Le maniement des explosifs est un art complexe et mystérieux pratiqué par des hommes taciturnes – « taiseux », diraient les critiques de Télérama – que l’on surnomme, dans l’armée, des nedex (pour « Neutralisation Enlèvement et Destruction d’Explosifs »). L’extrême sophistication de leurs pratiques a été immortalisée par Mais où est donc passée la 7e Compagnie ? (Robert Lamoureux, 1973), un film de guerre de qualité française.
En 2008, Kathryn Bigelow, prenant la suite d’une belle série de films consacrés à la campagne irakienne de l’Empire, a choisi de s’intéresser à une équipe de nedex de l’US Army déployée à Bagdad.
Premier film de guerre à remporter l’oscar du meilleur film depuis Platoon (Oliver Stone, 1986), The hurt locker constitue presque un documentaire centré sur un trio de démineurs. Les personnages sont dessinés à grands traits, et la caméra s’attarde à peine sur le sergent William James, qui rappelle parfois le capitaine Willard d’Apocalypse Now. Sans véritable intrigue, le film, tourné en Jordanie pendant le Ramadan 2008, enchaîne des scènes permettant de saisir l’essentiel des défis auxquels est confrontée la contre-guérilla conduite par l’US Army en Irak, aussi bien à Bagdad que dans le désert
Le manque de moyens du film, loin de Blackhawk down, n’est aucunement un handicap, et rien n’a été oublié : ni les corps piégés, ni la chaleur, ni l’ennemi invisible au cœur d’une ville qui s’agite et tente de survivre, ni les insurgés qui filment alors qu’on désamorce une charge, ni le confort dans lequel vivent les soldats américains, ni les contractors, véritables auxiliaires des troupes régulières et de la CIA.
Sciemment, la réalisatrice évite les intrigues, tout en semant des indices : qui est donc ce mystérieux artificier irakien ? Qu’arrive-t-il au boucher de la première scène ? Quelle est l’histoire du sergent Williams ? Kathryn Bigelow n’en a cure, elle filme la vie de soldats qui, comme dans Platoon ou Hamburger Hill, comptent les jours avant la quille. La mise en scène, sobre, ne se permet que quelques truquages lors de la première explosion, et un gimmick remarquablement habile : à chaque découverte d’un IED on peut entendre un réacteur de jet. Est-il dans le ciel irakien ou dans l’imagination des soldats ? Mystère.
Les codes de l’amitié masculine ont déjà été traités par la cinéaste dans Point Break (1991), le film préféré de Brice de Nice, mais on sent que ce n’est pas le propos ici, malgré une soirée entre hommes plutôt virile. Elle nous montre la nouvelle génération des guerriers américains, toujours intéressés par la marijuana, mais ayant remplacé l’écoute des tubes de la Motown par une XBox. La question de la justesse de la guerre n’est pas évoquée, on ne parle pas d’Al Qaïda ou d’ADM, la caméra est embedded, et on n’en saura pas plus.
Froid, sans sentiment pour ses personnages, sans avis sur la guerre, Démineurs est l’anti Green Zone. Cet absence, apparente, de fond, n’empêche pas le film de vous hanter. A voir et à méditer.
On ne remerciera jamais assez Doug Liman et Paul Greengrass pour leur contribution salvatrice au film d’espionnage. Il faut dire que le genre était lourdement handicapé par l’affligeante médiocrité de la série des James Bond et autres pantalonnades hollywoodiennes.
En 2004, David Mamet, le grand dramaturge et cinéaste américain, a donc profité du coup de balai donné par le premier épisode des aventures de Jason Bourne, « La mémoire dans la peau » (2002), pour réaliser « Spartan ». On y découvre un Val Kilmer en inquiétant ancien membre des Marines, sorte d’atout ultime à dégainer lors des situations inextricables. Chargé d’une mission ô combien délicate, il se révèle aussi dangereux de Bourne, moins spectaculaire sans doute, et surtout plus sobre que Jack Bauer (je ne faisais pas référence à la vie mouvementée de Kiefer Sutherland !).
Mais comme toujours chez Mamet, l’important n’est pas dans l’action – il n’y en a d’ailleurs pas tant que ça – mais dans l’intrigue et dans le double-jeu des personnages.
