« Here comes the clown/His face is a wall » (« By my side », INXS)

Je n’ai pas voté, le 22 avril. Un tas de trucs plus importants à faire. J’ai sans doute passé l’aspirateur, rangé des chemises, écouté un album de John Lee Hooker, ou commencé la lecture de L’homme de Nazareth, d’Anthony Burgess (1976). La routine, en quelque sorte. Ah non, ça me revient, j’ai revu avec un immense plaisir les deux films que Christopher Nolan a consacrés à Batman (Batman Begins, 2005, The Dark Knight, 2008), deux véritables monuments du cinéma de distraction. Dans le 2e volet, on y voit un procureur y semer la désolation au nom de la défense fanatique de ce qu’il estime être le bien. Autant dire que cela trouve un écho dans notre situation, mais passons…

 

Oui, je sais, on me l’a dit, on me l’a même répété, c’était le premier tour de l’élection présidentielle dans notre pays, un droit que les deux-tiers de la planète nous envient, un événement libre pour lesquels on est mort et on a tué. Un moment de communion démocratique, au-delà de nos divergences. Seulement voilà, à quoi bon voter quand on ne sait pas pour qui voter ? A quoi bon, même, glisser un bulletin blanc ou nul dans l’urne alors que, de toute évidence, ça ne changera rien et que tout le monde s’en moque ?

Alors que les électeurs français se sont déplacés en nombre pour voter, et seront sans doute plus nombreux encore dimanche prochain, je ne peux cacher ma lassitude devant l’affligeant spectacle d’une campagne électorale en tous points confondante de médiocrité. Les échanges sur le fond ont été réduits au minimum syndical, et force est de constater que l’élection qui se joue n’oppose pas deux programmes mais tourne au plébiscite contre le Président sortant.

Autant le dire tout de suite, je ne suis pas, à proprement parler, un fervent soutien de M. Sarkozy tant a grandi ma consternation tout au long de son mandat. Certes combattif, certes pugnace, certes charismatique, il n’a pas su s’entourer, et c’est pourtant à cela qu’on juge les grands chefs. Je ne reviens pas sur les absurdes procès d’intention, à mes yeux parfaitement irrationnels, qui lui ont été faits. Le Fouquet’s ? Broutille, et l’adresse vaut bien la Maison de l’Amérique latine, aimable adresse de la Rive gauche que fréquentent les chefs du PS les soirs de victoire, ou les palaces hantés, avec l’argent des ses amis libanais, par Jacques Chirac, un Président qu’on a rarement vu se comporter en homme du peuple et qui a laissé quelques onéreux cadavres à la Mairie de Paris. Le yacht de Vincent Bolloré ? Une erreur, certes, mais finalement sans grande conséquence. Alors ?

Alors, il y a cette manie de micromanager, d’être plus près que tout le monde, de court-circuiter le Premier ministre – un homme que je pensais patient mais qui semble surtout être un peu mou du genou, cette capacité à parler trop vite, à pratiquer l’incantation, à s’entourer de caricatures comme les époux Balkany, Mme. Morano, MM. Douillet ou Estrosi, à pardonner aux amis – M. Hortefeux aurait dû démissionner après ses condamnations, voire être sorti dès ses blagues minables.

Il y a cette hyperactivité épuisante, ce goût puéril pour les bons mots, ces incroyables maladresses – comment faire une République irréprochable en tentant d’imposer un post-adolescent à la tête de l’EPAD ? Et cette insécurité affective, qui fait que le Président a d’abord semblé d’abord gouverner pour conserver l’amour de sa deuxième épouse, et qui le fait prendre sans réfléchir fait et cause pour les victimes, loin de la prudence qui sied au chef d’un Etat. Joe Pesci n’est pas Philippe Auguste.

Mais il y a aussi cette détestation irrationnelle, ces sous-entendus nauséabonds – oui, il a un grand-père juif, mais quelle importance ? – ce snobisme déplacé – vous avez lu La Princesse de Clèves ? Presque aussi emmerdant que la lecture des Pages jaunes.

Le quinquennat qui s’achève a été gâché, en partie seulement, par les passions qui ont entouré le Président, perçu comme le Sauveur par ses partisans, décrit comme l’Antéchrist par ses opposants, et les seconds n’ont pas été plus subtils que les premiers. Qui croit sérieusement que l’attentat de Karachi en 2002 est lié à cette histoire de commissions ? Qui croit une seconde à l’authenticité de cette très opportune note de l’ancien régime libyen sur le financement de la campagne de 2007 ?

