« Now this is a song to celebrate/The conscious liberation of the female state » (Eurythmics & Aretha Franklin, « Sisters Are Doin’ It for Themselves »)

Le 22 octobre 1988, un petit groupe de catholiques énervés, pensant sans doute suivre ainsi les enseignements du Messie, avaient perpétré un attentat contre le cinéma Saint-Michel, place du même nom, afin d’empêcher la projection du film de Martin Scorsese La Dernière tentation du Christ. Œuvre remarquable, écrite par l’immense Paul Schrader d’après le roman de Nikos Kazantzakis et à la distribution exemplaire (Willem Dafoe, évidemment, mais aussi Harvey Keitel, Barbara Hershey, Verna Bloom, Tomas Arana et même David Bowie dans le rôle de Ponce Pilate), le film de Scorsese n’a rien d’une charge anticléricale et pose en revanche des questions respectueusement vertigineuses. La musique, exceptionnelle, de Peter Gabriel contribue naturellement à la grandeur de l’ensemble.

Rapidement arrêtés, jugés en 1990, les auteurs de l’attentat, croisés de pacotille, s’étaient justifiés avec des arguments qu’on entendit beaucoup dans les salles d’audience françaises dans les années 2010 dans la bouche d’autres fanatiques, qu’on a depuis pris l’habitude de qualifier de radicalisés.

Un an après l’attentat du cinéma Saint-Michel, la riante république islamique d’Iran diffusa une fatwah condamnant à mort Salman Rushdie pour un autre livre, Les Versets sataniques. Autrement sulfureux mais aussi d’une grande subtilité, le texte de l’écrivain britannique avait provoqué la fureur – soigneusement entretenue – de foules qui ne l’avaient pas lu et qui ne l’auraient de toute façon pas compris. En France, certains s’émurent un peu vite et y virent l’expression d’un racisme systémique à l’encontre des musulmans. Heureusement, ils n’assistèrent pas à la tragédie de l’attentat contre la rédaction de Charlie Hebdo, il y a déjà 10 ans, et c’est peut-être mieux pour tout le monde. Certains appellent au meurtre, d’autres les excusent, et d’autres, finalement, meurent.

En 1988 et 1989, il s’agissait pour des croyants enragés de punir des remises en question, forcément insupportables, du dogme ou des questionnements théorique. Souvenons-nous que pour ces gens, réfléchir, c’est commencer à désobéir.

Plus tard, l’interminable affaire des caricatures du Prophète reposa sur la vengeance, supposée légitime, de la non-moins supposée communauté musulmane après des dessins jugés blasphématoires (et certains, en effet, étaient assez raides, mais c’est le charme des démocraties : on n’est pas supposé s’entretuer quand on n’est pas d’accord). Il n’était plus question de dogme, de doutes métaphysiques ou d’histoire-fiction mais simplement de dessins plus ou moins subtils comme il s’en publie des milliers chaque jour. On sait comment ça a fini – et d’ailleurs, ce n’est pas fini.

Tignous, assassiné le 7 janvier 2015, dans ses admirables oeuvres.

Au début de cette année, une nouvelle génération de grands sensibles s’en est pris à des militants antifascistes qui avaient le front de projeter Z, le classique de Costa-Gavras sorti en 1969 et couvert de récompenses (dont l’Oscar du meilleur film étranger en 1970, le Prix du jury à Cannes et un Golden Globe).

Costa-Gavras, actuellement président de la Cinémathèque française, n’est pas loin d’être un maître du 7e art. Il n’a cessé de dénoncer les tyrannies et l’injustice, et tout le monde en a pris pour son grade : les démocraties populaires qui, comme chacun sait, n’étaient ni démocratiques ni populaires (L’Aveu, 1970) ; les dictatures sud-américaines (Etat de siège, 1972 ; Missing, 1982) ou européennes (Z, justement) ; Vichy (Section spéciale, 1975) ; le nazisme (Music Box, 1989 ; Amen, 2002) ; et l’argent fou (Le Capital, 2012). En 1988, il avait consacré un remarquable film d’espionnage aux futurs électeurs de Donald Trump, avec une clairvoyance qui fait encore frissonner.

Le cinéma de Costa-Gavras ne peut que hérisser le poil des partisans des régimes autoritaires. Film parfois un peu daté, Z – dont la distribution donne le tournis – n’est pas seulement le récit d’un assassinat politique et d’une enquête entravée. Il est aussi le tableau d’une junte d’incompétents, de vieilles badernes au front bas dont l’amateurisme et le conservatisme obtus rappellent cruellement la clique d’imbéciles à la tête de l’armée française pendant l’Affaire Dreyfus (et d’ailleurs, un général crie dans un couloir, à la fin du film, que « Dreyfus [était] coupable », et tout est dit).

Nous sommes donc passés en quelques décennies d’attentats justifiés par de prétendus blasphèmes à des attaques de nervis contre de jeunes gauchistes ayant le malheur de regarder un film défendant la démocratie et l’indépendance de la justice. Certains, cela dit, y voient sans doute un blasphème.

Et voilà que nous apprenons que la projection à Noisy-le-Sec de Barbie, le succès planétaire de Greta Gerwig sorti en 2023, a été annulée à la suite de pressions d’un groupe de jeunes hommes manifestement désœuvrés et surtout, eux aussi, bien sensibles :

Le film, qui n’est pas un chef d’œuvre, constitue une réjouissante et lumineuse charge contre le patriarcat, les stéréotypes de genre, et l’abaissement systémique des femmes dans nos sociétés.

