Rage against the machine)

Les temps sont durs pour Al Qaïda. Quelques semaines après la mort d’Oussama Ben Laden, abattu le 2 mai par les brutes sanguinaires (ne le sont-elles pas toutes ?) de la Navy SEAL Team 6 dans sa villa pakistanaise, quelques jours après la cruelle disparition, le 3 juin, de Mohamed Ilyas Kashimiri, un autre charmant bambin, voilà que Fazul Abdallah Mohammed, le Keyzer Söze d’Al Qaïda en Afrique de l’Est, est mort à Mogadiscio, le 7 juin dernier. « L’accident bête », aurait pu dire Pascal, puisque notre homme a été abattu à un barrage des forces du gouvernement de transition alors qu’il venait de réaliser qu’il tenait à l’envers sa carte de Mogadiscio. Comme quoi, nos épouses ne sont pas les seules à ne pas savoir lire une carte.

Opérationnel de grande qualité – mais peut-être un peu juste question topographie, artificier à ses heures, concepteur imaginatif de plusieurs attentats fondateurs (contre les ambassades de l’Empire en Tanzanie et au Kenya le 7 août 1998, contre l’hôtel Paradise et un avion de ligne israélien à Mombasa le 28 novembre 2002), Fazul était aussi un des chefs militaires des Shebab somaliens, au profit desquels il jouait le go between avec Al Qaïda et Al Qaïda dans la péninsule arabique (AQPA).

Fazul, qui avait décidément toutes les chances, était traqué par l’Empire depuis 1998, et on se souvient encore, aux Comores, de l’arrivée par vol spécial de dizaines d’agents FBI en août 1998. De mauvaises langues suggéraient même que notre turbulent garçon disposait de soutiens amicaux au sein de l’Etat comorien, une accusation odieuse que nous ne saurions diffuser à notre tour.

L’Empire a tout essayé, et on a bien cru, en juillet 2004 que son compte était bon lorsque les services pakistanais, amicalement secondés par les gens de Langley, ont mis la main sur Ahmed Khalfan Ghailani, un proche camarade de Fazul, après une belle fusillade près de Gujrat. Les données découvertes dans les ordinateurs de Ghailani avaient alors permis à la CIA et au SIS britannique de frapper les réseaux pakistanais présents au Royaume-Uni, mais rien ne fut découvert au sujet de Fazul.

Le 1er janvier 2009, un drone de l’Empire rappela brutalement à Dieu, lors d’un raid au Pakistan – vous savez, notre si précieux allié contre Al Qaïda – Fally Mohamed Ally Msalam, un des chefs militaires de l’organisation dans le pays, et son adjoint, Ahmed Salim Swedan, un autre proche de Fazul.

Hélas, l’insaisissable comorien restait introuvable. Pourtant, la traque ne faiblissait pas. De mystérieux raids étaient conduits en Somalie depuis de lointaines bases du Golfe ou depuis Djibouti – ah, ces paires de F-15E en bout de piste… Mieux, en janvier 2006, l’Empire, qui ne renonce jamais et ne lésine guère sur les moyens, avait financé l’invasion de la Somalie par l’Ethiopie. En vain.

Et voilà que ce pauvre garçon rate sa sortie en se perdant dans Mogadiscio… Les plus soupçonneux y verront sans doute la marque d’une odieuse manœuvre de l’Empire. Pour ma part, et sans exclure une participation de services spéciaux, je vois dans cette pitoyable fin une nouvelle illustration de ce facteur humain que j’ai tant observé par le passé. Forcément, en contemplant la dépouille de Fazul, on ne peut pas non plus s’empêcher de repenser à tous ces raids aériens lancés trop tard, à ces opérations héliportées décommandées, à ces complots plus ou moins sérieux, à ces projets d’enlèvement irréalisables, à ces attentats aux bilans catastrophiques, et à ces destructions en cachette de quelques télégrammes gênants.

De simples péripéties, sans doute. Enfin, on ne va pas le pleurer, n’est-ce-pas ?

Le cerveau de Himmler s’appelle Heydrich

Je dois confesser mon peu d’appétence pour les auteurs français contemporains. Depuis la mort de Julien Gracq, le paysage littéraire hexagonal me semble en effet bien morne. Quitte à lire des romans français, autant lire ceux de Flaubert que ceux de Guillaume Musso et éviter les tombereaux de mauvaises nouveautés qui se déversent sur nous à chaque rentrée « littéraire ».

J’avais évidemment noté la publication de HHhH (Himmlers Hirn heisst Heydrich : le cerveau de Himmler s’appelle Heydrich), de Laurent Binet, mais, fidèle à ma légendaire distraction, je n’avais en revanche pas noté que cet ouvrage n’était, en aucune façon, une simple biographie de Reinard Heydrich, une des pires crevures que le IIIe Reich, qui n’en était pourtant pas avare, ait données au monde.

La figure de Heydrich, comme celle, d’ailleurs de Martin Bormann – sans doute le pire des fumiers – m’a toujours fasciné.

J’avais découvert son existence en lisant, au début de mon adolescence, le monument de William Shirer The rise and fall of the third Reich (1960), qui offrait au lecteur un trombinoscope des principaux dirigeants nazis. J’étais revenu à Heydrich au cours de mes années d’études, lorsque je travaillais sur le système concentrationnaire du Reich. Plus tard, au service de la République, je revisitai à nouveau la figure du maître espion nazi, avec toujours les mêmes frissons d’horreur.

L’ouvrage de Laurent Binet a constitué une excellente surprise, loin des austères études historiques dont je suis pourtant friand, à mille lieues des œuvres françaises qui accumulent d’années en années poncifs, facilités et nombrilisme.

Dans un style jubilatoire, l’auteur mène de front plusieurs récits avec lesquels il jongle brillamment sans jamais tomber dans une vaine virtuosité. Biographie à peine déguisée de Heydrich, description de l’opération des services anglais et de la résistance tchèque qui parvint à éliminer le protecteur de Bohème-Moravie, HHhH est aussi un réjouissant tableau des affres de la création littéraire. Comme dans un essai d’Umberto Eco ou un des premiers films de Woody Allen, Laurent Binet ne nous cache rien de ses errements, essais, renoncements, mais cette légèreté, apparente, ne nie rien de la terrible réalité qu’il décrit. On est ainsi loin de la brutale – mais courageuse – démarche de Roberto Benigni (La vita è bella, 1997), et encore plus de l’immortel chef d’œuvre de Claude Lanzmann, Shoah (1985), un film que tout homme devrait voir au moins une fois dans sa vie.

Auteur complet, Binet profite de son récit pour évoquer les autres œuvres consacrées à Heydrich, à commencer par le film de Fritz Lang (Hagmen also die !, 1943). Mais, sans snobisme – du moins me semble-t-il – il fait aussi référence au mythique Fatherland, de Robert Harris (1992) adapté pour la télévision en 1994 par Robert Menaul avec Rutger Hauer.

Il ne manque plus à ces références iconoclastes que l’hilarant Rêves de fer, de Norman Spinrad (1972), les remarquables polars de Philip Kerr, (L’été de cristal, 1989, La pâle figure (Heydrich), 1990, Un requiem allemand, 1990, récemment rassemblés dans La trilogie berlinoise), ou, pour les plus exigeants, Le complot contre l’Amérique, de Philip Roth (2004).

Laurent Binet nous offre avec HHhH une brillante variation littéraire sur le thème de l’enquête historique et du on going work. Il serait dommage de bouder son plaisir, avant de relire Raul Hillberg, Ian Kershaw ou Christopher Browning. Quant aux critiques faites à Binet (« ce n’est pas un roman », « ce n’est pas un ouvrage historique »), on laisse à leurs auteurs le plaisir pervers de dénigrer – une façon comme une autre de dissimuler leur médiocrité.

