Merry Christmas, Mr. Abdulmutallab

Dans un entretien accordé au Figaro (ici), le toujours prolixe Jean-Pierre Filiu analyse, avec l’assurance de celui qui pense savoir, l’attentat raté du 25 décembre contre le vol 253 de Northwest Airlines entre Amsterdam et Detroit.

Après quelques banalités sur les sites Internet jihadistes, qu’il avait déjà énoncées dans une tribune publié par Libération, JP Filiu dresse un tableau assez bien vu d’Al Qaïda, durement éprouvée par les raids incessants des drones de l’Empire. Il commet cependant deux erreurs tragiques :

– D’abord, en affirmant qu’Al Qaïda ne revendiquera pas cet attentat, puisqu’il paraît qu’Al Qaïda « ne revendique pas ses échecs ».

– Ensuite, fidèle à sa ligne, il se refuse toujours à admettre qu’Al Qaïda encourage les mouvements jihadistes régionaux.

Hélas, hélas, la réalité a rattrapé notre Mme Irma du contre-terrorisme, puisqu’Al Qaïda pour la Péninsule Arabique (AQPA) vient justement de revendiquer cette opération. Mais il semble avoir échappé à M. Filiu qu’AQPA n’était pas AQ, et que ce groupe régional pouvait, à juste titre, se féliciter de cette affaire. Même raté, en effet, cette opération a replacé au premier plan la menace jihadiste dans l’esprit de nos décideurs. De plus, en étant la première organisation jihadiste régionale à revendiquer un attentat à des milliers de kilomètres de son champ d’action, AQPA a frappé un grand coup et provoqué, comme d’habitude, la volée de mesures ineptes annoncées par nos gouvernants – qui ne manqueront pas d’être dénoncées par ceux qui craignent l’émergence d’un Big Brother.

Comme pour le 11 septembre 2001, il semble bien que la seule mesure qui vaille soit de faire enfin fonctionner correctement les services de renseignement et de sécurité. J’ai déjà, dans ces colonnes, montré à quel point les attentats de New-York et de Washington auraient pu être évités si tout le monde avait fait son travail. Le Figaro donne à cet égard une édifiante explication :

Le changement brutal de comportement d’Umar Farouk Abdulmutallab, le Nigérian à l’origine de l’attentat manqué contre le vol Amsterdam Detroit de la Northwest Airlines, avait alarmé sa propre famille. Lundi, les Abdulmutallab sont sortis de leur silence et affirment avoir informé, il y a deux mois, les services de sécurité nigérians de leurs craintes que leur fils ait été radicalisé par des extrémistes islamistes. Le jeune homme avait en effet abandonné son master de business qu’il avait entrepris à Dubaï et avait confié à sa famille son souhait d’étudier l’islam au Yémen. Une fois là-bas, le Nigérian a cessé de donner de ses nouvelles et a disparu.

Le père d’Umar, un ancien ministre nigérian et banquier réputé, a également pris contact avec des agences de sécurité étrangères pour qu’elles apportent « leur aide et ramènent Umar chez lui ». L’ancien ministre a ainsi signalé la radicalisation de son fils à l’ambassade américaine du Nigéria, en novembre dernier.

Cette alerte avait valu à Umar Farouk Abdulmutallab d’être fiché parmi les personnes soupçonnées de liens avec le terrorisme (Terrorist Identities Datamart Environment). Mais les 550.000 personnes de cette liste n’étant pas forcément jugées actives, elles ne sont pas interdites d’embarquement sur des vols vers les Etats-Unis.

Une fois de plus, donc, malgré les alertes répétées qui démontrent que les signaux faibles ont été correctement recueillis,  un processus froidement technico-administratif a laissé filer le terroriste. La multiplication des outils automatisés de traitement du renseignement facilite bien souvent la tâche des jihadistes, en particulier en raison de l’incapacité des logiciels et des fonctionnaires les mettant en œuvre à lire puis à cribler correctement les patronymes du monde arabo-musulman (puisque c’est hélas bien de lui qu’il s’agit).

Dans sa soif éperdue de communication, notre gouvernement n’a pas tardé à réagir à la menace en annonçant qu’il « [voulait] être informé du profil des voyageurs dès la réservation des billets. » Il s’agit ici de se demander si l’auteur de cette géniale idée a conscience du travail phénoménal que demande une telle mesure. Qui va cribler les dizaines de milliers de noms ? Que va-t-on faire des individus identifiés comme étant « suspects » ? Au nom de quelle loi, de toute façon, ces individus pourraient-ils être interdits de voyages aériens ? Et que se passera-t-il si les policiers découvrent dans un avion non pas un terroriste mais un escroc recherché ? Passeront-ils l’information à leurs collègues, ou le laisseront-ils filer au nom de la priorité accordée  à la gestion de la menace terroriste ? Dans cette hypothèse, que deviendra l’article 40 du code pénal qui impose de dénoncer tout acte illégal dont on a connaissance ?

De réformes idiotes en mesures absurdes, les autorités occidentales paraissent singulièrement démunies. Les avis, motivés par d’obscures certitudes, d’une poignée d’experts hantant les plateaux de télévision, ne font rien, par ailleurs, pour arranger les choses. Aveuglés par l’aura qui entoure, dans nos pays, la notoriété, les responsables des services prêtent parfois une plus grande attention aux sentences des universitaires qu’aux analyses de leurs propres agents. En militant pour la fermeture des sites jihadistes, JP Filiu donne ainsi de mauvaises idées. Qui peut croire, en effet, que les terroristes cesseront de se parler parce que les sites identifiés auront été fermés ou bloqués.

