« Les experts/Sainte Anne » : Louis-Olivier de Saint-Clar

Personnalité attachante, esprit curieux dans un corps d’athlète, Louis-Olivier de Saint-Clar s’est rapidement imposé, dans notre pays et même ailleurs, comme un des observateurs les plus affutés de l’actualité internationale. Ses biographes nous diront un jour d’où lui est venue sa vocation d’éclaireur infatigable, mais le fait est que l’homme, qui a très tôt fait le choix de l’action et de l’aventure, ne cesse d’explorer le monde pour nous l’expliquer et nous éviter les pièges de la facilité.

Louis-Olivier de Saint-Clar est notre seul espoir.
Louis-Olivier de Saint-Clar est notre seul espoir.

Issu d’une famille anoblie lors de la prise d’Antioche, en 1098, né dans le château de Sainte-Anne, un petit village d’Ardèche, Louis-Olivier de Saint-Clar, qui ne s’attache guère aux titres, préfère qu’on mette en avant son œuvre, complexe, riche, protéiforme. Auteur d’une biographie remarquée, Chuck Norris. Le Carl Schmitt texan (2001, Editions du Pilon, 853 pages) désormais introuvable, Saint-Clar est aussi chroniqueur et documentariste. Ses récits de voyages au Moyen-Orient (J’ai tout compris mais je ne peux rien dire, 2000, Seuil, 761 pages ; Je peux tout expliquer, 2002, Seuil, 1002 pages ; Cette fois, c’est pas passé loin, Seuil, 943 pages) sont devenus des classiques, lus et relus dans les ministères, les administrations spécialisées et les universités les plus exigeantes. Son goût du travail de fond, son amour des nuances (cf. son premier film Crève, charogne musulmane, a été longuement applaudi au festival moscovite Ambiguïté sexuelle et décadence stratégique, en 2010) et son savoir, proprement stupéfiant, font de ce commentateur aux formules toujours ciselées un des grands témoins de notre temps.

Cette implication personnelle, sans limite, sans souci de se préserver, le conduit régulièrement à fréquenter le danger, là où d’autres analystes, installés dans le confort de leurs certitudes, se contentent de recopier la presse. Louis-Olivier de Saint-Clar ne dédaigne pas le treillis, et on l’a vu s’imposer avec aisance, à deux reprises (2012 et 2013), dans le grand tournoi Call of Duty – Psycho Predators seeking for blood qu’organisent les anciens Tigres d’Arkan, fidèles à la mémoire du regretté Zeljko Raznatovic, l’homme politique serbe bien connu de nos lecteurs.

En 2008, alors qu’il tourne un documentaire – hélas demeuré inédit – en Amérique latine, il est capturé par la police politique du San Theodoros, une république sud-américaine à la persistante instabilité politique. Accusé d’avoir fomenté un coup d’Etat en compagnie de confrères français (dont Joseph Mastoc, dit Joe La Main Lourde, rédacteur en chef de la revue philosophique Esthétique de la rouste et André de Goguenard, dit Dédé la Tannée, photographe de mode habitué des défilés les plus huppés), il purge une pénible peine de prison dans les infâmes geôles santhéodoriennes (dont le fort, notoirement insalubre, de San Kukaille, en pleine jungle) avant d’être libéré. « Ce bagne n’est pas une poubelle » aurait ainsi déclaré le ministre de la justice du San Theodoros avant de remettre notre héros à l’ambassadeur de France de l’époque.

De retour à Paris affublé d’un surnom à la signification encore mystérieuse (Louis le garçon de douche), Saint-Clar décide de se tenir loin de l’Amérique latine et revient au Levant, si cher à sa famille. La profondeur de sa vision historique et sa maîtrise, ahurissante, des armes à feu lui permettent, en 2014, soit deux ans après, de prévoir l’affaire Merah. Porté par ce succès analytique, et malgré le harcèlement judiciaire dont il est victime de la part d’esprits médiocres, il se lance dans la rédaction d’un livre en passe d’acquérir le statut envié de texte définitif sur le jihad. Sobrement intitulé Je vais vous expliquer lentement, l’ouvrage, que l’on annonce en 2019 au Seuil, une maison décidément habituée aux publications de référence, fait déjà saliver les services de renseignement, qui tentent de mettre la main sur le manuscrit.

Selon les confidences accordées par Saint-Clar à l’hebdomadaire Big boobs & big guns, il développerait dans ce livre une thèse, audacieuse et séduisante, liant la montée du jihadisme à la dérive des continents. L’ensemble de la communauté scientifique occidentale se penche depuis sur cette avancée majeure.

Les attentats du mois de janvier dernier à Paris l’ont vu, sans surprise, faire preuve d’une ferme dignité. Ses phrases appelant froidement à la résistance contre le terrorisme (« Je nique ta mère, sale nazi islamiste » ou « Je te défonce quand je veux, tafiole bagouzée ») ont contribué à mobiliser le pays, uni et debout contre la violence jihadiste. Dans une France ramollie, inconsciente du danger, Louis-Olivier de Saint-Clar, plus que la relève, incarne la lutte et l’espoir. Qu’il nous soit permis, ici, très humblement, de lui rendre hommage.

Nous, les corps, on les fournit. On ne les évacue pas. Compris ?

Il faut saluer, une fois de plus, le goût très sûr des Editions Gallmeister, précieuses vigies qui scrutent la littérature américaine et nous font découvrir régulièrement des auteurs essentiels, passés ou actuels. C’est ainsi grâce à elles que le public français peut aujourd’hui lire le premier livre de Phil Klay, Fin de mission (2015, 308 pages), consacré à la vie et aux combats des Marines en Irak pendant la Troisième guerre du Golfe.

Publié aux Etats-Unis au mois de mars 2014 après avoir figuré en 2013 dans un ouvrage collectif consacré aux guerres d’Afghanistan et d’Irak, Fire and forget, Redeployment, qui se présente comme un recueil de nouvelles, a immédiatement été salué par la critique et a remporté le National Book Award dans la catégorie fiction. Ce succès n’a rien d’immérité tant l’écriture de Phil Klay impressionne par sa maîtrise, sa sobriété et sa précision.

Fire and forget Redeployment

Parfaitement traduites par François Happe, les douze nouvelles du livre, toutes écrites à la première personne, présentent chacune un aspect de l’engagement américain en Irak après l’invasion de 2003. On y côtoie ainsi une unité de combat en opération, on y roule sur un IED, on y écrit des demandes de décorations pour des héros morts, on y boit, on y cherche des gagneuses ou des amantes d’un soir, on y médite sur les enfants tués, on s’y confronte aux logiques administratives d’une armée aussi lourde qu’elle est puissante, on y mène des actions civilo-militaires (ou on essaye d’en mener), on y fait la guerre pour payer ses études, et on s’y confronte au ressentiment de ses concitoyens (remarquable « Opération d’influence »).

Le livre, pourtant, ne s’intéresse pas réellement aux causes de la guerre, à ses partisans ou à ses opposants. S’il est politique, c’est en raison du regard qu’il porte sur les combattants américains et sur leurs concitoyens restés au pays, jeunes filles séduites par l’uniforme, et il n’est tendre ni avec les vieilles badernes en treillis ni avec les activistes pacifistes sans décence. Certaines nouvelles prennent aux tripes, quand d’autres font rire, mais toutes abordent un aspect de cette guerre. Le sentiment qui naît, une fois de plus, est que rien, décidément, n’y avait été pensé une fois la conquête achevée.