Intelligent, drôle, évidemment engagé, il ne contient aucune obscénité, aucune violence – la seule gifle du film étant à la fois pleinement justifiée et exemplaire –, aucun blasphème et on se demande ce qui a pu gêner nos concitoyens (en fait, non, on ne se le demande parce qu’on le sait, hélas, et qu’on s’en fout). On l’a sans doute oublié tant l’actualité est dense, mais le film a été interdit dans nombre de pays pour des raisons naturellement débiles, dont une supposée promotion de l’homosexualité. Pourquoi ? Sans doute que parce que les nouveaux Ken de la 2e moitié du film sont des hommes des cavernes, sexistes, virilistes, et non des êtres humains sensibles nullement obsédés par le pouvoir ou la domination de leur moitié. L’obsession de certains hommes pour l’homosexualité, consternante, pose d’ailleurs quelques questions vertigineuses sur leurs angoisses et leur inconfort. #Jemecomprends

Le fait est que Barbie est un film réjouissant et la seule promotion qu’il fait est celle de l’égalité harmonieuse entre les genres. Ceux que ça troublent ou que ça dérangent révèlent leur archaïsme et leur vision infecte des femmes, réduites à des bonniches et à des objets sexuels. On pense alors à cette vidéo des Guignols, du temps où ils étaient drôles (ça ne dura pas longtemps) :

Cette fois-ci, ce n’est pas du blasphème, ce n’est pas une attaque contre les régimes militaires mais simplement une dénonciation brutale et enthousiasmante du patriarcat – qui est évidemment une forme d’oppression dont bien peu d’hommes ont conscience tant elle est ancrée dans notre monde. En 2009, le cinéaste égyptien, avec Les Femmes du bus 678, un excellent film autrement plus âpre et sombre, avait mis les pieds dans le plat et s’était attiré des ennuis.

Les pressions effectuées à Noisy ont, sans surprise, été récupérées et ont permis une polémique estivale dont notre pays raffole (il y a 9 ans, c’était au sujet du burkini).

Une Barbie, c’est une Barbie. Pas de Barbie, c’est les barbus.

Il serait cependant réducteur de n’attribuer ces pensées rétrogrades et indignes qu’à une poignée de jeunes musulmans angoissés. L’émergence en France de la mouvance incel, venue des États-Unis, porte une menace terroriste croissante nourrie par les boucles algorithmiques de Tiktok. Le refus de mettre fin aux injustices et la défense des clichés et comportements sexistes dans nos sociétés sont des signaux d’alerte à ne surtout pas négliger.

Perdu pendant la translation

Nous sommes quelques-uns à envisager de retraduire le livre de Tom Clancy Tempête rouge tant sa traduction initiale est un scandale, farci de contre-sens et même d’idioties. Le fait est qu’on trouve encore au détour de pages d’essais ou de récits traduits de l’anglais des erreurs, ou a minima des anglicismes que nos professeurs n’auraient pas tolérés mais qui ne semble intéresser les éditeurs et autres relecteurs – s’il y en a encore.

J’ai par exemple lu cet été le livre qu’a consacré Antony Beevor à la Seconde Guerre mondiale et j’ai eu à plusieurs reprises la nette impression que le traducteur avait fait le travail minimum, sans s’intéresser le moins du monde aux faits, aux grades, aux matériels ou aux batailles que décrivait le livre. Ça ne m’a pas empêché de le finir et ça a conforté mon admiration pour son auteur.

La patience n’est en revanche pas de mise face au massacre qu’est la traduction du livre de Ben Macintyre portant sur la fameuse opération Mincemeat. On a du mal à imaginer pire traduction, et on se demande si elle a été réalisée par une machine (en 2010, aux éditions Ixelles, il est permis d’en douter), si elle a été sabotée ou simplement bâclée. Reste que le texte publié en 2022 par Pocket n’a manifestement pas été relu, et on y apprend par exemple que dans l’armée britannique on peut être décoré pour galanterie. N’importe quel esprit un peu éveillé connaît le concept de faux ami, et un traducteur essayant de trouver un sens à ce qu’il lit aurait compris qu’il s’agissait de bravoure. De fait, au combat, il est plus courant d’être célébré pour son courage que parce qu’on a tenu la porte du restaurant à une amie. #débile

On attend également d’un traducteur qu’il se relise et – cela devrait couler de source mais ça va manifestement mieux en le disant – qu’il parle sa langue natale. A la page 170 de l’édition de poche, on lit pourtant cette phrase stupéfiante : « Le directeur des Plans pensait que l’opération était prématurée et qu’elle « ne devait pas être entreprise plus de deux mois avant la véritable opération », au cas où les vrais plans viendaient à changer ».

Alors, faute de frappe (la seule de livre) ou maîtrise imparfaite du français ? #Onseledemande

Dans d’autres circonstances, devant la copie d’un étudiant ou le texte d’un subordonné, on corrigerait et on accorderait le bénéfice du doute. Là, dans un récit d’espionnage traduit avec le même soin que la notice d’un fer-à-repasser nord-coréen, on est en droit de craindre un mélange de nullité et de je-m’en-foutisme. Les erreurs de traduction sont tellement nombreuses dans l’ensemble du livre qu’il est hélas manifeste qu’aucun travail de documentation n’a été effectué.

C’est bien joli de râler contre l’intelligence artificielle,  mais elle vaut mieux que l’incompétence naturelle. Les éditions Pocket n’aurait pas perdu au change à faire réaliser une lecture de contrôle. On n’est jamais trop prudent.

À la recherche de la panthère rose, de Blake Edwards (1982)

“Oh, you can’t get even with this kind of pain/But to see you steady brings the calm, again” (“Only The Ones We Love”, Tanita Tikaram)

Qu’il me soit permis, alors qu’une poignée de débris harcèlent une rescapée des attentats du 13-Novembre, de rappeler quelques points simples mais essentiels :

1/ Le terrorisme est un mode opératoire (auquel on ne peut donc faire la guerre, mais passons) ;

2/ Ce mode opératoire, à la fois choix tactique et choix politique, permet de s’en prendre à la population d’un État, par essence peu ou pas protégée, et/ou à des cibles symboliques afin de peser sur ses choix diplomatiques ou stratégiques et sa cohésion sociale ;

3/ Le terrorisme est mis en œuvre par des acteurs faibles ou par des États désireux d’éviter un affrontement direct avec leur adversaire – comme l’admirable régime syrien, la regrettée satrapie libyenne ou la bienveillante démocratie iranienne ;

4/ Pour ces groupes ou ces États, tuer n’est donc pas une fin en soi (souvenons-nous ici qu’il est impératif de séparer les motivations des opérationnels de celles de leurs commanditaires) mais un moyen. Massacrer des innocents en grand nombre est cependant assez simple pour peu qu’on dispose d’armes ou d’explosifs et d’assassins motivés et c’est le chemin qu’empruntent la plupart des organisations terroristes ;

