Le contre-terrorisme est une activité passionnante en raison de quelques caractéristiques bien connues : urgence de la menace, imagination et adaptabilité des terroristes, nature des revendications, pression politique. Mais posez la question dans tous les services de renseignement et de sécurité de notre petit monde : pour nous tous, le travail de seigneur, la mission la plus noble, la plus complexe, celle qui demande le plus de capacités et le plus d’efforts, celle qui vous laissera au soir de votre vie épuisé et paranoïaque, c’est le contre-espionnage.
Les plus grands écrivains se sont essayés à l’exercice ô combien difficile de restituer la vérité de cette activité : Somerset Maugham, Joseph Conrad, Graham Greene, John Le Carré, Vladimir Volkoff, Eric Ambler, et plus près de nous Robert Littell. Et au milieu des caisses de romans de gare, on trouve des pépites comme les premiers romans de Robert Ludlum, dont Osterman week-end, ou ceux de Frederick Forsyth (Le dossier Odessa, L’alternative du Diable, Le quatrième protocole).
En 1987, Roger Donaldson, un cinéaste néo-zélandais dont la production n’a jamais enthousiasmé la critique et les cinéphiles, adapte un roman de Kenneth Fearing (The big clock, déjà porté à l’écran en 1948 par John Farrow) dans l’univers du renseignement. No way out/Sens unique réunit quelques jeunes acteurs prometteurs (Kevin Costner, Sean Young, Will Patton) autour de Gene Hackman, comme toujours délicieusement à son aise dans un rôle de politicien répugnant, mais qui fera mieux dans Les pleins pouvoirs (1997, Clint Eastwood).
Le principal attrait du film réside dans sa description des affres d’un agent infiltré dont la couverture est brutalement mise en danger par un événement imprévu. Comme dans la réalité, l’aventure et le danger sont plus présents dans les couloirs des administrations et les antichambres des cabinets ministériels que dans certaines villes du Tiers-monde. Comme peu de films d’espionnage, No way out parvient à exposer au grand public toute la délicieuse complexité de l’infiltration et du maniement d’agents doubles, un travail réservé à l’élite et pour lequel nous autres Français avons toujours montré peu de talents – nous sommes probablement plus doués pour la trahison, mais je m’égare.
Donaldson livre sans doute là un de ses meilleurs films, au cours d’une carrière qui a surtout vu des produits de commandes. Il tournera à nouveau avec Kevin Costner en 2000, avec Treize jours, un autre film observant l’intimité du pouvoir et la dimension humaine des crises, même les plus graves.
L’association Matt Damon/Paul Greengrass nous offre régulièrement de bonnes surprises, et il faut même lui reconnaître une évolution vers plus de gravité. Le dernier volet de la trilogie Bourne mettait ainsi en scène un responsable de la CIA bien décidé à violer toutes les lois au nom de l’intérêt du plus grand nombre, mais il ne s’agissait malgré tout que du troisième épisode d’une série d’espionnage.
Avec Green Zone, le duo parvient à nous décrire, au prix de quelques sacrifices et raccourcis, comment l’Administration Bush, aveuglée par des certitudes idéologiques, a menti au monde en invoquant la menace irakienne avant d’envahir le pays et d’y commettre en quelques semaines une série de bourdes magistrales dont personne n’est sorti indemne.
Jeune chief warrant officer (adjudant chef dans notre Armée de Terre), Matt Damon, à la tête d’une petite équipe, écume l’Irak à la recherche des fameuses armes de destruction massives (ADM) mises en avant par l’équipe Bush pour justifier le renversement du régime de Saddam Hussein. Il découvre rapidement, car il n’est pas bête, l’animal, une série de vérités désagréables :
– il n’y a pas d’ADM ;
– les renseignements qui lui sont transmis ont été recueillis auprès d’une mystérieuse source humaine mais n’ont jamais, lui semble-t-il, été recoupés ;
– la CIA, ou du moins son principal représentant à Bagdad, n’a pas l’air si convaincue que ça de la présence d’ADM en Irak, mais son avis est superbement ignoré par des technocrates aveuglés par leurs certitudes idéologiques ;
– cette histoire d’ADM n’était, on s’en doutait, qu’un prétexte pour envahir l’Irak et y commencer la mise en oeuvre des principes défendus par les néoconservateurs.
Forcément, pour un sous-officier idéaliste, c’est assez difficile à admettre, surtout quand s’ajoute à ces contrariétés les mystérieuses menées de la Task Force 221 – en fait une version cinématographique de la mythique TF 121 (cf. http://en.wikipedia.org/wiki/Task_Force_121) .
Tiré du livre de Rajiv Chandrasekaran, Imperial Life in the Emerald City: Inside Iraq’s Green Zone, le film de Paul Greengrass est d’abord un efficace thriller qui, au lieu de reprendre à son compte la cruelle ironie du récit initial, décide d’expliquer en moins de deux heures comment le fiasco irakien a commencé, et surtout pourquoi il semblait inévitable. Tout en reproduisant avec brio le rythme de ses précédents films, le cinéaste parvient à ne pas caricaturer son propos et on sort de là évidemment consterné, mais finalement moins étourdi qu’après Syriana (2005, Stephen Gaghan), un film par ailleurs remarquable mais plutôt destiné à un public de spécialistes.
Ici, la recherche des ADM devient un enjeu concret, opérationnel, qui vous conduit à exposer vos hommes aux tirs adverses, qui vous confronte au chaos né de l’effondrement d’une dictature. On est loin du sucre glace brandi par Colin Powell, un homme pourtant remarquable, lors de la séance historique du 5 février 2003 au Conseil de Sécurité des Nations unies au cours de laquelle Dominique de Villepin prononça un discours exceptionnel – et perdit probablement la raison à jamais.
