« Les experts/Les Lilas » : Pierre Siramy.

« Un barbu, c’est un barbu. Trois barbus, c’est les barbouzes » disait Francis Lagneau, dit « Petit marquis », dit « Chérubin », dit « Talon rouge », dit « Falbala », dit « Belles manières », également connu sous le sobriquet de « Requiem », dit « Bazooka », dit « La praline », dit « Belle châtaigne ».

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Seulement voilà, le hic est qu’il ne suffit pas de porter la barbe pour devenir une barbouze. Il faut également une éthique. Et il ne semble pas indispensable de publier ses mémoires (« 25 ans dans les services secrets ») sous un pseudonyme si c’est pour apparaître en couverture avec une barbe qui ne cache rien. On sent tout de suite le professionnel du renseignement… A moins que cette barbe ne soit une dernière manifestation de coquetterie.

La « couverture » de Pierre Siramy, qui a déjà commis pour le compte de Bakchich quelques dispensables articles sur les services de renseignement français, n’aura duré qu’une poignée de jours. La mystérieuse disparition d’un article de Jean Guisnel sur le site du Point a réveillé, hier, la blogosphère, et chacun sait à présent que « Pierre Siramy » est le pseudonyme de Maurice Dufresse, un ancien cadre supérieur de la DGSE (http://www.infosdefense.com/tag/maurice-dufresse/).

Ceux qui l’ont connu ne partagent pas l’enthousiasme de Laurent Léger, le co-auteur du livre, et confient, sous le sceau du secret bien sûr, quelques souvenirs émus de celui qui porta, à la fin de sa carrière, un surnom que ma parfaite éducation m’empêche de reproduire ici.

Je ne veux pas entrer dans la vaine et douloureuse analyse d’un ouvrage qui, manifestement, propose une relecture plus que favorable de la carrière de notre ami. Inutile de rappeler ici les péripéties de la chasse au Grand Maître du Complot ménée par les croisés de la contre-subversion. Inutile non plus de relater les interminables réunions consacrées à la luttre contre le financement du terrorisme, la nuit n’y suffirait pas.

Il ne paraît pas si étonnant de constater, une fois de plus, que ceux qui ont vécu des décennies à l’ombre de la DGSE – et non, on ne dit pas « la piscine », M. Léger – éprouvent le besoin viscéral de parler, d’en parler. On peut en revanche s’offusquer de la façon parfaitement irresponsable dont certaines procédures opérationnelles sont dévoilées ici. La nostalgie, ok. Le sabotage, non. Il aurait peut-être mieux valu que M. Siramy/Dufresse écrive, comme son épouse, des livres de cuisine. La justice sera peut-être saisie, l’avenir le dira.

Apostille : la lecture, à l’instant, d’une interview de notre maître espion incompris (cf. http://www.liberation.fr/societe/0101626088-l-agent-s-en-balance) me conforte dans mes commentaires…

« Les experts/Levallois » : Philippe Migaux

Les professionnels du renseignement sortent rarement de leur silence, et quand ils le font, il faut parfois le regretter. On a ainsi beaucoup vu et entendu cet ancien directeur-adjoint de la DST tenir, en 2007 et 2008, des propos lénifiants sans doute dictés par les services algériens au sujet d’Al Qaïda au Maghreb Islamique (AQMI)… Etre et avoir été.

Mais tous les policiers ne sont pas comme ce sous-directeur, et il faut ici rendre hommage à la démarche du commissaire Philippe Migaux, pointure du contre-terrorisme à la française, membre de la DCRI et acessoirement enseignant à Sciences-Po. Dans un livre publié en novembre 2009, ce grand professionnel présente sa vision de la mouvance islamiste radicale.

Très documenté, cet ouvrage constitue un ouvrage de référence qui complètera à merveille « L’histoire du terrorisme » écrite par l’auteur avec Gérard Chaliand. On pourra évidemment regretter le ton parfois un professoral de l’ensemble, mais je soupçonne Philippe Migaux d’avoir utilisé ses cours pour bâtir ce texte. Je lui demanderai.