5/ Les victimes civiles sont donc utilisées par les terroristes comme des caisses de résonnance. Incapables de frapper directement l’État, ou ayant fait le choix de ne pas l’attaquer, les terroristes tuent, de façon plus ou moins indiscriminée (le Père Hamel ou les membres de la rédaction de Charlie Hebdo ont évidemment été visés pour ce qu’ils incarnaient), afin de provoquer un choc politique qui va toucher les autorités gouvernementales. Et ils tueront jusqu’à ce qu’ils aient été neutralisés, qu’ils aient obtenu ce qu’ils voulaient ou qu’ils se soient lassés devant notre admirable résistance – cette dernière hypothèse n’étant posée ici que par souci d’exhaustivité ;

5Bis/ Ainsi, et comme je pense l’avoir déjà écrit, l’objectif ultime des services chargés de la lutte contre le terrorisme n’est pas de sauver des vies mais bien d’empêcher que des tragédies ne pèsent sur la cohésion de la nation et sur la marche de l’État. Le terrorisme, en effet, menace directement la souveraineté nationale, et c’est pour cette raison que des moyens très importants sont mobilisés contre les groupes qui le pratiquent (toute personne comparant les victimes du terrorisme avec celles des accidents de la route est donc parfaitement débile : les chauffards ne menacent pas la souveraineté nationale). Quand les médecins ou les pompiers sauvent des individus en traitant leur blessures, les services antiterroristes sauvent la collectivité en prévenant les attaques qui les visent et en neutralisant, le plus souvent possible, ceux qui les planifient et ceux qui les commettent. Pour faire simple, les toubibs soignent les blessures déjà infligées alors que les services spécialisés essaient de les empêcher ;

6/ Les victimes ont été attaquées, tuées, blessées, traumatisées, peut-être pour ce qu’elles faisaient (cf. point 5) mais aussi et surtout pour ce qu’elles incarnaient : Françaises ou résidant en France, civiles, inoffensives et innocentes, elles représentaient une société qui tente d’avancer malgré les tensions. Ces victimes ont encaissé le choc pour nous tous, en notre nom à tous. Elles ne l’ont pas choisi, elles n’étaient pas volontaires pour assister à des carnages, elles n’ont pas demandé à être enlevées, à être grièvement blessées ou à perdre leurs proches dans une attaque intrinsèquement lâche, mais la suprême injustice du terrorisme les a frappées.

7/ Je ne suis pas certain qu’elles soient des victimes de guerre ou qu’elles aient besoin d’une médaille, mais il est absolument essentiel que l’État ET la société les traitent avec le respect et la reconnaissance qu’elles méritent. Ce respect et cette reconnaissance n’impliquent pas que nous soyons d’accord avec ce qu’elles disent ou pensent, et encore moins que leur parole soit devenue digne des Évangiles, mais nous devons absolument les considérer comme des membres à part de notre communauté. On pourrait résumer ce statut ainsi : les victimes sont sacrées, mais leur parole ne l’est pas ;

8/ Sacrées, parce qu’elles ont payé le prix le plus fort à notre place, et qu’elles ont été visées parce qu’elles étaient nos sœurs et nos frères, elles ne détiennent pas pour autant la vérité. Simplement, il convient de prendre leur parole avec prudence quand elle est caricaturale ou quand elle nous déplaît, et de, comme toujours, la juger sur le fond et dans son contexte. C’est exactement pour cette raison que je me suis tenu loin des polémiques douloureuses autour des propos répétés de Patrick Jardin. De même que je ne peux en aucune façon affirmer que j’aurais rejoint la Résistance en 1940, je ne peux nullement garantir que la mort d’un de mes enfants dans un attentat jihadiste n’aurait pas fait de moi une boule de haine à la colère inextinguible. Je sais ce que je pense de certaines positions, je les explique sans les approuver, et j’ai la décence de ne pas les juger.

9/ Une victime d’attentat est à la fois un individu dans sa singularité et le stigmate de l’attaque commise contre la communauté tout entière. Sa parole est donc particulière et à manier avec précaution, aussi bien parce qu’il ne s’agit pas de lui accorder une qualité excessive que pour éviter d’accentuer la douleur d’une blessure qui ne guérira jamais vraiment. Ceux qui font le tri entre les bonnes victimes, qui pensent comme eux, et les mauvaises victimes, qui professent des opinions contraires, sont des saboteurs et les collaborateurs objectifs des terroristes. En attaquant des victimes, en les conspuant, en les harcelant, ils ne font que prolonger les effets de l’attentat initial en entretenant les tensions politiques et sociales et font donc, sans le moindre doute, le jeu de l’ennemi. Il faut ajouter ici que quand on les lit on n’est pas autrement surpris de les voir collaborer avec un adversaire, il s’agit d’une longue tradition.

10/ Critiquer des survivants parce qu’ils ne correspondent pas au fantasme de la victime avide de vengeance est indigne. Ceux qui osent affirmer que les victimes affichant des opinions modérées sont des moutons qu’on dirige à l’abattoir ou, pire, des « collabos du jihad » sont la lie de ce pays. Personne ne vous empêche de penser ce que vous pensez du rapatriement des enfants des camps syriens, mais injurier des victimes parce qu’elles ne vous approuvent pas est d’une rare abjection. Et souvenez-vous que personne ne pourra m’accuser d’être mou, faible ou soumis aux islamistes radicaux.

Que ceux qui ont été frappés directement restent capables de raison alors que des trolls sous pseudonymes, farouches défenseurs de la France éternelle depuis leur canapé, geignent et vocifèrent ((ils vocigeignent) est d’une grande tristesse. Le combat continue, pour la sécurité, pour la paix par la victoire, et surtout pour la survie d’une société où la dignité dans la douleur n’est pas synonyme de faiblesse. Aurélia, Catherine, Georges, Emmanuel, Nicolas, nous sommes avec vous et  nous ne faiblirons jamais.

Le renseignement au cinéma : lire les commentaires après une tragédie

On se révèle dans l’épreuve, et il faut bien reconnaître que les jihadistes, que l’on prétend vaincus mais qui ne le sont évidemment pas, ont beaucoup fait pour montrer les différents visages des Français. Nous comptons dans nos rangs des héros, des citoyens solides et silencieux, des victimes dignes, des dirigeants sensés, des responsables efficaces, mais il ne faudrait pas oublier les commandos de salon, les stratèges de comptoir et les commentateurs omniscients qui font le charme des chaînes d’information en continu comme des réseaux sociaux.