« And my blood is my own now » (« The prisoner », Iron Maiden)

Les voilà de retour, embrassés par leurs proches, acclamés par leurs collègues, salués par la classe politique. Amaigris, épuisés, ils font peine à voir et on ne sait s’il se faut se jeter à leur cou ou s’il faut les faire asseoir le plus vite possible. On est, en tout cas et quoi qu’on pense des circonstances de leur capture, heureux de les revoir en vie, avec leurs pauvres sourires, leurs yeux humides et leurs joues creuses.

Les voir là nous rend fiers d’eux, et aussi de leurs libérateurs – auxquels il faut une nouvelle fois tirer respectueusement notre chapeau. Quant à leurs ravisseurs, on ne peut qu’espérer qu’ils croiseront un jour un drone de l’Empire ou les aimables plaisantins d’une quelconque équipe de forces spéciales occidentales – puisque tout le monde sait désormais quelle confiance accorder au pouvoir pakistanais dans la lutte contre Al Qaïda.

Ils sont libres, donc et déjà revient la question, comme à chaque fois : que nous ont coûté ces libérations ? De l’argent ? Des concessions politiques ? Des libérations de prisonniers ?

Probablement tout cela, serait-on tenté de répondre. Les autorités françaises, toujours vaillantes et inflexibles, affirment qu’aucune rançon n’a été versée aux ravisseurs. On aimerait les croire, mais on voit mal pour quelle raison les Taliban, que l’on ne sait pas si généreux, auraient rendu la liberté à nos deux compatriotes simplement en raison de la mobilisation d’intellectuels français – à supposer qu’il y en ait encore.

Mais quelles sont les différentes méthodes applicables lors des prises d’otages ?

D’abord, et c’est ce que font sans sourciller les Européens – du moins les continentaux, on paie. Cette option, qui offre une garantie d’issue favorable presque totale pour peu qu’aucun député vieux comme Hérode ne débarque dans le paysage en compagnie d’une poignée de mythomanes, peut s’avérer très longue. Il ne s’agit donc pas tant d’être prêt à passer à la caisse que de déterminer à qui on doit remettre la valise. Aux Philippines en 2000, au Sahel ou en Irak depuis 2003, on a vu apparaître de nombreuses vocations d’intermédiaire, rendant singulièrement complexe le simple règlement de la douloureuse.

Dans le cas de revendications politiques, il va de soi que l’option financière – qui n’est cependant jamais vulgaire – ne suffit pas et c’est là qu’une deuxième option apparaît – mise en œuvre par les Etats-Unis, le Royaume-Uni et la Russie : on ne lâche rien, on ne paie pas, on ne discute même pas. Evidemment, dans ce cas, les otages savent que leur sort est scellé. Les jihadistes, qui sont des hommes de peu de patience, ne tardent en général pas à débiter soigneusement leurs otages – parfois en direct sur Internet afin de partager avec le monde cet instant de convivialité débridée qui fait le charme de l’islam radical. Les exemples ne manquent pas, et le pire est évidemment pour les familles d’apprendre que leur cher et tendre est dans les mains d’une bande d’authentiques psychopathes dont les revendications sont intrinsèquement irréalistes et dont le seul but est de tuer.

Ce cas de figure nous conduit à en évoquer un autre : l’assaut. Les Etats qui refusent de payer sont du genre, allez savoir pourquoi, à tenter de libérer leurs citoyens tout en profitant de l’occasion pour vider quelques chargeurs. La Russie, qui s’est couverte d’une gloire immortelle au Liban dans les années 80s par sa gestion fine des prises d’otages, a montré à Moscou ou Beslan qu’elle n’entendait pas, quel qu’en soit le coût, se laisser dicter sa conduite. Cette posture, en soi respectable, devient plutôt délicate à assumer quand les assauts se révèlent être de véritables boucheries. Là aussi, il convient d’avoir les moyens de sa politique, comme aurait pu le dire Aristide Briand, et si les succès sont salués, les échecs se paient chers.

En juillet 2010 et en janvier 2011 au Sahel, la France a tenté d’interrompre le cycle interminable des « tu enlèves/je paie/tu libères/on reste bons amis jusqu’à la prochaine », mais les opérations ne se sont pas déroulées au mieux. On doit déplorer ces issues fatales, on peut saluer ce changement de posture – qui change des coups de menton néogaullistes assortis de complexes manœuvres en coulisse. A l’automne 2004, Dominique de Villepin, alors Ministre de l’Intérieur, avait ainsi publiquement déclaré que la France pouvait revenir sur la fameuse « loi sur le voile islamique ». Il s’agissait là d’un signal envoyé aux ravisseurs de Christian Chesnot et Georges Malbrunot, qui sortiront de l’enfer irakien comme Hervé Ghesquière et Stéphane Taponier sont sortis de l’enfer afghan, grâce à l’infinie habileté des fonctionnaires des services français.

Alors ? Alors, la France a annoncé quelques heures après l’Empire, le 23 juin dernier, le retrait de ses troupes d’Afghanistan. Une semaine plus tard, et comme par enchantement, nos journalistes sont libérés. Et voilà que dans le même temps des sources glissent à BFM que des millions d’euros auraient été versés. J’imagine qu’il s’agit là d’actions de développement durable. Bref, ils sont libres. Evidemment, les esprits chagrins, dont je suis, persistent à penser, après de nombreuses confidences, que les reporters de France Télévision ont sciemment ignoré les avertissements de tous nos militaires, diplomates et espions présents sur place. Inconscience ? Mépris du danger ? Syndrome français du « ça n’arrive qu’aux autres » ?

Les insupportables déclarations de Claude Guéant et d’autres ont rendu le débat stérile, et les journalistes, animés d’un solide esprit de corps, vont à n’en pas douter invoquer le devoir sacré d’informer. Pour l’instant, nous pouvons encore payer car on nous demande encore de l’argent. Espérons que les grands reporters français sauront à l’avenir mieux mesurer les risques, leur courage individuel, admirable, pouvant inutilement exposer des dizaines de leurs concitoyens. Quel reportage dans la vallée de la Kapisa mérite 547 jours de détention aux mains d’une bande de pouilleux illettrés essayant de convaincre le monde qu’ils défendent un mode de vie alors qu’ils tentent simplement de nous soutirer de l’argent et d’exposer nos faiblesses ? Plus grave, quel reportage mérite que la France fasse des concessions et se voit ainsi imposer une ligne politique qui conduise à la perte, même momentanée, de sa souveraineté ?

The usual experts

Il n’a échappé à personne que la guerre que nous avons déclenchée contre le régime libyen n’est pas terminée, et encore moins gagnée. J’ai déjà indiqué ici mes doutes quant au déclenchement de cette opération, mais également ou mon soutien à une offensive qui vise à nous débarrasser, enfin, du bondissant colonel Kadhafi et de sa bande de bras cassés.

L’événement, d’importance, a évidemment suscité un grand nombre de réactions, allant de l’enthousiasme le plus belliciste à la condamnation la plus ferme. Fidèle – bloquée ? – à ses vieilles alliances, la fringante Russie a naturellement condamné l’intervention occidentale en Libye, comme elle défend bec et ongles la Syrie et l’Iran. On sait l’attachement historique de Moscou à la souveraineté de ses voisins et à la défense des Droits de l’Homme, et il convient donc de saluer cette constante et intransigeante posture russe.

L’Iran, justement, attaché à ces mêmes valeurs et qui entretint longtemps de troubles relations avec la Libye, a, lui aussi, fait part de son opposition à cette insupportable invasion judéo-croisée. Il faudra songer à rappeler au Yémen, au Liban ou à Irak cet attachement perse à la paix universelle. Dans une troublante concomitance, les leaders nationalistes européens, dont on mesure à chaque saillie l’humanisme et l’empathie qu’ils éprouvent à l’égard de la civilisation arabo-musulmane, ont rejeté avec fureur cette nouvelle démonstration de l’impérialisme cosmopolite judéo anglo-saxon. Il faut, soit dit en passant, reconnaître aux fascistes, marxistes, staliniens et autres extrémistes un authentique talent dans le choix des adjectifs, même si tous n’ont pas, loin s’en faut, la verve d’un Howard Phillips Lovecraft, le plus talentueux – et dingue – des prognathes de Nouvelle Angleterre.

