« On a beau détester la hyène, il faut reconnaître qu’elle court vite. » (Massa Makan Diabaté)

Les catastrophes internationales ont le don d’attirer tous les marchands d’âneries, du conspirationniste au mythomane en passant par le stratège en chambre et l’extrémiste capable de trouver dans chaque fait la confirmation de son délire. C’est le cas des membres de l’association Union & défense des chrétiens d’Orient, un rassemblement d’esprits ouverts et courageux avides de justice et de paix entre les peuples, qui profitent des massacres de chrétiens par les jihadistes égyptiens et irakiens pour se lancer dans une étonnante explication du monde.

etsisaddamavaitraisonun.1294523328.jpg

Comme le révèle l’adresse visible sur l’affiche, il y a tout lieu de penser que les fondateurs de cette association sont les turbulents garnements de l’ex-GUD, devenu l’ex-UDEA et que le passionnant blog Droite(s) extrême(s) suit attentivement. Rappelons que ces charmants bambins, qui portent volontiers la mèche de chef de char SS mais ne négligent pas la coiffure de Chéri Bibi, sont d’autant plus influencés par la chose militaire qu’ils sont incapables d’entrer dans l’armée et ont tendance à pleurer chez le dentiste. Quant à leur courage physique, il dépend du rapport de force (10 contre 1 leur paraît acceptable pour tabasser un étudiant) et de la quantité de mauvais vin ingurgitée. Quand je fréquentais la très rigoriste université de droit de la rue d’Assas, la vision de jeunes néo-nazis vomissant tripes et boyaux dans la rue à cause du Beaujolais nouveau relativisait la portée de leur engagement pour une Europe fière de sa civilisation et intransigeante sur le comportement de ses membres et le respect de leur dignité.

Ainsi donc, Saddam Hussein, le démocrate bien connu que l’on voit ici affublé d’une croix celtique – symbole du White Power dont on se doute que le regretté M. Hussein n’était pas membre – aurait eu raison. Contre qui ? Contre quoi ? Mystère. Il faut lire le communiqué en ligne et les commentaires ici et pour découvrir la quintessence de la pensée de nos défenseurs des chrétiens d’Irak :

Le 31 octobre, un groupe affilié à la succursale de la CIA en Irak, entendez par là Al Quaïda, revendiquait l’attentat ayant coûté la vie à plus de 44 fidèles dont deux prêtres.

Inutile d’avoir fait de longues études pour retrouver dans cette introduction l’obsession anti américaine et conspirationniste de l’extrême-droite la moins évoluée. Je passe sur le « u » de Qaïda, preuve d’une ignorance manifeste, pour souligner, une fois de plus que la vision du monde de ces nazillons n’est guère éloignée des délires de Thierry Meyssan, le clown triste de la complotite. C’est plus bas que, ne craignant ni le ridicule ni le retour en arrière, le rédacteur du communiqué se livre à une fascinante imitation de Je suis partout ou de Signal :

A nos yeux, un seul coupable : l’impérialisme yankee lui-même à la botte des prédateurs cosmopolites de Wall Street et des zélotes de Tél Aviv. Après avoir ruiné le pays et provoqué le chaos, la « croisade » américaine n’aura finalement trouvé comme seul débouché que le renforcement du fondamentalisme sunnite, très utile pour justifier l’interventionnisme washingtonien. (Souligné par les auteurs du communiqué)

Comme pour fournir à Pierre-André Taguieff ou Antoine Vitkine la plus éclatante confirmation de leurs réflexions, nos « nationalistes français et européens » se roulent dans la fange de l’antisémitisme. Il faut bien être doué à quelque chose.

28116425.1294671786.jpg

Les commentaires laissés par les habitués des sites sur lesquels a été diffusé ce communiqué sont, eux aussi, d’une clarté presque aveuglante. On y parle « d’Empire judéo-US », de « finance apatride », de « colonisation arabo-afro-musulmane », de paganisme (ah, le charme des cérémonies vikings le jour du solstice d’été sur les rives de la Baltique) et même une citation de Hitler, présenté comme « un homme d’Etat du XXe siècle » :

Les universalistes, les idéalistes, les utopistes visent trop haut. En promettant un paradis inaccessible, ils trompent tout le monde. Quelle que soit leur étiquette, qu’ils prennent le nom de chrétiens, de communistes, d’humanitaires, qu’ils soient sincères et stupides ou tireurs de ficelles et cyniques, ce sont tous en fait des fabricants d’esclaves.

Citer Hitler, il faut quand même le faire, mais il faut garder en mémoire ce que disait Michel Audiard de ceux qui osent tout. Ce n’est pas en se livrant à un concours de néologismes idiots que nos révolutionnaires de pacotille feront avancer leur cause sacrée, et on ne peut que s’en féliciter. La palme revient quand même à un internaute qui, lui aussi, repousse les limites :

L’Islam, création d’un juif essenien pour lutter contre le christianisme révolutionnaire, joue pour les cosmopolites communautaires de Washington et Tel-Aviv, toujours son rôle en nos temps dits modernes : éradication de toute forme d’universalisme au profit du racisme communautariste et religieux. 

Et Saddam, alors, dont on se souvient qu’il avait le soutien de quelques souverainistes français de gauche comme de droite, comme Claude Cheysson, Jean-Pierre Chevènement ou notre nouveau secrétaire d’Etat chargé des Transports Thierry Mariani, que vient-il faire dans cette galère ? Il faut se souvenir que l’extrême droite française, toute à ses obsessions antiaméricaine et anti-israélienne, a toujours largement bénéficié des largesses de démocraties riantes comme l’Irak baassiste ou la République islamique d’Iran, et que certains « libres penseurs » de gauche ont su tisser avec ces Etats des relations étroites.