L’audacieuse et tragique libération de quatre otages il y a quelques heures au Burkina a ainsi provoqué les habituelles remarques au sujet de l’imprudence, certes réelle, des concitoyens que nos forces ont sauvés. A en croire certains, sans doute sincèrement touchés par la mort de deux soldats, il aurait fallu laisser à leur sort les touristes inconséquents – et quelques-uns, toute honte bue, se sont même permis de s’interroger au sujet du moment choisi pour l’opération. La prochaine fois, les gars, on ira vous chercher pour vous demander des conseils.

Abandonner nos otages au prétexte qu’ils avaient été incapables de prendre la mesure de l’insécurité qui règne dans la région aurait pourtant relevé de la démission pure et simple. On imagine la réaction des mêmes commentateurs si un pompier leur disait un jour, après une vilaine de blessure de bricolage ou un accident de la route « Ah ben non, mon petit vieux, vous ne portiez pas de gant ou vous rouliez trop vite, débrouillez-vous ». Ça détendrait sans doute, mais il ne s’agirait, ni plus ni moins, que de la trahison des valeurs de nos forces. Vous me direz que question trahison, ceux qui râlent ainsi ont les fascinations que l’on sait pour quelques tyrans étrangers et que la trahison, ça les connaît. Mais passons.

Ne pas intervenir aurait constitué une double capitulation. Sur un simple plan tactique, laisser ainsi des otages occidentaux, dont deux de nos concitoyens, aux mains des jihadistes aurait impliqué qu’un nouveau cycle d’interminables et complexes contacts clandestins s’enclenchât, avec son lot d’intermédiaires douteux, d’affairistes moisis et de chefs de guerre incontrôlables. On sait quand ça commence, et ça ne finit que rarement. Sur un plan politique et donc stratégique, ne pas intervenir alors que c’était possible mais risqué n’aurait été qu’un abandon de poste, un refus de combattre un adversaire qui ne renonce pas et, in fine, une nouvelle étrange défaite. Là encore, on ne peut qu’admirer la constance de ceux qui appellent en permanence à la croisade mais refusent le principe même de pertes dans nos rangs.

Gégé, la petite soeur !

Les vies perdues dans la nuit de jeudi à vendredi étaient irremplaçables, et j’espère avoir la possibilité d’être sur le pont Alexandre III, mardi prochain, pour leur rendre hommage. Souvenons-nous que les vies sauvées ne l’étaient pas moins et que les avoir secourues a été, ni plus ni moins, qu’une question de principe – vous savez, ces principes pour lesquels nous nous battons contre les jihadistes… Laissons là les pourfendeurs de bulles de savon, incapables de se taire, rappelons-nous que la France agit dès qu’elle le peut. C’est sa grandeur, et c’est celle de ceux qui la servent.

Tais-toi !, de Francis Weber (2003)

“Hatred lies divided people/Gorgeous anger deeds of evil” (“Unfuck the World”, Prophets of Rage)

Fiers héritiers du califat abbasside, admirables fils du désert, ils asservissent au nom de centaines de millions de coreligionnaires ne leur ayant rien demandé les femmes yézidies, assassinent des innocents ici et ailleurs, détruisent les musées et enchaînent les massacres – mais surtout les défaites.

Intransigeants défenseurs des valeurs universelles de l’Europe chrétienne, intrépides combattants n’agissant qu’au nom de notre supériorité civilisationnelle et morale, ils tuent des enfants dans des mosquées, abattent des passants comme on n’abat pas des chiens errants – mais ils n’ont même pas la décence de mourir dans un ultime sacrifice.

Jihadistes, suprématistes blancs, ils sont de la même engeance, celle des bourreaux. Tuer des civils au nom d’une idéologie n’est que du terrorisme, et ces assassins frappant en Irak, au Mali, aux Pays-Bas ou en Nouvelle-Zélande ne sont que des terroristes. Ils n’ont rien de résistants, et pour tout dire ils affirment lutter contre des oppressions imaginaires alors qu’ils ne sont que de petites choses fragiles. Ils affirment défendre le plus grand nombre, ils prétendent être une avant-garde, une élite, mais ils ne sont que des tueurs à la posture victimaire, tout juste bons à geindre leurs angoisses politiques dans d’interminables textes, verbeux et confus.

Ils se voient héros, mais ils ne sont que des lâches, attaquant des lieux de culte ou des supermarchés, ne s’en prenant aux forces de l’ordre qu’à l’occasion de misérables embuscades. Quelle grandeur y a-t-il à tirer sur des terrasses à Paris ou des mosquées à Bir el-Abed ou Christchurch ? Ils ne sont même pas des miliciens, simplement des tueurs aux certitudes idiotes et aux croyances délirantes, incapables de regarder le monde, incapables d’assumer leurs échecs, incapables de surmonter les obstacles.

Hélas, dans notre malheur, ces assassins se répondent, s’alimentent, les crimes des uns justifiant les crimes des autres, et la litanie des tueries créant comme une symphonie de drames. Et dans notre malheur, certains pourvoyeurs d’abjection se déchaînent, comme le rappellent Le Point, Le Télégramme ou Le Parisien. Apologistes par connivence ou par simple bêtise, les commentateurs dont se repaissent quelques-uns des pires médias de notre pays sont les complices de fait des assassins. Ils leur donnent de l’audience sans jamais critiquer ou analyser leurs gestes, accumulent les propos nauséabonds en expliquant, avec une fausse candeur, qu’ils ne font qu’exprimer une opinion courageuse. Il faudra penser à leur expliquer que se rouler dans la fange ne relève pas de la danse classique.

Contre ces terroristes, qui trouvent dans la violence de l’ennemi la justification à leurs propres crimes, la dignité reste la plus forte des réponses des démocraties. La leçon donnée par la Nouvelle-Zélande est à cet égard admirable, mais il est à peu près certain qu’elle ne nous inspirera pas.

Et son nom, c’est Juste Leblanc.