Et il convient de signaler, mais nous y reviendrons, la courageuse prise de position de l’Algérie, aveuglément cramponnée au dogme de la résistance à l’oppression étrangère et qui, de toute façon, contredirait même la France – mais pas l’Empire, allez savoir pourquoi – sur la date d’hier. Notons que la solidarité algérienne s’est également exprimée à l’égard du régime yéménite, démontrant une fois de plus la pertinence de la vision historique et morale du Président Bouteflika.

Forcément intrigués par l’ampleur de cette crise, sa soudaineté, ses implications régionales, ses conséquences mondiales, d’éminents spécialistes de la chose stratégique se sont rapidement emparés de la question et, n’écoutant que leur courage et leur inextinguible soif de vérité, se sont précipités en Libye au milieu des bombes et des raids, évidemment aveugles et criminels, de l’OTAN. Il est sorti de cette initiative un rapport (téléchargeable ici) dont le simple titre, Libye : un avenir incertain, nous en dit déjà long sur la puissance des observations qui y sont relatées et la force des recommandations qui y figurent.

Attardons-nous à présent sur les six courageux auteurs de cette somme intellectuelle qui promet de marquer son époque comme BHL a marqué le cinéma. On ne présente plus Monsieur Eric, heureux président du Centre français de recherche sur le renseignement (CF2R), l’homme qui s’acharne à porter des chemises aux cols rehaussés mais qui ne ressemble hélas pas à Erich Von Stroheim – il faut plus qu’une minerve pour présenter au regard la classieuse rigidité d’un officier prussien.

Il est, en revanche, permis d’évoquer le parcours politique de Madame Saïda Benhabyles, ancienne ministre algérienne de la Solidarité (un gros poste, on n’en doute pas), ancienne sénatrice et fondatrice du CIRET-AVT, un étonnant think tank que nous présenterons plus bas. Mme Benhabyles ne compte pas que des amis dans son beau pays, et il se trouve même quelques esprits rétifs au progrès social pour critiquer son action (ici, par exemple). On ne sait pas bien de quelles compétences se réclame Madame le (la ?) Ministre pour aller ainsi s’exposer en pleine guerre civile, mais saluons quand même son courage – c’est toujours ça. La quintessence de la pensée diplomatique de Mme Benhabyles peut, pour les plus curieux d’entre vous, être appréciée dans les nombreuses interviews qu’elle donne à la presse de son pays, et qui sont parfois reprises par des médias aux motivations pour le moins curieuses, comme Nouvel ordre mondial, un site Internet dont les propos me paraissent, pour certains, relever de la médecine psychiatrique.

Parmi nos six aventuriers se trouve également Mme Roumania Ougartchinska, une troublante « journaliste d’investigation » franco-bulgare déjà auteure d’ouvrages sur le KGB – « vaste programme », aurait sans doute dit le Général.

Plus étonnante encore est la présence dans notre panel d’Yves Bonnet, ancien DST, ancien député, préfet honoraire, et surtout, surtout, président du CIRET-AVT. M. Bonnet, qui n’a jamais réellement impressionné son monde par sa fine connaissance du Moyen-Orient, est pourtant l’auteur d’une déjà longue série d’ouvrages manifestement marqués par une franche hostilité au régime des mollahs. Il faut dire, et on le comprend, que l’homme a subi, lorsqu’il était le chef de nos contre-espions, les coups que Téhéran nous assénait avec patience et régularité pour une malencontreuse affaire de dette nucléaire sur fond d’affaires d’otages en Liban. On ne dira jamais assez à quel point les Perses sont soupe au lait.

Aux côtés de notre honorable préfet honoraire officie également Monsieur Dirk Borgers, un citoyen belge qui se présente comme « expert indépendant ». Il eut été cocasse que ce garçon se présentât en tant qu’agent d’influence, mais il faut souligner, avec le respect qui s’impose, cet effort de transparence. Tout le monde n’est pas forcément aussi doué.

Et enfin, un autre expert indépendant – mais c’est une manie ! – s’est joint à notre petite troupe, sans doute pour son plus grand bonheur. Monsieur André Le Meignen n’est pas le moins intéressant de nos experts : vice-président du CIRET-AVT (encore ?!), l’homme se présente comme la victime d’un racket fiscal – air connu – mais aussi, et ça ne manque pas de piquant, comme un « diplomate, ambassadeur en mission ». Etrangement, son nom ne me disait pourtant rien, et l’annuaire diplomatique ne le mentionnait nullement. Dieu sait pourtant que le Quai d’Orsay regorge littéralement d’ambassadeurs itinérants chargés des missions les plus essentielles. Il paraît par ailleurs que le poste d’ambassadeur auprès de l’UNESCO a été récemment libéré par sa titulaire, une bondissante pétroleuse aux convictions changeantes et au parler imagé. En réalité, et comme souvent, je m’égarais : Son Excellence André Le Meignen est un diplomate centrafricain.

Et donc, quatre de nos amis œuvrent au sein du Centre international de recherches et d’études sur le terrorisme & l’Aide aux victimes du terrorisme, un organisme plutôt mystérieux présidé par M. Bonnet, assisté de M. Borgers et d’un certain M. Saleh Radjavi, le bienheureux frère de Massoud Radjavi, président du Conseil national de la résistance iranienne (CNRI) et dirigeant de l’Organisation des moudjahiddines du peuple d’Iran (OMPI), un mouvement armé qui fut, un temps, considéré comme terroriste par l’Union européenne et qui est suspecté d’avoir adopté un fonctionnement de type sectaire. Le hasard faisant bien les choses, il se trouve que M. Bonnet ne rate pas une occasion de signer des pétitions en faveur de l’OMPI et de sa bondissante dirigeante, Maryam Radjavi. Bref, nous sommes en pleine affaire de famille.

En une quarantaine de pages, notre équipe de fins limiers, dont on a pu mesurer plus haut les connaissances étendues dans le domaine de la guérilla et leur immense savoir au sujet de l’est libyen, nous livre donc leur appréciation de la guerre. Franchement, on ne ressort pas intact de la lecture d’une œuvre d’une telle intelligence prospective, même si on ne peut que conseiller à ses auteurs de réviser les règles de la ponctuation en français tant certaines tournures de phrases font mal aux yeux.

Officiellement, le rapport s’est fixé pour objectif une « énonciation des faits excluant tout jugement », une précision utile (p. 3) puisque on apprend très vite, et la révélation est brutale, qu’il « n’est nul besoin d’insister sur la nature hautement critiquable de la dictature imposée, depuis 1969, par Mouammar Kadhafi à ses concitoyens ». Comme annoncé, le style est donc froid, presque chirurgical, et on sent la patte de grands universitaires et d’esprits aiguisés. On retrouve cette distance avec le sujet page 9, lorsque les auteurs indiquent que « le régime Kadhafi, c’est 42 ans d’injustice et de privation de liberté. » Pourtant, et à plusieurs reprises, les mêmes mettent en avant le « socialisme arabe du gouvernement » (p. 9), le succès de son développement économique (p. 10), voire – et on se pince – un « fait trop souvent ignoré : la Libye a été un acteur majeur du développement et de l’indépendance du continent africain ». Nul doute que cette affirmation, qui n’est bien sûr aucune étayée, provoque le vif intérêt des africanistes du monde entier. Nos experts passent d’ailleurs rapidement sur le rôle plus que douteux joué par l’Association mondiale pour l’appel à l’islam (AMAI), une ONG libyenne aux activités troubles. De même, la révoltante affaire des infirmières bulgares est ici pudiquement décrite et on apprend, pages 9, que les « hôpitaux et dispensaires sont aux normes européennes ».