Il se trouve que j’ai suivi cette affaire de très près, et je me souviens encore de ces journées de l’hiver 2002/2003. Il nous semblait évident, ne serait-ce qu’en suivant le déploiement militaire américain dans le Golfe, que la guerre aurait lieu, et les débats sans fin sur la présence d’ADM en Irak nous paraissaient plus que vains. L’Empire rêvait de « finir le travail », et la France se tâtait. Y aller ou pas ?
Dans un superbe jeu de dupes, les Etats-Unis tentaient de nous convaincre que l’Irak avait poursuivi le développement d’ADM après sa défaite de 1991, tandis que nous tentions de prouver au monde qu’il n’en était rien. En réalité, et dans une délicieuse falsification des faits, l’Administration Bush essayait de prouver que le système stratégique multilatéral avait échoué et qu’il fallait donc punir l’Irak, alors que ce système multilatéral – en l’espèce, les sanctions des Nations unies contre l’Irak – avait trouvé dans cette crise sa plus efficace réalisation (si l’on excepte la gigantesque catastrophe humanitaire qui frappait la population irakienne depuis 1990, évidemment…)
Toujours prête à faire beaucoup avec rien, ou si peu, la France accepta le principe d’inspections répétées en Irak sur les sites suspects et prêta pour ce faire un vénérable Mirage IV P de reconnaissance stratégique.
Les inspections, menées par la CCVINU (www.unmovic.org), redoublèrent donc en Irak, et l’on vit alors à l’oeuvre une des plus belles collections d’espions des dernières années. Je pense, sans exagérer, qu’au moins la moitié des experts employés par la CCVINU travaillaient pour des services occidentaux, arabes ou russes. Les Français, en ordre dispersé – mais je n’en dirais pas plus – avaient pour mission de marquer les Américains à la culotte afin 1/ de les empêcher de « saler » une éventuelle scène de crime 2/ d’avertir Paris en cas de découverte gênante. De leur côté, les Américains cherchaient le moindre prétexte permettant de légitimer leur future invasiontout en surveillant les spécialistes européens, suspectés de vouloir sauver vaille que vaille le régime de Bagdad. L’affaire était entendue, mais ce fut malgré tout très distrayant.
Paul Greengrass parvient à rendre passionnant un débat stratégique qui a ému beaucoup de spécialistes mais dont les subtilités ont échappé au grand public. Matt Damon n’est plus l’invincible Jason Bourne, et il reçoit même une belle correction. En devenant humain, il permet au spectateur de mieux saisir le tiraillement moral d’un soldat qui comprend qu’il a été abusé et qui veut alerter le monde. La dernière scène est d’ailleurs, à mon sens, une réminiscence de la scène finale des Trois jours du Condor (1975, Sidney Pollack).
Je me permets enfin de signaler deux petits faits qui réjouiront les cinéphiles maniaques :
– le peu scrupuleux Briggs, de la TF 221, est interprété par Jason Isaacs,toujours aussi délicieusement arrogant. On l’avait vu dans The Patriot (2000, Roland Emmerich), où il incarnait le colonel Tavington, illustration de la brutalité de la contre-guérilla menée par l’armée britannique contre les colons américains. A Bagdad, il n’est pas moins dépourvu de scrupules.
– le personnage de Freddy est quant à lui interprêté par Khalid Abdalla, un acteur britannique déjà vu dans un film de Paul Greengrass, United 93 (2006), une exceptionnelle reconstitution de cette partie relativement moins connue des attentats du 11 septembre. Il y incarne Ziad Jarrah, un des 19 kamikazes.
Freddy, qui coopère avec les troupes américaines et découvre que celles-ci sont loin d’être unies autour d’un projet politique cohérent, finit par abattre un homme qui, tout en incarnant le pire du régime inversé, aurait pu être utile. Ce faisant, et alors que l’insurrection commence, il symbolise les tensions internes à l’Irak, décuplées par les Etats-Unis. Revenu à son affectation après avoir livré sa version des faits, Damon roule sur une route, en pleine zone de guerre, et contemple le désastre. Thriller nerveux, parfaitement réalisé, Green Zone, malgré les facilités que pourront dénoncer à raison les vrais spécialistes de l’Irak, montre sans concession le chaos administratif impérial, les aveuglements de la presse, et, surtout, l’immensité du gâchis humain dont nous ne sommes pas près de sortir.
Je déambulais il y a peu dans les allées d’un disquaire du 5e arrondissement parisien, et me voilà d’un coup face à face avec les noms et les visages de parfaits inconnus. Des DJ Macheprot, des MC Tartemuche, une véritable terra incognita, bien éloignée de mes chers B.B King, Eric Clapton, John Mayall, Stevie Ray Vaughan, et là, mon oeil de professionnel du renseignement s’est bloqué sur un nom : Bob Sinclar.
Je confesse volontiers mon ignorance, et je ne doute pas un instant du talent de ce souriant jeune homme, mais il s’agirait quand même de ne pas oublier un point fondamental, essentiel, central même aux yeux de certains membres de l’honorable communauté française du renseignement: Bob St Clar (j’ai choisi de façon parfaitement autoritaire cette orthographe), c’est ce superbe spécimen masculin, ici vu près de la piscine d’un hôtel d’Acapulco.
Bob St Clar est la quintessence de l’espion français : élégant, discret, cultivé sans être méprisant, sachant doser la violence mais capable de réflexion au coeur de la plus sauvage des fusillades. Comparé à St Clar, le commodore Bond n’est qu’un figurant sans classe, Jason Bourne un névropathe et Austin Powers un garçon un peu coquet, voire timoré.