La saison est aux ouragans, tornades, cyclones et autres tempêtes tropicales, terrifiantes et meurtrières manifestations de la nature. Et ici aussi, sur nos écrans et dans nos radios, et même dans nos journaux nous sommes balayés par des bourrasques de foutaises, des pluies diluviennes d’idioties et des torrents de boue d’imbécillité crasse. L’heure n’est pas à de longs développements mais au rappel d’une poignée de vérités qui n’échappent qu’à ceux qui ne veulent pas les voir.

1/ Non, les jihadistes ne « reviennent » pas aux explosifs depuis quelques mois. Ils n’y reviennent pas car ils n’y ont jamais renoncé. Depuis 2010, des attentats à l’explosif ont été commis, ont raté ou ont été déjoués (notamment) à Stockholm, Bonn, Paris, Marseille, Londres, Bruxelles, Manchester, Barcelone, de la part d’Al Qaïda, de l’Etat islamique ou de leurs sympathisants. On pourrait même remonter à 2006 (Londres) ou Paris (2001), mais ce serait inutilement cruel.

2/ Non, le TATP n’est pas l’apanage du seul EI. Il a été massivement utilisé par Al Qaïda et ses filiales, en particulier AQMI en Algérie entre 2006 et 2010, et AQPA, ainsi (par exemple) qu’en Russie par des jihadistes du Caucase. On l’a vu également dans les mains du Hamas, ou même dans celles de la secte Aum, au Japon.

3/ Les jihadistes, comme tous les terroristes avant eux, ont à cœur de réussir, et ils s’adaptent en conséquence. Ils utilisent aujourd’hui des moyens parfaitement légaux (véhicules, armes blanches), qu’il est facile de se procurer, non parce qu’ils sont aux abois mais parce qu’ils répondent aux évolutions de nos lois et de nos services et aux mesures mises en place après chaque nouveau carnage. On ne dira jamais assez à quel point cette menace est capable d’adaptations rapides, d’autant plus dangereuses que nous sommes souvent, de notre côté, englués dans nos certitudes. Les Ardennes sont infranchissables.

4/ Les jihadistes sont des sales types, leur projet politique et social est insupportable, mais ils ne sont pas plus délirants que les tyrans qui se sont succédé depuis des siècles, conquérants sanguinaires ou tyrans génocidaires. Les exécutants les plus obscurs et les plus abjects du jihad ne sont pas plus obscurs ou plus abjects que les assassins du Rwanda, du Reich, de la grande terreur stalinienne ou du délire Khmer rouge. Il est également évident qu’ils ne le sont pas moins, meurtriers, violeurs, idéologues inflexibles et brutes épaisses. Un bourreau est un bourreau, dans un geôle chilienne, chinoise ou syrienne.

4Bis/ A ce sujet, il n’existe aucune donnée scientifique permettant d’affirmer que les jihadistes sont tous atteints de pathologies mentales. Estimer qu’un ennemi est fou parce qu’il nous affronte est la marque d’esprits étroits, incapables de penser l’altérité et obsédés par le contrôle et la norme. On trouve des dingues chez les jihadistes comme on a pu en trouver ailleurs, et l’écoute de certains éditorialistes ou philosophes supposés populaires nous apprend rapidement que les égos délirants ou les visions absurdes du monde ne sont pas le monopole des émirs d’AQMI ou des gouverneurs des wilayas de l’EI. Quant aux pratiques barbares observées en Irak ou en Syrie, elles ne constituent hélas nullement des innovations. Quant à nous, je ne suis pas certain que même nos démocraties si parfaites aient tellement à la ramener sur ce point. #pointbisounours

5/ Le jihad contemporain est un phénomène d’une grande complexité, mêlant de nombreuses causes, mais nier le fait qu’il est d’abord le fruit d’une interprétation radicale de la religion revient à nier les milliers de livres et d’articles écrits depuis des décennies à travers le monde appelant à ce nouveau conflit. Le terrorisme n’a certes pas de religion, mais le jihadisme est une hérésie sunnite comme les croisades ont été une dérive, pas moins complexe, du christianisme médiéval. Faire du jihad l’essence de l’islam est aussi absurde et insultant que d’exonérer d’un revers de la main les origines en grande partie religieuses du phénomène. Le constat pique les yeux, mais il n’est pas inutile de comprendre ce que l’on affronte si on veut l’emporter.

6/ A ceux qui opposent, de façon parfaitement stérile, « radicalisation de l’islam » à « islamisation de la radicalité » (deux formules devenues insupportables au cœur d’un débat lamentablement caricatural), il faut répondre que rien n’a jamais empêché qu’une révolte politique soit aussi religieuse. A ceux-là, il n’est pas interdit de rappeler que l’espèce humaine n’a que faire des certitudes idéologiques ignorant l’Histoire et que les thèses ressassées sans faits et sans études sérieuses ne sont que des punchlines servant à amuser la galerie. Mais la galerie se lasse.

7/ L’Etat islamique est militairement vaincu mais ses sympathisants n’ont jamais été aussi nombreux, en Europe et ailleurs. Ce constat donne le vertige, et devrait faire de nos dirigeants autre chose que des gestionnaires à la petite semaine. Les victoires là-bas ne sont pas les victoires ici, et le jihadisme est bien parti pour être un des fils rouges de ce siècle. Il se nourrit sans effort des crises qui se succèdent, et ça n’amuse personne. A cet égard, il ne serait pas inutile qu’à l’occasion il sorte d’un discours présidentiel ou ministériel autre chose que des certitudes creuses ou des éléments de langage usés jusqu’à la corde. On peut toujours rêver, et on se consolera avec la publication des saillies du porte-parole du gouvernement sur le sujet, génie comique injustement méprisé.

8/ De même qu’il a été largement démontré qu’Internet ne provoquait pas ex nihilo la radicalisation jihadiste mais l’accélérait, il est également évident qu’Internet n’est pas seul responsable de la diffusion de savoir-faire terroristes, y compris dans le domaine des explosifs. N’importe quel étudiant en chimie peut réaliser des engins dangereux, sans parler des innombrables manuels disponibles dans les bibliothèques et des connaissances techniques qu’on peut échanger au sein d’une cellule de prison ou d’un appartement conspiratif. Va-t-on, selon la même logique, interdire les jeux de course automobile ou les films de la série Rapide et pas content ? Ne riez pas, certains y pensent déjà.