Pas un mot, non plus, sur les dessous de la contamination des 475 enfants de Beghazi – victimes d’un mélange, déjà vu ailleurs il est vrai, d’incompétence et de corruption. Et pas d’explication sur le dédommagement des familles de Benghazi par l’état libyen, en réalité l’achat par le colonel de la paix socio-politique dans la région, traditionnellement hostile à la Tripolitaine. Le caractère artificiel de la Libye moderne est à peine évoqué, tout cela restant du niveau d’une « aventure d’Alice au pays du gentil colonel K » et un petit paragraphe, page 15, expédie la question. C’est le propre des hommes d’action et des esprits visionnaires d’aller à l’essentiel.

Selon un – fort médiocre – plan qui aurait sa place dans la copie d’un mauvais élève de Terminale, le rapport s’organise en 13 parties (!), la dernière faisant office de conclusion. Tout le monde ne peut pas avoir suivi les cours de la Sorbonne ou de Sciences Po. Les banalités y côtoient les affirmations péremptoires (cf. plus haut), les inexactitudes manifestes (lien du régime avec le terrorisme, par exemple) et les contradictions. Le texte est plutôt mal écrit, sentencieux, la démonstration laborieuse et il se dégage, à la pénible lecture de ces pages, le sentiment de plus en plus fort que tout cela a été écrit sous influence, voire même qu’il pourrait s’agir d’une commande.

Initialement, je pensais que Monsieur Eric avait assemblé une bande de ses joyeux amis pour un séjour plein d’émotions en Libye.

– Allez, fais pas ta timide, mets du cirage noir sur tes joues, ça fait plus guerrier !

– Zut, j’ai tâché ma chemise Figaret avec de la graisse à fusil !

– Tu crois que je peux demander à cette jeune femme qui a été violée 14 fois si elle peut me photographier près de ce T-72 démâté ?

L’étude, rapide, du profil des missionnaires m’a vite convaincu du contraire. Il ne pouvait s’agir d’une virée de mythomanes mais bien d’un coup de pub, assez courageux d’ailleurs. Mais je vois mal Yves Bonnet courir sous les balles ou la troublante Roumana O vider un chargeur de M-4 à l’aveugle en criant à ses camarades « Mouvement ! ».

Surtout, le texte ne cesse de mettre en avant une opinion plutôt limpide et assumée sur les causes de la révolution libyenne, les motivations et les conséquences de l’intervention occidentale en usant d’arguments, dont certains sont lus et relus depuis des années :

– le colonel Kadhafi n’était pas un poète, mais son peuple était riche. C’est vrai, ces histoires de démocratie, c’est une manie occidentale et ça devient lassant, à la longue.

– Il y a des islamistes en Cyrénaïque. Noooon ? Sans blague ?

– Il ne faut JAMAIS intervenir pour aider un peuple qui se révolte. Ah bon ? Ok. Donc, l’Egypte a eu tort de soutenir le FLN ? Et c’est mal d’aider les Sahraouis ? Et tous ces types qui se battaient en Europe contre les nazis, alors ?

– Il y a des réseaux criminels à l’œuvre sur les arrières de la rébellion. Moi, je pensais qu’il n’y avait que des scouts. Comme quoi, on en apprend tous les jours.

– Tout ça, c’est la faute des médias (air connu) et surtout d’Al Jazeera. Il faut dire que le Qatar participe aux opérations de la Coalition, forcément, ça agace.

– Le régime n’a pas tiré sur sa propre population. Nos enquêteurs sont allés vérifier, et ils n’ont rien vu. Et quand bien même, aurait pu argué Claude Piéplu, « ils ont sans doute leurs raisons ». (Le charme discret de la bourgeoisie, Luis Buñuel, 1972).

– La résolution de l’ONU a été votée sur la foi de simples informations de presse. Quel amateurisme !

– La révolution est menée par d’anciens dignitaires du régime. Rendez-vous compte, ça ne n’est jamais vu nulle part, c’est insensé !

– « La révolution libyenne n’est pas une révolte pacifique ». Je dois dire que ça m’avait échappé. Et puis, seules les révolutions pacifiques sont légitimes. Finalement, les Syriens n’ont pas tort, leurs policiers se font tirer dessus.

– « La crise a provoqué le retour chez eux de nombreux émigrés économiques ». Là  encore, on est sidéré par le caractère novateur de ce conflit.

– Certains membres du CNT veulent que les principes de la sharia soient la source des lois libyennes. Non mais rendez-vous compte, bon Dieu ! Et au Maroc, en Egypte, au Yémen, dans le Golfe, en Tunisie, en Algérie, en Jordanie, c’est quoi, la source des lois ? Les Pages jaunes ?

– La volonté américaine d’empêcher la pénétration chinoise en Afrique. Outre qu’elle était un peu tardive, cette offensive contre Pékin a échoué puisque l’Empire du Milieu a reconnu, finalement, le CNT. Pas de chance, les gars.

– L’insurrection libyenne est raciste. Alors que le régime libyen a toujours été d’une grande correction avec les populations étrangères, c’est bien connu. Demandez aux Tchadiens, demandez aux étrangers travaillant à Tripoli, ils vous diront à quel point la population libyenne est respectueuse, amicale et combien elle fait honneur aux traditions méditerranéennes d’hospitalité.

– « La Libye est le seul pays du « printemps arabe » dans lequel la guerre civile s’est installée » (p. 43). Quelqu’un peut prévenir les Yéménites et les Syriens ?

On pourrait également moquer les approximations (Saïf Al Islam, il a libéré 800 ou 2.000 islamistes ?), les ragots (Moussa Koussa, le ministre des Affaires étrangères ayant fait défection aurait été, évidemment de notoriété publique, un « agent-double du MI-6 ». C’est à ces petits riens que l’on peut percevoir la patte d’un authentique spécialiste du renseignement), l’évidente ignorance des arcanes de la diplomaties (les passages sur le droit d’ingérence et les résolutions de l’ONU sont à pleurer de rire) et des erreurs de débutants : on ne peut pas « rejoindre » l’US Africa Command, (AFRICOM), qui est un commandement militaire régional et non une organisation comme l’OTAN ou l’Union africaine. Heureux les simples d’esprit car le royaume des cieux est à eux.

N’en jetez plus, la coupe est pleine. Je me permets quand même de finir par un dernier ricanement, en me remémorant la réflexion attristée des auteurs, page 29, commentant une salve de Tomahawk sur des cibles sans intérêt : « Trois millions de dollars ont ainsi été dépensés pour réduire en cendres des matériels inertes ». Et alors, c’est votre argent ?

Finissons par le plus important. Outre d’importantes faiblesses, dues au fait que pas un seul de ces « observateurs » n’est réellement compétent, un point doit être souligné, et je n’ai fait que l’évoquer pour l’instant. Il me semble ainsi plus que probable que ce texte, qui n’a finalement eu qu’un faible retentissement dans nos contrées, soit un travail de commande, ou du moins un travail sous influence. A qui peut donc profiter ce rapport, écrit à la va-vite, mais sous-tendu par une hostilité, parfaitement admissible, à l’intervention en Libye ?

Le texte n’est en effet qu’une longue liste des arguments que le régime algérien ressasse depuis des années, le plus souvent pour l’édification de son peuple et de ses voisins arabes. Tout y passe :

– D’abord, une fidélité sans faille au principe bien inconnu de souveraineté nationale, essentiellement quand l’envahisseur est occidental et l’envahi un pays du Sud. L’expérience prouve que la dite souveraineté est moins importante dans d’autres configurations.

– De même, l’obsession occidentale pour la démocratie est ici dénoncée avec vigueur, dans des termes assez voisins que ceux qu’emploient depuis des mois les ministres algériens pour s’opposer aux revendications, quotidiennes, de la population.