C’est en 1973 que Philippe de Broca offre à Jean-Paul Belmondo le rôle de Bob St Clar, espoir du monde libre, légende vivante au sein des services secrets occidendaux, et ennemi juré de l’infâme Karpov, le chef des services secrets de la République populaire d’Albanie – que l’on ne savait pas si puissante, même à l’époque.
Le scénario proprement délirant de Francis Véber offre une version française de Malko Linge, le libidineux et aristrocratique héros de Gérard de Villiers, et son auteur, François Merlin, un écrivain qui pond au kilomètre, depuis son triste et délabré appartement parisien, les aventures exotiques et luxueuses de notre champion. Inutile de tenter un résumé de l’intrigue du Magnifique, elle est à la fois d’une insondable idiotie et sans aucun intérêt. Le but du film est en effet d’aligner, en les exagérant progressivement, tous les poncifs du roman et du film d’espionnage qui vivaient alors leurs heures de gloire.
C’est d’ailleurs avec bonheur que le tandem Michel Hazanavicius/Jean Dujardin a su reprendre le flambeau de la parodie avec Le Caire, nid d’espions (2006) puis Rio ne répond plus (2009.
Grâce à Bob St Clar et OSS 117, quelques poignées de fonctionnaires français, inspirés par ces glorieux modèles, ne peuvent plus se rendre en Egypte sans un portrait du Président Coty – Joe, cette phrase est pour toi – et ne peuvent s’empêcher de préciser lors d’un RVPI (Rendez-vous avec une Personne Inconnue) qu’ils n’ont pas trouvé de pain de campagne.
Ces éléments d’élite ont un fond de sensibilité qu’ils ne parviennent pas à réprimer, aiment se battre, redoutent, plus que tout, les rats dont les dents ont été imprégnées de cyanure et se demandent d’où vient ce pope. Ils ne dédaignent pas les tenues à l’élégance discrète et savent faire équipe avec leurs collègues féminines, quant à elles incarnation de l’idéal défendu par Mme de Fontenay.
Sommet de la carrière comique de Jean-Paul Belmondo, Le Magnifique constitue un véritable monument cinématographique, aux innombrables répliques cultes et doté d’une absurdité qu’on ne trouve que dans les films d’Alain Chabat. Je n’hésite pas, pour ma part, à le placer au-dessus des Barbouzes et de Ne nous fâchons pas, et presque sur le même pied que les Tontons flingueurs. J’ajoute, et je sais m’adresser ici aux plus exigeants de mes distingués lecteurs, que le lien entre Belmondo et Audiard sera établi par l’immense Georges Lautner dans Flic ou Voyou (1979) dans lequel Bebel a maille à partir avec un certain Volfoni, au cours duquel sa fille va au cinéma voir Le terminus des prétentieux et pendant lequel il corrige de belle manière Venantino Venantini, l’inoubliable Pascal – pas le philosophe, l’autre.
Enfin, sachons saluer la clairvoyance de Philippe de Broca et de Francis Véber, qui ont su dresser un portrait fidèle du véritable espion français…
Avez-vous déjà essayé d’expliquer à votre belle-soeur, à l’occasion d’un repas de famille, pour quelle raison 1/ les Occidentaux avaient aidé les Afghans dans les années 80s 2/ s’étaient désintéressés de leur sort dans les années 90s 3/ avaient finalement envahi le pays dans les années 2000 ? Croyez-moi, c’est pas bien facile.
Alors, évidemment, comme votre famille vous admire pour les 20 ans que vous venez de passer à parcourir le monde pour le salut de la République, elle vous écoute sagement parler de la CIA, de Massoud, de l’ISI, des salafistes, des Mi-24 Hind, du Bureau des Services de Peshawar (qui ça ?), des Taliban, du Soudan, d’Oussama Ben Laden, d’Abdallah Azzam. Et puis un des enfants demande s’il peut quitter la table, on change de sujet, et vous surprenez – car c’est votre métier – le regard de compassion que votre belle-soeur décoche à votre épouse, une femme merveilleuse qui ne s’offusque pas de la présence d’un pakol dans la salon. Les grands esprits sont bien seuls. Mais vous pouvez poursuivre l’édification des foules en offrant à votre entourage La guerre selon Charlie Wilson, de Mike Nichols (2007).
Le film raconte, avec une légèreté qui n’e s’interdit pas des moments de gravité (cf. les scènes dans les camps de Peshawar), comment Charlie Wilson, un représentant du Texas à la Chambre, a initié le soutien massif des Etats-Unis puis des Occidentaux à la résistance afghane. Buveur, coucheur, entouré d’une nuée de secrétaires plutôt accortes, Wilson est un habile tacticien qui siège dans des sous-commissions stratégiques et utilise son influence pour mettre en musique la grande ambition d’une de ses amies, et maîtresse occasionnelle, milliardaire texane interprétée par une Julia Roberts impeccable malgré une coiffure improbable. L’équipe est complétée par un vieux routier de la CIA, (terrible Philip Seymour Hoffman) dont le caractère entier m’a rappelé un type que j’ai très bien connu – et qui ne s’appelait pas Frieda.