Témoignage précieux d’un homme, lui-même ancien Marine ayant passé un an dans la province d’Anbar, Fin de mission impressionne par la maturité de son propos. Le spectre du Vietnam n’est pas loin, autre projection d’une puissance ahurissante au service d’une guerre devenue sans objet, et Phil Klay verse une contribution notable à l’imposante littérature consacrée par les soldats américains aux guerres qu’ils ont faites.

Fin de mission

Un livre à lire, assurément, et qui sera aussi utile aux historiens.

Il n’y aurait pas de tambour cette nuit. La Danse des Esprits était finie.

Le 28 décembre 1890, un détachement du 7e Régiment de Cavalerie de l’US Army intercepta un groupe de Sioux Lakota au sein de la Pine Ridge Indian Reservation, dans le Dakota du Sud. Les autorités américaines tentaient alors de juguler un mouvement politico-spirituel, connu sous le nom de Danse des Esprits (Ghost Dance), qui agitait les populations soumises et déjà parquées dans des réserves. Les hommes saisis par le 7e de Cavalerie furent conduits dans la journée vers un campement installé dans la Wounded Knee Creek, sur la White River, où ils se mêlèrent à des dizaines d’autres captifs, y compris des femmes et des enfants.

Le 29 décembre, alors qu’ils avaient entrepris de désarmer les combattants sioux, les soldats américains furent pris à partie, et une violente fusillade éclata. Le campement, encerclé depuis la veille par une compagnie de mitrailleuses du 1er Régiment d’Artillerie, fut alors soumis à un feu nourri. A l’issue d’un court affrontement, on dénombra près de 300 morts parmi les Sioux, tandis que 29 soldats étaient tués. Les historiens estiment que cette dernière tuerie, réalisée par l’unité qui avait été lourdement vaincue  lors de la bataille de la Little Big Horn, marqua la fin de la résistance des populations amérindiennes à la colonisation américaine.

Malgré des romans et des films remarquables, la bonne conscience des vainqueurs ne fut véritablement ébranlée que dans les années ’70, à la suite du naufrage moral de la guerre du Vietnam, à l’occasion des incidents à Oglala. La conquête de l’Ouest sauvage et le franchissement de la Frontière, authentiquement fascinants, s’ils comprennent bien des épisodes glorieux et s’ils ont toujours un grand retentissement dans un monde occidental confronté à une planète désormais trop petite pour sa soif de territoires et de richesses, sont aussi marqués par une suite de guerres coloniales qui n’ont rien à envier aux pratiques des Européens.

La question des guerres indiennes, largement ignorée par chez nous, fait l’objet d’une production littéraire et scientifique conséquente, aux Etats-Unis comme au Canada, et alimente des débats politiques, moraux, mais aussi juridiques. Les milliers de traités violés par Washington sont autant de fragilités, alors que se posent de nouvelles questions, comme la protection de l’environnement, ou que persistent des tensions raciales, véritable pêché originel des Etats-Unis.

Des centaines d’auteurs ont, depuis plus d’un siècle, chroniqué cette conquête, ses moments de grandeurs comme ses tueries, ses aventuriers solitaires comme ses entreprises prédatrices. Le western est d’ailleurs souvent, mais je me répète sans doute, la chronique de la lutte entre une poignée d’hommes justes et de grands propriétaires féodaux ou des hommes d’affaires bâtisseurs d’empires.

Rio Bravo Silverado

Parmi les grandes plumes contemporaines figure Dan O’Brien. Ecrivain des Grandes Plaines et de la Prairie, membre émérite de l’Ecole du Montana, il est l’ami de Jim Harrison ou de Thomas McGuane et partage avec eux l’amour des espaces nord-américains et la colère devant leur dévastation. Dans une langue simple mais subtile, il n’a sans doute pas son pareil pour décrire les Etats du centre de l’Empire, leur immensité, leur majesté et leurs habitants, actuels ou passés. L’amour qu’il porte à son pays est lucide, et ses textes sont tous porteurs d’une réelle exigence morale.

La profonde humanité de l’écriture de Dan O’Brien lui évite toute emphase, et on se sent, à le lire, écrasé devant les territoires du Wyoming, de l’Idaho, de l’Iowa, du Colorado ou des deux Dakota. Associant étude de personnages et description d’une nature écrasante, il s’inscrit dans la lignée des écrivains américains de l’Ouest et de sa conquête, dont le grand A. B. Guthrie, dont Actes Sud a récemment commencé à republier les romans les plus remarquables.

La captive aux yeux clairs La route de l'Ouest

L’œuvre littéraire d’O’Brien ne se signale pas par le nombre de livres publiés (une dizaine depuis 1987) mais par son éclectisme. On trouve là des nouvelles (Eminent Domain, 1987), un thriller (L’Esprit des Collines, 1988), ou des romans (Au cœur du pays, 1991). Mais Dan O’Brien n’est pas qu’un romancier, et son amour de la nature n’est pas celui d’un urbain jouant les cowboys le temps d’un week-end.

L'esprit des collines Rites d'automne

En 1988, dans son inoubliable Rites d’Automne, il décrivit ainsi comment il réapprit la vie sauvage à un faucon pèlerin, de la frontière canadienne au Golfe du Mexique. Et en 2001, dans Les Bisons de Broken Heart, qui ressemble fort à une autobiographie, il relata les étapes l’ayant conduit à entamer l’élevage de bisons au Cheyenne River Ranch, dans le Dakota du Sud. Fondateur d’une société commercialisant de la viande de bisons, la Wild Idea Buffalo Company, il est capable de disserter pendant des pages, et sans jamais perdre son lecteur, de l’écosystème des Grandes Plaines, du renouvellement de l’herbe à pâturage, de l’inanité des aides gouvernementales ou du destin tragique des pionniers.

C’est que Dan O’Brien est un grand conteur, simple, profondément humain, et il n’a guère d’équivalent pour évoquer l’Ouest gâché, sa beauté majestueuse (voir, par exemple, le blog Journeys with Judy) et les drames qui s’y sont produits.

Le parc national des Badlands. Photo tirée du blog http://journeyswithjudy.blogspot.fr/
Le parc national des Badlands. Photo tirée du blog http://journeyswithjudy.blogspot.fr/

Nous savons tous qu’on vient souvent à l’étude de l’Histoire par la fiction, et qu’il n’est de meilleure introduction à certaines périodes que de grands romans. L’Agent indien (2004) est, à cet égard typique, de la production d’O’Brien, et probablement son texte le plus achevé.

L'agent indien

Délaissant le récit épique de folles chevauchées ou de batailles enragées, refusant la facilité d’une approche trop empathique, voire lacrymale, il y adopte le point de vue, rarement lu, d’un administrateur de réserve. On est alors ni dans l’éloge de la conquête ni dans la description de la colonisation ou le procès de l’abandon des populations amérindiennes mais dans ce pénible moment de transition, après les combats, et avant la paix, lorsque la puissance victorieuse se demande ce qu’elle va bien pouvoir faire des vaincus.