Evidemment, dès l’événement connu, les internautes français s’en sont donnés à cœur joie. Complot américain permettant au Président Obama de poursuivre « sa » guerre en Afghanistan, démonstration de la nocivité de l’islam pour d’autres, on a tout lu depuis le soir du 25 décembre.  Certains découvrent même que le Yémen est un Etat virtuellement failli, et les bonnes âmes s’émeuvent des opérations que les Etats-Unis y conduisent – depuis des années – contre les jihadistes.

Cet attentat raté nous rappelle enfin quelques vérités : il y a une guerre là, dehors, et que nous choisissions de la faire ou de ne pas la faire n’entamera en rien la volonté de nos ennemis. Notre société, plus que troublée par ses crises internes et radicalisée par le nauséabond débat sur l’identité nationale, se scinde entre des apprentis croisés avides de combats contre l’islam et des esprits soi-disant éclairés qui pensent que le mal vient des Etats-Unis et de leurs alliés. Dans ce tintamarre, rares sont les voix qui osent défendre l’Occident et qui osent vouloir aider le monde arabo-musulman. On ne peut que craindre, à terme, le déclenchement d’une crise ouverte entre les deux camps dans nos sociétés.

 

Ace Combat 6 : scramble!

Disons le tout net, ce jeu est d’ores et déjà un classique. Disponible exclusivement sur le console de Microsoft, AceCombat 6 est, comme son nom l’indique, le 6e opus d’une franchise bien connue des amateurs d’avions de combat.

En ces temps dominés par la question de la lutte anti-guérilla, les nostalgiques des affrontements titanesques de la Guerre froide regardent avec tristesse leur F-15 et leurs Maverick. Où sont nos dogfights au-dessus de la Sierra Nevada ? Où sont nos raids Hi-Lo-Hi en Centre-Europe dans un ciel saturé de missiles et d’obus ? Les concepteurs d’Ace Combat 6 ont pensé aux orphelins d’Air Supériority/Air Strike, les mythiques jeux de GDW.

 

A ma droite, donc, la République d’Emmeria, dont la capitale, Gracemaria, est un mélange habile de New-York et de Kyoto. A ma gauche, la République fédérale d’Estovakia, un Etat qui évoque la défunte URSS. Le jeu commence lorsque les forces armées éstovakiennes envahissent Emmeria. Pilote de chasse, vous décollez en alerte pour vous opposer à l’agression.

Dès les premières images, le choc est terrible. La qualité des graphismes et des images est exceptionnelle, et les appareils sont superbement reproduits. Je vous laisse découvrir la bande-annonce du jeu…

Evidemment, même dans cet environnement visuel exceptionnel, il ne faut pas chercher de réalisme. On ne s’y préoccupe pas de questions aussi triviales que la consommation de carburant ou le nombre d’obus ou de missiles tirés. De ce point de vue, le jeu évoque plutôt le regretté X-Wing de Lucas Art et offre le plaisir enfantin de piloter un jet ultra-moderne dans des paysages variés : au-dessus d’une ville occidentale, du désert, de l’océan, dans des canyons. Et surtout, même à bord d’un F-14 doté de missiles Phoenix, n’espérez pas échapper à un combat tournoyant. Le jeu, pour des raisons évidentes, a considérablement réduit la portée des radars et des missiles, et on se surprend parfois à lutter dans un F-16 contre un Rafale comme le faisaient les Spit’ contre les 109 au-dessus de la Manche.

Quelques missions relèvent même de la pure fantaisie – je n’en dis pas plus – mais la magie opère quand même. Enfin, les plus motivés pourront acquérir sur Internet, à grand prix, le manche à balai et la manette des gaz sortis pour le marché américain.

Enfin, je ne peux que vous conseiller les combats aériens en réseau, au cours desquels se déroulent d’homériques emoignades. Bref, un monument que ce jeu, et disponible sur la seule XBOX 360. La vie est injuste.

Quelques mots sur OBL

Interviewé par la chaîne ABC, le Secrétaire américain à la Défense Robert Gates a déclaré, le 5 décembre dernier, ne pas avoir reçu de renseignements fiables sur Oussama Ben Laden depuis des années. « Si nous savions où il se trouve, nous serions allés le chercher », a-t-il ajouté.

Le général James Jones, conseiller du Président à la Sécurité Nationale, a pour sa part indiqué le 6 décembre que le fondateur d’Al Qaïda « séjournait encore régulièrement en Afghanistan », et qu’il « résidait au nord-Waziristân ».Ces déclarations interviennent après la publication d’un rapport de la Commission des Affaires étrangères du Sénat, « Tora Bora revisited », pointant les erreurs commises par l’Administration Bush en décembre 2001 lors de la traque du chef terroriste.Le renforcement de la présence militaire en Afghanistan, récemment décidée par le Président Obama, vise officiellement à défaire Al Qaïda. La traque du fondateur du groupe est donc redevenue naturellement un sujet d’intérêt pour l’opinion publique américaine.