Evidemment, les esprits les plus rigoureux s’interrogeront peut-être sur quelques scènes (la rencontre, hilarante, entre Wilson et le Président Zia, par exemple) et noteront quelques grossières erreurs dans le domaine aéronautique (pour illustrer la puissance anti-aérienne des Afghans, on nous montre la chute d’un Phantom, d’un Intruder, et même d’un F-16, ce qui est d’autant plus cocasse qu’en 1987 la chasse pakistanaise a justement abattu deux Mig-23 soviétiques qui attaquaient un camp de réfugiés dans la NWFP). Mais le film, sans temps mort, et porté par des dialogues vifs, expose clairement la stratégie américaine en Afghanistan, sa mise en oeuvre – y compris le soutien français, puisque le missile Milan est un des héros de l’histoire avec le Stinger – et son abandon, une fois la victoire acquise, du théâtre des opérations pour d’autres lieux.
Le personnage de Philip Seymour Hoffman, Gust, attire d’ailleurs l’attention de Wilson sur l’après-guerre en lui racontant une énigmatique parabole où il est question d’un maître zen qui dit régulièrement « on verra »… Et on a vu, en effet. Wilson ne s’y est pas trompé, puisqu’il a tenté, en vain, de convaincre ses collègues parlementaires de financer la reconstruction tout en essayant de juguler les ardeurs religieuses de Julia Roberts. La scène où le Président de la Chambre crie Allah uh Akhbar avec des moudjahiddin dit tout sur la connivance des Etats-Unis, nation religieuse s’il en est, avec les pires régimes du monde musulman.
Et comme l’a dit Wilson, qui avait le langage des hommes d’action cher à l’Empereur Smith :
These things happened. They were glorious and they changed the world… and then we fucked up the endgame.
Souvenez-vous de 2002. Le 21 avril, la déroute du PS, la victoire miraculeuse de Chirac, les attentats à Djerba, Karachi, Bali, l’opération Anaconda en Afghanistan, et surtout, surtout, les bruits de bottes autour de l’Irak.
Le hasard des affectations m’a conduit à suivre de près, de très près même, les préparatifs anglo-américains puis la guerre elle-meme, et ce que j’ai vu m’a plutôt donner envie de rire – ou de pleurer, selon qu’on croie ou pas à la grandeur de l’administration française.
Personne ne veut s’en souvenir, mais jusqu’en novembre 2002 la France, malgré ses réserves, se préparait à intervenir en Irak au sein de la coalition conduite par les Etats-Unis. Les services de renseignement dressaient des listes de cibles à traiter, d’objectifs à atteindre, l’armée recensait dans la douleur les moyens qu’elle pouvait mettre à disposition du grand dessein de l’Administration Bush.
Tous pourtant, ceux qui s’opposaient à cette guerre comme ceux qui y étaient favorables, nous savions qu’il n’y avait pas le début d’une preuve liant le régime de Saddam Hussein à Al Qaïda. Tous, nous savions aussi que les programmes non conventionnels de l’armée irakienne avaient, depuis longtemps, été abandonnés. Mais, contrairement à ce que voudrait nous faire croire la légende dorée du chiraquisme et du villepinisme, nous étions prêts à y aller. Bien sûr, et comme toujours, nous étions à la recherche d’une forme de blanc-seing juridique, une résolution des Nations unies nous déchargeant de cette terrible responsabilité. Pour les plus curieux, il faut lire Plan d’attaque, de Bob Woodward.
Jusqu’en novembre 2002, donc, nous comptions et recomptions nos moyens. Il n’était plus question d’envoyer dans le Golfe un corps expéditionnaire bricolé, comme en 1990 lorsque la division Daguet avait réussi, au prix d’un miracle typiquement gaulois, à rassembler des hommes et des moyens pour en faire une force crédible, évidemment en déshabillant la moitié des unités opérationnelles de l’Armée de Terre.
En novembre 2002, le format retenu était celui d’une brigade de forces spéciales constituée à partir du Commandement des Opérations Spéciales (COS), officiellement en raison de l’extrême – et réel – savoir-faire de ces unités, en réalité parce que la France était parfaitement incapable de projeter si loin une dizaine de milliers d’hommes avec leurs matériels. Je garde le souvenir de quelques généraux – surtout un, en fait – qui n’étaient pas les derniers à vanter la disponibilité de leurs troupes mais pâlissaient dès qu’on parlait de combat, de pertes, de missions dangereuses :
– Mais ce sont de vraies balles ! comme s’écriait Steve Martin (au centre) dans Three Amigos (1986, John Landis).
Bref, au soulagement général tomba fin 2002 l’ordre tant attendu : la France n’irait pas en Irak, ne participerait pas à ce déni de droit international, ne se commettrait pas avec l’Empire. Oubliée, l’intervention, illégale, au Kosovo. Oubliées, les dizaines d’opérations en Afrique pour maintenir au pouvoir des tyrans sanguinaires mais tellement sympathiques. La France restait du côté du faible.
Tiens, ça me rappelle qu’un de mes amis, vétéran du contre-espionnage (vous savez, cet art ancestral qui consiste à détecter les espions qui volent nos secrets, écoutent nos conversations et influencent notre diplomatie), me confia, un soir de spleen alcoolisé, qu’il y avait, quelque part près du pouvoir, un agent russe qui avait tordu le bras de la France et nous avait conduits à rejoindre la coalition des pacifistes, au premier des rangs desquels la prude et vertueuse Russie, ennemie de la violence, adversaire de la force, adepte du compromis.
Bien sûr, je n’en crois rien. Pensez donc, des espions en France, l’amie du monde entier, et des espions russes de surcroît… N’importe quoi, et ce n’est pas parce que le FBI vient encore de cueillir 10 clandestins qu’il faut en conclure que le FSB poursuit la politique du défunt KGB. Au contraire, bien au contraire. De même, le fait que certains de nos ambassadeurs et hommes politiques aient profité des largesses de Saddam Hussein n’a bien sûr pas compté dans notre décision…
Tout ça pour dire qu’Antonio Ianucci, déjà auteur de la série de la BBC The Thick Of It,
consacrée à la vie au sein du gouvernement britannique, a utilisé cette remarquable matière première pour réaliser en 2009 In The Loop, une hilarante plongée au coeur du pouvoir londonien alors qu’une mystérieuse intervention militaire se prépare au Moyen-Orient.