Dramaturge reconnu, scénariste de talent (“Les Incorruptibles”, de Brian De Palma, en 1987, c’est lui), David Mamet aime à bâtir des intrigues complexes à l’aide de personnages ambigus, loin des clichés mille fois vus. Cette approche lui a permis de réaliser un polar méconnu en France, « Homicide » (1991),
et surtout « La Prisonnière espagnole », un des films les plus remarquables qui soit sur l’art de la manipulation et qui devrait être montré à bien des fonctionnaires « spécialisés » français.
« Spartan », loin de disposer des moyens de la série des Bourne ou de « Spy Game » (Tony Scott, 2001), nous montre une opération spéciale sobre montée dans la précipitation, comme souvent… Rien que pour ça, il faut voir ce film.
Il y a un plaisir presque grisant à assister aux raids réguliers de l’US Air Force et de la CIA au Pakistan et en Afghanistan contre les Taliban et les membres d’Al Qaïda. Plus que la puissance, (« Sans maîtrise, la puissance n’est rien » disait dans les années 90s une publicité pour Pirelli), il faut saluer l’excellence opérationnelle retrouvée des services américains.
La stratégie d’attrition suivie par Washington n’a pas vraiment évolué depuis octobre 2001, et l’opération Enduring Freddom (OIF) se poursuit sans réelle coordination avec l’OTAN, les Nations unies ou tout autre acteur, et son but n’a pas changé : tuer des Taliban, tuer des terroristes, et empêcher la reconstitution d’un sanctuaire jihadiste dans le pays. Le processus de « nation building » lancé en décembre 2001 sous l’égide des Nations unies est jugé secondaire – et il me semble, pour ma part, relever de la simple foutaise dans un Etat morcelé par les querelles ethniques et rétif à tout pouvoir central, mais passons. Il est clair, en tout cas, que les Etats-Unis ne sont pas en Afghanistan pour y faire des expériences politiques comme ils le firent en Irak.
Leon Panetta, l’actuel directeur de la CIA, déclarait ainsi le 17 mars dernier au Washington Post (cf. ici que l’état-major d’Al Qaïda souffrait des actions de harcèlement menées par la CIA et qu’il éprouvait d’importantes difficultés à maintenir ses capacités opérationnelles.
Comme vous le savez, le choix délibéré par l’Administration Bush de gérer la menace jihadiste comme une menace militaire ne m’a pas choqué, même si je suis le premier à déplorer la rigidité dogmatique qui a sous-tendu cette approche. Le fait est que la mobilisation sans précédent de l’appareil militari-sécuritaire américain a donné de spectaculaires résultats mais a également montré ses limites. La lutte contre Al Qaïda est, en effet, logiquement devenue une lutte contre le jihadisme, puis un combat contre l’islam radical, et c’est bien là que les vrais problèmes commencent. Arrêter des terroristes, démanteler des réseaux, casser des cellules, bombarder des camps d’entraînement : toutes ces activités, pour plaisantes qu’elles soient, ne demandent finalement que des moyens et de la volonté et ne sont, en réalité, du ressort des autorités politiques que pour des aspects financiers et diplomatiques.
A l’exception de l’Empire américain, pour lesquels ces choix ont des conséquences mondiales en raison de leur ampleur, aucun Etat n’a réellement dépassé cette approche. Pourtant, au-delà de la répression sans fin du jihadisme se pose l’inquiétante question de l’avenir de la menace. Certains établissent de subtiles distinctions entre l’islamisme radical, le salafisme et le jihadisme. Pour ma part, j’établis des liens directs entre ces idéologies et je me garde d’analyses trop subtiles qui finissent par noyer la nécessité d’agir sous les objections de mandarins. Je suis bien obligé de penser que la lutte contre les disciples d’Al Qaïda va durer des décennies si nous ne parvenons pas à nous attaquer aux racines du mal. Il n’a ainsi échappé à personne que la rhétorique jihadiste empruntait de plus en plus aux discours altermondialistes, révolutionnaires et anticolonialistes en vogue dans les années 60s et 70s.
Il n’a pas non plus échappé aux observateurs que l’islam radical recrutait de plus en plus aisément sans faire référence à la religion, et même que les pays occidentaux voyaient avec inquiétude sortir de leurs classes populaires, de leurs communautés d’origine étrangères, voire de leur bourgeoisie, de jeunes disciples tentés par l’aventure romantique d’un islam devenu LA cause à défendre. La lutte contre le jihadisme n’est dès lors pas seulement une affaire impliquant des moyens d’investigation et de coercition mais aussi un défi relevant de la lutte idéologique et, pour tout dire, de la guerre psychologique (cf. ici pour un remarquable éclairage sur ce point).