Recherché par les, autorités américaines, qui en offrent 50 millions de dollars, Oussama Ben Laden a été traqué en Afghanistan par une unité ad hoc successivement connue sous les noms de Task Force 121, Task Force 145 et Task Force 626 et qui agirait actuellement sous l’appellation de Task Force 77. L’objectif de cette unité était de le capturer ou de l’éliminer. En août 2009, John Brennan, le conseiller présidentiel pour le contre-terrorisme, a déclaré lors d’une conférence qu’il espérait pouvoir un jour présenter Oussama Ben Laden à la justice.

Les déclarations de Brennan et de Jones tranchent avec les analyses de plusieurs services occidentaux selon lesquels le chef terroriste serait mort depuis plusieurs années. A cet égard, les propos de Brennan et de Jones tranchent également avec la réponse prudente de Robert Gates. Plusieurs indices sérieux incitent en effet à penser que Ben Laden est mort depuis plusieurs années :

La dernière vidéo d’Oussama Ben Laden date de septembre 2007, et n’a pas été authentifiée en raison des retouches manifestes effectuées sur les images du Saoudien.

–  En septembre 2006, le quotidien régional L’Est Républicain a publié une note de la DGSE dans laquelle il était dit que les services de renseignement saoudiens détenaient la preuve de la mort du terroriste. Plusieurs services évoquent même l’existence d’une sépulture dans les zones tribales pakistanaises.

En janvier et septembre 2009, des communiqués attribués à Ben Laden ont été diffusés, mais aucun n’a été authentifié.

Depuis plusieurs années, toutes les vidéos authentifiées d’Al Qaïda ont mis en scène l’adjoint de Ben Laden, l’Egyptien Ayman Al Zawahiry. Si ce-dernier, qui fait l’objet d’une traque comparable à celle subie par Ben Laden, parvient à enregistrer des vidéos, pourquoi son chef ne le peut-il pas ? De surcroît, la stratégie actuelle d’Al Qaïda porte nettement la marque de Zawahiry.

D’ailleurs, en avril 2009, le Président pakistanais Zardari a déclaré que ses services de renseignement étaient convaincus de la mort de Ben Laden, mais sans disposer de preuve.

Enfin, les propos d’un prisonnier afghan affirmant en 2009 que Ben Laden vivait au Pakistan n’ont jamais pu être recoupés, et les surveillances téléphoniques n’ont pas saisi d’allusions au « cheikh ».

Il est donc permis de s’interroger sur les propos contradictoires de Gates, Brennan et Jones.

S’agit-il, pour le général Jones, d’une volonté de justifier à toute force la stratégie présidentielle en Afghanistan ? S’agissait-il, en août 2009, de déclarations de principe de la part de John Brennan ?

Robert Gates fait-il preuve, de son côté d’une trop grande franchise ?

La confirmation de la mort d’Oussama Ben Laden est en effet redoutée par de nombreux services comme le probable déclencheur d’actions terroristes menées par des groupes du « 3e cercle » et des « loups solitaires ».

Quoi qu’il en soit, bien rares sont les adversaires vivants de l’Empire à propos desquels aucun renseignement n’est disponible…

Opération Phantom Fury

Le 7 novembre 2004 débuta la seconde bataille de Fallouja. Connue sous les noms d’opération Phantom Fury et Al Fajr (http://en.wikipedia.org/wiki/Second_Battle_of_Fallujah), cet affrontement a opposé un ensemble de forces américaines et irakiennes à des insurgés soutenus par des jihadistes étrangers. La bataille, qui constitue une victoire de la Coalition, est également considérée dans la mouvance jihadiste comme un fait d’armes comparable à la bataille de Jaji en Afghanistan. Le colonel Dick Camp, ancien de l’USMC, en a livré sa vision dans « Operation Phantom Fury, the assault and capture of Fallujah, Iraq ».

Ce reportage de CNN donne quant à lui un aperçu de la bataille, dont on trouvera une présentation acceptable sur Wikipedia (Cf. http://en.wikipedia.org/wiki/Second_Battle_of_Fallujah) :

Aucune personne sensée ne s'étonnera donc en apprenant que cet affrontement a été une épouvantable boucherie, des soldats américains surarmés - et bien plus combatifs que ne pourrait le supposer le démographe omniscient Emmanuel Todd) contre des insurgés fanatisés. Par bien des aspects, ce combat a probablement ressemblé à aux scènes finales d'"Aliens", de James Cameron. Parmi les soldats de l'US Army se trouvait David Bellavia, un sergent qui a choisi de raconter dans toute sa crudité et sa violence cette bataille. Son récit, "Fallouja !", vient de paraître et sa lecture est très instructive.

On me pardonnera de préférer le titre original, « House to house », qui décrit bien l’âpreté d’une lutte que les officiels américains comparent à la (re)prise de Hué en 1968 et qui, par certains traits, rappelle Stalingrad. Bellavia, qui après avoir fait du théâtre, a rejoint l’US Army, n’est pas un enfant de choeur et sa description des combats est précise, sans fausse pudeur. Fait intéressant, Bellavia évoque franchement l’emploi de phosphore blanc par les troupes US, dans un environnement dépourvu de civils, et répond à sa manière à la polémique née du documentaire italien Fallujah: the hidden massacre. Ce film est d’ailleurs téléchargeable à l’adresse suivante :

http://www.democracynow.org/2005/11/8/u_s_broadcast_exclusive_fallujah_the

Pour ceux qui pensent que la guerre est joyeuse, des témoignages brutaux et indispensables - ne serait-ce que pour la découverte du concept, fascinant, de Bâtiment Explosif Improvisé...