Malgré tout le bien que je pense de ce livre, unique en son genre en français, qu’il me soit permis ici de formuler quelques remarques :

– je ne m’étends pas sur le titre, que je trouve maladroit et finalement assez peu accrocheur, mais je dois confesser ma surprise quand j’ai lu que l’auteur étudiait aussi bien ce que nous appelons le jihadisme – autrefois appelé islamisme radical sunnite – que l’idéologie révolutinnaire iranienne, chi’ite et par la même très différente. Le sujet est évidemment passionnant, mais il convient absolument de différencier le jihadisme, courant de pensée marginal, sans idéologue digne de nom et sans véritable centre de gravité, du chi’isme révolutionnaire iranien, structuré et au service d’un régime.

– je ne partage pas non plus le goût du commissaire Migaux pour les analyses trop fines et les précautions oratoires. Qualifier le jihadisme de salafisme combattant relève de l’excès de prudence et renvoie aux interminables disputes théologiques que connut l’Eglise à la fin du Moyen-Age.

– enfin, je ne peux m’empêcher de réagir à la préface de ce livre, rédigée par Gérard Chaliand. On ne présente plus M. Chaliand, et il faut noter ici qu’il entretient avec Philippe Migaux d’anciennes et amicales relations. Il est cependant permis de s’étonner tant cette préface jure avec le reste du livre, et tant elle en dit long sur les obsessions du maître. Celui-ci, tout à ses certitudes, n’hésite pas, une fois de plus me direz-vous, à relativiser la capacité de nuisance d’Al Qaïda. Cette manie – Raoul Volfoni aurait sans doute dit de Gérard Chaliand qu’il était la « proie des idées fixes » – conduit ce grand spécialiste à écrire que le bilan terroriste d’Al Qaïda est faible. A l’appui de cette bien péremptoire affirmation, M. Chaliand explique sans rire que le groupe n’a frappé qu’à de très rares reprises en Occident et qu’il n’a pu réellement se développer que dans des pays en guerre. Et de citer le Pakistan et l’Indonésie.

On est en droit de s’étonner tant cette certitude est contredite par les faits. Indonésie et Pakistan, des pays en guerre ? Que non -même si le Pakistan n’est plus loin de cet état). Al Qaïda, ses disciples et ses alliés y ont frappé à de nombreuses reprises depuis 2001, et si j’étais cruel je parlerais même de l’attentat de 1995 à Islamabad contre l’ambassade égyptienne.

Quant au faible bilan d’Al Qaïda depuis 2001… New-York, Washington, bien sûr, mais aussi Djerba (2002), Mombasa (2002), Casablanca (2002), Istanbul (2003), Riyad (2003 – 2005), Madrid (2004), Doha (2005), Londres (2005), Amman (2005), Charm el Cheikh (2005), Dahab (2006), Alger (2007), Bombay (2008), Djakarta (2009)…

On a vu bilan plus faible pour une mouvance traquée sans relâche à la surface du globe. Mais que les certitudes infondées de Gérard Chaliand ne vous empêchent pas de lire le livre de Philippe Migaux.

« L’enjeu afghan » : contribution utile au débat

Tranchant avec la médiocrité de la production actuelle sur le sujet, Olivier Hubac et Matthieu Anquez viennent de publier un ouvrage instructif sur le conflit afghan simplement intitulé « L’enjeu afghan. La défaite interdite ». Tout est dans le titre, même si on peut trouver que les auteurs tardent à entrer dans leur sujet.

Si on peut en effet regretter le style scolaire des premiers chapitres consacrés à la description de l’Afghanistan et à la présentation du conflit, il faut en revanche saluer la clarté des pages traitant de stratégie. 

Qu’il s’agisse de décrire les méthodes et choix de l’insurrection ou de la Coalition, les auteurs livrent des clés pour comprendre le déroulement du conlfit en cours. Les paragraphes dédiés à la présentation des grands théoriciens de la contre-guérilla, dont j’ai déjà parlé sur ce blog, sont remarquables de synthèse et permettent au lecteur le moins initié de saisir les enjeux.