– Ensuite, un goût immodéré pour le complot, ici – naturellement – ourdi par les Etats-Unis, mais surtout par Israël – qui, cherchez l’erreur, pourrait être reconnu par le CNT, vous savez bien, ce ramassis d’islamistes radicaux.

– Les intérêts économiques, là aussi soigneusement cachés, sont bien sûr de la partie. Page 37, on nous parle même de « contrats secrets » entre l’Empire et les insurgés. Fumiers, voilà que le CNT va acheter des F-15E à la place de nos Rafale.

Que voilà des experts à la pensée raffinée et manifestement parfaitement indépendante.

« Les experts/Créteil » : Michel Bounan

J’accumule tellement de livres que mon épouse décrit désormais notre appartement parisien comme une annexe d’Amazon. Il va de soi que cette accusation est sans fondement, même si j’envisage depuis peu de stocker des polars dans nos salles de bain. Bref, c’est donc en triant des bouquins que j’ai découvert ce petit livre de Michel Bounan, Logique du terrorisme.

J’avais oublié jusqu’à son existence, mais un simple coup d’œil à son 4e de couverture m’a rafraichi la mémoire, et je ne résiste pas au plaisir de vous en citer le texte :

La guerre menée par le terrorisme contre ses adversaires déclarés est tout à fait invraisemblable. Pour être crédible, cette histoire exigerait triplement et simultanément une excessive stupidité des terroristes, une incompétence extravagante des services policiers et une folle irresponsabilité des médias. Cette invraisemblance est telle qu’il est impossible d’admettre que le terrorisme soit réellement ce qu’il prétend être.

Michel Bounan a au moins le mérite d’assumer sa position. Evidemment, des esprits chagrins avanceront que notre homme est un médecin homéopathe et que ses compétences en matière de terrorisme sont infimes. Autant vous le dire, je suis fier de me compter parmi ces esprits chagrins tant j’ai été affligé par la lecture de cet essai d’une soixantaine de – petites – pages.

Bounan, après tant d’autres, se roule dans la plus médiocre des théories complotistes. Mais, saluons son ambition, notre homme ne se contente pas de s’en prendre aux Etats-Unis, il préfère réinterpréter pour notre édification l’histoire du terrorisme au 20e siècle.

Michel Bounan, qui semble connaître quelques difficultés avec certains concepts historiques (crimes de guerre ? connaît pas), se vautre dans l’erreur et l’anachronisme en qualifiant les bombardements allemands sur le Royaume-Uni, alliés sur l’Allemagne et américains sur le Japon d’attentats terroristes. Peut-être l’auteur prendra-t-il le temps, à l’occasion, de lire quelques textes juridiques ainsi que, par exemple, le livre que Patrick Facon consacra, il y a plus de dix ans, au bombardement stratégique.

Il pourrait même feuilleter quelques pages du Code pénal, un ouvrage précieux. Inutile, non plus, d’informer Michel Bounan que le Blitz sur Londres a bien failli avoir raison de la légendaire ténacité britannique, que les raids sur le Reich, pour criminels qu’ils aient été, n’en ont pas moins eu de réelles conséquences politiques intérieures et que, pour finir, les bombardements nucléaires sur Hiroshima puis Nagasaki ne visaient pas à démoraliser le peuple japonais mais à frapper de stupeur le régime pour le contraindre à la capitulation. Il est difficile de nier le succès de la manœuvre, au-delà des terrifiantes pertes humaines, et, ma foi, si l’URSS a, en plus, été impressionnée par la puissance de l’Empire, pourquoi se plaindre ? Bounan, qui semble plus fréquenter les ouvrages de Thierry Meyssan que les historiens sérieux, n’a pas non plus pensé que l’issue rapide de la guerre dans le Pacifique coupait l’herbe sous le pied de Staline et empêchait les Soviétiques de trop progresser en Extrême-Orient.

Pour le bien de sa démonstration, qui voudrait que le terrorisme n’ait jamais obtenu de gains politiques, Michel Bounan – qui évoque avec une grande légèreté la résistance française durant le dernier conflit mondial – passe sous silence les gains politiques de l’OLP ou la prise de pouvoir de Castro à Cuba. Et il ne s’interroge pas plus sur les motivations de groupes comme Al Qaïda, désireux de provoquer des conflagrations et pas plus tentés que ça par une prise de pouvoir.

L’ignorance de Bounan ne s’arrête évidemment pas là, ce serait trop beau. Nourri de quelques articles cueillis dans Libération, il pense être en mesure d’affirmer que les services de renseignement et de police font preuve d’une « impuissance surprenante ». Ce bon Dr Bounan serait sans doute effaré d’apprendre combien d’attentats sont déjoués chaque année…

S’agissant des médias, il n’a pas tort de moquer leur fébrilité, mais il lui a sans doute échappé que l’irruption de CNN, à l’occasion de la guerre contre l’Irak en 1991, avait durablement bouleversé les mœurs journalistiques. On peut le déplorer, se lamenter, théoriser sans fin, mais les faits sont têtus et les grands médias ne jouent pas d’autre jeu que le leur lorsqu’ils nous inondent d’informations angoissantes et d’images pénibles liées à la menace terroriste. Enfin, Bounan dévoile l’étendue de son ignorance en affirmant que les groupes terroristes ne peuvent être que dirigés par des esprits supérieurs. En réalité, il semble même que notre écrivaillon n’ait pas son service militaire, sans quoi il saurait que la bêtise la plus crasse peut côtoyer de grands esprits, et que les plus beaux plans de bataille sont parfois réduits à néant par de piètres exécutants – demandez donc à Grouchy, ou éventuellement à Provençal le Gaulois.

Le regard, incroyablement naïf, que porte Bounan sur l’Histoire, le cours des événements ou le facteur humain nous en dit long sur l’intolérable ignorance qui le guide tout au long de cet opuscule. Pourtant, l’homme essaye d’étayer son propos par des arguments, mais ceux-ci, puisés dans les délires de Meyssan ou de Gore Vidal, sont sans valeur. Et à la naïveté ou à la stupidité s’ajoute une insondable mauvaise foi, tant il est évident que Michel Bounan n’écrit pas pour prouver ou démontrer mais pour coucher sur la papier la vision inepte qu’il se fait du monde.

Franchement, il aurait pu éviter de nous la livrer.

Un momentum bien agréable

Ça n’arrive pas tous les jours, et ça ne rend la chose que plus délectable : commencer la lecture d’un roman d’espionnage écrit en français – et quel français ! – et ne pas l’interrompre avant le point final.

Il semble donc que nous ayons trouvé au regretté Vladimir Volkoff un hériter digne de sa plume et son sens acéré de l’Histoire. Homme aux multiples facettes et talents, Patrick de Friberg nous a ainsi livré, avec Momentum, un roman comme on en lit peu dans une année.

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D’une écriture délicieusement ironique et à l’élégance discrète, mais sans jamais tomber dans la caricature ou la préciosité, l’auteur nous donne à déguster une intrigue qui nous renvoie aux plus belles machinations de John Le Carré ou de Graham Greene. Loin de livrer une fresque comme celle, incomparable, de Robert Littell (La compagnie), il s’attache au contraire à quelques personnages et décrit une opération de renseignement ambitieuse, capable de survivre aux chutes des empires et des idéologies. Il en profite pour faire quelques clins d’œil à la vie politique québécoise, et on me dit que cette liberté de ton n’est pas du goût de tout le monde.

Quoi qu’il en soit, avec ce roman, Patrick de Friberg donne aux non-initiés quelques clés pour comprendre certaines décisions politiques ou certaines trajectoires météoritiques. Quant aux initiés, ils ne peuvent qu’approuver ce salutaire travail pédagogique.