Puisque nous ne pourrons pas indéfiniment tuer dos ennemis, et puisque plus nous en tuons plus ils recrutent de volontaires, trois solutions s’offrent à nous :
– Redoubler de violence dans nos actions armées (les lecteurs de ce blog savent à quel point j’apprécie la « stratégie du cinglé ») mais cette option, humainement coûteuse et politiquement indéfendable, nous coûterait notre supériorité morale et nous réserverait dans l’Histoire la place peu enviée des tyrans ;
– Adopter la méthode défendue par Marc Sageman, i.e. interrompre nos opérations armées lointaines et nous en remettre à la défense du limes – en espérant, comme un gardien de but, que personne ne passe… Le risque est trop grand pour être retenu.
– Annihiler les arguments utilisés par l’adversaire jihadiste pour justifier ses attaques et recruter des volontaires.
Cette dernière option, qui semble relever du bon sens et qui obéit au souhait d’économiser des vies, est singulièrement difficile à mettre en œuvre face à une insurrection mondiale, initialement incarnée par l’islam radical, mais désormais avant-garde de l’opposition Nord-Sud. Comment gagner la bataille des cœurs et des esprits quand on s’attaque, non pas à un courant de pensée, mais à une idéologie découlant d’une religion ? Comment éviter d’être accusé – véritable tarte à la crème – de favoriser le choc des civilisations ?
Pour reprendre un épisode de la série The West Wing, la connexion directe entre le l’islam et le jihadisme est la même que celle existant entre le christianisme et le Ku Klux Klan.
L’immense majorité des musulmans de cette planète condamne la violence jihadiste, mais se refuse à le faire publiquement afin de n’être pas suspectée de collusion avec l’Occident. De plus, ces musulmans, que les journalistes s’obstinent à qualifier de « modérés » (comme si la presse avait déjà tranché le vieux débat sur la violence intrinsèque de l’islam), sont sensibles à certaines des thèses de l’islam radical : refus de la domination occidentale, rejet d’une classe politique corrompue, défense d’une identité propre contre la mondialisation (la convergence avec l’extrême-gauche et l’extrême-droite se fait essentiellement sur ce point). Mais s’attaquer au jihadisme avec un discours imprécis, caricatural, naïf, reviendra, dans la bouche de nos contradicteurs, à s’attaquer à l’islam. C’est précisément ce qu’il faut éviter. La difficulté est donc immense : il faut couper les islamistes radicaux de leur base musulmane, et pour ce faire il faut :
– Mettre un terme aux crises qui sont autant de points de fixation entre l’Occident et le monde arabo-musulman – mais est-ce possible ? on a du mal à apercevoir la fin des conflits palestiniens, cachemiris, tchétchènes, on voit mal les tensions dans les Balkans, au Nigeria, en Indonésie, se dissiper…
– Soutenir – et c’est un travail qui va occuper plusieurs générations – accompagner l’avancée de ce monde vers la modernité telle que nous la concevons dans nos sociétés, mais se repose la cruelle et douloureuse question de la dissolution d’un islam global dans notre modèle politique et social.
– Tenir bon sur nos propres valeurs.
La nécessité d’opposer un contre-discours occidental au discours jihadiste tient en effet, entre autres, au fait que nous refusons, dans nos sociétés occidentales postmodernes, de nous définir. Ce refus obstiné de nous opposer sur le fond aux discours de l’islam radical est un handicap qui tient aux tabous né des horreurs du XXe siècle. Notre condamnation du nationalisme, les moqueries que provoque le patriotisme, les pudeurs issues de nos défaites morales pendant la décolonisation, qui furent des atouts pour construire une Europe apaisée, sont autant de faiblesses utilisées par les jihadistes qui, en tant qu’islamistes radicaux, militent pour le renouveau d’une identité arabo-musulmane – en se référant à un passé fantasmé.