9/ Il est évident que nous sommes en guerre, mais une telle situation ne devrait pas nous conduire, soit au déni trop souvent entendu de la part des gens qui refusent la réalité, soit à une hystérie militaro-sécuritaire qui s’est transformée en piège. Ce conflit est bien d’un genre nouveau, mais il n’est pas le premier à n’exposer le territoire national qu’à des attentats réguliers tandis que les combats, acharnés ceux-là, ont lieu sur de lointains théâtres. Un jour viendra peut-être où nous serons à nouveau capables d’affronter un ennemi sans nous couvrir quotidiennement de ridicule. En attendant ce jour, comme Zangra, nous allons au bourg boire avec Don Pedro.

Mon Dieu, que votre esprit est d’un étage bas ! Que vous jouez au monde un petit personnage !

Parvenue à une certaine intensité, la bêtise est un art, qui surprend, réjouit, émeut. Un mois après avoir subi une dénonciation calomnieuse, mon compte vient à nouveau d’être bloqué, pour sept jours cette fois, en raison d’un tweet ironique et désespéré au sujet de l’état de notre monde.

Si les responsables de Twitter n’étaient pas ce qu’ils sont, peut-être auraient-ils pu lire que sur mes plus de 100.000 tweets pas un n’est raciste et que sur près de 600 articles écrits sur mon blog pas un, évidemment, ne comprend le moindre propos ambigu à ce sujet.

La décision de Twitter intervient alors que ce matin une victime du Bataclan a été menacée de mort, que j’ai moi-même été menacé de mort, et que depuis hier les vagues de haine se succèdent sur le réseau à un rythme qui fait trembler les plus solides. Il faut croire qu’à la cour du roi Twitter la vulgarité et la haine sont des valeurs plus appréciées que le travail et l’engagement citoyen. Notez bien qu’on s’en doutait.

J’ai fait appel de la décision de Twitter et je ne supprimerai pas ce tweet. Jamais. La résistance à la médiocrité, à la haine, et à la complicité dont elles bénéficient ne saurait tolérer le moindre accommodement avec des censeurs aux biais décidément bien suspects. L’humour, la dérision ou l’ironie ne sauraient être comparés aux activités quotidiennes des forces de l’ordre, des services de sécurité et de renseignement, des forces armées et des services de secours, mais c’est une arme comme une autre, modeste contribution à la lutte qui se joue. Vous avez choisi votre camp, j’ai choisi le mien, et ce ne sont manifestement pas les mêmes.

Le premier qui annonce la mise dit, mettons, « lance de 16 » ou « lance de 32″, ou une « quadruplée » qu’on appelle, c’est une lance de 64, parce qu’on avance de 16 en 16 sauf pour les demi coups. Là, celui qui est à sa gauche soit il augmente au moins de 4 soit il passe et il dit « passe grelot » , soit il parie qu’il va monter au moins de 6 ou de 7, il peut tenter la grelotine. A ce compte-là il joue pas, il attend le tour d’après et si le total des mises des 2 autres ne suffit pas à combler l’écart, il gagne sa grelotine et on commence le tour avec des mises de 17 en 17. Mettons là que le suivant annonce une quadruplée, là elle vaut 68, il peut contrer ou il se lève et il tape sur ses haricots en criant « grelote ça piquotte » et il tente la relance jusqu’au tour d’après.

Sommes-nous en guerre contre les groupes jihadistes ? Oui (la réponse n’étonnera pas ceux qui me font l’honneur de me lire ici). Oui, nous le sommes, et les combats que nos soldats mènent au Mali, en Libye ou en Syrie et en Irak devraient éviter qu’on pose la question.

Cette guerre se déroule-t-elle sur le territoire national ? Non. Le dernier attentat de masse a été commis le 14 juillet 2016 – il y a plus d’un an – à Nice, et depuis les seuls attentats commis dans notre pays (réussis ou ratés, peu importe) ont été le fait d’individus ayant agi seuls ou de petites cellules inexpérimentées aux piètres performances opérationnelles. Au cours de la même période, les services de sécurité et de renseignement ont déjoué plusieurs projets terroristes ambitieux ayant confirmé que le niveau de la menace restait extrêmement élevé. Je rappelle d’ailleurs que Paris, Bordeaux ou Lille n’ont pas connu, de mémoire, de combats de rue ces dernières années. Toutes les guerres ne consistent pas en de folles chevauchées blindées, et la France ne découvre pas aujourd’hui qu’on peut être en guerre loin de son sol tout en étant véritablement en guerre. Les exemples sont innombrables.

Je ne vais pas revenir sur de longs billets écrits il y a déjà longtemps (ici et , notamment), mais je peux au moins rappeler que la menace jihadiste actuelle est d’une complexité qui défie à la fois nos outils de détection et nos modes de riposte. Pour tenter d’apporter une réponse à une question qui leur était posée avec insistance depuis des années mais à laquelle elles n’avaient jusque-là pas accordé la moindre attention, les autorités ont décidé en 2015 de renforcer le dispositif Vigipirate par l’opération Sentinelle, c’est-à-dire le déploiement de milliers de soldats dans nos rues pour 1/ renforcer les effectifs des forces de l’ordre 2/ disposer d’une capacité de riposte militarisée face aux nouveaux (en fait, pas nouveaux, mais puisque personne n’écoutait, hein…) modes opératoires des terroristes.

Cette décision, comme celle instaurant initialement l’état d’urgence, se justifiait sans difficulté en 2015, mais le bilan, plus de deux ans après, est plus délicat à défendre. Les travaux scientifiques les plus sérieux, comme cette étude de l’IFRI, ont parfaitement mis en évidence les écueils et les impasses de Sentinelle : coûteuse, dévastatrice sur le plan des ressources humaines de nos armées, l’opération est exposée à quantité de petites agressions quotidiennes et, surtout, n’a jamais empêché le moindre attentat. On me répondra qu’elle a su répondre quand elle était attaquée, mais je rétorquerai alors que 1/ c’est bien la moindre des choses, s’agissant de soldats aguerris et 2/ que je ne saisis pas nettement l’intérêt de déployer dans nos rues des unités afin de les exposer à une menace dont elles se sortent à chaque fois plus ou moins indemnes.