« I got a name, and I got a number, I’m coming after you. » (« Just a job to do », Genesis)

Et voilà, l’Empire a réussi à faire payer le grand tout maigre. « Justice a été faite », a annoncé l’Empereur, en homme qui n’a décidément pas été émasculé par son Nobel de la Paix. C’est à ces petits détails qu’on sépare les vrais mecs des demi-sels, mais, franchement, on n’y croyait plus. D’ailleurs, pour tout dire, on le croyait mort, l’excité de l’Hadramaout, emporté par une vilaine turista quelque part dans les zones tribales pakistanaises ou ravagé par une vilaine MST dans un claque de Tijuana ou une clinique du Montana.

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En 2006, les Saoudiens avaient même plutôt l’air sûrs de leur coup quand ils évoquaient une sépulture dans les montagnes et puis quand même, il reste une question : pourquoi diable Oussama a-t-il disparu de la circulation comme ça, d’un coup, pour ne plus laisser transpirer que des enregistrements moisis ? Evidemment, un esprit suspicieux comme le mien pourrait suggérer que les services saoudiens avaient sciemment laissé filtrer de fausses informations afin de donner un peu de répit au rejeton le plus turbulent du clan Ben Laden. Après tout, l’Arabie saoudite n’a découvert que sur le tard à quel point le jihadisme n’avait rien de sexy, et elle avait longtemps observé avec tendresse les agissements de cette bande de quadragénaires vivant chichement en Afghanistan dans des grottes et des camps de toile et rêvant d’abattre l’Empire. Il ne faut pas mépriser la camaraderie des tranchées, je sais, mais quand même. Peut-être Oussama en avait-il eu assez de toute cette violence, de toute cette pression, un peu comme Odile Deray ?

Quoi qu’il en soit, pendant qu’Oussama Ben Laden observait le silence blasé de celui qui n’a rien à prouver, le bon docteur Ayman se glissait avec talent dans les habits de chef d’Al Qaïda, et c’est à lui qu’on doit donc les grandes évolutions idéologiques et stratégiques du groupe, comme je l’ai exposé ici ou . Contrairement aux affirmations des dizaines d’experts plus ou moins compétents et inspirés qui se succèdent dans les médias depuis l’attentat de Marrakech et qui étaient donc en place quand la nouvelle est tombée, Ben Laden n’a jamais été le théoricien du jihad. Leader charismatique porté par une vision, il s’est toujours appuyé sur des idéologues originaires du Moyen-Orient (Abou Koutada al Filastini, Abou Hamza al Masri, Abou Walid, Abou Moussab al Suri, tous de sympathiques théologiens ouverts sur le monde) pour mettre en musique ses projets.

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Obsédé par l’Empire, Oussama Ben Laden avait quasiment trahi ses camarades du Machrek, plutôt obsédés par Israël, et Abou Zoubeida avait même confié à ses interrogateurs de la CIA que de réelles tensions étaient apparues à la fin des années 90 au sein de l’état-major d’AQ à ce sujet. Fort heureusement, fin tacticien, OBL avait su apaiser ses amis par quelques opérations de belle facture. Quel homme, quand même.

Et lundi matin, à l’heure où blanchit le campagne, voilà que j’apprends qu’Oussama a été tué par une équipe de SEALS, non pas dans les rugueuses campagnes pakistanaises près de la frontière afghane, mais au nord d’Islamabad, dans une ville, Abbottabad, qui abrite, excusez du peu, l’académie militaire nationale (PMA). Entouré d’élèves officiers et de militaires à la retraite, Oussama serait donc passé inaperçu toutes ses années, alors que tous les services de renseignement un tant soit peu sérieux savaient depuis au moins 1998 que l’ISI n’avait JAMAIS cessé de soutenir les Taliban, Al Qaïda, les groupes cachemiris et quelques autres rigolos. L’Inde a même émis des mandats d’arrêt internationaux à l’encontre de deux membres de l’ISI pour leur rôle dans l’assaut lancé contre Bombay/Mumbai en novembre 2008. Et n’importe quel analyste de l’OTAN vous dira que les insurgés afghans – ce terme est proprement insupportable tant il passe sous silence le radicalisme religieux – n’ont jamais cessé de recevoir l’aide du Pakistan.

L’année dernière, Hilary Clinton avait même glissé, en public, qu’à son humble avis Oussama Ben Laden vivait au Pakistan. Naturellement, à Islamabad, on s’était ému, on avait protesté de sa bonne foi, on avait appelé à une pleine et entière coopération internationale, les habituelles foutaises servies par un gouvernement qui, au mieux savait qu’il n’avait aucune prise sur ses propres services secrets, ou qui, au pire jouait un double jeu éhonté avec les Occidentaux. Déjà, en 2003, au Quai, on riait des déclarations d’une délégation pakistanaise, incarnation de la vertu bafouée : « Des camps terroristes chez nous ? Mais il n’y en a jamais eu. D’ailleurs, on les a tous démantelés ». Non seulement c’était idiot, mais en plus c’était faux…

La duplicité d’Islamabad depuis le début de l’intervention occidentale en Afghanistan était donc telle qu’il semblait exclu d’informer qui que ce soit du raid contre Oussama Ben Laden. A quoi bon tenir secrète une opération au sein de ses propres forces pour en informer le pire allié qui soit ? Laissons le général Heinrich, interviewé dans Le Parisien, le quotidien qui fait l’opinion au pays des Lumières (ici), à ses évaluations et persistons à penser que l’opération Geronimo a bien été conduite sans un mot au Pakistan. Et réjouissons nous de ce silence, réel ou souhaité, car on imagine sans mal quelle aurait été la réaction de la rue pakistanaise, connue pour son amour de l’Occident et sa retenue lors des manifestations de sa colère… Finalement, le silence de l’Empire épargne un partenaire ambigu mais précieux, du moins pour l’instant.

Déjà, les conspirationnistes sortent du bois et, profitant de la diffusion par la presse pakistanaise d’une photo trafiquée, se laissent aller à leur hobby de prédilection. Le choix est vaste : Oussama était déjà mort, il avait été capturé il y a des mois et l’opération de l’Empire n’a été montée que pour servir les intérêts d’Obama, Oussama n’a jamais été qu’un agent de la CIA en mission d’infiltration profonde, Oussama était une drag queen de Sidney (« Priscilla, moudjahiddine du désert » ?), Oussama était un droïde de protocole parlant 6 millions de formes de communication, Oussama était le frère jumeau de Timothy McVeigh etc. Ce qui reste fascinant est la prodigieuse imagination et l’absence totale de cohérence de nos émules de Dan Brown, mais il s’agit ne pas perdre de temps avec ces analystes de pacotille ou ces experts de troisième zone, et on pourra se contenter des hilarantes contributions de Slate.fr.

Donc, il est mort, et si certains en doutent, ses fidèles, eux, commencent à le pleurer. Les cadres d’Al Qaïda dans la Péninsule Arabique (AQPA), un temps abasourdis, se sont repris et nous ont promis une vengeance à la hauteur de l’affront. Enfin, un peu d’action, ne peut-on s’empêcher de penser. Il faut dire que la branche yéménite d’Al Qaïda a une autre allure que les petites frappes d’Abou Sayyaf, les lointains cousins de Mindanao, mais on y reviendra.

Donc, disais-je, Oussama est mort. « On meurt pas forcément dans son lit », disait Raoul Volofoni, qui s’y connaissait. Il a été abattu par un membre de la Team 6 des Navy SEALS, une unité de la marine impériale appartenant aux Forces spéciales et présentée au grand public par deux abominables navets, Navy Seals – les meilleurs (tout un programme, 1990, Lewis Teague) et GI Jane (1997, Ridley Scott).