Démocratie à l’américaine : « Tora Bora revisited »

Alors que plus d’un an après la France se refuse toujours à dire la vérité au sujet de l’embuscade d’Uzbin, le Sénat américain vient une nouvelle fois de prouver que l’exercice de la démocratie est possible dans un pays en guerre. (J’ai dit « possible », et pas « systématique » ou « naturel », car il ne s’agirait pas d’oublier Guantanamo…).

Le 30 novembre 2009 a été publié un rapport de la commission des Affaires Etrangères du Sénat des Etats-Unis sur la prise de Tora Bora en décembre 2001 et la « non capture » d’Oussama Ben Laden. Le rapport peut être téléchargé à l’adresse suivante : http://foreign.senate.gov/imo/media/doc/Tora_Bora_Report.pdf.

Ecrit dans le style typique des rapports sénatoriaux américains, ce texte de 49 pages (en réalité, une vingtaine si on exclut les notes et les deux annexes) étudie avec précision, mais sans polémiquer, les erreurs commises en Afghanistan en décempbre 2001.

Le constat, bien que sans appel, est à mon sens déformé par les médias français. L’AFP du 29 novembre résume la chose ainsi : « Les Etats-Unis auraient pu tuer ou capturer Oussama Ben Laden en décembre 2001 à Tora Bora dans l’est de l’Afghanistan, mais l’administration Bush a choisi de ne pas pousser plus loin et permis sa fuite au Pakistan ».

Ignorance, anti-américanisme primaire ou ou volonté de nuire ? Le fait est qu’à la lecture d’une telle phrase on ne peut que comprendre que les Etats-Unis ont délibérément laissé Oussama Ben Laden s’enfuir. Cette interprêtation devrait ravir les conspirationnistes. En réalité, le rapport, s’il pointe sans pitié les erreurs tactiques et leurs conséquences stratégiques, se garde bien de tout déterminisme.

Le constat est cruel : « Removing the Al Qaeda leader from the battlefield eight years ago would not have eliminated the worldwide extremist threat. But the decisions that opened the door for his escape to Pakistan allowed Bin Laden to emerge as a potent symbolic figure who continues to attract a steady flow of money and inspire fanatics worldwide. »

Le rapport met évidemment en cause Donald Rumsfeld, ansi que Dick Cheney et le général Tommy Franks, et la mise en cause de l’Administration Bush est donc induite. Alors ? Alors, il semble acquis que l’état-major US a renâclé à investir l’ensemble du complexe de Tora Bora, de même qu’il a refusé de déployer plus de troupes, préférant se fier aux massives frappes aériennes conduites par les drones, les B-52 ou les AC-130. De toute évidence, cette option n’a pas donné les résultats escomptés, et on peut s’interroger sur la qualité de certains stratèges US, plus nourris par leurs certitudes que par les faits.

Et pourtant, les rares à avoir vu certaines cassettes vidéos de la fuite de Ben Laden et de ses proches peuvent témoigner que le chef terroriste a bien faillir finir sous une bombe. Cette scène qui montre le milliardaire, au sommet d’une crête, jeter un regard derrière lui et contempler le champignon de poussière au-dessus d’une crête juste franchie en dit long sur la proximité des forces américaines.

L’aveuglement, l’incompétence, le refus obstiné de Rumsfeld d’engager plus de troupes au sol, la confiance aveugle dans la technologie sont autant de facteurs qui ont joué en faveur du terroriste. Y a-t-il eu, comme certains l’affirmaient dès hier dans des commentaires, une volonté délibérée de le laisser fuir, afin peut-être de préparer la guerre en Irak ? Il est permis d’en douter – voire, dans mon cas, d’en rire. Qu’on se souvienne des plans militaires d’autres nations pour garder la tête froide. Ni à Dien Bien Phu ni face à la Wehrmacht il n’existait de plans secrets… Juste des certitudes.

Les loups solitaires du jihad

La récente tuerie de Fort Hood a révélé au grand public le concept de « lone wolves » du terrorisme. A ceux qui veulent en savoir plus et dépasser la dépêche AFP du 27 novembre, je conseille la lecture de la remarquable étude du think tank néerlandais COT Instituut voor Veiligheids- en Crisismanagement.

Complète, documentée, cette étude permet de s’initier rapidement à un phénomène qui ne touche pas seulement le jihadisme. 

http://www.transnationalterrorism.eu/tekst/publications/Lone-Wolf%20Terrorism.pdf

Procès de Khaled Sheikh Mohamed : atterrissage en douceur de la justice américaine

Le Secrétaire américain à la Justice, Eric Holder, a annoncé le 13 novembre que les 5 principaux accusés des attentats du 11 septembre (Khaled Sheikh Mohamed, Ramzi Ben al-Shib, Ali Abdelaziz Ali, Walid Ben Attash et Mustapha al-Hawsawi) seraient jugés par des tribunaux civils et non par des tribunaux militaires d’exception. 

Cette décision, qui s’inscrit dans la lignée des promesses électorales du Président Obama, est une étape supplémentaire dans la liquidation de l’héritage des années Bush. Il s’agit en effet, pour le nouveau locataire de la Maison Blanche, de fermer le camp de détention situé dans la base de Guantanamo et de transférer vers des juridictions civiles les individus capturés depuis 2001.