L’Irak de Saddam Hussein ne massacrait pas ses chrétiens, convenons-en. Et le dynamique maître de Bagdad comptait parmi ses plus proches collaborateurs le chrétien Tarek Aziz, ministre des Affaires étrangères, et même Vice-Premier ministre. Faut-il en conclure que le régime irakien faisait montre d’une grande ouverture d’esprit envers ses minorités ? Nous savons tous que non, et seul un mélange unique d’aveuglement idéologique et de bêtise crasse peut conduire à tirer de telles conclusions. Il y a fort à parier que si nos défenseurs des chrétiens d’Orient en croisaient un, un seul, un soir dans le métro, ils le passeraient à tabac pour le simple motif qu’il serait arabe…

« Gouverner ne consiste pas à aider les grenouilles à administrer leur mare. » (Michel Audiard)

Et voilà ce malheureux Julian Assange en prison, à la suite d’une assez peu convaincante plainte pour un délit sexuel qui aurait été commis en Suède. Tout le monde crie au complot, au harcèlement, au déni de démocratie, à l’injustice. Pour ma part, il me semble que ce brave garçon a beaucoup de chance de ne pas avoir eu un accident de voiture, car quand on joue avec l’Empire on doit s’attendre à une réponse à la hauteur de l’affront commis.

J’ai déjà dit tout le bien que je pensais de la démarche de notre Croisé des antipodes, mais d’autres réflexions me sont venues à la lecture des réactions de certains.

1/ Comme d’habitude, l’ignorance proprement ahurissante de la vie internationale le dispute à l’angélisme le plus idiot. Des milliers de distingués commentateurs, à peine filtrés ou modérés sur les sites de la presse francophone, se déchainent contre la supposée médiocrité des télégrammes diplomatiques américains. Ceux qui ont eu l’honneur d’écrire des TD pour le compte de leur pays les trouvent au contraire de très bonne qualité, bien renseignés, bien rédigés, pertinents et plutôt modérés. La palme de la bêtise revient, mais ça n’étonnera personne, aux « philosophes » invités la semaine dernière par le quotidien Libération à composer un numéro spécial du journal. Là, il faut bien dire que les bras m’en sont tombés quand j’ai découvert à quel degré de médiocrité et d’aveuglement certains de nos intellectuels – ou supposés tels – étaient tombés. Manifestes erreurs d’interprétation, flagrant parti pris, rien ne nous a été épargné par ces très lointains descendants de Socrate – et même le grand Umberto Eco, probablement atteint par la limite d’âge a livré une analyse d’une médiocrité sans nom. La confusion entre la diplomatie et le renseignement semble régner dans le cerveau de nos philosophes, sans doute le même type de confusion qui leur faisait confondre l’URSS avec une démocratie, les Khmers rouges avec un groupe de résistants modérés ou désormais le régime iranien avec l’incarnation de la bonne gouvernance.

Faut-il à nouveau rappeler que la divulgation massive de documents diplomatiques constitue, au-delà de l’infraction légale, une violation d’une loi sacrée de la vie internationale, qui est la respect de la confidentialité des échanges diplomatiques et celle des relations entre les diplomates et leurs hôtes dans le pays d’accueil. Il ne s’agit pas d’espionnage, il s’agit de diplomatie.

2/ La divulgation de ces dizaines de milliers de télégrammes s’est faite sans le moindre tri, et beaucoup de noms se trouvent dans la nature. Surtout, un certain nombre d’États se trouvent exposés par ces fuites, et les conséquences peuvent être graves. Mais qu’importe pour nos Savonarole de sous-préfecture puisque c’est l’Empire qui est visé. L’antiaméricanisme de certains confine désormais à la pathologie psychiatrique, et certains messages reçus, dans lesquels se mélangent allégrement le retour de la France dans l’OTAN, la guerre en Afghanistan et de douteuses comparaisons avec la défaite de mai 1940 en disent long sur l’incapacité de plusieurs de nos observateurs à aligner deux idées cohérentes.

A mes yeux, cette fuite massive n’illustre par tant la vulnérabilité des systèmes informatiques américains – que diraient les mêmes hystériques de la cyberdéfaillance s’ils voyaient les systèmes de nos administrations… – que l’incapacité d’un Etat, surtout démocratique, à se prémunir contre la trahison de pauvres d’esprit. Moquée par de pseudo-spécialistes, la très relative ouverture des réseaux informatiques de la diplomatie américaine avait été initialement conçue en réponse aux excès de cloisonnement qui avaient conduit aux attentats du 11 septembre.

3/ La presse écrite, qui a sagement abandonné les enquêtes difficiles au profit de la rédaction d’articles de commande et la copie de dépêches AFP, a trouvé en Julian Assange l’imbécile irresponsable rêvé. Il a pris tous les risques, il paie le prix fort, et ce ne sont pas les pétitions ou les attaques de hackers contre les sites américains qui vont le sortir de ce qui est bien plus qu’un mauvais pas. Et pendant que le malheureux garçon se prépare un réveil pénible, les journalistes, transformés en documentalistes, trient les milliers de télégrammes et tentent, pressés par la dictature de l’audience et du lectorat, d’en sortir quelques morceaux choisis. On est loin, très loin, des Pentagon Papers de Daniel Ellsberg et Anthony Russo…

1101710628_400.1291819731.jpg

4/ Il est par ailleurs permis de ricaner – et je ne m’en prive évidemment pas – quand on entend ceux qui hurlent contre les caméras de surveillance dans les parkings souterrains au nom du respect de la vie privée se réjouir de voir ainsi exposés les dessous de la vie internationale. Comme me le disait récemment un internaute, la démocratie n’est pas l’exigence de la transparence absolue, mais un mode de gouvernement qui permet au peuple de confier un mandat à quelques uns. Aux élus de gérer les affaires du pays, sans obligation aucune d’exposer en place publique les contacts avec tel ou tel acteur plus ou moins fréquentable. Quand le monde sera un jardin apaisé (merci de me prévenir), il sera possible de discuter des affaires de la cité en public. Pour l’heure, mais je peux me tromper, il ne me semble pas que ce soit le cas. Et dans les vraies démocraties, les groupes parlementaires sont tenus informés des options diplomatiques gouvernementales.