Cette perception, diffuse, du défi lancé pacifiquement – mais fermement – par les islamistes radicaux et violemment par les jihadistes a probablement conduit au lancement dans notre pays du calamiteux « débat sur l’identité nationale ». Mais, sans impulsion digne de ce nom (on me permettra de ne pas considérer Brice Hortefeux, Christian Estrosi et surtout la pimpante Nadine Morano comme des personnalités de référence), sans aucune articulation intellectuelle, ce débat – qui plus est lancé au moment où les Suisses votaient contre les 4 minarets qui « défigurent » leur confédération) – n’a abouti qu’à faire remonter à la surface du marécage les pires penchants des Français. La question, qui aurait sans doute gagné à être traitée par le ministère de la Culture, n’a donc abouti à rien de sérieux. Elle a surtout donné l’impression que les Français ne se définissaient que CONTRE d’autres cultures. Outre que cette posture est assez dangereuse quand on fait le compte des défaites militaires de ces derniers siècles, il faut souligner qu’elle illustre notre incapacité à nous penser avec sérénité et nous expose aux menées des radicaux. Il ne leur reste plus qu’à grignoter, selon les principes éternels de l’agit’ prop’, notre démocratie en obtenant, qui des plages horaires réservées aux femmes dans les piscines, qui des cours de sciences rejetant la théorie de l’évolution des espèces de Darwin.
Le refus, par lâcheté aussi bien que par confusion mentale, de dire « stop » à temps conduit nos dirigeants, après des années de dérobades, à brutalement donner des coups d’arrêt qui stigmatisent des communautés entières et font le jeu d’une minorité pas vraiment silencieuse.
La faiblesse de notre posture est par ailleurs dévastatrice dans le monde. Harcelée par certaines de ses anciennes possessions, la France se refuse avec une admirable constance à appliquer le principe diplomatique de réciprocité. Les Israéliens le savent bien, qui humilient régulièrement notre consul à Gaza. Les Algériens le savent mieux, qui tentent désespérément de dépasser l’infinie médiocrité de leur régime en évoquant à longueur de colonnes dans une presse aux ordres les « crimes contre l’humanité » commis par « l’oppresseur colonial ». Cela ne pourrait être que du folklore si nous avions le cran de répondre. Mais, amie de tout le monde, la France, qui n’est en fait l’amie de personne, se garde bien de se défendre et expose sa vulnérabilité sur la place publique. Cette soif éperdue de respectabilité nous a incités à renier notre propre histoire en 2005 en refusant de voir mentionnée dans le projet de constitution européenne une référence aux « racines chrétiennes de l’Europe ». Cette reculade comme le spectaculaire échec du débat mené par M. Besson en dit long sur notre capacité à opposer sans violence nos valeurs à celles du jihadisme.
Comment, dans ces conditions, convaincre nos compatriotes du bien-fondé de notre présence militaire en Afghanistan ? Comment faire croire que nous y combattons, que nous y tuons et que nous y mourons pour défendre des valeurs que nous ne parvenons pas à énumérer sur notre propre sol ? La confusion des élites ne fait qu’aggraver celle du peuple qui, comme aux Pays-Bas depuis quelques années, se réfugie dans les bras de nationalistes nauséabonds habiles à jouer des peurs.
Le véritable kidnapping de la majorité silencieuse musulmane par les radicaux est confusément perçu par nos compatriotes. Le caractère englobant de l’islam, s’il n’est pas compris avec acuité par les peuples occidentaux, est redouté en raison du défi qu’il pose à nos sociétés. Parler d’un islam des lumières, comme Malek Chebel, n’offre hélas pas de solution à la crise historique qui se joue depuis la révolution iranienne. Entre les doutes qui taraudent l’Occident et les certitudes qui mobilisent le monde arabo-musulman, il est permis de s’inquiéter. Avant-garde de la revanche des opprimés contre les oppresseurs, l’islam radical n’entend pas s’arrêter et le risque de le voir rallier à ses thèses des peuples humiliés n’est pas mince.
C’est à des petits détails qu’on en apprend parfois beaucoup. J’ai ainsi découvert récemment que l’US Navy comptait dans son arsenal un destroyer baptisé USS Winston S. Churchill (DDG-881) en hommage au grand Premier ministre britannique. J’ajoute que l’équipage de ce navire comprend toujours un officier de la Royal Navy.