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Alors, exécuté, Oussama ? Oui, probablement, mais ça dérange qui, exactement ? Capturer vivant le fondateur d’Al Qaïda aurait été, au-delà de la posture juridique et morale qui veut qu’on garantisse un procès impartial à l’accusé et qu’on préserve sa vie, un authentique et durable cauchemar. Partout, des jihadistes auraient pris des otages, réclamé la libération du héros, fait sauter avions et trains, des milliers d’avocats se seraient battus pour défendre l’homme le plus traqué de l’histoire, les témoins auraient été innombrables, les débats seraient rapidement devenus incompréhensibles, interminables, et surtout trop sensibles.

Ben oui, la CIA a joué avec le feu dans les années 80, et nous avec elle.

Ben oui, l’Arabie saoudite, les Emirats arabes unis et le Pakistan avaient reconnu les Taliban et n’ont pas tenu compte des sanctions décidées par les Nations unies.

Ben oui, la France n’a pas osé expulser les attachés religieux saoudiens qui faisaient en 1998 la tournée des mosquées clandestines en banlieue pour chauffer les foules.

Ben oui, les Britanniques ont toléré le Londonistan sur leur sol jusqu’à la vague de départs vers l’Afghanistan, en juin 2000, de quelques unes de ses figures. Et ils avaient même recruté quelques jihadistes de valeur…

Ben oui, la Chine commerçait avec les Taliban jusqu’au 11 septembre.

Ben oui, c’est l’armée pakistanaise qui a détruit les Bouddhas de Bamyan et qui a entrainé les tueurs de Bombay.

Ben oui, les Allemands ont mis plus de dix ans à reconnaître que les terroristes actifs sur leur sol n’étaient pas de petits délinquants maghrébins mais des jihadistes enragés.

Ben oui, les attentats de Moscou en 1999 sont un montage de M. Poutine, le démocrate exigeant qui a su associer à son refus de la guerre en Irak MM. Chirac et de Villepin.

Ben oui, les groupes jihadistes libanais ont été financés par les Saoudiens, avec l’accord tacite de la France, pour nuire à la Syrie.

Ben oui, c’est parfois avec des gifles qu’on obtient des renseignements.

L’option d’un procès était donc inenvisageable pour l’Empire, et j’imagine les ravages dans les opinions arabes et occidentales qu’auraient provoqués les révélations plus ou moins tronquées qui auraient garni les débats. L’élimination d’OBL présentait par ailleurs plusieurs avantages :

– évidemment, il s’agit d’un vrai succès personnel de l’Empereur ;

– de plus, les circonstances de l’assaut ont permis de déciller les yeux de certains journalistes – tout le monde ne peut pas avoir la clairvoyance de l’équipe de Rendez-vous avec X – qui découvrent, ou font mine de découvrir, que le Pakistan n’est pas notre meilleur allié dans la guerre contre Al Qaïda et sa clique de cinglés ;

– surtout, il s’agit d’un message très clair envoyé à tous les jihadistes, et c’est ainsi qu’il faut traduire le fameux « Justice has been done » : ça a pris dix ans, nous avons tâtonné, nous avons hésité, nous avons dépensé des fortunes, nous avons perdu des hommes, nous avons tué des innocents, mais au bout du compte, nous l’avons trouvé et nous l’avons tué. La déclinaison planétaire d’une affaire comparable à la mort de Khaled Kelkal, en quelque sorte.

Peut-être aussi faut-il prendre en considération le facteur humain. Quand on connaît les modes opératoires des forces spéciales, et plus particulièrement ceux des SEALS, il ne faut pas s’étonner que ça ait un peu rafalé. Surentraînés, surmotivés, surarmés, les hommes de la Team Six n’ont sans doute pas beaucoup hésité à tirer quand Oussama Ben Laden a bougé la main. Go ahead, Osama, make my day

Seulement voilà, quand on est l’Empire, on fait attention, on fait des efforts, on essaye de calmer le jeu, et un conseiller a sans doute pensé : nous ne sommes pas des Russes massacrant des Tchétchènes, donc, pas de colliers d’oreilles ou de doigts, pas de vidéos idiotes comme à Abou Ghraïb, on va la jouer finement. On va lui donner une sépulture correcte, on ne va pas inonder le monde de photos qui seraient autant de trophées malsains, on va se montrer responsables. Et la dépouille d’OBL a donc été inhumée en mer, au large du Pakistan, après une courte cérémonie à bord du porte-avions USS Carl Vinson, une modeste barcasse. Seulement voilà, c’était compter sans le soin maniaque que portent de nombreux responsables musulmans au strict respect de rites funéraires. On ne plaisante pas avec ça, les amis. Les Arabes, peuple du désert, ne jettent pas leurs cadavres en mer, ils les inhument avec soin.

– Ben oui, mais les marins ? Les copains de Sindbad ?

– Mon cher ami, les copains de Sindbad, comme vous dîtes, ne mouraient tout simplement pas en mer. Il suffit de faire des efforts, voilà tout.

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On imagine la consternation des stratèges de l’Empire, réunis là-bas, à Washington. Bon Dieu, les marins musulmans ne meurent pas en mer, la poisse ! Non mais vous imaginez ? En voulant éviter de créer un point de ralliement et de recueillement pour les jihadistes et autres fanatiques, nous avons fait pire, nous avons heurté la foi de millions de croyants.

En effet, ça n’est pas de chance. Il y en aura toujours pour protester, pour se demander à haute voix pourquoi le recteur d’Al Azhar ne trouve pas déplacés les massacres de chrétiens au Soudan, ou lamentables les crimes d’honneur au Pakistan, ou honteux les attentats contre les églises en Indonésie, ou scandaleux les tirs de missiles antichars sur les bus de ramassage scolaire israéliens, mais ceux qui feraient ces objections mélangeraient tout, amalgameraient, se tromperaient lourdement. Dont acte. Bien penser à ajouter « on n’inhume pas un musulman en mer » à la fameuse sentence indienne rapportée dans une aventure de Lucky Luke « un Apache ne combat pas la nuit » (ça aussi, c’est bon à savoir).

Les plus vicieux, dont je m’honore de faire partie, poursuivront même leur questionnement. Par exemple :

– s’il n’était pas mort, vous ne croyez pas qu’il aurait appelé l’AFP, comme les petits malins d’AQPA au Yémen, ou CNN, comme les comiques des Shebab somaliens ?

– et en quoi c’est si grave d’avoir abattu un terroriste quand on coupe les têtes avec une belle cadence en Iran ou dans la riante Arabie saoudite ?

– et au fait, pourquoi Oussama Ben Laden était-il un héros si les attentats de New York et de Washington – et d’ailleurs, d’ailleurs – ont en fait été perpétrés par une diabolique machination internationale à majorité judéo-maçonnique anglo-saxonne ?

Et à présent ? Après la fin de l’islamisme annoncée en janvier par quelques orientalistes, après l’enterrement précipité du choc des civilisations par une poignée de commentateurs politiques frappés d’infantilisme, allons-nous avoir droit à la fin du jihad ? Devons-nous croire, comme Bernard Guetta ce matin sur France Inter, visiblement en proie à une crise de delirium, que la paix est devant nous ? A qui avons-nous affaire ? Clausewitz chez les Bisounours ? Machiavel au pays de Candy ? Raymond Aron invité du Muppet show ? Le fait de refuser le choc des civilisations au nom d’un aveuglement imbécile, et pour tout dire suspect, ne change rien à la réalité. De même, le fait, très modestement comme moi, de ne pas juger Huntington complètement idiot ne veut pas dire que je me réjouisse des tensions communautaires. Nous autres, pères de famille, avons inexplicablement tendance à préférer la paix, mais cela ne nous empêche pas de regarder les choses en face.

Certes, les islamistes ont raté le début des révolutions arabes, mais en Tunisie, en Egypte, on les voit à la manœuvre, et si la jeunesse occidentalisée ne veut pas d’eux, les couches les plus populaires font plus que les écouter. Ils sont en embuscade en Jordanie, en Syrie, plus qu’actifs en Libye. Il n’y a qu’en Algérie, la malheureuse Algérie, que rien ni personne ne semble en mesure de faire bouger ce pouvoir. On dira ce qu’on veut, mais si l’armée algérienne est incapable de sécuriser 100 mètres de route en Kabylie, la Gendarmerie et la police, elles, savent y faire pour bloquer les manifestations. Comme toujours, tout est question de priorité.