5/ Le dernier point que je veux aborder est à mes yeux le plus réjouissant. La divulgation de cette sidérante masse de documents commence à faire tousser ailleurs qu’à Washington. La révélation de la vie cachée des élites saoudiennes, que les habitués du royaume connaissent, les craintes réelles des pétromonarchies du Golfe face au danger nucléaire iranien, les angoisses chinoises à l’égard de l’encombrant et imprévisible allié nord-coréen, la corruption des régimes tunisien ou algérien, toutes ces observations des diplomates américains n’amusent plus nos amis les tyrans du Sud et leurs défenseurs, les tiers-mondistes de salon.

D’un coup, on découvre que les fonctionnaires du Département d’Etat observent avec finesse leurs pays d’accueil et les décrivent fidèlement à leurs chefs, arguments et exemples à l’appui. Et si ceux-ci sont bien obligés de composer avec le diable, ils ne sont pas dupes. Sale coup pour ceux qui pensaient que les Etats-Unis étaient un Empire du mal sans cervelle, obnubilé par la domination sans partage du monde.

Alors, selon un processus bien connu, on commence à parler de complots, de fuite organisée au profit d’Israël, etc. Evidemment, dans les dictatures du Sud, un tel phénomène paraît incompréhensible. La moindre fuite, et c’est la mort. Seulement voilà, ici, les types comme Assange, on ne les tue pas, on les inculpe, et d’ailleurs que risque-t-il vraiment ?

En ces temps de pénurie, la seule chose dont nous ne manquons pas reste la bêtise.

Angélisme ou sabotage ? Bêtise.

Ainsi donc Julian Assange, l’Australien blond platine, a encore frappé. Mais cette fois, pas de révélations sur les bavures des légions de l’Empire en Irak ou en Afghanistan, pas de secrets brûlants sur les contrats dont profitent certaines SMP. Non, rien de tout ça, simplement 250.000 télégrammes diplomatiques du Département d’Etat dévoilant le quotidien de la politique étrangère de l’Empire.

julian_assange_26c3.1291058460.jpg

Dans les capitales des grandes puissances, le soulagement le dispute à l’agacement. Rien de grave, juste le sentiment que ce qui était secret aurait dû le rester. Dans les « petits » pays – sans mépris aucun, l’angoisse paraît plus palpable : ces Etats, plus faibles, sont intrinsèquement moins capables de regarder avec mépris les révélations de WikiLeaks. Ailleurs, on méprise ou on ricane. Et la presse de se justifier, plus ou moins habilement, comme Le Monde qui sur son site expliquait sans convaincre que, puisque les documents étaient disponibles partout, autant les diffuser. Mouais. Mais Monsieur l’agent, j’ai en effet pris des bijoux dans la devanture du bijoutier, mais la vitrine avait été cassée par d’autres. La belle excuse, courageuse et noble.

Soyons clair : je crois en la liberté de la presse, je crois en l’importance des enquêtes indépendantes menées par les médias au sujet du financement de nos partis politiques, des passe-droits accordés par le pouvoir à certains, du népotisme généralisé, etc. J’admire Bob Woodward et Carl Bernstein, j’admire Seymour Hersh, Stephen Smith, Benoît Collombat. Je lis religieusement le Canard Enchaîné, dernière preuve que nous vivons encore en démocratie. Mais à la différence de Julian Assange, les journalistes que je viens de citer n’agissent pas dans le but de nuire. Ils rétablissent le vérité, ils débusquent les mensonges, ils défendent un système politique auquel ils croient, dans lequel ils vivent, et qu’ils protègent de ses errements.

Au contraire, Julian Assange offre une tribune à quelques fonctionnaires ou militaires désœuvrés et se contente de livrer au monde, sans le moindre tri, ou si peu, des dizaines de milliers de documents dont il ne comprend ni la portée ni la façon dont ils ont été conçus. Comprenons-nous bien, l’important ne réside pas ici dans les faits dévoilés, mais dans ce qu’ils nous apprennent de la façon de travailler des diplomates, d’abord américains, mais aussi de tous les pays. Comme de bien entendu, la plupart des internautes qui ont commenté ces documents n’y ont rien compris et ont eu beau jeu de moquer les textes écrits par les fonctionnaires du Département d’Etat. Qu’il est donc facile, pour un Monsieur-je-sais-tout caché derrière son ordinateur, de railler le travail de fourmi des diplomates. Mais là où un quidam affirme péremptoirement, sur la foi de ses misérables certitudes, que Silvio Berlusconi est un vieillard lifté et libidineux, un diplomate l’écrira parce qu’un responsable italien lui aura dit sous le sceau du secret. La différence entre le chroniqueur du dimanche et le professionnel est là.

Les diplomates sont précieux, leur travail est précieux. Alors que les leaders de notre monde peuvent désormais se parler et se voir à toute heure, rien n’a encore remplacé la démarche d’un diplomate vers un autre diplomate, pour confronter les points de vue, poser des questions, obtenir des réponses, jauger un gouvernement, évaluer une crise. En exposant les secrets de cuisine de la diplomatie américaine, Julian Assange outrepasse, et de loin, la mission de redresseur de torts qu’il semblait s’être attribuée. Il n’est désormais qu’un saboteur, un traître, un irresponsable, et ses motivations paraissent troubles. On ne trouve chez lui nulle trace de l’éthique d’un Woodward, nulle volonté d’un Hersh de sauver un système en dévoilant ses dérives. Il n’y a là qu’un voyeurisme imbécile et criminel, dont nous avions déjà eu un exemple au printemps lors de la publication de documents dont aucun nom n’avait été rayé.

Dans d’autres pays, à d’autres époques, on aurait retrouvé Julian Assange dans un fossé, ou on ne l’aurait pas retrouvé du tout. A cette heure, les Chinois, les Russes, les Zimbabwéens, les Nord-Coréens et les Taliban doivent bien rigoler. Chez eux, un tel événement n’aurait certes pas eu lieu. Peut-être faudra-t-il expliquer un jour à Julian Assange, s’il vit assez longtemps, que démocratie ne signifie pas transparence totale. Peut-être pourra-t-il entendre que seul un régime idéal peuplé d’individus parfaits dans un monde parfait pourrait se permettre de dévoiler son intimité. Mais dans notre monde, dans cette réalité que seuls les imbéciles et les idéologues psychorigides nient, même la démocratie la plus exigeante a sa part d’ombre. Pour garantir son approvisionnement en énergie, pour protéger ses intérêts vitaux, pour se prémunir de ses ennemis, pour défendre son peuple.