On pourra évidemment regretter quelques approximations douteuses sur Al Qaïda et certains attentats. Nos auteurs ne semblent ainsi pas avoir lu dans la pesse le résumé de la célébrissime théorie des 3 cercles de la DGSE, mais ces quelques erreurs n’enlèvent rien à la qualité de l’ensemble. Certains points, encore flous dans l’esprit du public, sont ainsi parfaitement expliqués, en particulier la coexistence de deux opérations militaires internationales en Afghanistan.

Un livre précieux, porté par de jeunes auteurs qui ont su écouter leurs anciens, à commencer par Gérard Chaliand et le général Desportes.

A lire.

Au coeur du djihad

Je vais être franc, il me semble que nous écrivons tous beaucoup trop sur le jihadisme, ce phénomène encore jeune sur lequel nous ne disposons que de peu de sources. Ma démarche d’historien pourrait me conduire à faire mienne cette maxime d’un de mes professeurs de la Sorbonne qui affirmait en cours qu’on « ne fait de l’Histoire que quand les témoins sont morts »…

Evidemment, cette approche est plutôt radicale, et elle a été combattue par toute une génération de brillants universitaires. Ceux qui écrivent sur le jihadisme, comme ceux qui écrivaient sur le KGB il y a 30 ans ou qui tentent encore, comme les journalistes du Monde, de comprendre les mécanismes du génocide rwandais, s’exposent donc à des erreurs, à des approximations, à des désavoeux. L’absence d’archives et de sources fiables handicape les chercheurs, et chaque témoignage doit donc être accueilli comme une bénédiction divine.

C’est sans doute ainsi qu’il faut considérer le récit d’Omar Nasiri, « Au coeur du djihad », publié en France en 2006. Dans cet ouvrage, un homme prétendant avoir été un « espion infiltré dans les filières d’Al Qaïda » y relate sa vie dans les réseaux du GIA en Europe, son départ en Afghanistan dans les camps d’entraînement jihadistes puis son retour à Londres.

Disons le tout de suite, un tel récit est unique et constitue une mine d’or. Bien sûr, l’auteur s’y présente sous un jour avantageux, mais sa description des réseaux islamistes maghrébins en Belgique ou au Royaume-Uni et sa vision des camps afghans ou pakistanais est remarquable. On pourra simplement remarquer qu’en France un espion est un fonctionnaire rémunéré, et qu’une source humaine est qualifiée dans les rapports d’agent (cf. à ce titre « L’agent secret » de Joseph Conrad).

Evidemment, plusieurs observateurs ont profité de la publication de ce livre pour livrer leur propre vision de la mouvance jihadiste. En Algérie, un certain Adel Taos, journaliste au quotidien Liberté, s’est laissé aller aux pires penchants de certains plumitifs et a affirmé, à la lecture d' »Au coeur du djihad », que la DGSE « aurait couvert un trafic d’armes et d’explosifs au profit du GIA ». Ce raccourci a permis à notre journaliste d’impliquer la France dans la tragédie algérienne, voire de la considérer comme la complice des terroristes. M. Taos n’avait sans doute du renseignement qu’une connaissance lointaine, et il ne pouvait envisager qu’un service qui avait infiltré un groupe terroriste n’en était pas nécessairement le commanditaire. Il oubliait par ailleurs de préciser que les maigres cargaisons d’armes dont parle Nasiri n’avaient pas pesé lourd dans la guerre civile, surtout comparées aux stocks dont les terroristes s’étaient emparés facilement en Algérie dès 1992. Enfin, affirmer sans rire en 2006 que la France n’a pas aidé l’Algérie contre les terroristes islamistes relève de la plus pure mauvaise foi. Les services du Ministère français de l’Intérieur n’ont pas cessé de soutenir leurs homologues algériens, et la France a même livré, discrètement du matériel « à double usage » à l’Armée Nationale Populaire. Mais à quoi bon ?