En 2015, on nous a expliqué que Sentinelle venait renforcer les policiers et les gendarmes (et on se redemande pourquoi la haute hiérarchie policière semblait découvrir le jihad) et que sa force allait dissuader les jihadistes. L’argumentaire était, d’entrée, du plus parfait ridicule, d’abord parce qu’il émanait de responsables qui ne comprenaient rien au sujet depuis des années et avaient multiplié les refus de s’y intéresser, ensuite parce que pour être dissuasif un dispositif militaire doit apporter une protection globale et garantir une réponse terrible. Face à des jihadistes, désireux de mourir et dont le simple fait de passer à l’acte est déjà un succès, que penser d’une telle posture ? Rien de positif.

L’opération Sentinelle a donc souffert, dès le début, d’un lourd défaut de conception et d’un manque criant de moyens : pour être dissuasive, il aurait fallu que des centaines de milliers de soldats soient déployés PARTOUT, ce qui est évidemment parfaitement impossible et, partant, complètement idiot. Depuis son entrée en vigueur, Sentinelle n’a pas empêché le moindre attentat et n’a réagi qu’aux attaques qui la visaient directement. D’ailleurs, et comme l’écrivait Michel Goya, Vigipirate n’a pas plus dissuadé ou empêché d’attentat depuis 1995. La question ici n’est pas celle de la qualité des soldats engagés mais celle de la pertinence du plan d’action qu’on leur demande de mettre en œuvre.

La menace ne faiblissant pas, et, de surcroît, évoluant, les autorités (dont la cohérence n’est pas le souci premier) ont commencé à nous expliquer que les soldats de Sentinelle étaient en réalité des paratonnerres qui attiraient sur eux tous les jihadistes de notre beau pays pour les défoncer. Afin de justifier le nombre d’attaques jihadistes de plus en plus important réalisées contre nos soldats (cf. ici), on a avancé que les femmes et les hommes de l’opération détournaient sur eux des terroristes qui, sinon, auraient tué des civils.

L’argument, qui fait appel aux tripes, a porté chez certains. Ce matin, une lectrice énervée m’a ainsi apostrophé en me demandant si je préférais que des cibles civiles soient frappées. Hein ? HEIN ? La question, dont j’ai admiré en connaisseur la mauvaise foi, est très révélatrice : les terroristes ont gagné, aidés en cela par nos dirigeants, et certains de nos concitoyens trouvent parfaitement normal que plusieurs milliers de soldats soient en permanence dans nos rues. Ils trouvent donc parfaitement normal que plus de deux ans après l’offensive jihadiste nos policiers ne soient toujours pas assez nombreux ni assez efficaces pour reprendre leur poste sur le front intérieur. Bravo à tous, et merci.

La théorie du paratonnerre, qui transforme des combattants en « para colo/artilleur/légionnaire/transmetteur/etc. de M. Seguin », est amusante car elle ne repose sur aucun argument solide. Depuis deux ans, tous les attentats déjoués visaient-ils les militaires ? Non. Et s’il est exact de constater que depuis janvier, toutes les attaques accomplies visaient les forces de l’ordre, certaines visaient des policiers et des gendarmes. Confondre militaires et représentants de la loi est quand même problématique, surtout dans un pays qui se veut une démocratie et un Etat de droit. La lectrice de ce matin n’a pas compris l’argument, peut-être par peur, et la confusion ne la trouble manifestement pas.

Le commandant Ramius, ce matin, réagissait à cette logique avec une exaspération bien naturelle :

Nous vaincrons parce que nous sommes les plus forts.

On ne saurait mieux dire.

Une question mérite également d’être posée : les soldats de Sentinelle, indéniablement visés, sont-ils des paratonnerres ou des éléments précipitant le passage à l’acte ? Hier, par exemple, le terroriste qui a frappé à Levallois-Perret avait-il envisagé d’autres attaques contre d’autres cibles ou n’était-il motivé que par un attentat contre des militaires ? L’enquête le dira peut-être, mais il n’est pas exclu que les soldats, désormais associés aux policiers et aux gendarmes, aient contribué à donner de nouvelles cibles aux terroristes. La dissuasion a raté et le paratonnerre est en surchauffe. Le fait est que vouloir attirer l’ennemi dans un piège pour le défaire en raison de notre supposée supériorité ne réussit pas toujours, et je conseille à ce sujet la visite de Dien Bien Phu.

Dans notre pays, où on dénombre des centaines sinon des milliers d’individus susceptibles de passer à l’action, et où le nombre de cibles est sans limite, quelle est la logique d’une telle opération ? Il est possible qu’il n’y en ait pas, ou alors qu’elle soit d’abord politique. Paniquées, ou pour le moins très inquiètes, les autorités refusent de prendre le risque de démonter un dispositif et de se le voir reprocher au lendemain d’une attaque. Le raisonnement qui prévaut alors – voisin, comme le rappelait Jean-Charles Brisard, de celui qui transforme l’état d’urgence en routine – est le symptôme d’une perte d’initiative politique, de l’intégration de la peur et d’une forme de soumission aux événements. La rentrée va être distrayante.

« Purple light in the canyons/That’s where I long to be/With my three good companions/Just my rifle, pony and me » (« My Rifle, My Pony and Me », Dean Martin and Ricky Nelson)

Je ne devrais sans doute pas écrire ces lignes, et me contenter de mépriser comme il se doit les auteurs de la micro crise qui m’a frappé hier. Je ne devrais pas les écrire par refus de la polémique imbécile, je ne devrais pas par dignité (celle qui manque tant à d’autres), je ne devrais pas parce que je suis en vacances, je ne devrais pas parce que ça n’a, en réalité, aucune importance. Mais ça me démange, car le harcèlement et la médiocrité érigée en norme ne devraient pas être ainsi encouragés. Heureusement, les centaines de messages de soutien reçus ces dernières heures m’ont prouvé que les cloportes n’étaient pas si nombreux, et surtout qu’injurier était tout ce qu’ils pouvaient opposer à celles et ceux qui travaillent.

Hier, donc, pendant 12 heures, mon compte Twitter a été en partie désactivé : plus possible d’écrire des tweets, d’en relayer ou d’en aimer. Et, deux heures avant la fin de ce purgatoire, malgré les assurances de la page d’aide, il ne m’était même plus possible de consulter ma time line ou de répondre aux messages privés. Avouons qu’à la campagne, au soleil et avec des amis il a été aisé de supporter cette injustice. N’empêche.