La transparence à tout prix n’est que le mélange le plus imbécile du voyeurisme et de l’inconséquence.

Où l’on reparle de notre fugitif

Ainsi donc, Oussama Ben Laden, comme jadis Rabbi Jacob, a parlé. Au menu de son communiqué, des menaces contre la France – évidemment la faute du Président si l’on en croit les distingués commentateurs qui se répandent sur les sites du Monde ou de Libération. Et sinon ? Une justification sans surprise de l’enlèvements au Niger des employés d’Areva et de Vinci, et la sempiternelle condamnation de notre présence en Afghanistan – voilà qui devrait satisfaire certains  avocats ou stratèges invités sur Radio Courtoisie – ou le rejet de la loi républicaine sur l’interdiction de la burqa.

Une fois de plus, la réaction des autorités françaises est à la hauteur des qualités qu’on lui connaît. Le Quai d’Orsay, par la voix du très déconsidéré Bernard Kouchner, a qualifié ces menaces d’inacceptables. C’était bien le moins, et il faudra sans doute trouver ailleurs notre Clemenceau ou notre Churchill. Engourdie par une crise sociale et politique qui ressemble fort à une crise de régime, la France en fait trop ou trop peu, mais démontre comme à son habitude son infinie maladresse. Qu’on en juge :

Jugées, à raison, inacceptables, les menaces du vieux de la montagne ont été suivies par une déclaration d’Hervé Morin annonçant un probable retrait de nos troupes d’Afghanistan en 2011. Alors ? Alors tout ça pour ça ? Un coup de menton (« inacceptables », on vous dit) et puis un retrait précipité dans les bagages de l’Empire. Inutiles, ces morts, ces pertes civiles, ces milliers de drames humains pour dire que le combat continue mais que nous allons quitter le champ de bataille ? Je n’ai pourtant lu nulle part que nous avions enfin une doctrine cohérente face à ces menaces, les ponctuelles comme les stratégiques. Entre les imprécation des antiaméricains pathologiques et les pathétiques affirmations des obligés du pouvoir, on cherche une voix qui oserait dire la vérité sur une guerre que l’on a perdue – une de plus, me direz-vous – et que pourtant il fallait faire.

Nous aurions pu tenter d’expliquer, enfin, à nos concitoyens ce que nos soldats font si loin et ce que nos policiers font ici. Au lieu de cela, Hervé Morin, sans doute plus à l’aise dans un haras qu’au CPCO, justifie le silence des autorités par une remarque insultante que nos médias, décidément fort urbains, ont caché sous silence. On imagine la réaction du Washington Post si Robert Gates avait dit ça sur CNN… On a la démocratie qu’on mérite.

Et le vieux dans sa montagne ? Personne ne s’étonne, personne ne s’interroge. Yves Calvi, qui n’a probablement plus assez de temps de cerveau disponible entre les 14 émissions qu’il anime sur RTL ou France 5, persiste à accueillir sur son plateau Roland Jacquard, l’homme qui fait rire toute la communauté du renseignement à chacune de ses apparitions. J’ajoute qu’il invite également Yves Bonnet, un ancien DST, qui a autant pratiqué la lutte contre le jihadisme que moi la lutte gréco-romaine, et Mohamed Sifaoui, un journaliste algérien qui s’est découvert il y a quelques années une vive passion pour la laïcité après avoir, pourtant, fréquenté de près les dirigeants du FIS.

Parlons donc d’Oussama Ben Laden, un chef terroriste que personne n’a vu depuis plusieurs années, un homme dont la mort a été annoncée par les services saoudiens en 2006, un homme qui a de toute évidence passé la main à son adjoint Ayman Al Zawahiry, le bon docteur, le théoricien de l’empilement des jihads locaux dans le jihad global. Alors ? Mort ou pas mort ? A dire vrai, les prestigieux experts qui se succèdent dans les médias ne semblent pas avoir le courage d’envisager l’inenvisageable, sans doute par peur de se tromper.

Pour ma part, certains faits me semblent toujours incompréhensibles. S’il est vivant, pourquoi Oussama Ben Laden ne paraît-il pas à l’occasion d’une vidéo qui ferait taire les rumeurs ? Quel affront pour l’Empire que de voir le visage de l’ennemi mondial n°1, souriant et apaisé comme aux heures heureuses de l’exil afghan, menacer du pire l’Occident et les régimes arabes !

osama-bin-laden-1998-thumb.1288600500.jpg

Après tout, Ayman Al Zawahiry ne se prive pas de diffuser des vidéos qui ne laissent aucun doute sur sa santé, et il n’a pas encore reçu les hellfire que distribuent pourtant généreusement les drones de l’US Air Force dans le ciel du Waziristân. On imagine l’effet qu’une brève apparition du chef d’Al Qaïda aurait sur les jihadistes du monde. Mais non, rien, simplement des enregistrements sonores.