Il faut par ailleurs saluer ici la performance de Claude Moniquet qui, en novembre 2006, osait écrire un article sobrement intitulé « Omar Nasiri, ou les dessous d’une manipulation antifrançaise » et dans lequel on pouvait lire « Nous sommes en mesure d’être catégoriques, [Nasiri] n’a jamais été un agent français ». (J’ai choisi ici de conserver le pseudonyme de Nasiri plutôt que sa véritable identité, que M. Moniquet livre aux quatre vents, le pauvre garçon a déjà assez d’ennuis)

Pas de chance, M. Moniquet, Omar Nasiri a bien été un agent français, et il a fait à peu près tout ce qu’il raconte. En l’espèce, Claude Moniquet s’est montré aussi imprudent qu’un lieutenant-colonel de la DAS (Délégations aux Affaires Stratégiques) qui avait affirmé doctement que jamais les services français n’auraient recruté un délinquant…

Mais loin de ces polémiques, il faut lire « Au coeur du djihad », puiser dans ses pages des détails fascinants sur le Londonistan, les camps afghans, les filières de volontaires, les méthodes des services.

A lire.

30 secondes sur Kaboul

Quelques mots pour vous signaler la parution du 17e hors-série de la revue WingMasters, consacré cette fois à la guerre aérienne menée depuis octobre 2001 en Afghanistan contre les Taliban et Al Qaïda.

Aux côtés des habituels montages de maquettes d’avions et d’hélicoptères, on trouve plusieurs articles clairs et concis qui constituent une bonne initiation à ce conflit.

A lire donc, avant de se plonger dans la presse anglo-saxone et de fréquenter les sites Internet spécialisés.

New model jihad

Essayons de prendre de la hauteur.

Echec opérationnel, l’attentat raté du 25 décembre contre le vol 253 de Northwest Airlines a d’abord été perçu par les observateurs comme la preuve de la volonté intacte des réseaux jihadistes de frapper. L’efficacité des systèmes de sécurité et l’activisme des services en Europe comme au Moyen-Orient et en Asie du Sud n’auraient donc pas désarmé les terroristes ? Quelle surprise !

Cette opération, qui n’a échoué qu’en raison d’un problème technique et non d’une quelconque intervention extérieure, a vu un homme seul, porteur d’explosifs conditionnés de façon inédite, déjouer les contrôles d’un grand aéroport occidental et parvenir à bord d’un vol transatlantique le jour de Noël.

Le rappel est sévère pour les services de sécurité comme pour les opérateurs privés, alors que les mesures de surveillance et de protection avaient été considérablement renforcées depuis le 11 septembre 2001, jusqu’à inquiéter les défenseurs des droits de l’Homme – qui sont certes facilement émus. Ainsi, au choc initial provoqué par cette opération s’ajoute désormais la mise en place de nouvelles mesures techniques (scanners corporels, « contrôles au faciès ») et diplomatiques (création de listes de « pays à risques », un fascinant concept que l’Empire parvient à défendre mais que nos ambassadeurs vendent avec le talent d’un commissaire soviétique à la Production).

Ces mesures, déjà porteuses de nombreuses difficultés, confirment la victoire des terroristes, qui poussent les Etats démocratiques à toujours plus d’exceptions au nom de la sécurité, alors que leur efficacité, déjà discutable, ne fait que décroître avec le temps. Perçue comme un aveu d’impuissance par plusieurs observateurs, la revendication de l’opération par Al Qaïda dans la Péninsule Arabique (AQPA), puis par Al Qaïda elle-même, a illustré la satisfaction du groupe yéménite et de ses inspirateurs. Il est en effet le premier groupe jihadiste régional à frapper loin de ses bases. Plus encore, dans son communiqué de revendication de l’attentat sur le vol Amsterdam/Détroit, AQPA célèbre une « seconde » victoire opérationnelle sur les services occidentaux par la mise à jour des failles sécuritaires, la première étant l’attentat manqué contre le vice ministre de l’Intérieur saoudien, le prince Mohammad Bin Nayef, le 23 août 2009 à Djeddah.

Il convient cependant de noter que les opérations suicides de jihadistes contre des avions ont rarement réussi. A l’exception notable du 11 septembre, aucun projet terroriste contre de telles cibles n’est allé à son terme. En décembre 2001, Richard Reid, déjà, avait été maîtrisé par des passagers.