Vous avez conjugué un verbe, c’est mal.

Cette mesure a été présentée comme une décision disciplinaire prise à la suite d’une « violation des règles » de ce réseau social. Il s’est, en réalité, rapidement avéré que la sanction reposait sur le signalement d’un tweet de décembre 2015, parfaitement anodin, mais qui avait le tort de moquer, courtoisement, le Miguelito Loveless du journalisme, la vache sacrée de Twitter, une réjouissante escroquerie dont les seules réalisations concrètes sont ses procès perdus.

Qui aurait cru que Twitter aimait autant les arbres ?

La mesure a été publiquement assumée par le dit Loveless, confit de longue date dans la haine, la paranoïa, la médiocrité et la frustration d’une carrière dont les sommets furent atteints, il y a longtemps, dans les geôles fétides d’une république bananière. Naturellement, notre héros, dont les faits d’armes relèvent de l’autofiction, et actuellement dans le viseur pour sa complicité objective avec l’Etat islamique, a été soutenue par sa fidèle petite bande de trolls, fausses brutes et vrais analphabètes, mythomanes pro-Bachar, patriotes de pacotille recopiant sans la comprendre la propagande de puissances étrangères, et autres queues de promo au bilan professionnel inversement proportionnel à leur attitude de matamores. Tartarin de Tarascon reprend Raqqa.

Disposant d’un compte certifié, Miguelito Loveless n’est pas seulement l’illustration quotidienne des limites de notre système de santé face aux pathologies mentales lourdes. Le malheureux, dont la vie intellectuelle n’est faite que de plagiats maladroits et de propos ridiculement diffamants, est d’abord la preuve plus ou moins vivante que Twitter est devenu un égout à ciel ouvert, l’équivalent inconscient – du moins l’espère-t-on – du Völkischer Beobachter. Là, au milieu de la fange et des immondices tentent de travailler chercheurs, journalistes, observateurs et autres citoyens curieux du monde. Il leur faut un courage réel et une endurance croissante pour supporter les torrents de bile déversés avec constance par une horde de petits esprits étrangement tolérés, sinon encouragés, par les responsables de Twitter, dont l’incompétence le dispute ici à la lâcheté et dont on se demande s’il ne s’agit pas simplement d’une froide complicité. Le cloaca maxima n’était pas le nom d’un quotidien de Rome, faut-il le rappeler.

Aussi méchant que bête, à moins que ce ne soit l’inverse, le pauvre Loveless en est réduit à dénoncer des menaces aussi imaginaires que délirantes, à exhiber des armes en plastique et à brûler des passeports périmés afin de complaire à sa poignée d’admirateurs, à peine dignes de jouer les sangliers de Maléfice dans La Belle au bois dormant (1959). Dépourvu de la moindre conscience, incapable de concevoir ce qu’on appelle couramment dans nos contrées la décence, le malheureux vocifère, éructe ou accuse depuis la cuisine d’un mobile home d’occasion et offre au monde le spectacle navrant d’une vie gâchée.

La chose, un temps agaçante, était devenue distrayante, comme l’est le spectacle de l’ivrogne du village, à la chemise souillée de bave, régulièrement conduit par les Gendarmes de la brigade voisine jusque dans la cellule de dégrisement encore moite de la nuit passée. L’ivrogne crasseux inspire, désormais, la pitié et ne doit pas détourner de l’essentiel. Les attaques basses ne salissent que ceux qui les portent, les propos diffamants ne blessent que ceux qui les prononcent. Seul le travail reste, tandis que la justice, déjà saisie, ne demande qu’à agir.

Merci infiniment, les amis, pour la mobilisation d’hier, les messages et les mentions. Quant aux autres, suintant la haine recuite et ne vous exprimant que par onomatopées, on vous plaint.

« I can’t read, haven’t learned how to write » (« Born Under A Bad Sign », Albert King)

Ça ne devrait pas arriver, et pourtant ça arrive. Et quand ça arrive, on peut bien invoquer toutes les raisons imaginables (« C’est le film, toute cette pression » ; ou « La terre a tremblé trois fois, il y a eu une invasion de sauterelles, on a volé ma voiture » ; ou « Y a ma grand-mère qui a glissé sur une bouse ! C’est le vrai merdier ! »), le fait est qu’à la fin vous avez quand même écrit une idiotie. Pire qu’une idiotie, en réalité : un truc faux.

La vérité m’est cruellement apparue, hier après-midi, alors que je suivais la conférence de presse du procureur Molins grâce aux tweets d’Aurélie Sarrot. L’attentat raté de lundi dernier sur les Champs, mystérieux et rétrospectivement très inquiétant, n’a ainsi, semble-t-il, pas grand-chose à voir avec ce que je décrivais doctement mercredi. A ce stade, si de nombreuses questions restent posées, il est en effet difficile de croire que nous ayons été confrontés à l’action d’un SVBIED. Sans doute s’agissait-il de la nature réelle du projet, mais ce n’est pas ce qui est arrivé lundi, et personne n’a l’air de vraiment comprendre, d’ailleurs, ce qui est vraiment arrivé. Par conséquent, tout mon développement au sujet de ce mode opératoire se trouve sans grande pertinence, et je prie humblement mes lecteurs de pardonner cette erreur.

Les détails donnés par le Procureur de Paris au sujet de la sidérante quantité d’armes et de munitions détenues par le jihadiste me confortent, en revanche, dans l’idée que quelque chose a largement raté dans le dispositif de la DGSI. Quant à savoir quoi, évidemment, il ne faudra pas compter sur le ministre pour nous le révéler. On dit que le nouveau tôlier de Levallois est un peu sanguin, et ce qu’il va trouver au bureau ne va peut-être pas lui plaire. Attendons.

Par ailleurs, le parcours du jihadiste détaillé par le procureur est pour le moins impressionnant. Ce terroriste, même fauché par le darwinisme du jihad, n’était pas le premier venu. Là encore, on est bien obligé de constater le fiasco et de s’interroger sur ses causes. Mais, comme disait le commissaire Bialès, laissons la police faire son travail et laissons nos autorités proposer des lois. Après tout, et comme nous le savons bien, il n’y a jamais de failles, seulement des morts.