Ne soyons pas jaloux car de notre côté nous possédons au sein de notre flotte une frégate baptisée Montcalm (D-642), en hommage au marquis Louis Joseph de Montcalm de Saint Veran, le chef de nos troupes en Nouvelle France, qui mourut le 14 septembre 1759 à Québec après l’épouvantable bataille des Plaines d’Abraham. Faut-il rappeler ici que cette bataille fut menée par les Français en dépit du bon sens et que cet échec majeur entraîna irrémédiablement notre départ d’Amérique du Nord ? Voilà en effet un homme qu’il convient d’honorer…
Tranchant avec la médiocrité de la production actuelle sur le sujet, Olivier Hubac et Matthieu Anquez viennent de publier un ouvrage instructif sur le conflit afghan simplement intitulé « L’enjeu afghan. La défaite interdite ». Tout est dans le titre, même si on peut trouver que les auteurs tardent à entrer dans leur sujet.
Si on peut en effet regretter le style scolaire des premiers chapitres consacrés à la description de l’Afghanistan et à la présentation du conflit, il faut en revanche saluer la clarté des pages traitant de stratégie.
Qu’il s’agisse de décrire les méthodes et choix de l’insurrection ou de la Coalition, les auteurs livrent des clés pour comprendre le déroulement du conlfit en cours. Les paragraphes dédiés à la présentation des grands théoriciens de la contre-guérilla, dont j’ai déjà parlé sur ce blog, sont remarquables de synthèse et permettent au lecteur le moins initié de saisir les enjeux.
On pourra évidemment regretter quelques approximations douteuses sur Al Qaïda et certains attentats. Nos auteurs ne semblent ainsi pas avoir lu dans la pesse le résumé de la célébrissime théorie des 3 cercles de la DGSE, mais ces quelques erreurs n’enlèvent rien à la qualité de l’ensemble. Certains points, encore flous dans l’esprit du public, sont ainsi parfaitement expliqués, en particulier la coexistence de deux opérations militaires internationales en Afghanistan.
Un livre précieux, porté par de jeunes auteurs qui ont su écouter leurs anciens, à commencer par Gérard Chaliand et le général Desportes.
En forçant le Mali à libérer, dimanche dernier, 4 terroristes pour obtenir la libération de Pierre Camatte, détenu par Al Qaïda au Maghreb Islamique (AQMI) depuis le 26 novembre 2009, la France vient d’envoyer un bien étrange message aux terroristes.
Evidemment, personne n’a jamais cru qu’on ne négociait pas avec les terroristes, mais il y a un pas entre entretenir le contact par l’intermédiaire de mystérieux négociateurs et céder sur toute la ligne. En tordant le bras aux autorités maliennes afin qu’elles libèrent, après une parodie de procès, 4 membres d’AQMI, Paris a semé une belle pagaille au Sahel.
La crise diplomatique est en effet désormais ouverte entre Bamako, Alger et Nouakchott. Plus grave, notre coopération sécuritaire avec la Mauritanie a du plomb dans l’aile, sans parler des projets de coopération régionale contre les jihadistes. Et je ne parle même de nos détestables relations avec Alger.
La diplomatie supposée atlantiste de notre Président et les déclarations de fermeté n’y ont donc rien fait, et pour la première fois depuis les complexes prises d’otages au Liban, nous voilà pris en flagrant délit de compromission. Et ce ne sont pas les habituelles dénégations du Quai d’Orsay sur l’air de « nous n’avons pas payé » qui vont nous rassurer, tant il apparaît que la libération de ces 4 terroristes ressemble à s’y méprendre à une rançon.
Alors ? Alors, s’il faut se réjouir de la libération en bonne santé de notre compatriote, s’il faut saluer le travail des services de renseignement et des diplomates, à Paris comme à Bamako, il faut se rendre à l’évidence : en acceptant un deal avec AQMI, la France apparaît désormais comme le maillon faible de l’alliance internationale contre Al Qaïda. Les lois sur la burqa ou les rodomontades présidentielles n’y changeront rien, la France a cédé aux terroristes et a donc transformé la bande sahélienne en un immense supermarché dans lequel les jihadistes n’auront qu’à se servir. Attendons désormais les réactions de l’Espagne et de l’Italie, puisqu’AQMI garde en réserve trois humanitaires espagnols et un couple italo-brukinabé…
Et alors que le général Georgelin balance dans les médias le coût de la prise d’otages en Afghanistan de deux journalistes français (10 millions d’euros), attendons l’estimation du coût de la libération de 4 terroristes au Mali. Que dirons-nous lorsqu’ils tueront à nouveau ?