La décision rendue publique par Eric Holder a évidemment provoqué la colère du camp républicain. Ce-dernier, avec le filtre déformant d’une idéologie sécuritaire incarnée par l’ancien Vice-président Cheney, hurle au bradage de la sécurité nationale et reprend le vieux refrain d’un pouvoir démocrate laxiste – en oubliant que la nouvelle Administration a intensifié les raids de drones au Pakistan et n’a pas interrompu l’aide clandestine à l’ISI. 

Plusieurs associations de familles de victimes se sont également déclarées hostiles aux futurs procès par des juridictions civiles, alors même que les accusés encourent tous la peine de mort. Le risque, réel, dénoncé par les familles est en effet de voir les procès débuter dans plusieurs années et se prolonger au gré des querelles de procédure. 

L’enjeu dépasse pourtant largement la question de la culpabilité, assumée d’ailleurs, de Khaled Sheikh Mohamed. Il s’agit en effet de mettre fin au concept d’ennemis combattants, une exception juridique inventée par le duo infernal Cheney-Rumsfeld fin 2001 début 2002.

La faillite du FBI et les importantes difficultés de la CIA laissèrent en effet, après le 11 septembre 2001, le champ libre au très entreprenant Donald Rumsfeld, artisan d’une audacieuse et d’ailleurs assez réussie du Pentagone. Mais réformer une armée ne fait pas de vous un expert en renseignement, et c’est pétri de certitudes et auréolé du succès – initial – de l’intervention en Afghanistan que le bondissant Rumsfeld vendit les capacités, grossièrement surestimées, de la DIA. Plein de mépris pour la CIA, étroitement liée au Département d’Etat, et pour le FBI, coupable d’avoir échoué, il imposa une gestion militaire des centaines de jihadistes capturés en Afghanistan et au Pakistan et obtint, avec le soutien de Dick Cheney et de quelques autres, de les soustraire à l’autorité judiciaire pour les rassembler au camp X-Ray, à Guantanamo Bay. 

Tout reposait sur le constat, que je partage, qu’une guerre avait été déclarée et qu’il fallait la mener. Mais là où votre serviteur, même en colère, aurait malgré tout privilégié une association du droit pénal (pour les terroristes recherchés) et du droit de la guerre (pour les combattants capturés les armes à la main dans une zone de combats), saupoudrée d’opérations ciblées telles qu’elles se pratiquent actuellement dans les zones tribales avec des drones et des forces spéciales, l’Administration Bush choisit d’ignorer ses propres lois (le FBI dispose d’une compétence mondiale en terme de terrorisme) et de créer un statut absurde et contre-productif.

Le respect du droit pénal et du droit de la guerre aurait pourtant permis d’éviter la création d’un véritable marigot politico-diplomatique dans lequel les Etats-Unis se sont piégés et n’aurait rien changé à l’avenir des terroristes, condamnés à la prison à vie ou expulsés vers leur pays d’origine. Il y a une différence entre se savoir en guerre et la mener et se savoir en guerre et tout faire pour la perdre… A force de vouloir paraître les plus résolus, les responsables de l’équipe Bush se sont coupés du monde et ont perdu un soutien général qui leur était pourtant acquis. Cette confusion morale restera comme une des fautes les plus graves des néoconservateurs, alors même que plusieurs de leurs constats étaient singulièrement pertinents. Irving Kristol disait qu’un « néoconservateur est un libéral giflé par la réalité », la déception ne devrait pas conduire les gens intelligents à se venger comme des voyous.

« Ils ont pris une sacrée raclée »

Grâce à un lecteur attentif de ce blog, j'ai retrouvé cette succulente vidéo du général Puga qui, à la fin du mois d'août 2008, évoquait la "sacrée raclée" infligée par nos troupes aux Taliban. Hélas, et pour reprendre les termes du général, seul un "stratège en chambre" peut estimer que cet engagement a été un succès. Je m'explique :

 - Tout militaire entré en activité après la guerre du Vietnam sait qu'un conflit de cette nature ne supporte pas de pertes importantes dans le camp de l'armée occidentale. Nos sociétés ne tolèrent plus les boucheries de la première partie du XXe siècle et demandent, parfois à tort, des comptes. En tuant 10 soldats français, les Taliban nous ont causé bien plus de tort que nous ne leur en avons causé en tuant 50 des leurs. S'il y a peut-être eu victoire tactique, il y a eu échec stratégique, puisque les pertes enregistrées ce funeste jour d'aôut ont provoqué, et provoquent encore, un choc dans notre opinion. Le général Puga nous explique doctement que les Taliban se sont sciemment approchés de nous pour éviter tout appui aérien : qu'attendre d'autre de la part de combattants qui, pour certains, se battent depuis 30 ans ? Le général Puga aurait-il oublié que les Soviétiques ont perdu leur empire ici ?

- 50 Taliban tués contre 10 Français tués ? Le ratio est inacceptable pour une armée qui est censée disposer d'une puissance de feu largement supérieure, d'une capacité de reconnaissance inégalée et d'un appui disponible en quelques minutes. C'est avec ce genre de rapport pertes ennemies/pertes amis que ce sont perdues les guerres de l'Empire. Et s'agissant de l'armée française, cela fait belle lurette qu'elle a perdu sa capacité à perdre autant d'hommes pour contrôler un col. Il faudra penser à revoir "Hamburger Hill".