Caméra à l’épaule, un peu comme un Peter Greengrass qui s’essaierait à la comédie, Iannucci suit à la trace ses personnages et dresse le portrait peu reluisant d’une bande d’incapables et d’intrigants menés à la baguette par le directeur de la communication du Premier ministre de Sa Gracieuse Majesté, Malcolm Tucker, authentique psychopathe à intégrer au panthéon des pires malades mentaux de l’histoire du cinéma.
Evidemment, Malcolm Tucker sait s’entourer d’hommes de sa trempe, et il travaille ainsi avec un autre dingue de compétition, Jamie McDonald, affectueusement qualifié de crossest man in Scotland. Tout un programme…
Les opposants à la guerre contre l’Irak en 2003 se sont bien sûr réjouis de cette satire, grinçante, remarquablement jouée, parfaitement écrite. Faut-il préciser que la vie quotidienne dans les couloirs du Quai d’Orsay, du Foreign Office ou du Département d’Etat n’était pas risible à ce point ? Le trait est grossi par les auteurs, mais je dois confesser avoir retrouvé quelques souvenirs personnels dans ce film, des missions montées à l’improviste pour aller négocier on ne sait trop quoi aux réunions improbables, en passant par les soirées pourries dans un Hilton à regarder le plateau du room service tout en gérant le jet lag. Et je préfère ne pas m’étendre sur les réunions multilatérales à New-York ou Bruxelles, je pourrais devenir franchement ironique.
Pouvez-vous vous dispenser de regarder In The Loop, évidemment en VO ? Malcolm Tucker a la réponse…
Figurez-vous que 15 des 19 terroristes du 11 septembre étaient saoudiens. Je sais, je vous dis ça un peu brutalement, mais bon, c’est comme ça. Forcément, ça fait réfléchir. Je me souviens encore d’un de mes supérieurs qui, il y a bien longtemps, avait rangé dans un tiroir une note que j’avais écrite sur le rôle de l’Arabie saoudite dans le terrorisme islamiste radical – à l’époque, on ne disait pas encore jihadiste.
Pas question de dire à nos autorités politiques, qui de toute façon le savaient et s’en moquaient, que les Saoudiens, auxquels nous rêvions de vendre des Rafale, des Leclerc, des TGV et auxquels nous vendions déjà du parfum et des bijoux, armaient, avec l’argent du pétrole que nous leur achetions, des types assez énervés en Somalie, au Liban, en Algérie, au Niger ou ailleurs (euh, pour l’Afghanistan, c’est autre chose, mais c’est un secret, on a dit qu’on en parlait pas).
Pas le droit de dire que l’un des suspects des attentats de 1995 à Paris vivait paisiblement à Médine.
Pas le droit de dire que le principal trafiquant d’armes du GIA algérien actif au Niger appelait régulièrement un officier de la garde royale saoudienne à Riyad.
Pas le droit de dire que les richissimes ONG du Golfe déversaient des millions de dollars en Afrique sub-saharienne où, sous prétexte d’éducation, elles endoctrinaient la jeunesse – enfin, pas toute, hein, seulement les garçons – et transformaient la pratique millénaire d’un islam pacifique en une idéologie haineuse qui conspuait l’Occident, les juifs, les chrétiens, les homosexuels, les femmes éduquées, la démocratie, la science.
Pas question de rappeler, même en passant, que les rebelles tchétchènes donnaient du fil à retordre à la soldatesque russe grâce à l’argent d’Al Haramein, l’ONG saoudienne qui transportaient les missiles Milan que NOUS avions fournis à la résistance afghane dans les années ’80 vers le Caucase pour une autre cause. Il faut dire ici que donner des Milan aux rebelles tchétchènes était une source de grande satisfaction pour quelques ingénieurs. Pensez donc, ces barbus avaient réussi à abattre un hélicoptère de combat russe avec un missile anti-char français ! Ah, les braves gens. Mais je m’égare.
Le 11 septembre au soir a été le moment de la grande prise de conscience. Alliés fidèles et délicieusement riches, nos amis saoudiens devenaient d’un coup – et quel coup – des alliés un peu, comment dire ? turbulents ? encombrants ? gênants ? voilà, c’est ça, gênants – et trop riches. Alors tout le monde s’est dépêché de rapatrier ces messieurs-dames dans leur royaume, avec un arrêt sur l’aéroport du Bourget entre les Etats-Unis et le Golfe, et on a fait les gros yeux avec plus ou moins de talent et de conviction.
Mais il aura fallu attendre pour que cette triste et fascinante réalité soit portée à la connaissance du grand public. Pas celui qui lit Le Monde ou le Washington Post, mais celui qui va au cinéma voir des films dans lesquels on se flingue avec entrain. C’est Peter Berg qui s’y est collé, et il faut lui tirer notre chapeau.
Acteur, producteur, réalisateur, Peter Berg, un ami du grand Michael Mann (Heat, The Insider, Collateral, etc.) a choisi, avec le Royaume, de nous donner une leçon de géopolitique et de contre-terrorisme sous couvert d’une intrigue policière assez classique : après un attentat contre un compound en Arabie saoudite, le FBI envoie une équipe d’enquêteurs qui se heurte au silence plus ou moins gêné des autorités locales mais parvient à remonter la piste des terroristes.