En août 2006, les terroristes afghans qui tentaient de détruire des appareils avec des explosifs liquides avaient été interpellés. La répétition des attentats de New-York reste de toute façon hors de portée, et le restera probablement tant que les terroristes tenteront de contourner les dispositifs de sécurité. La prochaine étape de leurs tentatives devrait donc voir les groupes jihadistes recruter des personnels des aéroports ou des compagnies aériennes. C’est en tout cas la prévision que font certains analystes des services de sécurité, mais entre les délires d’un certain aristocrate vendéen et les postures politiquement correctes de nos gouvernants, la voie est étroite.

L’évolution stratégique de doctrine d’Al Qaïda avait été vue dès les attentats de Bombay, en novembre 2008, et ne fait désormais plus de doute, malgré les articles de quelques uns. Emir de facto du mouvement terroriste depuis la disparition d’Oussama Ben Laden, Ayman Al Zawahiry, fidèle à son passé de jihadiste égyptien, a toujours clairement encouragé les initiatives régionales des alliés d’Al Qaïda. Pour lui, la conduite d’opérations localisées et la multiplication de jihads régionaux ne contredisent pas les ambitions globales d’Al Qaïda, mais contribuent, au contraire, à les compléter. Souvenons-nous, et je m’adresse ici aux vétérans du contre-terrorisme, ceux qui, il y a 15 ans, luttaient déjà contre les barbus quand d’autres rédigeaient de poussifs livres blancs, souvenons-nous, disais-je, de l’Armée Islamique de l’Ogaden, d’Al Ittihad Al Islami, de l’Armée Islamique d’Aden-Abyan, du KMM, de la Jemaah Islamiyah, du Lashkar-e-Tayyeba, d’Abou Sayyaf, et de dizaines d’autres. A cette époque, le jihad global porté par Al Qaïda supportait parfaitement l’existence de jihads locaux,

Sérieusement handicapée par la pression militaire américaine en Afghanistan et dans les zones tribales pakistanaises, l’organisation a donc choisi de revenir à sa posture des années ’90 en soutenant des organisations locales. Cette association du global et du local, baptisée « glocal » dans les services de renseignement, et que Jean-Luc Marret a contribué à populariser, trouve sa parfaite illustration en AQPA.

Mais AQPA est allée plus loin encore. Capable de frapper des cibles sensibles (« high value targets ») dans sa zone naturelle d’action, elle se révèle également capable de projeter des terroristes en Europe pour frapper des intérêts américains. La menace en Europe ne provient plus seulement de groupes déjà présents sur le continent (AQ) ou dans sa périphérie (AQMI), mais de groupes censés être actifs dans d’autres régions du monde. L’Union du Jihad Islamique (UJI), une organisation ouzbèke, a ainsi déjà tenté de fapper en Allemagne, mais ses tentatives ont été déjouées.

En multipliant les angles d’attaque, Al Qaïda apporte une réponse inquiétante aux multiples opérations des services occidentaux contre elle et ses alliés. Le récent attentat en Afghanistan d’un membre des services jordaniens contre un centre de la CIA illustre ainsi cette évolution majeure : la menace jihadiste gagne en complexité, et ses membres correspondent au modèle de l’insurgé innovant cher à Jean-Marc Balencie et Arnaud de la Grange.

Espérons que ceux qui nous défendent contre elle en ont conscience. Il est permis d’en douter.

Les grands espions du 20e siècle

Je quitte le terrorisme quelques instants pour vous conseiller la lecture du dernier ouvrage de Patrick Pesnot et de son mystérieux interlocuteur, Monsieur X, consacré au renseignement : « Les grands espions du 20e siècle. »

D’une plume toujours alerte, l’auteur et son complice abordent quelques personnalités marquantes de l’espionnage du siècle passé et apportent un éclairage précieux sur les dessous de plusieurs affaires fascinantes. Une bonne initiation au monde du renseignement, de la manipulation et du double jeu.

Opération Phantom Fury

Le 7 novembre 2004 débuta la seconde bataille de Fallouja. Connue sous les noms d’opération Phantom Fury et Al Fajr (http://en.wikipedia.org/wiki/Second_Battle_of_Fallujah), cet affrontement a opposé un ensemble de forces américaines et irakiennes à des insurgés soutenus par des jihadistes étrangers. La bataille, qui constitue une victoire de la Coalition, est également considérée dans la mouvance jihadiste comme un fait d’armes comparable à la bataille de Jaji en Afghanistan. Le colonel Dick Camp, ancien de l’USMC, en a livré sa vision dans « Operation Phantom Fury, the assault and capture of Fallujah, Iraq ».