Le personnage central choisi par O’Brien est le docteur Valentine McGillycuddy, ancien des guerres indiennes, chirurgien devenu gestionnaire, d’autant plus désireux de préparer les Sioux au monde qui s’annonce qu’il sait à quel point leur univers est sur le point de disparaître. L’Agent indien, roman écrit à partir de faits réels, se veut ainsi la description d’un processus complexe, irréversible, de domination totale d’une culture vaincue par un empire en création qui surgit avec sa puissance militaire, son système socio-économique, ses débats politico-moraux et ses luttes de pouvoir internes. McGillycuddy, personnage intègre, tente de limiter la casse alors qu’il prend la tête de la réserve de Pine Ridge. Il doit compter avec les guerriers sioux refusant, au-delà de leur défaite, la disparition de leur civilisation, mais aussi avec les idéalistes de l’Est qui, ignorant des réalités, agitent de grands principes et attisent le feu, avec les affrontements à Washington entre Républicains et Démocrates et les jeux de pouvoir au sein de l’administration, ou avec ceux qui, au sein de la réserve, veulent faire d’abord du commerce ou convoitent sa place. Le massacre de Wounded Knee, plus que l’échec de McGillycuddy, est l’aboutissement presque inévitable du processus complexe et chaotique d’intégration forcée des Sioux dans un système politique qui ne peut, intrinsèquement, les accueillir comme ils sont.

Défenseur d’un peuple qu’il a contribué à vaincre, McGillycuddy incarne le pragmatisme attristé d’un homme qui aime les Plaines et les nomades mais qui a conscience que ce monde est sur le point d’être effacé. Sa position, toute de raison, le place entre les radicaux des deux camps, Sioux refusant l’écrasement et fonctionnaires impériaux insensibles. Lui-même, qui veut sédentariser et apaiser des guerriers nomades pour éviter d’ultimes bains de sang, commet les erreurs que ne peuvent éviter ceux qui choisissent d’agir au lieu de simplement observer.

En décrivant ce monde qui finit, Dan O’Brien livre un texte qui dépasse l’histoire des guerres indiennes et tend vers l’universel. Les questions qu’il laisse sans réponse sont troublantes, à commencer par son refus de juger un phénomène historique sur lequel ni lui ni son héros n’ont de prise. Il décrit également une situation dont la complexité, humaine et politique, est parfaitement décrite et pourrait en remontrer aux commentateurs engagés de situations plus récentes. A cet égard, ce roman relève d’une démarche historique infiniment supérieure à bien des essais publiés récemment.

Le renseignement au cinéma : l’infiltration.

L’infiltration est à la fois la hantise et le Graal des services de renseignement, et tous s’ingénient à placer dans le camp d’en face des sources humaines tout en empêchant le dit camp d’en face de faire de même de ce côté-ci du limes.

Le terme, cependant, est souvent mal employé et mérite qu’on s’y arrête un instant. Les mots, après tout, ont un sens et il s’agit de savoir de quoi il est question ici. Une source humaine est un individu recruté par un service, qui le contrôle et peut éventuellement le rémunérer, pour recueillir des renseignements sur des sujets définis et dans un environnement particulier. Personne ne songera à interroger un avocat pakistanais au sujet de la vie politique colombienne, et la source recrutée par une agence spécialisée l’a évidemment été en fonction de ce qu’on appelle communément ses accès (i.e. ses propres sources, pour faire simple), à la suite d’une expression de besoin.

Tous les services de renseignement dignes de ce nom disposent de sources humaines, intrinsèquement clandestines, gérées depuis la centrale ou par un poste, selon des règles gravées dans le marbre mais en respectant les impératifs opérationnels de l’opération. Certaines sources peuvent être vues chaque semaine, d’autres tous les six mois. Certaines sont libres de se déplacer dans le vaste monde et peuvent être traitées dans un pays tiers, tandis que d’autres doivent être vues sur place, ce qui implique les contraintes que vous imaginez.

Le terme de source, d’ailleurs, ne décrit que la fonction de production de renseignement, mais aucunement l’ensemble des autres possibilités offertes, et on préfère utiliser, dans les textes officiels (manuels, doctrines, rapports et autres comptes-rendus), le mot agent. Un agent, en effet, n’est pas statique, et il peut être conduit à manœuvrer pour fournir ce qu’on lui demande. Il pourra même être employé à d’autres fins que la seule obtention de données protégées, et il pourra peser sur son environnement. C’est, par exemple, le cas de Verloc dans le roman de Joseph Conrad L’Agent secret (1907), adapté au cinéma à plusieurs reprises, notamment par Alfred Hitchcock en 1936 et par Christopher Hampton en 1996. J’ai, pour ma part, renoncé à corriger ceux qui confondent espion et agent secret. Le premier, qui est un fonctionnaire (civil ou militaire), manipule (là aussi les mots ont un sens) le second, et il est qualifié d’officier traitant par ceux des esprits qui ne s’arrêtent pas aux clichés les plus éculés.

Sabotage Secret Agent 1996

Toute l’affaire est évidemment illégale, ce qui conduit, tout aussi naturellement, à la dissimuler au regard des services de contre-espionnage étrangers. L’agent manipulé fait parfois bien plus que simplement répondre à des questions (et on revient à Conrad), et l’opération se doit d’être secrète. Une source humaine rémunérée, en effet, n’est ni plus ni moins qu’un citoyen étranger trahissant son pays pour un autre, par conviction, par intérêt ou sous la contrainte. Il n’est pas opportun de revenir sur les méthodes de recrutement d’une source (on pourra toujours aller voir ici), mais il convient avant tout de garder en tête qu’une source humaine rémunérée court de grands risques, tout comme son traitant, et que la chose se pratique donc avec un extrême rigueur. Les erreurs ne pardonnent pas, et si elles peuvent s’achever par l’expulsion de l’espion (ou sa plus ou moins longue incarcération, en fonction de son statut), elles ont d’autres conséquences, infiniment plus dramatiques, pour le traître.

La manipulation d’une source est donc un art délicat, tout en subtilité, faisant appel à des méthodes éprouvées, mélanges de psychologie, de sens politique, d’analyse et de techniques parfois ancestrales. Il reste, cependant, un confort pour le service qui la gère : la source peut, in fine, être sacrifiée et reste, à l’instar de l’équipe du major Dutch, expendable : elle est un moyen, un outil, et on peut s’en débarrasser en cas d’urgence si on décide de s’affranchir de tout sentiment humain. Cela n’arrive cependant pas si souvent, une source humaine pouvant se retourner contre ses (anciens) maîtres et la prudence étant un des maîtres mots de ce métier.

L’agent recruté et manipulé se doit de figurer dans la boîte à outils d’un service de renseignement. On a pourtant connu des agences spécialisées qui, par frilosité, posture morale ou dérive technophile, avaient fait le choix, non pas de l’action et de l’aventure, mais de la coopération internationale (les totems, pour les SR extérieurs français) ou du ROEM/SIGINT afin de ne pas s’exposer. Si la prudence est un maître mot, il ne s’agit pas non plus d’essayer d’accomplir sa mission comme si on pratiquait une activité routinière. La suite des évènements est souvent cruelle.