Est-il malade ? Défiguré ? Souffre-t-il de la maladie de Parkinson au point de ne pouvoir tenir sa tête droite ? De la maladie d’Alzheimer ? (« Mais pourquoi n’ai-je pas le droit d’aller voir les New York Knicks ? »). Son apparition aurait évidemment des conséquences au Pakistan, dont le double-jeu est déjà manifeste. S’il devait être démontré qu’OBL coule des jours paisibles dans une résidence de l’ISI à Lahore ou dans la modeste demeure d’un chef tribal de la NWFP, les autorités d’Islamabad vivraient probablement quelques moments de solitude. Oussama Ben Laden est-il un mort-vivant ? A-t-il mangé de la sauce Worcestershire par inadvertance ?

zombieland3.1288601217.jpg

Partons donc du principe qu’il est mort, mais que ce secret doit être gardé, et bien gardé. Personne, en effet, n’a vraiment intérêt à exhiber sa tête comme celle de Jean-Baptiste ou d’Alfredo Garcia. Mort, il deviendrait un martyr dont la fin serait imputée à l’Occident barbare et elle provoquerait quelques actions d’éclat de jihadistes terrassés par le chagrin. Mais sa mort délierait aussi bien des serments d’allégeance que de grands émirs ont prêté à l’homme, et non à son organisation. Dès lors, Zawahiry se trouverait bien seul pour tenir une boutique qui tire sa force de sa diversité unifiée par la vision d’un chef charismatique. OBL officiellement mort, qui empêchera le chef d’AQPA de se proclamer successeur ? Inutile d’ajouter de la complexité à un phénomène qui semble à la fois incontrôlable et surtout parti pour durer encore quelques décennies. D’ailleurs, et nous, pauvres impérialistes mus par la haine de l’islam et le désir pathologique de faire passer un pipe-line en Afghanistan, comment pourrions-nous justifier nos actions sans la présence à la tête d’Al Qaïda d’Oussama Ben Laden, même empaillé ?

michael-jackson-thriller.1288600450.jpg

Cause this is jihad, jihad night
And no one’s gonna save you from the beast about strike
You know it’s jihad, jihad night
You’re fighting for your life inside a killer, thriller tonight…

« Les experts/Beyrouth » : Roland Jacquard

Il se produit, après un attentat ou un enlèvement imputé à Al Qaïda, un phénomène fascinant que les initiés appellent « la multiplication des nains ». Il s’agit, pour faire simple, d’une apparition soudaine d’experts en terrorisme que les médias, qui se passent et se repassent la même liste d’intervenants depuis des lustres, invitent sur leurs plateaux afin de leur faire commenter l’actualité.

Le plus réjouissant spécimen de cette engeance n’est autre que Roland Jacquard, l’homme au teint de surfeur et aux costumes de souteneur levantin, spécialiste national du scoop moisi.

Un des premiers souvenirs que je garde de M. Jacquard est une carte des maquis islamistes en Algérie, publiée par France Soir, le fameux quotidien français de référence, et qu’un de mes analystes fut obligé de commenter en décembre 1996, peu de temps après l’attentat de Port-Royal (3 décembre, à Paris). Notre hiérarchie, toujours à la pointe du combat, n’avait rien de trouvé de mieux que de demander à ceux qui enquêtaient sur cet attentat, attribué au Groupe Islamique Armé (GIA), que de passer une matinée à étudier une carte minable, truffée d’erreurs grossières et manifestement conçue par un amateur n’ayant qu’une vague idée de ce que pouvait être la terreur islamiste en Algérie.

Je ne me suis jamais vraiment expliqué la réputation flatteuse dont M. Jacquard jouit encore au sein de nos cercles dirigeants, malgré les « coups de 12 » qui lui sont régulièrement infligés par les services de sécurité et de renseignement de la République, et malgré les gaffes qu’il commet avec l’aplomb des grands professionnels. Il se murmure qu’il entrediendrait des relations étroites avec quelques hauts fonctionnaires, cotoyés au sein d’associations à but non lucratif. Passons.

Président de l’Observatoire International du Terrorisme, un organisme tellement secret qu’il ne dispose même pas d’adresse sur le web, auteur d’un coup de génie éditorial en publiant en septembre 2001 Au nom d’Oussama Ben Laden, une compilation maladroite de données sur AQ, expert auprès des « pays du Conseil de Sécurité de l’ONU et du Conseil de l’Europe », Roland Jacquard n’a pourtant jamais été aperçu dans les parages de ces organismes, de mémoire de diplomates en tout cas. Il n’est en revanche jamais loin d’une caméra ou d’un micro, et je me souviens de sa lumineuse présence, en novembre 2005, au Centre de Conférence International de l’avenue Kléber, lors de la restitution du Livre blanc du gouvernement sur la sécurité intérieure face au terrorisme (cf. http://www.ladocumentationfrancaise.fr/rapports-publics/064000275/index.shtml). Il paradait dans les couloirs du vénérable batiment devant la presse nationale pendant que Gilles Képel s’adressait à l’assistance sous le regard des chefs de services français. Chacun son métier, n’est-ce-pas ?

En octobre 2001, Le Figaro Magazine, autre journal aux qualités appréciées des ménagères de la bourgeoisie de province, entreprit de faire l’éducation des foules sur Al Qaïda en publiant, tous les samedis, les fortes pensées de Roland Jacquard et de son fidèle acolyte, Atmane Tazaghart – l’homme avec lequel il affirma en juillet 2007 que la Mosquée rouge d’Islamabad était le coeur d’Al Qaïda… En 2001, donc, Roland Jacquard et son ami décrivirent avec force détails dans le FigMag les moyens de communication des jihadistes stationnés en Afganistan, et pour frapper les esprits, ils balancèrent un numéro de valise Inmarsat en affirmant que l’état-major d’AQ pouvait y être joint.

Pas de chance, car ce matin-là je prolongeais au bureau ma semaine de contre-terroriste dans le calme précaire d’un début de week-end, et je n’eus donc qu’à vérifier dans les bases de données de la République si le numéro livré par Jacquard était connu de nos services. Il l’était, en effet, puisqu’il s’agissait d’un des numéros dont la Croix Rouge, cette terrible organisation jihadiste, disposait dans la zone pakistano-afghane. Fort heureusement, la CIA ne suit pas les conseils de Jacquard pour guider ses raids de drones..

L’assassinat de Michel Germaneau par AQMI a, donc comme prévu, provoqué une multiplication des nains, et dès lundi dernier, le 26 juillet, Roland Jacquard brandissait sur le plateau de C dans l’air, sur France 5, un mystérieux document prouvant qu’Al Qaïda donnait à ses cadres des consignes précises quant à l’utilisation d’Internet. Jusque là, rien de nouveau. On imagine mal les chefs de l’organisation dire à leurs subordonnés : allez-y, ne prenez aucune précaution, ne changez pas de téléphone ou d’adresse électronique, tout est cool.