(les puristes noteront la présence de la chanson de U2 Bullet the blue sky (The Joshua Tree, 1987)
Le film est bien fait et, s’il n’évite pas les clichés (personnalités des enquêteurs) et les invraisemblances (on voit mal le FBI prendre le risque de saboter une enquête en envoyant une femme en Arabie saoudite, même s’il s’agit de Jennifer Garner), il a le mérite de montrer un des attentats les plus réalistes qu’il m’ait été donné de voir au cinéma (mieux, même, que ceux vus dans The Siege) et une scène de fusillade, assez voisine de celle de Clear and present danger, où l’on sent la patte de Michael Mann.
Tourné à Abou Dhabi, The Kingdom reproduit parfaitement l’ambiance qui règne en Arabie saoudite, ces autoroutes sillonnées de voitures américaines, l’omniprésence de l’armée et la police, ce mélange fascinant d’archaïsme socio-politique et de richissime modernité technique.
Comme je le disais plus haut, l’attentat contre le compound est d’un réalisme terrifiant, et il mériterait d’être montré aux stagiaires de plusieurs administrations (je ne me prive pas pour le faire, de mon côté). On sent que le réalisateur et les scénaristes ont planché sur les attentats de mai 2003 à Riyad. Opération complexe, avec diversion, double charge, mitraillages, terroristes portant des uniformes officiels – comme dans la réalité, il ne manque rien.
Une photo d’un des compounds attaqués par Al Qaïda à l’époque :
Le second atout du film réside dans ses seconds rôles. Chris Cooper est, comme d’habitude parfait, mais il faut saluer la performance d’Ashraf Barhom, un acteur arabe israélien déjà vu dans Paradise Now (2005, Hani Abou Assad), un film exceptionnel sur des kamikazes palestiniens, et d’Ali Suliman, également arabe israélien, vu dans Body of Lies (2008, Ridley Scott).
Mais surtout, surtout, le film vaut par son générique de début, véritable opening scene stratégique, leçon accélérée d’histoire qui en quelques minutes vous résume ce que d’autres mettraient des dizaines de pages à expliquer, en plus caricatural.
Ne serait-ce que pour cette introduction, il faut impérativement voir The Kingdom. Et les deux dialogues parallèles qui clôturent le film, entre agents du FBI et entre un grand-père saoudien et son petit-fils, se répondent cruellement tout en illustrant la nature de cette guerre : We are going to kill them all, affirment les deux camps…
Dans quelques siècles, quand les historiens tenteront d’identifier le film le plus représentatif des années ’80 du 20e siècle, ils pourront placer Top Gun en tête de liste. Difficile aujourd’hui d’imaginer, en effet, plus clinquant, plus tape-à-l’œil, plus creux et malgré tout, par-delà nos scrupules d’hommes et femmes de goût, plus séduisant.
dis donc, étranger, ici, on n’aime pas tellement les voleurs de chevaux.
Au plus fort du reaganisme triomphant, alors que James Braddock et John Rambo viennent d’infliger une tannée à ces salauds de Viet-Congs, voilà qu’Hollywood nous la fait high-tech avec la complicité active de la Navy, alors engagée dans sa fameuse campagne de recrutement « It’s not just a job, it’s an adventure » – on aperçoit d’ailleurs l’affiche dans les vestiaires de ces messieurs. Il faut dire que l’US Air Force a refusé de participer à l’aventure, sans doute en raison de ses bien connues exigences culturelles.
Papier ciseaux caillou
Par où commencer ? Le casting ?
Un casting de classe, avec une foule de jeunes acteurs promis à un brillant avenir, et quelques vétérans :
– Tom Cruise, bien sûr, le petit scientologue qui monte (il vient alors de tourner dans un épouvantable navet, Risky business (1983, Paul Brickman), mais aussi avec Ridley Scott dans Legend (1985), et Francis Ford Coppola dans Outsiders (1983) ;
– Kelly McGillis, vue avec Harrison Ford dans Witness (1985, Peter Weir) et Jodie Foster dans Les accusées (1988, Jonathan Caplan) ;
– Val Kilmer, qu’on ne présente plus (on peut quand même citer Les Doors, d’Oliver Stone (1991), Cœur de Tonnerre, de Michael Apted (1992), Heat, de Michael Mann (1995) ou Spartan, déjà évoqué ici) ;
– Tom Skerritt, inoubliable Dallas dans Alien (1979, Ridley Scott) ;
– Michael Ironside, une vraie sale gueule, vu entre autres dans la série culte V (1984), Total Recall (1990, Paul Verhoeven), ou Starship troopers (1997, du même) ;
– Anthony Edwards, le sympathique Dr. Greene de l’interminable série Urgences (1994) ;
– Tim Robbins, à la carrière exemplaire – malgré Top Gun : The Player (1992, Robert Altman), Le grand saut (1992, les frères Coen), Mystic River (2003, Clint Eastwood), entre autres – et je ne parle pas des films qu’il a réalisés : Bob Roberts (1992) ou Dead Man Walking (1995) ;
– Meg Ryan, la seule et unique Sally (Quand Harry rencontre Sally, 1989, Rob Reiner) à la carrière par ailleurs assez terne.
Alors le scénario ?
Un équipage de F-14, plutôt casse-cou, est envoyé en stage à l’école de chasse de Top Gun, après un accrochage dans l’Océan Indien contre un mystérieux pays hostile (sans doute des Arabes musulmans et communistes, voire, pire, des Iraniens, bref, des gars dangereux). Le copilote meurt dans un accident, son pilote déprime mais retrouve du poil de la bête et donne une leçon à ces salauds de l’Océan Indien. Evidemment, on est loin de l’Oscar du meilleur scénario, et même John Milius aurait fait mieux (d’ailleurs, quand j’y pense, il a effectivement fait mieux).