Il y a mieux, cependant, que la source humaine. Celle-ci, après tout, a été recrutée dans le milieu ciblé par le service de son traitant, et il faut la former aux mesures de sécurité, tenir compte de ses contraintes, écouter ses doutes, gérer sa peur, identifier les vulnérabilités au sein de son entourage, tout en étant conscient qu’elle a des limites. Certains services choisissent donc d’infiltrer les structures ou les groupes qu’ils ciblent à l’aide de fonctionnaires spécialement choisis et entrainés.

Une épée.

La démarche est logique. Pour savoir, comprendre et éventuellement agir, quoi de mieux qu’un insider expérimenté, autonome, capable de gérer seul une grande partie de sa sécurité, formé à la mise en forme des renseignements recueillis et parlant le même langage que l’équipe le gérant à distance. Le dispositif est évidemment tentant, mais il est aussi infiniment plus complexe, lourd et risqué que l’emploi d’une source.

L’agent recruté l’a été dans son milieu, et il est le plus souvent déjà en place, au contact des individus ou de la structure visés. Il bénéficie ainsi de sa propre histoire, ce qui lui permet de résister aux vérifications que ne manqueront pas de faire ses nouveaux amis, dans un groupe criminel, une cellule terroriste ou un mouvement politique clandestin. Il n’est ainsi nul besoin de construire ex nihilo une légende, ni de se préoccuper de la question, fondamentale, de la langue.

L’infiltration d’un policier ou d’un membre d’un service de renseignement est donc, d’entrée, infiniment plus ardue. La personne que l’on tente d’intégrer à un groupe clandestin a un passé, des études, une carrière. Il s’agit alors non seulement de l’effacer de nombre de registres mais de lui recréer une vie, de la couper de son environnement initial afin de lui permettre de gagner la confiance de son objectif. Il lui faut, et c’est véritablement indispensable, non seulement maîtriser la langue mais aussi la culture du milieu que l’on veut infiltrer. Un simple détail peut vous trahir, comme en fait la pénible expérience le lieutenant Hicox dans le par ailleurs très moyen Inglourious Basterds, de Quentin Tarantino (2009).

Pauvre lieutenant Hicox

La mode est au jihad, mais on oublie bien souvent que l’infiltration est d’abord au service de l’espionnage le plus classique, comme l’ont rappelé des centaines de romans et des dizaines de films plus ou moins réussis, jusqu’à la série télévisée The Americans (2013 – ) mettant en scène des illégaux du KGB. On pourra ainsi revoir, notamment, No way out (Roger Donaldson, 1987) ou La Main droite du Diable (Betrayed, Costa-Gavras, 1988), rapidement mentionné ici, et il faudra surtout se replonger dans les archives Mitrokhine (Le KGB contre l’Ouest : 1917-1991 et Le KGB à l’assaut du Tiers Monde. Agression – corruption – subversion. 1945-1991, de Christopher Andrew et Vassili Mitrokhine, chez Fayard, 2000 et 2008).

No way out The Americans

Les services luttant contre le crime organisé ont également recours à l’infiltration, dans le but, non pas seulement de comprendre le fonctionnement des groupes criminels, mais de les faire tomber. Des organisations spécialisées comme la DEA – qu’il faut considérer comme un authentique service de renseignement et pas seulement comme une administration répressive – ont érigé cette méthode en véritable art, donnant naissance à une mythologie soigneusement entretenue. Le musée de la DEA, dans la banlieue de Washington, est à cet égard passionnant. L’infiltration a inspiré, au cours des années ’80, deux séries télévisées mythiques, Miami Vice (1984 – 1990) et, surtout, Un Flic dans la Mafia (Wiseguy, 1987 – 1990). Le thème de l’infiltration sera d’ailleurs au cœur de l’adaptation au cinéma de Miami Vice par Michael Mann en 2006, et avec elle toutes les questions liées à la loyauté et au double jeu. Les plus jeunes, quant à eux, pourront lire avec délice Biggles chez l’ennemi, du Capt W.E Johns (1935).

wiseguy Miami vice

Les sources humaines sont naturellement gérées, contrôlées, surveillées, évaluées, testées, mais l’enjeu, comme je le disais plus haut, est bien moindre que lors de l’engagement d’un infiltré. Le fonctionnaire passé de l’autre côté peut, à tout moment, devenir un trophée aux mains de l’adversaire, et à l’échec de sa mission s’ajoutera alors la nécessité de gérer une crise politique. Un espion démasqué devient un otage, et on connaît bien, en France, le prix d’une telle situation.

Infiltré, parfois profondément, l’espion ne peut être laissé seul trop longtemps. Si, pour des raisons évidentes, il lui est souvent impossible de communiquer avec la centrale, il doit pourtant se sentir épaulé, soutenu par une équipe qui peut lui apporter des réponses, contrôler son environnement et même déjouer des pièges ou prévenir des embuscades. La nécessité de ce contrôle, même de loin, est accrue par le besoin, impératif, de se protéger des éventuelles dérives de l’infiltré. On sait, comme le rappelle Jean-Charles Pommier, à quel point la chasse en solitaire est dangereuse, et les risques ne sont pas que physiques. L’équilibre psychologique des infiltrés est parfois soumis à rude épreuve en raison de ce qu’ils doivent faire ou voir (cf., par exemple, Les Promesses de l’Ombre, de David Cronenberg, en 2007), sans parler de leur retournement éventuel par l’adversaire.

Les promesses de l'ombre

La question de la source ou de l’infiltré est, en effet, inextricablement liée à celle du contre-espionnage et de la chasse aux taupes. Les exemples littéraires et cinématographiques sont innombrables, et on pense, évidemment, à Robert Littell, John Le Carré ou Graham Greene. Plus récemment, la série Homeland (2011 – ), qui ne vaut que pour sa 1ère saison, a bien illustré les doutes nés d’une trop longue présence en territoire indien. Les jihadistes, d’ailleurs, n’ont pas tardé à se mettre aux techniques d’infiltration et de subversion. La façon dont Mohamed Merah a pu tromper les policiers qui croyaient l’avoir retourné a tragiquement illustré la façon dont les terroristes, bien moins idiots que certains tentent de nous le faire croire, savent abuser des services engoncés dans leurs certitudes. La douloureuse affaire du camp Chapman, en 2009, avait déjà clairement démontré que les jihadistes faisaient aussi du renseignement, comme semblent le découvrir aujourd’hui certains commentateurs de la crise syro-irakienne.

Je ne m’attarderai pas ici sur l’infiltration pratiquée par les journalistes, même si on ne peut pas ne pas mentionner Tête de Turc (Ganz unten) le livre de Günter Wallraff publié en 1985. En l’espèce, cependant, Wallraff ne s’était pas attaqué à une organisation criminelle clandestine, et son travail visait d’abord à témoigner de la situation des travailleurs clandestins turcs en Allemagne de l’Ouest.