Espérons, pour finir, que la stratégie adoptée par Paris n’a été que la conséquence d’un bloquage persistant des contacts avec AQMI – hypothèse qui m’attristerait tant la compétence française dans le domaine est enviée – non la nouvelle manifestation d’une impatience qui devient la marque de fabrique de notre vie politique.
Je vais être franc, il me semble que nous écrivons tous beaucoup trop sur le jihadisme, ce phénomène encore jeune sur lequel nous ne disposons que de peu de sources. Ma démarche d’historien pourrait me conduire à faire mienne cette maxime d’un de mes professeurs de la Sorbonne qui affirmait en cours qu’on « ne fait de l’Histoire que quand les témoins sont morts »…
Evidemment, cette approche est plutôt radicale, et elle a été combattue par toute une génération de brillants universitaires. Ceux qui écrivent sur le jihadisme, comme ceux qui écrivaient sur le KGB il y a 30 ans ou qui tentent encore, comme les journalistes du Monde, de comprendre les mécanismes du génocide rwandais, s’exposent donc à des erreurs, à des approximations, à des désavoeux. L’absence d’archives et de sources fiables handicape les chercheurs, et chaque témoignage doit donc être accueilli comme une bénédiction divine.
C’est sans doute ainsi qu’il faut considérer le récit d’Omar Nasiri, « Au coeur du djihad », publié en France en 2006. Dans cet ouvrage, un homme prétendant avoir été un « espion infiltré dans les filières d’Al Qaïda » y relate sa vie dans les réseaux du GIA en Europe, son départ en Afghanistan dans les camps d’entraînement jihadistes puis son retour à Londres.
Disons le tout de suite, un tel récit est unique et constitue une mine d’or. Bien sûr, l’auteur s’y présente sous un jour avantageux, mais sa description des réseaux islamistes maghrébins en Belgique ou au Royaume-Uni et sa vision des camps afghans ou pakistanais est remarquable. On pourra simplement remarquer qu’en France un espion est un fonctionnaire rémunéré, et qu’une source humaine est qualifiée dans les rapports d’agent (cf. à ce titre « L’agent secret » de Joseph Conrad).
Evidemment, plusieurs observateurs ont profité de la publication de ce livre pour livrer leur propre vision de la mouvance jihadiste. En Algérie, un certain Adel Taos, journaliste au quotidien Liberté, s’est laissé aller aux pires penchants de certains plumitifs et a affirmé, à la lecture d' »Au coeur du djihad », que la DGSE « aurait couvert un trafic d’armes et d’explosifs au profit du GIA ». Ce raccourci a permis à notre journaliste d’impliquer la France dans la tragédie algérienne, voire de la considérer comme la complice des terroristes. M. Taos n’avait sans doute du renseignement qu’une connaissance lointaine, et il ne pouvait envisager qu’un service qui avait infiltré un groupe terroriste n’en était pas nécessairement le commanditaire. Il oubliait par ailleurs de préciser que les maigres cargaisons d’armes dont parle Nasiri n’avaient pas pesé lourd dans la guerre civile, surtout comparées aux stocks dont les terroristes s’étaient emparés facilement en Algérie dès 1992. Enfin, affirmer sans rire en 2006 que la France n’a pas aidé l’Algérie contre les terroristes islamistes relève de la plus pure mauvaise foi. Les services du Ministère français de l’Intérieur n’ont pas cessé de soutenir leurs homologues algériens, et la France a même livré, discrètement du matériel « à double usage » à l’Armée Nationale Populaire. Mais à quoi bon ?
Il faut par ailleurs saluer ici la performance de Claude Moniquet qui, en novembre 2006, osait écrire un article sobrement intitulé « Omar Nasiri, ou les dessous d’une manipulation antifrançaise » et dans lequel on pouvait lire « Nous sommes en mesure d’être catégoriques, [Nasiri] n’a jamais été un agent français ». (J’ai choisi ici de conserver le pseudonyme de Nasiri plutôt que sa véritable identité, que M. Moniquet livre aux quatre vents, le pauvre garçon a déjà assez d’ennuis)
Pas de chance, M. Moniquet, Omar Nasiri a bien été un agent français, et il a fait à peu près tout ce qu’il raconte. En l’espèce, Claude Moniquet s’est montré aussi imprudent qu’un lieutenant-colonel de la DAS (Délégations aux Affaires Stratégiques) qui avait affirmé doctement que jamais les services français n’auraient recruté un délinquant…
Mais loin de ces polémiques, il faut lire « Au coeur du djihad », puiser dans ses pages des détails fascinants sur le Londonistan, les camps afghans, les filières de volontaires, les méthodes des services.