Bon, donc pas le scénario.
Alors quoi ?
Alors les avions. Le seul intérêt du film réside dans ses scènes aéronautiques, filmées sur l’USS Enterprise et sur les bases de Fallon (Nevada, www.cnic.navy.mil/Fallon, la version pour l’aéronavale de Nellis AFB, http://www.nellis.af.mil), et Miramar (Californie, http://www.miramar.usmc.mil, une Naval Air Station de la Navy cédée depuis aux Marines et qui abritait la fameuse Navy Fighter Weapons School).
Tourné avec le Learjet qui manquera si cruellement au réalisateur de Iron Eagle, Top Gun marque une étape importante dans l’histoire du cinéma aéronautique. On y voit des chasseurs – et quels chasseurs : Grumman F-14A Tomcat et McDonnell Douglas A-4F Skyhawk – s’y livrer à des dogfights enragés au-dessus de la Sierra Nevada. Les images sont superbes, et elles doivent beaucoup à C.J « Heater » Heatley III, un pilote de la Navy diplômé en journalisme (profil LinkedIn : http://www.linkedin.com/pub/c-j-%22heater%22-heatley-iii/11/4b4/b19) et auteur de splendides recueils de photographies, parmi lesquels on peut citer The cutting edge (en français : Les ailes d’or, chez Atlas) et Forged in steel: US Marine Corps Aviation (D’acier et de feu, Atlas).
Evidemment, pour les besoins du film, de nombreuses inexactitudes ont été introduites : les insignes d’escadron portés par les F-14 sont tous fantaisistes ou issus d’autres unités, tandis que les fameux Mig-28 rencontrés au début et à la fin sont des Northrop F-5E (monoplace) et F (biplace) peints en noir et affublés d’étoiles rouges. Pour mémoire :
– les Mig portent toujours des numéros impairs (à la notable exception du Mig-30, version syrienne du Mig-29 Fulcrum)
– les F-5 de la Navy – désormais appelés F-5N – étaient employés pour simuler les Mig-19 Farmer et -21 Fishbed lors de Dyssymetric Air Combat Training inspirés des exercices de l’Air Force à Nellis AFB. La livrée noire a néanmoins été conservée sur certains chasseurs de Top Gun et fait forte impression sur le public lors des JPO.
– les A-4F (monoplace) et TA-4F (biplace), dont les canons avaient été démontés et qui, dotés du même réacteur que les Skyhawk des Blue Angels, étaient censés simuler le Mig-17 Fresco.
– en revanche, la vrille plate est en effet mortelle sur le F-14, et le manuel de vol ordonne même l’éjection immédiate. Il est quasiment impossible de récupérer d’une telle vrille en raison de la dépression qui se crée sous l’appareil entre les deux moteurs.
Médiocrement écrit, médiocrement joué, médiocrement réalisé, Top Gun n’est qu’un immense clip à la gloire de l’aéronavale américaine. La musique, mauvaise comme il se doit, y est omniprésente. Kenny Loggins, habitué des bandes originales de navets, y livre un Danger zone formaté pour la FM…
… mais la palme du comique revient à Harold Faltermeyer, l’homme qui composa le thème du Beverly Hills Cop (« Axel F »). Il balance ici un hymne pompier dans lequel le piano de Richard Clayderman s’associe à la guitare de Steve Stevens, le guitariste ébouriffé de Billy Idol. Question ridicule, on est en effet « plus haut avec les meilleurs des meilleurs »…
Alors que le nombre de volontaires pour l’aéronavale grimpe en flèche après la sortie du film, Pepsi s’inspire du film et diffuse une publicité réjouissante :
Pendant ce temps, Quentin Tarantino se livre à une analyse décapante du film et conclut qu’il incarne la quintessence de la fiction gay, une conclusion hilarante – mais logique quand on pense au match de volley sur la plage – et on se prend à rêver de la présence d’un pilote de chasse au sein des Village People.
Bref, Top Gun est surtout l’occasion de revoir deux films plus sérieux, bien que très différents. D’abord, Nimitz ou le retour vers l’enfer/The final countdwon (1980, Don Taylor, qui réalisera également en 1981 un assez mauvais téléfilm sur les manoeuvres à Nellis appelé Red Flag: The Ultimate Game), une aimable serie B de SF tournée sur l’USS Nimitz avec Kirk Douglas, Martin Sheen, James Farantino et Ron O’Neal, l’inoubliable sultan de Johore de Franck, chasseur de fauves/Bring Em Back Alive (1982)
et surtout L’étoffe des héros/The Right Stuff, de Philip Kaufman (1983) d’après Tom Wolfe, avec la fine fleur des acteurs du moment (Ed Harris, Fred Ward, Scott Glenn, Sam Shepard, Jeff Goldblum, Lance Henriksen, etc.)
Je ne peux que vous conseiller le superbe ouvrage de Donna Brackeen Top Gun Miramar (Atlas), que l’on trouve chez quelques soldeurs ou sur Internet, et je vous laisse sur cette image, rare, d’un pilote faisant l’imbécile près, très près, de l’USS Stennis.
Reconnaissons cependant – même si c’est vivement déconseillé par tous les manuels, que la scène d’ouverture reste indépassable :
Le 2 juillet dernier est sorti dans quelques salles américaines le documentaire de Tim Hetherington et Sebastian Jünger Restrepo, tiré du récit de ce dernier, War. Ce film, qui a remporté le grand prix du jury au festival de Sundance, est d’ores et déjà considéré comme un monument par les critiques qui l’ont vu, et je ne peux que vous conseiller la visite de son site Internet www.restrepothemovie.com.