Les infiltrations de groupes jihadistes, pour tout dire, sont rarissimes, et même les services les plus aguerris rencontrent d’immenses difficultés à placer des sources au plus près des centres de décision. En 2007, Omar Nasiri livra dans Au cœur du jihad le récit de ses missions de sources au sein des cellules européennes du GIA puis du jihad international. Le FBI, selon une stratégie qui fait régulièrement jaser, se livre quant à lui à des provocations régulières à l’aide d’agents infiltrés qui permettent d’intercepter des terroristes le plus souvent en devenir. C’est, paraît-il, mieux que rien.

Le cas le plus spectaculaire a été révélé par son principal protagoniste, Morten Storm, en 2012. Biker danois converti à l’islam puis au jihad, il a révélé à la presse qu’il avait été recruté par les services intérieurs du Danemark (le PET), puis qu’il avait œuvré au profit du MI6 puis, surtout, de la CIA qui lui doit la localisation puis l’élimination de l’idéologue d’AQPA Anwar Al Awlaki en 2011. Storm, rémunéré et formé par ces services, n’était cependant pas un fonctionnaire en activité. Le récit de son aventure, Agent Storm. My life inside Al Qaeda and the CIA. (2014), se dévore et est d’une autre tenue que certains textes publiés récemment, sans parler de sa crédibilité.

Il est naturellement possible de s’approcher des jihadistes comme des mafieux ou des groupes politiques clandestins, jusqu’à recevoir leurs confidences ou relayer leurs messages. La chose n’est pas sans risque, mais elle n’a rien à voir avec une véritable infiltration, qui implique d’être sous couverture, et, pour faire simple, de se faire passer pour un autre.

OSS 117 : Le Caire, nid d’espions, de Michel Hazanavicius (2006).

A l’ouest, le relief dessinait de petites ravines et des parois rocheuses entremêlées, vers la Little Big Horn.

Genre majeur du cinéma occidental, le western a connu bien des vies, du classicisme le plus élégant au réalisme le plus cru, en passant par la parodie, les drames intimistes personnages ou les fresques grandioses, etc. Certains de ces films, parfois tournés dès les débuts du cinéma, se sont imposés comme des chefs d’œuvres immortels, réalisés par les plus grands, comme Howard Hawks, Raoul Walsh, Michael Curtiz, John Ford, Anthony Mann,  Sergio Leone, Sam Peckinpah, Clint Eastwood, Richard Brooks, Michael Cimino ou John Huston.

On ignore cependant souvent, en Europe, que le western, avant d’être un genre cinématographique, a été nourri par des milliers de romans et de comics, et que de grands auteurs s’y sont illustrés. Elmore Leonard, mort le 20 août dernier, n’était ainsi pas seulement le prolifique auteur de polars réjouissants, adaptés par Quentin Tarantino (Jackie Brown, 1997), Steven Soderbergh (Out of Sight, 1998), Barry Sonnenfeld (Get Shorty, 1995) ou F. Gary Gray (Be Cool, 2005). Il était d’abord un auteur de westerns, à l’origine de plusieurs classiques décrivant la conquête de l’Ouest sauvage : L’Homme de l’Arizona (Bud Boetticher, 1957), 3h10 pour Yuma (Delmer Daves, 1957, puis James Mangold, 2007), Hombre (Martin Ritt, 1967), ou Valdez (Edwin Sherin, 1971).

3h10 pour Yuma

Moins connu en France qu’Elmore Leonard, Ernest Haycox est considéré aux Etats-Unis comme un des écrivains les plus importants du genre, et les adaptations de ses romans comptent parmi les plus grands titres du western classique : La Chevauchée Fantastique (John Ford, 1939), Pacific Express (Cecil B. DeMille, 1939) ou Le Passage du Canyon (Jacques Tourneur, 1946).

En 1952, alors qu’il ne travaille plus pour la MGM, Roy Howland, un vétéran d’Hollywood spécialisé dans les séries B, réalise pour le compte de la société de William Cagney Bugles in the Afternoon (Les Clairons sonnent la charge) à partir du roman de Haycox, publié en 1944. Sans grand relief, le film ne rend pas hommage au livre, que les éditions Actes Sud viennent de publier dans leur nouvelle collection L’Ouest, le vrai sous son tire original : Des clairons dans l’après-midi.

Bugles in the Afternoon Des clairons dans l'après-midi

A l’instar de Bertrand Tavernier, qui dirige cette collection et qui a écrit une postface au roman, j’ai été subjugué par ce récit. Centré sur l’itinéraire d’un homme complexe, ancien officier pendant la guerre de Sécession qui s’engage dans le 7e de Cavalerie dirigé par le lieutenant-colonel Custer, le roman est l’occasion de présenter quelques personnages passionnants et de les faire converger vers la bataille de Little Bighorn, les 25 et 26 juin 1876.

Combat mythique entre les Tuniques bleues et un rassemblement de Sioux lakotas et de Cheyennes, Little Bighorn est une défaite cinglante pour l’armée des Etats-Unis, qui y perd plus de 250 hommes, dont Custer lui-même. La bataille est encore abondamment étudiée aux Etats-Unis, même si elle n’est connue par chez nous que via le cinéma ou la télévision.

Habilement, Haycox a choisi de nous décrire la marche à la guerre puis la fameuse défaite du point de vue de ses participants, sans jamais tomber dans la défense d’un certain héroïsme colonial ou au contraire la dénonciation stérile des menées militaires américaines. Dans un style d’une admirable sobriété, et dans le même temps très élégant, l’auteur s’attache à la fois à des études de personnalités et à la description, en toile de fond, de la vie sur la Frontière et de la guerre contre les Indiens des Plaines.

On a tendance, en effet, à oublier que toute l’épopée artistique du western, au cinéma, à la télévision ou dans la littérature, est d’abord le récit d’une conquête coloniale brutale, impitoyable, et de l’installation chaotique d’une société blanche sédentaire dans d’immenses territoires sillonnés pendant des siècles par des nomades. Dans ces espaces vides, qui donnèrent le vertige aux expéditions espagnoles qui s’y aventurèrent en provenance d’Amérique centrale, les colons américains affrontent, en plus des tribus qu’ils chassent, une nature extrême, infiniment hostile, dépourvue de la moindre infrastructure.

Le western est donc aussi cela : la chronique de ces étés torrides, de ces hivers interminables, de ces plantes vénéneuses, de la faiblesse numérique de l’occupation humaine, de ces mois d’isolement, et aussi de la vie de ce monde interlope, sur la Frontière. Les garnisons s’y installent, avec femmes en enfants, entourés de villages et de commerces, et on pense aux place fortes romaines sur le limes. On y trouve des aventuriers, des bordels, des trafiquants qui alimentent les tribus en armes, des représentants de Washington incapables de faire régner l’ordre et la loi, et la lutte, maintes fois relatée, entre riches et pauvres.

Cette société violente, qui tente de dompter son environnement, vit dans la menace permanente des raids des tribus spoliées et compte sur les unités de l’armée fédérale pour imposer la paix, quitte à participer à une entreprise génocidaire.