Mais là où Jacquard a, une fois de plus, fait fort, c’est en nous assénant qu’il s’agissait d’un scoop. Grossière erreur, mais l’homme ne connaît pas la honte. Le soir même, la communauté des geeks en rigolait et rappelait que l’info n’était pas neuve (on la trouvait dès mai sur quelques blogs). Malgré les rires de plus en plus assourdissants, (cf. http://www.zataz.com/news/20513/inspire–al-qaeda-.html), notre ami persiste (http://www.numerama.com/magazine/16343-c-et-terrorisme-roland-jacquard-persiste-et-signe.html).

Errare humanum est sed perseverare diabolicum, comme on disait à Rome, mais depuis qu’il a été démontré que le ridicule ne tuait pas, on comprend l’aisance de certains.

valise-utilisee-par-les-troupes-americaines.1297775836.jpg

– Allo, la Croix Rouge à Kaboul ?

– Oui ?

– Ça va couper, chérie.

L’agent se tasse (copyright Le Canard Enchaîné, 1983)

Sortant du silence qui fait son charme, l’Amicale des Anciens des Services Spéciaux de la Défense Nationale (AASSDB, cf. www.aassdn.org/) a récemment diffusé un communiqué au sujet des « révélations » de Maurice Dufresse/Pierre Siramy, l’homme qui n’en savait pas assez.

Je me permets ici de reproduire ce texte, qui a le mérite de refléter les sentiments des membres la communauté française du renseignement, actifs ou retraités, dans cette affaire : 

L’Amicale des Anciens des Services Spéciaux de la Défense nationale regroupe des anciens du Renseignement Français ; voici comment ils sont décrits par un de nos adhérents (1) :  «…les agents de ces services sont des vieux messieurs restés peu loquaces. Ce sont des muets par nature, incapables même d’énumérer les bonnes raisons qu’ils ont de se taire. Une parole peut toujours nuire. Il peut toujours y avoir une suite à une affaire à laquelle ils ont participé, des recoupements, des méthodes qu’il importe de ne pas dévoiler, un informateur à ne pas compromettre, un agent encore en piste quelque part, même longtemps après, un plus jeune en activité alors qu’eux-mêmes ont pris leur retraite. Dans le doute, ils se taisent éternellement. ».

L’Amicale a en particulier pour objectif de défendre les valeurs morales, l’Honneur et la Déontologie des Services de la Défense Nationale. (Art. I & 7). Le respect du secret en est une des bases.

C’est à ce titre que l’Amicale regrette qu’un cadre retraité d’un de nos services, Maurice Dufresse, en publiant un livre de souvenirs (?) sous le nom de Siramy, se soit affranchi des règles de ce secret qu’il avait fait serment de respecter. C’est une mauvaise action. Sur la forme, ce livre rédigé avec la complicité d’un journaliste, contient surtout des affabulations peu convaincantes, souvent basées sur des déductions un rien  paranoïaques (de qui veut-il se venger ?) ou, plus souvent, sur des analyses d’origine improbable ou des déductions personnelles; mais là n’est pas le problème. C’est sur le fond qu’il y a problème ; c’est un acte déloyal, la trahison du Secret de Défense, de la parole donnée, la rupture d’un engagement vis à vis de tous ceux qui lui ont fait confiance, trahison de sa communauté, de son ancien Service. 

Car le secret professionnel demandé à tous les hommes et à toutes les femmes du Renseignement est équivalent à celui du journaliste qui doit protéger ses sources, à celui du  prêtre qui reçoit la confession d’un tiers, du médecin vis à vis de ses patients.

Nous sommes bien dans l’Honneur et la Déontologie. Et l’Amicale ne peut que condamner cette trahison, qui quelque part rejoint les trahisons qui dans des temps de guerre bien plus difficiles ont fait tomber bien des nôtres.

L’Amicale a enfin constaté avec regret que l’intéressé se répandait sur les plateaux de TV et dans certains journaux ; cela fait partie sans doute de notre société actuelle. Et bien non, à part le parfum de scandale qu’il traîne désormais derrière lui, Dufresse n’a a priori plus aucune réelle compétence pour s’exprimer de façon responsable sur des affaires de renseignement. 

 

(1) « La Pierre qui parle » Marie Descours- Gatard – L’esprit du livre Editions – Collection Histoire et mémoires combattantes. Préface de Max Gallo.

« Les cons, ça ose tout, c’est même à ça qu’on les reconnaît » (Michel Audiard, dramaturge français, XXe siècle)

Disons-le tout net, non seulement on reconnaît les cons à leur capacité à faire et dire n’importe quoi, mais en plus ils ne nous déçoivent jamais. Saluons donc l’inventivité de Maurice Dufresse/Pierre Siramy, également connu dans certains milieux sous l’aimable sobriquet d’Enculator – d’après la jeune femme qui m’a confié ce secret il y a quelques semaines – qui a, hier sur LCI, froidement déclaré que Clotilde Reiss, l’étudiante retenue en Iran pendant 10 mois en raison de ses prises de position pro-manifestants, avait travaillé pour la DGSE.

Auréolé d’un inespéré succès de librairie avec « 25 ans dans les services secrets », notre ami Maurice avait déjà fait du mal à un Service fragilisé par dix années de réformes inachevées et devenu un exemple fascinant de dépression collective. En réglant ses comptes avec la grâce et l’élégance que chacun lui connaît, l’ancien chef des photocopieuses de la DGSE avait confirmé tout le bien que l’on pensait de lui, aussi bien au Ministère de la Défense que dans une certaine chambre régionale des comptes… Il revient décidément à ceux qui n’ont pas brillé au service de la République de compenser leur médiocre carrière par des saillies plus ou moins répétées, tandis que ceux qui n’ont pas démérité conservent, au contraire, le silence modeste de ceux qui savent. Il suffit, pour vous en convaincre, d’étudier les plateaux de télévision.