Et donc, partant, le jihad serait derrière nous ? Pas fous, Bernard Guetta et Rémy Ourdan préparent l’avenir et ses possibles (!) désillusions en n’écartant quand même pas des attentats, un peu comme le chant du cygne. Néfaste vision arabo-centrée du jihad. Il faudra leur expliquer, au Sahel, en Somalie, en Ouganda, au Kenya, dans le sud de la Thaïlande, en Inde, en Afghanistan, au Pakistan ou dans quelques banlieues européennes que le pire est derrière nous. On croirait entendre Michel Galabru dans Le viager (1972, Pierre Tchernia), annonçant chaque année l’inévitable reculade du Reich. En mai 1940, il est forcément moins crédible.

Rien de ce qui justifiait, en profondeur, le jihadisme dimanche soir n’a disparu lundi matin. La crise économique est là, et elle va en s’aggravant dans les pays qui vivaient du tourisme. Pourquoi croyez-vous qu’un attentat a eu lieu à Marrakech, dans le seul pays qui gère habilement et humainement le printemps arabe ? Les naïfs et les idiots – Thiéfaine aurait dit les dingues et les paumés –  parlent d’un complot (encore un !) pour empêcher le roi de faire ses réformes, voire, comble du ridicule, d’un acte mafieux entre gangs rivaux. Ben voyons.

La crise économique est là, disais-je, mais aussi la crise de gouvernance, la colère, hélas justifiée, contre l’Occident et son soutien aveugle à Israël, et même le refus d’une société de consommation devenue folle qui conduit de nombreux adolescents « du Sud » à adopter le jihadisme comme idéologie révolutionnaire.

On n’a pas fini d’envoyer nos tueurs liquider des gourous, des religieux dévoyés et des soldats perdus.

Et je dédie ce post enflammé à un lieutenant-colonel que j’ai très bien connu et qui se reconnaîtra.

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Dernier appel pour le passager Vlassov, à destination de Paris.

En 1973, Henri Verneuil, le plus hollywoodien des cinéastes français, se lance dans l’aventure d’une superproduction d’espionnage. Night flight from MoscowLe serpent sur les écrans francophones – est en effet un film au casting international et prestigieux (Yul Brynner, Henry Fonda, Philippe Noiret, Dirk Bogarde, et même le grand François Maistre) qui bénéficie d’un magnifique scénario de Gilles Perrault.

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Verneuil a derrière lui une belle série de grands films (Le Président, Mélodie en sous-sol, 100.000 dollars au soleil, Week-end à Zuydcoote, Le clan des Siciliens) et il n’a pas grand-chose à prouver. J’ai toujours trouvé, pour ma part, que son style était un peu démonstratif, pataud, et que seuls ses scénaristes et dialoguistes le sauvaient.

Peur sur la ville (1975) ne vaut guère mieux, à mes yeux, qu’un mauvais Charles Bronson et il atteindra le sommet de son art avec I comme Icare (1979, déjà évoqué ici) ou Mille milliards de dollars (1980), deux authentiques monuments, avant de sombrer. Les Morfalous reste ainsi une véritable consternation

Night flight from Moscow illustre avec une certaine pédagogie le charme subtil des opérations de contre-espionnage qui ont fait de la Guerre froide, avec la stratégie nucléaire, ce moment intellectuellement si passionnant. Pour une fois, la distribution internationale n’est pas un poids à porter par le cinéaste, et elle donne même toute sa cohérence à l’intrigue.

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Le film, injustement méconnu dans le monde civil – à l’instar du mythique Dossier 51 – n’est disponible en DVD qu’en Zone 1. Cela ne doit pas vous arrêter, ni surtout vous empêcher de revoir Sens unique, autre passionnant récit d’une belle manipulation.

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Une guerre sale mais distrayante

J’ai découvert Dominique Sylvain il y a quelques semaines, à la lecture dans je-ne-sais-plus quel hebdomadaire, d’une critique enthousiaste de Guerre sale. On y apprenait que l’auteur(e) y relatait une intrigue haletante sur fond de réseaux franco-africains.

Je confesse que j’ignorais tout de Dominique Sylvain et de sa déjà longue carrière de romancière. Une brève visite à son site Internet (ici) me la rendit immédiatement sympathique. Une femme qui aime Michael Mann, Steven Soderbergh, Robert De Niro et Ving Rhames mérite à coup sûr d’être lue.

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A dire vrai, pourtant, je n’ai pas été transporté par ce livre. Le mot de l’éditeur, au dos, indique que « Dominique Sylvain atteint un sommet dans la construction de l’intrigue ». Il faut probablement envisager l’enthousiasme de cette appréciation avec un peu de recul. Guerre sale est un petit roman agréable à lire, dont les personnages, humains et originaux, renvoient presque inexorablement à ceux de Fred Vargas, une autre plume de Viviane Hamy. L’intrigue y est finalement assez linéaire, et les excentricités des uns et des autres, sans dire qu’elles lassent, ne créent quand même de réelle empathie. Là aussi, comme chez Vargas, on a presque l’impression qu’il n’est pas possible d’écrire de polar en français sans faire un concours de dingueries.

La recette, qui a agréablement renouvelé le genre il y a plus de dix ans, semble usée, et force est de reconnaître qu’on est loin, très loin, des héros de James Lee Burke, George Pelecanos, Dennis Lehane, Patrica Cornwell ou même Michael Connelly. Evidemment, Dominique Sylvain ou Fred Vargas apportent de la fantaisie, et même un peu de poésie, dans un univers où les gros flingues, les corps décomposés, les lendemains de cuite et les dilemmes moraux sont le quotidien. Hélas pour Dominique Sylvain, on a cru bon de présenter son roman comme une plongée dans l’univers, certes passionnant, de la Françafrique. Mais cette promesse, sans doute pas celle de l’auteur mais plutôt celle de l’éditeur, n’est pas tenue, et il ne suffit pas d’une poignée de morts cruelles ou d’intrigues politico-policières pour se hisser au niveau d’un James Ellroy, d’un RJ. Ellory ou d’un Hugues Pagan.

Ne boudons quand même pas notre plaisir. Guerre sale remplit à merveille le rôle d’un polar engagé: il distrait et il conduit à d’autres lectures, comme celle de Stephen Smith.

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Conseillé, donc.

Un petit week-end avec les Osterman ?

En 1982, Sam Peckinpah, le génial cinéaste de Major Dundee (1965), de La horde sauvage (1969), des Chiens de paille (1971), de Pat Garret & Billy the kid (1973) ou de Croix de fer (1977) est littéralement au fond du trou. Alcoolique, drogué, il ne tourne plus guère et a laissé derrière lui, dans un nuage de poudre blanche, sa carrière d’auteur capable de dynamiter les codes hollywoodiens du film de guerre ou du western.

Recruté par des producteurs désireux de mettre en scène le deuxième roman du nouveau maître – de l’époque – du thriller d’espionnage Robert Ludlum, il n’a pas de mal à réunir autour de lui de grands acteurs (Burt Lancaster, John Hurt, Dennis Hopper, et même Rugter Hauer, l’inoubliable répliquant de Blade Runner).

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Plus violente que le roman, l’adaptation cinématographique d’Osterman Weekend est également plus compréhensible. Incarnation de la paranoïa qui régnait alors entre les deux blocs, le film doit être désormais vu comme un témoignage sur la seconde partie de la Guerre froide. On y trouve des vétérans d’Hollywood, des gloires éphémères, comme Meg Foster.

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Un film méconnu, d’une époque qui s’estompe – et que nous regretterons peut-être un jour, qui sait ?