Haycox, qui a écrit ce roman pendant la Seconde Guerre mondiale, ne se laisser aller à aucune facilité patriotique, à aucun réflexe cocardier. Il y montre des officiers talentueux ou médiocres, des soldats épuisés pas systématiquement héroïques, des morts idiotes, des erreurs tactiques, et il ne cache rien de l’ampleur de la défaite subie par le 7e de Cavalerie de Custer. La plupart des commentateurs s’accordent d’ailleurs pour estimer que le récit des combats livré par Haycox figure parmi les meilleures descriptions disponibles de la bataille. L’auteur, se tenant à distance du mythe, prend soin de se concentrer sur d’autres actions que celles de Custer, dont, de toute façon, on connaît le sort.

Drame intimiste, triangle amoureux tragique, Des clairons dans l’après-midi est donc également un instantané de ce moment où, défié par les Sioux et les Cheyennes, l’Empire lance une nouvelle grande campagne qu’il n’est sans doute pas absurde de qualifier de contre insurrectionnelle. Face à un ennemi insaisissable, qui lutte non plus pour sa liberté mais contre son anéantissement, dans des territoires immenses – et grandioses, l’armée américaine poursuit l’impitoyable conquête de son hinterland.

Plus d’un siècle plus tard, et malgré le réveil des nations amérindiennes et la prise de conscience du génocide, le western reste comme une page de gloire de l’histoire américaine, et ça n’est pas le moindre des paradoxes pour un monde occidental que ne cesse d’expier son histoire. Il faut, une fois de plus, admettre que les conditions dans lesquelles nos Etats s’établissent ne souffrent aucune discussion. La lucidité avec laquelle Ernest Haycox, qui ne fait jamais parler les Sioux, décrit la brutalité de la conquête de l’espace intérieur américain n’est pas la moindre des qualités d’un livre absolument remarquable.

A l’affût sous les arbres, ils auraient eu leur chance, seulement de nos jours il y a de moins en moins de techniciens pour le combat à pied, l’esprit fantassin n’existe plus. C’est un tort.

Le colonel Goya n’est pas seulement un soldat. Produit de l’université, il est aussi un auteur reconnu, un écrivain récompensé, le tôlier du blog de référence La voie de l’épée – et un membre émérite de l’Alliance géostratégique, ce qui n’est évidemment pas la moindre de ses qualités.

Cette double compétence de combattant et de penseur en fait un acteur rare, voire unique, de la scène intellectuelle française étudiant la guerre, peuplée en majorité d’universitaires consacrant leurs travaux aux conflits armés sans les avoir vécus, et de militaires faisant le récit, parfois brillant, parfois convenu, des opérations qu’ils ont menées ou auxquelles ils ont participé.

Déjà auteur de plusieurs ouvrages salués pour leur apport et leur rigueur, Michel Goya poursuit son exploration de la guerre et livre, dans Sous le feu. La mort comme hypothèse de travail (Taillandier, 2014), un texte passionnant qui confronte le lecteur aux réalités les plus concrètes du combat d’infanterie.

Sous le feu.

En un peu plus de 250 pages, l’auteur, dans le style sobre auquel il nous a habitué, sans jamais se perdre dans de pénibles digressions tactiques ou de lourdes considérations techniques (« Mon M-4 est bien meilleur que mon G-36 qui est bien plus lourd que mon épluche patate mais moins pratique pour faire des frites »), entreprend de décrire le combat, ses différentes phases, ses conséquences physiques, la peur, le bruit, la sidération ou l’extrême concentration. Multipliant les citations d’études comme celles de récits anciens, il approfondit ainsi les travaux lancés depuis longtemps par, notamment, John Keegan, et place le lecteur au plus près du terrain. Dense, précis, son texte n’est jamais une apologie de la violence, mais il ne cache, pour autant, rien de la profondeur de la vocation de son auteur pour le métier des armes.

Sous le feu apparaît ainsi comme un livre très personnel. Les réflexions de Michel Goya, qui fait appel à la sociologie comme aux mathématiques ou à la médecine pour expliquer les phénomènes qu’il décrit, apparaissent comme la marque d’une quête intérieure. En étudiant le combat dans ce qu’il a de plus physique, en s’attardant sur les super combattants comme sur les anonymes, en écrivant qu’il n’a jamais rien ressenti en tuant un ennemi, le colonel Goya nous livre, non pas sa vérité, mais les conclusions auxquelles il est parvenu en s’observant et en sondant sa carrière.

Loin des clichés véhiculés par les mythomanes ou les antimilitaristes qui font le charme des réseaux sociaux, son livre est une somme, remarquable, qui offre l’opportunité de regarder et de comprendre le champ de bataille et ceux qui y évoluent. En ce sens, cet ouvrage s’impose déjà comme un texte indispensable, à faire lire à tous ceux qui entendent pratiquer le métier des armes, et plus encore à ceux, philosophes omniscients ou politiciens de seconde zone, qui se piquent de commenter les affaires de défense.

Comme à son habitude, Michel Goya agrémente également son propos de quelques réflexions bien senties. Sa présentation des « opérations de maintien de la paix » devrait être méditée en haut lieu – elle ne le sera évidemment pas – et elle contient cette remarque, terrible, sans nul doute tirée d’une expérience personnelle :

Le succès est le père du succès et il est obtenu par des hommes. Leur proposer uniquement le risque sans la possibilité de vaincre, c’est faire du bruit avant l’humiliation finale.

Ouvrage personnel, donc, presqu’intimiste, Sous le feu est aussi l’occasion de rappeler quelques vérités douloureuses, qui n’ont rien à voir avec un quelconque corporatisme mais rappellent que la possession d’une armée entrainée et équipée n’est pas un simple atout parmi d’autres mais simplement une des conditions de la souveraineté :

On se trouve dans cette configuration inédite d’un effort de défense qui se réduit depuis 1990 (depuis cette période, les dépenses de l’Etat ont augmenté de 80%, le budget de la défense de 1%) alors même que les engagements et les pertes augmentent.

En décrivant le combat, les corps mutilés, la peur, le courage, et la technicité tactique, le colonel Goya rappelle, sans doute crûment pour ceux qui entendent gérer une armée comme des stocks alimentaires et ne tolèrent pas les divergences de vue, qu’une nation et un Etat ne peuvent vivre que grâce au sacrifice de certains. Que ceux-ci soient des héros, des psychopathes ou des individus banals importe finalement peu, du moment qu’on admet la nécessité de leur existence au sein de la communauté nationale.

Why don’t you connect the dots? Because the whole page’s black!

Le 1er mai 2013, deux ans après l’élimination d’Oussama Ben Laden par les petits gars de la SEAL Team Six, HBO a diffusé le documentaire Manhunt de Greg Barker. Déjà auteur, en 2009, d’un film remarqué, Sergio, consacré au diplomate brésilien Sérgio Vieira de Mello tué dans un attentat d’Al Qaïda à Bagdad le 19 août 2003, auteur de plusieurs épisodes de la série Frontline diffusée par la télévision publique impériale PBS, dont Ghosts of Rwanda (2004), Barker était sans doute l’homme de la situation pour relater la traque d’OBL par Washington.

Quelques mois après l’exceptionnel film de Kathryn Bigelow, Zero Dark Thirty, magistrale transposition romanesque de l’affaire, le besoin existait, sans le moindre doute, d’un authentique travail journalistique, sans esbroufe, présentant au public les efforts ayant abouti à la mort de l’ennemi public n°1 de l’Empire.