Et je conclus en citant notre Président, qui poussant à ses limites son obsession du "il y a toujours un coupable", a ouvert la voie à la plainte des familles de deux de nos tués :

"En tant que chef des Armées, je n'ai pas le droit de considérer la mort d'un soldat comme une fatalité. Je verrai les familles dans quelques minutes, je veux qu'elles sachent tout. Elles y ont droit. Je veux que vos collègues ne se retrouvent jamais dans une telle situation. Je veux que tous les enseignements soient tirés de ce qui s'est passé."

Réflexions à chaud sur les suites judiciaires de l’embuscade d’Uzbin

La modernité dans ce qu’elle a de plus absurde aurait donc frappé nos autorités aujourd’hui ? La plainte des familles de deux combattants issus du 8e RPIMa et du 2e REP révèlerait à quel point nos sociétés ne supportent plus l’imprévu, le danger, même dans une situation par nature volatile comme un combat.

Cette plainte m’a initialement choqué. Par réflexe, sans doute, comme par calcul politique, j’ai craint qu’une fois de plus l’armée en tant qu’institution régalienne ne soit mise en cause, et j’ai redouté que notre engagement dans cette guerre d’Afghanistan qu’il faut mener, quoi qu’en pensent les analystes de salon, ne soit remis en question.

Et j’ai repensé à toutes ces confidences recueillies depuis août 2008, aux 8 versions contradictoires du gouvernement. J’ai revu les visages arrogants de ces officiers sûrs de leur bon droit, et je me suis dit : et pourquoi pas une plainte ? Il s’agit sans doute de mon côté anarchiste, mais rien ne vaut l’exposition en place publique des petites lâchetés de certains pour me réjouir. Et si cette plainte, pour indécente, qu’elle puisse paraître de prime abord, n’était pas l’occasion de casser quelques unes de nos certitudes sur l’état de notre armée ? Et s’il devenait évident, enfin, que la France s’obstine à mener la diplomatie d’un Empire avec les moyens d’une obscure baronnie ? Car à les écouter, ces familles ne veulent pas la fin de la guerre, elles ne critiquent pas le Président ou l’Etat-Major, elles s’en prennent aux supérieurs directs de leurs fils.

Et Dieu sait qu’elles ont vécu des épreuves, ces familles. Après la mort de leurs enfants, les révélations, les versions divergentes, les polémiques, les rumeurs. Et la maladresse insigne du pouvoir, qui les met dans un avion, les pousse à Kaboul en leur promettant, suprême idiotie, de visiter le champ de bataille, comme si des familles de GI’s avaient visité le Delta du Mékong en février 68…

Et la panne de l’Airbus présidentiel sur l’aéroport de Kaboul… Et le retour en France dans le même avion que les compagnons d’armes de leurs frères, 18 heures de conversation horribles. Et les coups de menton d’un chef de corps digne des « Sentiers de la gloire » ou de la « Colline des hommes perdus », menaçant de porter plainte contre les familles qui osaient poser des questions…

Et la découverte des manquements : non, il n’y avait pas eu de reconnaissance préalable. Oui, les hommes n’avaient pas assez de munitions. Oui, quand les Américains leur ont livré des caisses de 5,56 mm, nos soldats ont découvert que leur FAMAS n’acceptait pas les munitions OTAN…

Car derrière les erreurs, les fautes, la fatalité et la surprise du combat, que va-t-on voir dans tout son dénuement ? Une armée qui en vient à croire ses propres mensonges, un pays qui se rêve aussi puissant que le royaume de Louis XIV, et qui ignore qu’il faut 3 hélicoptères pour en faire voler un, que le canon du Tigre n’est pas fiable, que la France doit acheter des paniers à roquettes (l’arme suprême contre la guérilla) puisqu’elle n’en produit plus et puisque nous misons tout sur le guidage laser, que nos blindés sont fragiles, vieux, que nous n’avons pas de transport pour les acheminer en Afghanistan. Mais il nous reste le nucléaire, cher au Général, et le Rafale, ce chef d’oeuvre de technologie que nous ne vendons pas (non, même pas au Brésil !). Alors, que nous reste-t-il ? Des soldats conscients de leurs mission, qui font honneur à leur pays, qui le sauvent même, malgré lui, d’une humiliation encore plus grande. Et des chefs, beaucoup de chefs, trop de chefs, savamment irresponsables.

Vous ai-je déjà conseillé de lire Marc Bloch ?

Al Qaïda : le retour aux fondamentaux

Le 27 avril 2009, le Président pakistanais Asif Zardari a confié lors d’une interview que les responsables de l’ISI, les services de renseignement militaires, estimaient qu’Oussama Ben Laden était mort.

Cette déclaration, qui pourrait conduire à la divulgation de nouveaux renseignements sur la situation du fondateur d’Al Qaïda, intervient alors que le jihadisme accomplit une nouvelle mutation. A la toute puissance opérationnelle et médiatique d’Al Qaïda se substituent en effet depuis plusieurs mois des jihads régionaux connectés entre eux. Cette évolution, qui marque la fin d’une époque, est porteuse de nouvelles menaces.