Quelques mots pour vous signaler la parution du 17e hors-série de la revue WingMasters, consacré cette fois à la guerre aérienne menée depuis octobre 2001 en Afghanistan contre les Taliban et Al Qaïda.
Aux côtés des habituels montages de maquettes d’avions et d’hélicoptères, on trouve plusieurs articles clairs et concis qui constituent une bonne initiation à ce conflit.
A lire donc, avant de se plonger dans la presse anglo-saxone et de fréquenter les sites Internet spécialisés.
Echec opérationnel, l’attentat raté du 25 décembre contre le vol 253 de Northwest Airlines a d’abord été perçu par les observateurs comme la preuve de la volonté intacte des réseaux jihadistes de frapper. L’efficacité des systèmes de sécurité et l’activisme des services en Europe comme au Moyen-Orient et en Asie du Sud n’auraient donc pas désarmé les terroristes ? Quelle surprise !
Cette opération, qui n’a échoué qu’en raison d’un problème technique et non d’une quelconque intervention extérieure, a vu un homme seul, porteur d’explosifs conditionnés de façon inédite, déjouer les contrôles d’un grand aéroport occidental et parvenir à bord d’un vol transatlantique le jour de Noël.
Le rappel est sévère pour les services de sécurité comme pour les opérateurs privés, alors que les mesures de surveillance et de protection avaient été considérablement renforcées depuis le 11 septembre 2001, jusqu’à inquiéter les défenseurs des droits de l’Homme – qui sont certes facilement émus. Ainsi, au choc initial provoqué par cette opération s’ajoute désormais la mise en place de nouvelles mesures techniques (scanners corporels, « contrôles au faciès ») et diplomatiques (création de listes de « pays à risques », un fascinant concept que l’Empire parvient à défendre mais que nos ambassadeurs vendent avec le talent d’un commissaire soviétique à la Production).
Ces mesures, déjà porteuses de nombreuses difficultés, confirment la victoire des terroristes, qui poussent les Etats démocratiques à toujours plus d’exceptions au nom de la sécurité, alors que leur efficacité, déjà discutable, ne fait que décroître avec le temps. Perçue comme un aveu d’impuissance par plusieurs observateurs, la revendication de l’opération par Al Qaïda dans la Péninsule Arabique (AQPA), puis par Al Qaïda elle-même, a illustré la satisfaction du groupe yéménite et de ses inspirateurs. Il est en effet le premier groupe jihadiste régional à frapper loin de ses bases. Plus encore, dans son communiqué de revendication de l’attentat sur le vol Amsterdam/Détroit, AQPA célèbre une « seconde » victoire opérationnelle sur les services occidentaux par la mise à jour des failles sécuritaires, la première étant l’attentat manqué contre le vice ministre de l’Intérieur saoudien, le prince Mohammad Bin Nayef, le 23 août 2009 à Djeddah.
Il convient cependant de noter que les opérations suicides de jihadistes contre des avions ont rarement réussi. A l’exception notable du 11 septembre, aucun projet terroriste contre de telles cibles n’est allé à son terme. En décembre 2001, Richard Reid, déjà, avait été maîtrisé par des passagers.
En août 2006, les terroristes afghans qui tentaient de détruire des appareils avec des explosifs liquides avaient été interpellés. La répétition des attentats de New-York reste de toute façon hors de portée, et le restera probablement tant que les terroristes tenteront de contourner les dispositifs de sécurité. La prochaine étape de leurs tentatives devrait donc voir les groupes jihadistes recruter des personnels des aéroports ou des compagnies aériennes. C’est en tout cas la prévision que font certains analystes des services de sécurité, mais entre les délires d’un certain aristocrate vendéen et les postures politiquement correctes de nos gouvernants, la voie est étroite.