Ce reportage de CNN donne quant à lui un aperçu de la bataille, dont on trouvera une présentation acceptable sur Wikipedia (Cf. http://en.wikipedia.org/wiki/Second_Battle_of_Fallujah) :

Aucune personne sensée ne s'étonnera donc en apprenant que cet affrontement a été une épouvantable boucherie, des soldats américains surarmés - et bien plus combatifs que ne pourrait le supposer le démographe omniscient Emmanuel Todd) contre des insurgés fanatisés. Par bien des aspects, ce combat a probablement ressemblé à aux scènes finales d'"Aliens", de James Cameron. Parmi les soldats de l'US Army se trouvait David Bellavia, un sergent qui a choisi de raconter dans toute sa crudité et sa violence cette bataille. Son récit, "Fallouja !", vient de paraître et sa lecture est très instructive.

On me pardonnera de préférer le titre original, « House to house », qui décrit bien l’âpreté d’une lutte que les officiels américains comparent à la (re)prise de Hué en 1968 et qui, par certains traits, rappelle Stalingrad. Bellavia, qui après avoir fait du théâtre, a rejoint l’US Army, n’est pas un enfant de choeur et sa description des combats est précise, sans fausse pudeur. Fait intéressant, Bellavia évoque franchement l’emploi de phosphore blanc par les troupes US, dans un environnement dépourvu de civils, et répond à sa manière à la polémique née du documentaire italien Fallujah: the hidden massacre. Ce film est d’ailleurs téléchargeable à l’adresse suivante :

http://www.democracynow.org/2005/11/8/u_s_broadcast_exclusive_fallujah_the

Pour ceux qui pensent que la guerre est joyeuse, des témoignages brutaux et indispensables - ne serait-ce que pour la découverte du concept, fascinant, de Bâtiment Explosif Improvisé...

« Les experts/Deuil La Barre » : Jean Bévalet

« Les vers me sortent de partout », disait Léopold Lajeunesse dans la pièce de Marcel Aymé, « Uranus ». Il en va de même pour les experts en terrorisme, qui apparaissent régulièrement comme les champignons après la pluie.

Le dernier en date est un certain Jean Bévalet, ancien parachutiste, auteur du très dispensable « Terrorisme : gagner la 3e guerre mondiale. » On n’est pas plus modeste.

Fondateur du C.E.S.A.R.R, qui n’est pas l’équivalent français du SMERSH mais le centre d’Etudes Stratégiques, Analyses et Recherches sur les risques majeurs (Cf.  http://www.cesarr.com/topic/index.html), Jean Bévalet fait montre d’un courage qu’il faut saluer en affirmant pouvoir apporter une réponse simple à un défi qui occupe les services de sécurité du monde depuis plusieurs décennies.

Hélas, l’enthousiasme ne suffit pas, et la démonstration tourne court. Reprenant les vieilles rengaines d’un Gérard Chaliand sur les origines antiques du terrorisme et les raccourcis des éditorialistes de « Minute » et de « L’Humanité » sur l’Occident arroseur arrosé, l’auteur ne dépasse pas le stade du travail d’un étudiant de licence. Il commet surtout deux erreurs rédhibitoires :

– il affirme ainsi, sans rire, que le terrorisme est la principale menace du XXIe siècle. Il me semble pourtant que ce siècle encore jeune porte en lui des dangers bien plus grands, de la Chine à l’Iran en passant par la Corée du Nord, le Pakistan, le Soudan, la Palestine.

– il évoque une 3e guerre mondiale pour qualifier ce conflit larvé, mais il paraît ignorer que la plupart des stratèges estiment que cette 3e guerre mondiale a déjà eu lieu, sous les traits de la guerre froide. Norman Podhoretz ou James Woolsey, néoconservateurs enragés, ont quant à eux largement diffusé le concept de 4e guerre mondiale.