Que Maurice Dufresse crache dans la soupe et revisite son passé en occultant quelques pages peu glorieuses, pourquoi pas. Bon vivant, fumeur, buveur, il se sait au soir de sa vie et peut, à bon droit, livrer sa vision, quitte à glisser un ou deux secrets de 2e catégorie à des journalistes avides de révélations, même faisandées. Après tout, que retiendront les historiens des souvenirs remaniés d’un obscur sous-directeur ?

Hélas, en affirmant que Clotilde Reiss avait travaillé pour la DGSE, Maurice Dufresse franchit une ligne rouge et passe du statut de « gorge profonde » du pauvre à celui de saboteur, voire de traître. Entendons nous bien, il ne s’agit pas ici de nier cette affirmation – je ne détiens pas le moindre début d’information au sujet des activités de Clotilde Reisse, et quand bien même je n’en dirais rien – mais de m’étonner du comportement de M. Siramy.

En affirmant publiquement que Mademoiselle Reiss a travaillé pour la DGSE, il la place dans une situation singulièrement délicate. Soit ce n’est pas le cas, et elle traînera des années cette croix, en particulier au cours de sa carrière universitaire. Soit elle a en effet travaillé pour la DGSE, comme « honorable correspondante », et voilà qu’avec elle sont jetés dans la tourmente ceux qui l’ont « recrutée », « traitée », « formée ». Clotilde Reiss n’a pas été jugée en Suède ou au Canada, elle revient d’Iran, un Etat dont on connaît l’amour de la démocratie, de la justice impartiale, un Etat dont les services secrets sont gérés par un Ministère du Renseignement et qui joue avec le feu dans de nombreux dossiers : Liban, Irak, Afghanistan, nucléaire.

Les révélations de Pierre Siramy fragilisent d’un coup nos services, mobilisés depuis 30 ans par l’activisme iranien, mais aussi tous ceux, anonymes, civils, qui tentent de poursuivre l’étude d’un pays et d’un peuple fascinants. Elles fragilisent également la communauté française du renseignement, Elles exposent enfin la vie de nos ressortissants, que de plus en plus de terroristes et de criminels vont prendre pour des espions, pendant que Dufresse va poursuivre sa deuxième carrière. Après tout, comme on dit dans les armées, « la délation est un acte de combat ». Elle devient ici une simple manoeuvre publicitaire, dont la médiocrité ne tranche pas avec l’ensemble de la carrière de son auteur.

« Les experts/Les Lilas » : Pierre Siramy.

« Un barbu, c’est un barbu. Trois barbus, c’est les barbouzes » disait Francis Lagneau, dit « Petit marquis », dit « Chérubin », dit « Talon rouge », dit « Falbala », dit « Belles manières », également connu sous le sobriquet de « Requiem », dit « Bazooka », dit « La praline », dit « Belle châtaigne ».

2467779123_1.1302182041.jpg

Seulement voilà, le hic est qu’il ne suffit pas de porter la barbe pour devenir une barbouze. Il faut également une éthique. Et il ne semble pas indispensable de publier ses mémoires (« 25 ans dans les services secrets ») sous un pseudonyme si c’est pour apparaître en couverture avec une barbe qui ne cache rien. On sent tout de suite le professionnel du renseignement… A moins que cette barbe ne soit une dernière manifestation de coquetterie.

La « couverture » de Pierre Siramy, qui a déjà commis pour le compte de Bakchich quelques dispensables articles sur les services de renseignement français, n’aura duré qu’une poignée de jours. La mystérieuse disparition d’un article de Jean Guisnel sur le site du Point a réveillé, hier, la blogosphère, et chacun sait à présent que « Pierre Siramy » est le pseudonyme de Maurice Dufresse, un ancien cadre supérieur de la DGSE (http://www.infosdefense.com/tag/maurice-dufresse/).

Ceux qui l’ont connu ne partagent pas l’enthousiasme de Laurent Léger, le co-auteur du livre, et confient, sous le sceau du secret bien sûr, quelques souvenirs émus de celui qui porta, à la fin de sa carrière, un surnom que ma parfaite éducation m’empêche de reproduire ici.

Je ne veux pas entrer dans la vaine et douloureuse analyse d’un ouvrage qui, manifestement, propose une relecture plus que favorable de la carrière de notre ami. Inutile de rappeler ici les péripéties de la chasse au Grand Maître du Complot ménée par les croisés de la contre-subversion. Inutile non plus de relater les interminables réunions consacrées à la luttre contre le financement du terrorisme, la nuit n’y suffirait pas.

Il ne paraît pas si étonnant de constater, une fois de plus, que ceux qui ont vécu des décennies à l’ombre de la DGSE – et non, on ne dit pas « la piscine », M. Léger – éprouvent le besoin viscéral de parler, d’en parler. On peut en revanche s’offusquer de la façon parfaitement irresponsable dont certaines procédures opérationnelles sont dévoilées ici. La nostalgie, ok. Le sabotage, non. Il aurait peut-être mieux valu que M. Siramy/Dufresse écrive, comme son épouse, des livres de cuisine. La justice sera peut-être saisie, l’avenir le dira.

Apostille : la lecture, à l’instant, d’une interview de notre maître espion incompris (cf. http://www.liberation.fr/societe/0101626088-l-agent-s-en-balance) me conforte dans mes commentaires…

Rendez-nous Hubert Beuve-Méry

Toujours prompt à dénoncer les incompétences, réelles ou supposées, le site, lui aussi citoyen, Bakchich.info vient de se couvrir d’un ridicule d’une rare qualité.

Dans un article sobrement intitulé « Le M. Espionnage de Sarko grille son agent », le site d’informations affirme sans rire, sur la foi du compte-rendu d’une audition de Bernard Bajolet remontant au 27 janvier – quelle réactivité ! – que Pierre Camatte était un clandestin de la DGSE chargé de surveiller « l’ex-GIA » (cf. http://www.bakchich.info/Le-M-Espionnage-de-Sarko-grille,10165.html).

Par pure charité chrétienne, il paraît inutile de relever que le GIA a disparu des écrans il y a bientôt 10 ans et que l’actuelle AQMI n’est qu’une évolution du GSPC. Il semble par ailleurs illusoire de tenter d’expliquer que les barbus d’AQMI sont déjà surveillés par des moyens autrement plus sophistiqués qu’un sexagénaire isolé.