La comparaison avec le film de Pierre Schoendoerffer, La section Anderson (1967, oscar du meilleur film étranger en 1968) vient naturellement à l’esprit tant les démarches et les guerres filmées sont proches. Il faut désormais attendre l’hypothétique sortie du film en France, ou plus probablement son édition en DVD dans les mois qui viennent, pour se faire une idée.
Mohamed Daoud Oudeh, connu sous le nom du guerre d’Abou Daoud, est mort à Damas le 3 juillet. Ce turbulent « résistan » palestinien était connu pour son rôle majeur dans la terrible affaire de Munich, les 5 et 6 septembre 1972, alors que les Jeux olympiques se déroulaient dans la capitale bavaroise.Pour ceux qui ignorent tout de cette opération, aux répercussions majeures, je ne peux que conseiller le documentaire de Kevin MacDonald, Un jour en septembre (1999), qui expose l’affaire clairement.
Cette opération entraînera une riposte du Mossad, que Steven Spielberg, avec ses qualités et ses défauts, a relaté dans Munich (2005, avec Eric Bana, Daniel Craig, Mathieu Kassovitz, Mickaël Lonsdale, Mathieu Amalric) tiré du récit de George Jonas, Vengeance.
L’échec total des forces allemandes à la fin de la prise d’otages, le 6 septembre 1972, aboutira à la création du GSGS 9, une des unités d’intervention les plus réputées du monde. J’ajoute, pour finir, deux faits à méditer :
– la France, qui arrête en 1977 Abou Daoud, refuse de le remettre à la RFA ou à Israël en prétextant des obstacles juridiques et préfère le laisser s’envoler vers l’Algérie, qu’il quitte évidemment libre. Inutile d’en dire davantage.
– la Syrie est décidément une terre aimée des grands humanistes. Avant Abou Daoud y sont ainsi morts Imad Moughnieh, le chef de l’Organisation de la Sécurité Extérieure (OSE) du Hezbollah libanais, responsable des attentats de 1983 contre les contingents américains et français à Beyrouth, et Alois Brunner, ancien chef du camp de Drancy.
La Syrie moderne est donc bien loin de se montrer à la hauteur de ce qu’elle fut lorsqu’elle était la capitale du califat omeyyade, mais c’est une autre histoire. N’empêche, ils doivent avoir de la gueule, les cimetières, à Damas.
Le maniement des explosifs est un art complexe et mystérieux pratiqué par des hommes taciturnes – « taiseux », diraient les critiques de Télérama – que l’on surnomme, dans l’armée, des nedex (pour « Neutralisation Enlèvement et Destruction d’Explosifs »). L’extrême sophistication de leurs pratiques a été immortalisée par Mais où est donc passée la 7e Compagnie ? (Robert Lamoureux, 1973), un film de guerre de qualité française.
En 2008, Kathryn Bigelow, prenant la suite d’une belle série de films consacrés à la campagne irakienne de l’Empire, a choisi de s’intéresser à une équipe de nedex de l’US Army déployée à Bagdad.
Premier film de guerre à remporter l’oscar du meilleur film depuis Platoon (Oliver Stone, 1986), The hurt locker constitue presque un documentaire centré sur un trio de démineurs. Les personnages sont dessinés à grands traits, et la caméra s’attarde à peine sur le sergent William James, qui rappelle parfois le capitaine Willard d’Apocalypse Now. Sans véritable intrigue, le film, tourné en Jordanie pendant le Ramadan 2008, enchaîne des scènes permettant de saisir l’essentiel des défis auxquels est confrontée la contre-guérilla conduite par l’US Army en Irak, aussi bien à Bagdad que dans le désert
Le manque de moyens du film, loin de Blackhawk down, n’est aucunement un handicap, et rien n’a été oublié : ni les corps piégés, ni la chaleur, ni l’ennemi invisible au cœur d’une ville qui s’agite et tente de survivre, ni les insurgés qui filment alors qu’on désamorce une charge, ni le confort dans lequel vivent les soldats américains, ni les contractors, véritables auxiliaires des troupes régulières et de la CIA.
Sciemment, la réalisatrice évite les intrigues, tout en semant des indices : qui est donc ce mystérieux artificier irakien ? Qu’arrive-t-il au boucher de la première scène ? Quelle est l’histoire du sergent Williams ? Kathryn Bigelow n’en a cure, elle filme la vie de soldats qui, comme dans Platoon ou Hamburger Hill, comptent les jours avant la quille. La mise en scène, sobre, ne se permet que quelques truquages lors de la première explosion, et un gimmick remarquablement habile : à chaque découverte d’un IED on peut entendre un réacteur de jet. Est-il dans le ciel irakien ou dans l’imagination des soldats ? Mystère.
Les codes de l’amitié masculine ont déjà été traités par la cinéaste dans Point Break (1991), le film préféré de Brice de Nice, mais on sent que ce n’est pas le propos ici, malgré une soirée entre hommes plutôt virile. Elle nous montre la nouvelle génération des guerriers américains, toujours intéressés par la marijuana, mais ayant remplacé l’écoute des tubes de la Motown par une XBox. La question de la justesse de la guerre n’est pas évoquée, on ne parle pas d’Al Qaïda ou d’ADM, la caméra est embedded, et on n’en saura pas plus.
Froid, sans sentiment pour ses personnages, sans avis sur la guerre, Démineurs est l’anti Green Zone. Cet absence, apparente, de fond, n’empêche pas le film de vous hanter. A voir et à méditer.