L’essai de Bévalet vient s’ajouter aux milliers d’ouvrages déjà parus, mais il n’est sans doute pas le plus urgent à lire…

XIII : incompréhensible compilation

Les Français adorent les feuilletons, songez à Dumas, Balzac, Sue, etc. Mais cet amour des sagas, cette soif de rebondissements les conduisent parfois à porter au pinacle des œuvres surévaluées. C’est le cas de la série XIII, de Jean Van Hamme et William Vance (cf. http://www.treize.com/).

Comme vous peut-être, j’ai adoré les premiers albums et je dois avouer avoir passé une après-midi de révisions (en DEUG ? en licence ? je ne sais plus) à dévorer la première partie de la saga. Mais après Rouge total (1988), 5e épisode de la série, j’ai vraiment cru que la messe était dite. Pas du tout. La saga continue, elle a même atteint le tome 19, mais à quel prix ?

Sans doute grisés par le succès, peut-être attachés à leur personnage, tentés par la promesse de gains conséquents, les auteurs ont transformé ce qui n’était déjà qu’une compilation de faits historiques en un salmigondis indigeste où le meilleur des enquêteurs ne peut que se perdre.

Regardons les choses de plus près. Un homme est retrouvé inconscient en mer, porteur d’un mystérieux signe, ça ne vous rappelle rien ? Moi, ça me rappelle La mémoire dans la peau (The Bourne identity) de Robert Ludlum, publié en… 1980.

Ludlum, pour ce roman – le premier de la trilogie – s’était inspiré d’une superbe manœuvre d’intoxication du Reich conduite par les services britanniques sous le nom d’opération Mincemeat (cf. dans un français laborieux : http://fr.wikipedia.org/wiki/Op%C3%A9ration_Mincemeat).

 Les auteurs de XIII ne sont même pas remontés à cette opération et ont fait démarrer leur intrigue d’une façon assez semblable. Et ils y ont ajouté l’affaire Kennedy. Soyons honnête : ça marchait très bien pendant les 5 premiers albums, mais c’est après que ça se gâte. Les personnages sont caricaturaux (jusque dans leur physique) et on se perd dans les innombrables identités d’un homme qui, en toute logique, aurait dû devenir fou un paquet de fois après toutes les révélations sur son passé. Les soubresauts de l’enquête de Ross Tanner sont initialement intéressants, puis préoccupants, et deviennent finalement comiques tant ils enlèvent à chaque péripétie un semblant de crédibilité à l’histoire. Pour des auteurs désireux de recréer la réalité, l’échec est de taille.

Mais une bonne idée n’est jamais gâchée, et en 2002 Doug Liman adapte au cinéma The Bourne identity (avec Matt Damon, Chris Cooper et Brian Cox).

On est loin du téléfilm avec Richard Chamberlain… En 2004, le flambeau est repris par Paul Greengrass, un fin connaisseur de l’espionnage puisqu’il est le co-auteur, en 1988, du classique de la littérature consacrée au renseignement Spy Catcher, dans lequel Peter Wright y expose sa version de la guerre froide.

Paul Greengrass, qui a réalisé en 2002 le remarquable Bloody Sunday, donne au film d’espionnage une claque salutaire et renvoie James Bond à la préhistoire. Les producteurs de la franchise ne s’y tromperont d’ailleurs pas, et Casino Royale doit bien plus aux aventures de Jason Bourne qu’aux 40 années de gadgets idiots et de jolies filles pas moins idiotes de 007. Evidemment, à bien y regarder, entre The Bourne Supremacy et Live and let die, le choix est vite fait !

Greengrass conclut la trilogie en 2007 par le tonitruant The Bourne ultimatum. Il a, entre temps, réalisé Flight 93, un film étonnant sur les attentats du 11 septembre.

Gagnés à leur tour par le cinéma, les créateurs de XIII se sont risqués en 2008 à Hollywood, qui a produit une minisérie télévisée, XIII: The conspiracy, disponible en janvier 2010 en DVD en France. La simple bande-annonce vous permet de mesurer l’impact de Liman et de Greengrass sur l’univers décidément très influençable de XIII.

Mais nous n’allons pas nous quitter fâchés. Je vous laisse avec Extreme ways de Moby, le morceau fétiche de la trilogie Bourne.