Manhunt Zero Dark Thirty

Greg Barker, en vétéran du documentaire, s’est parfaitement acquitté de cette mission, rendant un film passionnant, et sobre malgré quelques petits intermèdes sans grand intérêt. A partir du livre de Peter Bergen, Chasse à l’homme (2012), il s’est attaché à décrire la logique, à la fois de la traque du chef d’Al Qaïda, mais aussi de l’évolution de la campagne anti terroriste impériale.

De fait, Manhunt est bien plus que le simple récit d’une longue suite d’opérations clandestines. Il s’agit, avant tout, d’une nouvelle plongée, fascinante, dans les arcanes de la guerre mondiale contre le terrorisme initiée par l’Administration Bush et reprise, in extenso, par le président Obama. Grâce à des témoignages, nombreux et parfois passionnants, d’acteurs directs de cette traque, et grâce à des extraits choisis avec soin de vidéos parfois rarissimes, on peut suivre ainsi le cheminement de responsables de la lutte contre Al Qaïda, à commencer par les fameuses analystes, the sisterhood, qui exposent avec beaucoup de sincérité et d’émotion leur mission et leur dévouement.

Manhunt - Nada

Le film de Greg Barker doit, en effet, beaucoup aux entretiens, parfois très émouvants, avec ces membres de l’agence américaine qui racontent leur démarche, décrivent de l’intérieur le choc des attentats du 11 septembre, relatent l’accumulation de signaux inquiétants mais terriblement imprécis précédant les attaques de New York et Washington, laissant transparaître leur émotion au souvenir des collègues tué(e)s ou des injustices subies. La façon dont ces analystes décrivent la mouvance jihadiste, sa complexité, la multitude de ses points d’entrée est également un modèle du genre, et on apprend plus en les écoutant que dans la plupart des livres parus en français depuis des années. Je me permets d’ailleurs de saluer ici, très confraternellement, Nada Bakos et Cindy Storer, dont l’attitude, faite d’acharnement, de lucidité, d’imagination et de sensibilité, me semble incarner quelques unes des qualités indispensables à un analyste. Et j’ajoute, car c’est plus fort que moi, qu’ici aussi on a entendu de hauts responsables, dont un directeur, critiquer vertement les contre-terroristes, accusés de sabotage (sic) pour n’avoir pas vu venir le coup. Bref, je raconterai ça un jour.

Riche, rigoureux, Manhunt évoque l’usage de la torture, laisse s’exprimer les opinions contraires de Jose Rodriguez et Ali Soufan, et donne la parole au général McChrystal, dont les propos, d’un terrible pessimisme, mériteraient à eux-seuls d’être disséqués. On lit, en creux, comme d’autres ont pu le dire ou l’écrire, que la lutte contre Al Qaïda, qu’il n’est pas question de ne pas mener, avec la dernière énergie, est dans une impasse. Stanley McChrystal, lui aussi, évoque même une endless war et notre incapacité à formuler une réponse politique – à supposer qu’elle existe – et à savoir why the enemy is the enemy.

Naked force has resolved more conflicts throughout history than any other factor.

En 1997, Paul Verhoeven, sulfureux cinéaste néerlandais exilé à Hollywood, réalise Starship troopers, un film de science-fiction mettant en scène une guerre sans merci entre les humains et une race extraterrestre.

 

Verhoeven, connu du public américain pour Robocop, Basic Instinct, Total Recall et Showgirls, a connu en Europe une carrière de cinéaste pour le moins « underground » qui lui a permis de révéler au monde le talent de Rugter Hauer (que l’on verra dans Blade Runner ou dans The Hitcher). Son premier film américain, La chair et le sang, est une œuvre pour le moins éprouvante, qui ne connaît hélas pas le succès escompté mais donne déjà le ton.

 

 

Starship troopers, tiré du roman de Robert Heinlein Etoiles, garde-à-vous (1959), permet à Verhoeven de développer ses thèmes favoris : ironie politique, violence guerrière, érotisme. Hélas, son message est mal compris aussi bien en Europe qu’aux Etats-Unis où sa verve a été confondue avec un mélange de voyeurisme et de complaisance. En réalité, le film est une pourtant une charge d’une rare violence et d’une grande lucidité sur les pires excès de la société américaine en guerre.

Reprenant les principes fondamentaux de l’Amérique en guerre, le film présente le conflit contre les Arachnides comme une véritable croisade pour la défense de l’humanité, sans jamais s’intéresser aux motivations de l’adversaire. Les clips d’information déforment outrageusement la réalité en présentant l’adversaire de façon à tout justifier. Sept ans après les délires médiatiques de la guerre contre l’Irak, la leçon ne manque pas de piquant et force à peine le trait. Tout y passe : briefings, intervention d’experts, cartes, interviews de combattants, etc.

La rhétorique utilisée par les médias dans le film (« A good bug is a dead bug ») n’est d’ailleurs que la version moderne des pires slogans des guerres indiennes du 19e siècle, lorsque la presse américaine et les généraux de l’US Army rivalisaient dans le racisme et appelaient à un véritable génocide. Cette négation de la dignité de l’adversaire conduit même certains stratèges à sous-estimer ses capacités militaires, et le réveil sera brutal pour les starship troopers.

La présence de Michael Ironside, véritable gueule du cinéma d’action et habitué des films de SF (Total recall, du même Verhoeven, et la série culte V), en professeur puis en baroudeur, donne une vraie signature au film. Le personnage d’Ironside (« Jean Rasczak ») en dit long sur la société que nous prédit Heinlein : démocratie à deux vitesses, dans laquelle la citoyenneté n’est accordée qu’à ceux qui ont combattu pour la Fédération, cette société est d’un militarisme militant et n’est pas sans rappeler la Sparte sublimée des totalitarismes du 20e siècle. La méthode même est celle de Rome, et sera appliquée par l’US Army aux émigrants latinos lors des pires heures du conflit irakien, entre 2003 et 2006.

Evidemment, Paul Verhoeven utilise de nombreux symboles visuels pour appuyer son message. Comme dans la trilogie historique (77-79-83) de Star Wars, les uniformes rappellent ceux de la Wehrmacht (couleur des treillis, insignes, casquettes), et certains portent même des tenues très proches de celles des SS. Quant aux grades, ils sont identiques à ceux des officiers nazis. On ne saurait être plus clair.

Mais Verhoeven est également un cinéaste qui doit remplir un contrat, et son producteur (Touchstone Pictures, une filiale de Disney, qui fait dans la finesse : elle a produit Con air, un film divertissant mais pour le moins nauséabond) attend un space opera. Le cinéaste néerlandais ne se fait donc pas prier et déroule toutes les étapes du film de guerre : la bande de copains, les amourettes, la séparation, l’entraînement – avec un sergent, interprété par Clancy Brown (immortel Kurgan de Highlander en 1986) et ouvertement inspiré de l’instructeur de Full metal jacket (1987, Stanley Kubrick) les bavures, les premiers combats, les situations de crise et finalement la victoire.