1. Al Qaïda : la source de toute chose

–  La Base : le soutien au jihad

Issue du Bureau des Services de Peshawar (Maktab ul-Khadamat), un organisme conçu dans les années ’80 pour alimenter le jihad afghan en volontaires, Al Qaïda (La Base) fut pensée par son créateur, Oussama Ben Laden, comme une structure de soutien aux vétérans de cette guerre.Réfugié au Soudan, Oussama Ben Laden y rencontra de nombreux responsables terroristes islamistes et y tissa des relations qui s’avéreront précieuses par la suite. Certains, comme les membres du GIA algérien, refusèrent cependant de lier leur combat à celui d’Al Qaïda. Jusqu’en février 1998, Al Qaïda resta donc une organisation de soutien au jihad, sans activité opérationnelle directe. Le mouvement apportait une aide d’autant plus précieuse qu’il s’était implanté en 1996 dans l’Afghanistan des Talibans, dans lequel il dispensait entraînement paramilitaire et formation à la clandestinité. Il faut rappeler ici que les tous les camps d’entraînement terroristes en Afghanistan n’étaient pas gérés par Al Qaïda, certaines structures étant réservées à d’autres mouvements.Mais, le 23 février 1998, Oussama Ben Laden diffusa le communiqué annonçant la création du Front Islamique Mondial pour le Jihad contre les Juifs et les Croisés. L’arrestation en Albanie de trois jihadistes égyptiens grâce à la CIA et leur expulsion vers l’Egypte confirma Oussama Ben Laden dans sa volonté de frapper les Etats-Unis en Afrique.

– Al Qaïda en première ligne

Les attentats contre les ambassades des Etats-Unis à Nairobi et Dar-es-Salam, commis presque simultanément le 7 août 1998, furent l’aboutissement d’une longue période de préparation et constituèrent le véritable « coming out » d’Al Qaïda. Revendiquées par l’Armée Islamique de Libération des Lieux Saints (AILLS), une organisation prête-nom, ces attaques montrèrent au monde les capacités d’Al Qaïda, ses modes opératoires, les cibles qu’elle allait privilégier et son mépris pour la vie des populations civiles.

Complot terroriste associant des cellules implantées dans deux capitales, un réseau logistique couvrant l’Afrique de l’Est, le Yémen et l’Afghanistan, et s’appuyant sur des ONG du Golfe, cette opération fut le fruit de la seule volonté d’Oussama Ben Laden, obnubilé par le jihad mondial contre les Etats-Unis. Ses adjoints directs et le majliss d’Al Qaïda attendaient pour leur part la réalisation d’attentats contre les intérêts israéliens, mais les succès de l’organisation firtent taire, pour un temps, leurs doutes.

De 1998 à 2002, Al Qaïda réalisa elle-même une série d’attentats spectaculaires, et imprima sa marque dans l’Histoire avec les opérations du 11 septembre 2001 à New-York et Washington : Attentats contre l’USS Cole en octobre 2000 au Yémen, contre la synagogue de la Ghriba à Djerba en avril 2002, contre une discothèque à Bali en octobre 2002, contre un pétrolier français au Yémen en octobre 2002, contre des intérêts touristiques israéliens au Kenya en novembre 2002. Des projets ont été déjoués en Jordanie et aux Etats-Unis en décembre 1999, en France en décembre 2000, en Italie en janvier 2001, en Belgique et en France et en septembre 2001, etc.

 

Cette période, sorte d’apogée opérationnel, trouva sa fin à la suite de la vaste campagne anti terroriste déclenchée par les Etats-Unis et leurs alliés. Les arrestations de plusieurs hauts responsables de l’organisation, dont Khaled Sheikh Mohamed et Abou Zoubeida, et l’élimination d’autres, dont le chef militaire d’Al Qaïda, Abou Hafs al Masri, mirent un frein aux projets du groupe. De plus en plus, Oussama Ben Laden fut contraint de s’appuyer sur les réseaux locaux et laisser se développer des opérations contre Israël et les communautés juives, à la demande des émirs désireux de s’impliquer dans le conflit palestinien.

–  Un réseau mondial structuré

L’organisation d’Al Qaïda a constitué pendant près d’une décennie une énigme pour les services de sécurité occidentaux habitués à lutter contre leurs homologues du l’ex-bloc soviétique ou contre des groupes terroristes révolutionnaires. Reposant sur une organisation militaire, le réseau terroriste s’appuyait sur des solidarités personnelles échappant à la compréhension initiale. Bien que disposant d’organes internes rappelant le fonctionnement de structures clandestines passées (comité militaire, comité religieux, unités chargées de la gestion des volontaires, du budget, etc.), Al Qaïda a privilégié une organisation souple s’appuyant sur des coordinateurs régionaux ou nationaux puisant dans les communautés musulmanes des volontaires jihadistes. Présents à Londres, en Belgique, en Allemagne, en Italie, en Egypte, en Syrie, au Yémen, au Pakistan et au Canada, ces individus ont joué un rôle majeur avant la répression ayant suivi le 11 septembre en organisant aussi bien des attentats que filières logistiques. Le démantèlement rapide de cette « internationale du jihad » a conduit Al Qaïda à confier de plus en plus à ses alliés locaux la mise en œuvre de ses projets terroristes et à laisser une grande autonomie opérationnelle aux cellules ayant survécu aux arrestations.

2. Le jihad mondial : du jihad global aux jihads régionaux

La pression sécuritaire de plus en plus forte sur les réseaux jihadistes, si elle n’a pas empêché tous les attentats projetés par Al Qaïda et sa mouvance, a cependant entraîné de profondes modifications des méthodes opérationnelles.