L’évolution stratégique de doctrine d’Al Qaïda avait été vue dès les attentats de Bombay, en novembre 2008, et ne fait désormais plus de doute, malgré les articles de quelques uns. Emir de facto du mouvement terroriste depuis la disparition d’Oussama Ben Laden, Ayman Al Zawahiry, fidèle à son passé de jihadiste égyptien, a toujours clairement encouragé les initiatives régionales des alliés d’Al Qaïda. Pour lui, la conduite d’opérations localisées et la multiplication de jihads régionaux ne contredisent pas les ambitions globales d’Al Qaïda, mais contribuent, au contraire, à les compléter. Souvenons-nous, et je m’adresse ici aux vétérans du contre-terrorisme, ceux qui, il y a 15 ans, luttaient déjà contre les barbus quand d’autres rédigeaient de poussifs livres blancs, souvenons-nous, disais-je, de l’Armée Islamique de l’Ogaden, d’Al Ittihad Al Islami, de l’Armée Islamique d’Aden-Abyan, du KMM, de la Jemaah Islamiyah, du Lashkar-e-Tayyeba, d’Abou Sayyaf, et de dizaines d’autres. A cette époque, le jihad global porté par Al Qaïda supportait parfaitement l’existence de jihads locaux,
Sérieusement handicapée par la pression militaire américaine en Afghanistan et dans les zones tribales pakistanaises, l’organisation a donc choisi de revenir à sa posture des années ’90 en soutenant des organisations locales. Cette association du global et du local, baptisée « glocal » dans les services de renseignement, et que Jean-Luc Marret a contribué à populariser, trouve sa parfaite illustration en AQPA.
Mais AQPA est allée plus loin encore. Capable de frapper des cibles sensibles (« high value targets ») dans sa zone naturelle d’action, elle se révèle également capable de projeter des terroristes en Europe pour frapper des intérêts américains. La menace en Europe ne provient plus seulement de groupes déjà présents sur le continent (AQ) ou dans sa périphérie (AQMI), mais de groupes censés être actifs dans d’autres régions du monde. L’Union du Jihad Islamique (UJI), une organisation ouzbèke, a ainsi déjà tenté de fapper en Allemagne, mais ses tentatives ont été déjouées.
En multipliant les angles d’attaque, Al Qaïda apporte une réponse inquiétante aux multiples opérations des services occidentaux contre elle et ses alliés. Le récent attentat en Afghanistan d’un membre des services jordaniens contre un centre de la CIA illustre ainsi cette évolution majeure : la menace jihadiste gagne en complexité, et ses membres correspondent au modèle de l’insurgé innovant cher à Jean-Marc Balencie et Arnaud de la Grange.
Espérons que ceux qui nous défendent contre elle en ont conscience. Il est permis d’en douter.
Les concepteurs de la série Call of duty avaient déjà délaissé, à l'occasion de l'épisode 4, les champs de bataille de la Seconde Guerre mondiale pour s'aventurer dans les conflits modernes. L'expérience avait été concluante, même si je persiste à préférer la série Rainbow Six inspirée de Tom Clancy.
Il faut cependant reconnaître que ce premier opus contemporain avait fait mouche.
Forts de ce succès, les auteurs ont donc remis ça avec ce Call of Duty Modern Warfare 2, dont la sortie, en novembre dernier, a été saluée par la presse mondiale comme le plus grand lancement d'un produit culturel (je laisse à ceux qui rejettent ce qualificatif pour un jeu vidéo le soin d'avancer leurs arguments).
Sans aller jusqu'à me dire déçu, je dois bien avouer que cette nouvelle mouture m'a quelque peu laissé sur ma faim. Le scénario, quasiment incompréhensible, est le prétexte à une campagne trop rapidement achevée, mais certaines missions resteront des "must", en particulier la prise d'assaut de la Maison Blanche. Comme dans d'autres FPS, certaines parties s'inspirent ouvetement de films, et il n'échappera à personne que la fusillade dans les douches d'une prison contre un groupe de soldats en embuscade est directement tirée du consternant The Rock, (1996, Michael Bay, avec Nicolas Cage et Sean Connery).
Les parties en ligne, en revanche, donnent au jeu une réelle profondeur, dans des environnements que n'offre pas la campagne. Dans un cimetière d'avion, dans des villes dévastées ou des villages abandonnés, on ne s'ennuie pas, et à la différence du jeu, une seule balle ne pardonne pas - quand il faut presque un demi-chargeur pour abattre un soldat russe dans la campagne.
La réalisation, du moins sur XBox 360, n'est pas parfaite et certains corps ont tendance à flotter. Mais on a rarement le temps d'observer cet intéressant phénomène...
Bref, un jeu qui n'est certainement pas le miracle annoncé, mais qui offre quelques heures de détente - pour ceux qui prennent du plaisir à attaquer des bases navales, bien sûr.