Verhoeven connaît aussi ses classiques, et il parsème le film de références : ses troopers débarquent comme ceux de James Cameron dans Aliens, les vaisseaux de la Fédération partent au combat comme ceux de l’Empire dans Star Wars, et les vagues d’assaut de fantassins font référence à celles du D-Day.

Mais ses références vont plus loin. Sans jamais le citer, il s’inspire de Lovecraft dans sa description des « mères ». Le « cerveau » des arachnides est visuellement très sexué, voire franchement obscène, et pour qui connaît les illustrations des récits de Lovecraft, tout est là. Le film, qui ne lésine pas sur les scènes de nu et sur la promiscuité – comme dans le roman de Joe Haldeman La guerre éternelle – se moque du puritanisme de la société US. D’ailleurs, et bien qu’il soit difficile d’éprouver de la sympathie pour les Arachnides, on ne peut qu’être épouvanté par le traitement subi en laboratoire par le fameux « cerveau » capturé.

Ce mépris pour l’adversaire conduira l’Administration Bush aux excès que l’on sait à Guantanamo ou à Bagram, et confirmera qu’une supériorité morale ne tient pas longtemps lorsqu’elle sert de paravent à l’injustifiable. Les déclarations de certains des personnages de Starship troopers n’auraient sans doute pas été désavouées par Donald Rumsfeld du temps de sa splendeur.

 

Il m’a dit que ça s’appelait le bois de Belleau.

La guerre, c’est ceux qui l’ont faite qui la détestent le mieux.

Ecrivain, scénariste, engagé dans les Marines en 1917, décoré de la Croix de Guerre, de la Navy Cross, de la Distinguished Service Cross, William March combat en France et en tire, en 1933, un livre exceptionnel, Compagnie K. Il s’agit sans nul doute, un authentique chef d’œuvre, tout juste remarquablement traduit en français par Stéphanie Levet pour les éditions Gallmeister.

De prime abord, Compagnie K n’apparaît pas comme un roman. Le texte est construit comme une suite de courts récits, parfois de véritables saynètes, de soldats américains décrivant un moment, un événement, de la guerre qu’ils ont vécue en France. La progression chronologique existe, évidemment, du déploiement du contingent sur le front en 1917 jusqu’à l’armistice, et même quelques scènes, pas moins terribles, aux Etats-Unis après la guerre.

Cette construction surprend, mais elle permet de juxtaposer les expériences des soldats et de montrer leur diversité, la singularité de leurs réactions face à la guerre et à sa violence. L’immense force du livre vient, en effet, de l’extraordinaire qualité des observations de March, qui relate en quelques dizaines de lignes, parfois en une seule page, des faits et gestes racontés par leurs auteurs ou ceux qui y ont assisté. On voit alors se dérouler le quotidien terrible de la guerre, des tranchées aux permissions. On y contemple le courage ou la lâcheté ordinaires, on y lit des drames bouleversants, des trahisons, des erreurs, des plaisanteries de potaches, et aussi des crimes de guerre.

Là où un Ernst Jünger, exalté, décrit avec passion le combat et ne cache pas sa fascination pour la guerre, William March, pas moins courageux, se concentre sur les hommes ordinaires. Jünger était un intellectuel vivant une expérience ultime (celle que Mishima chercha toute sa vie), March se voit comme un homme ordinaire, accomplissant son devoir sans illusion, jetant un regard cruel sur ses camarades.

Compagnie K n’est pas un pamphlet. Il s’agit d’un texte désespéré, d’une noirceur jamais obscène ou complaisante, écrit par un héros lucide, dont on mesure l’amertume à mesure que les pages défilent. Certains des soldats qui parlent ici sont morts, et ils décrivent leur fin. D’autres racontent comment un geste de mansuétude les a presque tués. D’autres, encore, décrivent la bêtise ou l’ignominie de leurs frères d’armes, plus animaux qu’humains. Jamais théâtral, le style est exemplaire, passant avec une aisance infinie du parler des hommes simples à la froideur des rapports administratifs ou l’élégance des officiers. Mais l’ensemble reste d’une rare cohérence, dessinant le portrait, sans haine mais sans naïveté, d’une communauté humaine jetée au combat. On pense parfois aux Nus et aux Morts, de Norman Mailer, l’ambition en moins, la sobriété en plus.

Ce texte, tenu inexplicablement loin du public français depuis quatre-vingts ans, est enfin disponible. Son indéniable modernité formelle en fait un monument littéraire, à posséder impérativement, et le 11 novembre, les heureux lecteurs pourront penser au Soldat inconnu (pp. 162-165), qui a ces mots terribles : Personne ne fera jamais de moi un symbole. Personne ne dira jamais de mensonges à côté de mon cadavre.

On pourrait en pleurer.

Nous avons dû raser la ville pour la sauver.

Je ne vais pas me risquer à aligner les qualificatifs qui pourraient décrire la guerre américaine au Vietnam. Sa complexité, son ampleur et ses conséquences n’ont pas fini de peser dans l’imaginaire de l’Empire, de ses alliés et sans doute d’une bonne partie du reste du monde.

En France, le conflit n’est connu que par le cinéma ou la télévision, où le meilleur a bien souvent côtoyé le pire. Quelques ouvrages américains ont bien été traduits, mais la production sur le sujet est terriblement faible au regard de l’importance de cette guerre. C’est donc avec un grand intérêt que j’ai lu L’offensive du Têt, de Stéphane Mantoux, un petit ouvrage paru récemment chez Taillandier.

L’ambition de Stéphane Mantoux n’est pas de raconter l’ensemble du conflit mais bien de se concentrer sur ces quelques mois qui ont vu l’échec de l’engagement militaire américain se révéler au grand jour. Naturellement, l’ouvrage, bien écrit, est l’occasion de rappeler en quelques pages limpides les origines de la guerre, mais l’auteur ne s’y attarde et va rapidement à l’essentiel.

L’objet du livre, en effet, est bien de décrire la gestation puis la mise en oeuvre de cette offensive, destinée à faire chanceler la puissance militaire impériale et à entraîner un soulèvement de la population du Sud. Le récit de Stéphane Mantoux est ainsi un pur objet d’histoire militaire, décrivant les opérations, détaillant les unités engagées, expliquant le fonctionnement de la piste Hô Chi Minh, s’attardant sur le siège, stratégique et symbolique du camp retranché de Khe Sanh ou la reprise de Hué, et donnant de précieuses pistes quant aux débats politiques internes au Nord ou les dysfonctionnements de l’état-major US, prisonnier du body count.

En plus de tous ces points, indispensables pour comprendre ce tournant du conflit, le livre nous donne quelques précieuses indications quant au débat entre historiens autour de la question des objectifs réels de l’offensive. On retrouve là la rigueur intellectuelle d’un authentique historien, qui s’attache à relater les faits et à en donner les différentes interprétations débattues au sein de la communauté scientifique.

Livre modeste, à la fois focus sur une période particulière du conflit et initiation à la guerre du Vietnam dans son ensemble, L’offensive du Têt mérite d’être lu pour l’éclairage immédiatement assimilable qu’il propose. Un ouvrage qui mérite de toucher tous ceux que l’aventure militaire américaine en Asie du Sud-Est, déjà si vieille et pourtant si actuelle, intéresse.