De la toute puissance opérationnelle au repli stratégique

L’intervention occidentale en Afghanistan, si elle a considérablement réduit les capacités d’Al Qaïda, a renforcé sa détermination à lutter et à frapper partout où cela serait possible. La nécessité s’est donc imposé de déléguer aux réseaux locaux la conduite des attentats. Cette stratégie s’est rapidement révélée payante en Indonésie grâce à la Jemaah Islamiya (JI) puis au Maroc en mai 2003.Parallèlement, l’invasion anglo-américaine de l’Irak a redonné au jihadisme une impulsion, probablement décisive. Comme dans les années ’80 et ’90, des réseaux se sont spontanément constitués afin d’envoyer des volontaires combattre en Irak, tandis que l’idéologie jihadiste redonnait à des groupes en perte de vitesse une légitimité qu’ils avaient perdue depuis des années. Les attentats d’Istanbul, de Madrid puis de Londres, ainsi que le retour du terrorisme en Egypte ou son émergence en Jordanie et surtout en Arabie saoudite, ont favorisé le repli stratégique d’Al Qaïda, qui, pour reprendre une expression des services de renseignement français, « avait rempli son rôle historique de déclencheur du jihad mondial ». Cet effacement opérationnel de l’organisation a cependant été également provoqué par le retrait progressif d’Oussama Ben Laden du processus décisionnel.

L’effacement de Ben Laden et le retour des idéologues

Traqué, malade – et désormais probablement mort, Oussama Ben Laden a été remplacé à la tête d’Al Qaïda par Ayman Al Zawahiry. Celui-ci, en raison de son histoire personnelle, a progressivement imprimé sa propre marque sur Al Qaïda.

D’abord focalisé sur l’Irak, perçu comme le piège qui allait fonctionner là où celui tendu en Afghanistan avait échoué, l’idéologue égyptien a développé une rhétorique complexe inspirée aussi bien par l’islam radical que par une forme modernisée du panarabisme. Sa vision du monde, à la fois plus subtile et plus radicale que celle de Ben Laden, a permis la mobilisation de centaines de sympathisants dans le monde, en partie grâce à ses incessantes interventions télévisées. Surtout, l’impopularité croissante des Etats-Unis et de leurs alliés dans le monde arabo-musulman ont offert à Ayman Al Zawahiry l’occasion de mettre en pratique sa propre conception du jihad. Au lieu de mener seule une vaste campagne terroriste, au risque d’y prendre des coups sans pouvoir les rendre, la nouvelle direction d’Al Qaïda a choisi de revenir au rôle de structure de soutien logistique et idéologique de mouvements régionaux. Cette stratégie est particulièrement visible depuis plus de deux ans, avec l’adoubement du GSPC algérien, devenu Al Qaïda au Maghreb Islamique ou la réactivation d’Al Qaïda dans la Péninsule Arabique, issue de la fusion des cellules rescapées du jihad en Arabie saoudite et des réseaux présents en Yémen. La volonté de pousser les feux en Somalie mais aussi au Pakistan à la faveur des troubles graves qui secouent ces pays est considérée comme une menace majeure en raison de la capacité d’Al Qaïda à peser sur la ligne politique des insurgés.

Les nouveaux fronts du jihad

La nouvelle stratégie de Zawahiry a été parfaitement illustrée par l’ambitieuse opération terroriste menée à Bombay en novembre 2008. Réalisée par des individus ayant bénéficié du soutien avéré d’une partie de l’appareil sécuritaire pakistanais, cette attaque, unique par son ampleur, a également reçu l’imprimatur des responsables d’Al Qaïda, impliqués dans la fourniture de moyens et de conseils.

Les attentats de Bombay obéissaient en effet à une double logique, de plus en plus présente dans les opérations jihadistes : inscrits dans un contexte « local », ils visaient à la fois un Etat et des objectifs internationaux. Cette double ambition, qui cherche également à susciter des vocations par la « propagande par le fait », influence les groupes actifs au Yémen ou en Algérie dans le choix de leurs cibles, et mobilise depuis des mois les jihadistes turcophones présents en Asie centrale dont les menaces récurrentes pèsent sur la politique allemande.

A la campagne globale s’est donc substituée une stratégie de soutien à de nombreux jihads locaux. L’ouverture de nouveaux fronts jihadistes est un objectif que Zawahiry poursuit depuis 2006, à l’occasion de ses commentaires de l’actualité internationale. Héritier de la mouvance islamiste radicale égyptienne mobilisée à la fois par la lutte contre le régime du Caire et la libération de la Palestine, le leader d’Al Qaïda tente de reproduire ce double objectif. Il est aidé par la résurgence de méthodes, modernisées, ayant fait les beaux jours de la mouvance islamiste radicale dans les années ’90. Les lieux de rencontre clandestins dans les mosquées radicales et les coordinateurs régionaux ont ainsi été remplacés par les forums jihadistes sur Internet, mais l’essentiel demeure : la communauté du jihad est plus que jamais unie et échange informations, méthodes et idées. Elle pratique toujours l’entraide, et on a vu récemment l’épouse d’un jihadiste mauritanien exfiltrée vers le Pakistan via le Mali, le Tchad, la Somalie et le Yémen. Cette longue chaîne de solidarité, qui a mis à contribution l’ensemble des groupes terroristes de ces pays, illustre l’étroitesse des liens au sein de la mouvance jihadiste.

La présence de terroristes marocains ou maliens dans les maquis kabyles d’AQMI est une autre illustration de ces incessants mouvements invisibles.

La menace terroriste, si elle n’a pas changé de nature, a changé de logique. Base idéologique, Al Qaïda organise depuis le Pakistan la nouvelle architecture de son jihad et tente de défier ses adversaires sur de nombreux fronts simultanés.