On peut en revanche souligner que les propos de M. Bajolet (cf. http://www.assemblee-nationale.fr/13/cr-cdef/09-10/c0910020.asp) devant la Commission de la Défense à l’Assemblée étaient en effet ambigus :

« M. Guillaume Garot. Quelles informations pourriez-vous nous transmettre sur les agents de nos services retenus en otage, leur nombre, leur situation ? Quelles sont les perspectives les concernant ?

M. Bernard Bajolet. Nous avons actuellement huit otages. Un au Mali, Pierre Camatte, quatre au Soudan, un en Somalie et deux en Afghanistan. »

La réponse de M. Bajolet est en effet étrange, et dès la fin de son audition certains s’étaient émus des conséquences de cette phrase sur la vie de nos otages. bakchich ne partage pas ces scrupules, on ne s’en étonne évidemment pas.

On est cependant en droit de demander pourquoi Bakchich ne clâme pas partout que les deux journalistes détenus en Afghanistan sont, eux aussi, des membres de la DGSE. Mais les auteurs de cet article savent-ils même ce qu’est un agent clandestin ? Que connaissent-ils du monde du renseignement ?

Rien, on le voit, et on ne peut que déplorer les ravages, dans une opinion déjà exaspérée, de telles approximations. Par ailleurs, d’autres affaires d’otages auraient sans doute pu attirer l’attention des rédacteurs de cet autre média citoyen, dont les écrits ne valent pas mieux que les vociférations d’internautres frustrés qui crient au loup à longueur de journée.

On a les dirigeants qu’on mérite, comme le disait un de mes amis. Il semble que nous ayons une presse obéissant aux mêmes critères.

Au coeur du djihad

Je vais être franc, il me semble que nous écrivons tous beaucoup trop sur le jihadisme, ce phénomène encore jeune sur lequel nous ne disposons que de peu de sources. Ma démarche d’historien pourrait me conduire à faire mienne cette maxime d’un de mes professeurs de la Sorbonne qui affirmait en cours qu’on « ne fait de l’Histoire que quand les témoins sont morts »…

Evidemment, cette approche est plutôt radicale, et elle a été combattue par toute une génération de brillants universitaires. Ceux qui écrivent sur le jihadisme, comme ceux qui écrivaient sur le KGB il y a 30 ans ou qui tentent encore, comme les journalistes du Monde, de comprendre les mécanismes du génocide rwandais, s’exposent donc à des erreurs, à des approximations, à des désavoeux. L’absence d’archives et de sources fiables handicape les chercheurs, et chaque témoignage doit donc être accueilli comme une bénédiction divine.

C’est sans doute ainsi qu’il faut considérer le récit d’Omar Nasiri, « Au coeur du djihad », publié en France en 2006. Dans cet ouvrage, un homme prétendant avoir été un « espion infiltré dans les filières d’Al Qaïda » y relate sa vie dans les réseaux du GIA en Europe, son départ en Afghanistan dans les camps d’entraînement jihadistes puis son retour à Londres.

Disons le tout de suite, un tel récit est unique et constitue une mine d’or. Bien sûr, l’auteur s’y présente sous un jour avantageux, mais sa description des réseaux islamistes maghrébins en Belgique ou au Royaume-Uni et sa vision des camps afghans ou pakistanais est remarquable. On pourra simplement remarquer qu’en France un espion est un fonctionnaire rémunéré, et qu’une source humaine est qualifiée dans les rapports d’agent (cf. à ce titre « L’agent secret » de Joseph Conrad).

Evidemment, plusieurs observateurs ont profité de la publication de ce livre pour livrer leur propre vision de la mouvance jihadiste. En Algérie, un certain Adel Taos, journaliste au quotidien Liberté, s’est laissé aller aux pires penchants de certains plumitifs et a affirmé, à la lecture d' »Au coeur du djihad », que la DGSE « aurait couvert un trafic d’armes et d’explosifs au profit du GIA ». Ce raccourci a permis à notre journaliste d’impliquer la France dans la tragédie algérienne, voire de la considérer comme la complice des terroristes. M. Taos n’avait sans doute du renseignement qu’une connaissance lointaine, et il ne pouvait envisager qu’un service qui avait infiltré un groupe terroriste n’en était pas nécessairement le commanditaire. Il oubliait par ailleurs de préciser que les maigres cargaisons d’armes dont parle Nasiri n’avaient pas pesé lourd dans la guerre civile, surtout comparées aux stocks dont les terroristes s’étaient emparés facilement en Algérie dès 1992. Enfin, affirmer sans rire en 2006 que la France n’a pas aidé l’Algérie contre les terroristes islamistes relève de la plus pure mauvaise foi. Les services du Ministère français de l’Intérieur n’ont pas cessé de soutenir leurs homologues algériens, et la France a même livré, discrètement du matériel « à double usage » à l’Armée Nationale Populaire. Mais à quoi bon ?

Il faut par ailleurs saluer ici la performance de Claude Moniquet qui, en novembre 2006, osait écrire un article sobrement intitulé « Omar Nasiri, ou les dessous d’une manipulation antifrançaise » et dans lequel on pouvait lire « Nous sommes en mesure d’être catégoriques, [Nasiri] n’a jamais été un agent français ». (J’ai choisi ici de conserver le pseudonyme de Nasiri plutôt que sa véritable identité, que M. Moniquet livre aux quatre vents, le pauvre garçon a déjà assez d’ennuis)

Pas de chance, M. Moniquet, Omar Nasiri a bien été un agent français, et il a fait à peu près tout ce qu’il raconte. En l’espèce, Claude Moniquet s’est montré aussi imprudent qu’un lieutenant-colonel de la DAS (Délégations aux Affaires Stratégiques) qui avait affirmé doctement que jamais les services français n’auraient recruté un délinquant…

Mais loin de ces polémiques, il faut lire « Au coeur du djihad », puiser dans ses pages des détails fascinants sur le Londonistan, les camps afghans, les filières de volontaires, les méthodes des services.

A lire.