Mais, oui, mille fois oui, il y aurait beaucoup de choses à dire et à écrire sur les liens du Président avec Mme Bettencourt, sur les sondages de l’Elysée, sur le traitement des journalistes, sur le passage de Mme Dati place Vendôme, sur la précipitation, l’improvisation. Le gâchis est indéniable, certes, et on le doit au Président lui-même, un homme qui pourrait être convainquant s’il n’était pas en train de demander un second mandat. Quand on voit ce qu’il a fait du premier…

Tout naturellement, après un tel bilan, le regard se porte sur le candidat de l’opposition, François Hollande. Quoi que disent certains, s’il n’a en effet pas exercé de fonctions gouvernementales, il ne tombe quand même pas du ciel. Député depuis 1988, plus de dix ans à la tête du Parti socialiste, il a quand même plus d’envergure qu’un Bernard Laporte. Il est intelligent, drôle, et même d’une grande ténacité puisqu’il a passé une partie de sa vie avec Mme Royal. Seulement voilà…

Autant le dire clairement, et bien que la fonction fasse parfois l’homme, je ne vois pas François Hollande se cramponner des heures à Bruxelles pendant d’interminables négociations. Je ne le vois pas ordonner l’ouverture du feu après des émeutes anti-françaises en Côte d’Ivoire, ou dire, à propos d’un chef taleb ou d’un émir d’AQMI : « Liquidez-moi ça ». Et saura-t-il dire à Laurent Fabius qu’il était Premier ministre il y a 28 ans et qu’il ferait mieux d’écrire ses mémoires ? La normalité, qui séduit tant nos compatriotes, n’est pas la caractéristique la plus évidente d’un chef d’Etat, et même d’un souverain. De Gaulle se comportait comme le messie, Mitterrand a été un moderne Machiavel, VGE avait l’égo d’un empereur romain du 1er siècle, Chirac ne faisait rien… M. Hollande veut gouverner une puissance mondiale comme on gère une aimable PME de province, le réveil va être brutal.

Et puis, il y a aussi un petit détail qui étonne : où est le programme ? Aucune des réformes réalisées par le Président ne va être remise en cause, ou à la marge, et on dirait bien que certaines mesures n’étaient d’ailleurs pas si bêtes. Quant aux annonces économiques, elles sont tellement absurdes, sans doute dictées par un touchant enthousiasme, qu’elles vont se révéler inapplicables. Tout le monde le sait, tout le monde le dit, tout le monde l’écrit, et pourtant, pourtant…

Ce qui est le plus troublant dans toute cette affaire, c’est que certains ne votent pas pour le projet socialiste mais contre le Président sortant. Je ne juge pas la démarche, je constate simplement qu’elle est un peu risquée. Et ce vide abyssal parmi nos partis de gouvernement laisse la place libre aux extrémistes, à droite mais aussi à gauche – puisqu’on a tendance à oublier en France que les communistes ne valent guère mieux, à tous points de vue, que les fascistes. Le 22 avril dernier, on a découvert que 30% de Français votaient pour des formations politiques qui prônent la haine et le rejet des étrangers, des Africains, des Arabes, des bourgeois, des intellectuels et qui, sans vergogne, portent un regard plein de complaisance sur les pires idéologies du 20e siècle.

Ne nous y trompons pas, en effet. Si le socialisme, pardon, la sociale-démocratie a imposé d’indispensables progrès à des sociétés dominées par un capitalisme peu ou pas concerné par le sort des classes les plus populaires, le communisme a été l’idéologie la plus sanglante, la plus meurtrière du siècle passé. En Russie comme dans toute l’Europe orientale, en Chine, dans la péninsule indochinoise, en Corée du Nord, en Afrique, en Amérique latine, les expériences communistes ont systématiquement fini en fiascos économiques et humains, en tueries de masse, en catastrophes écologiques, en régimes policiers plus ou moins ubuesques. Et j’aime autant vous le dire tout de suite, je me fous de savoir que le communisme repose sur une idée généreuse alors que les idéologies réactionnaires sont haineuses et rétrogrades. Et vous savez pourquoi je m’en fous ? Parce que quand vous êtes au fond du fossé, peu importe pour quelle glorieuse conception de la justice sociale ou quelle intransigeante défense de la nation vos enfants et vous allez être fusillés.

Mon engagement contre l’extrême-droite remonte à mon adolescence, et il ne s’est jamais démenti depuis. Il a marqué mes études, la façon dont j’ai géré ma carrière, il est un des fils rouges de l’éducation que je donne à mes enfants, et il détermine ma vie sociale. Mais cet engagement contre toute forme de stigmatisation et d’exclusion est le pendant de mon égale détestation des utopies marxisantes.

Plus de 18% des Français ont voté pour un parti qui est une improbable association de petits bourgeois réactionnaires, de monarchistes en déshérence, de catholiques extrémistes, de racistes indécrottables, de nazillons rêvant de dolmens et de forêts impénétrables, et d’ouvriers ou de petits employés exaspérés de se voir abandonnés. Je n’aurai pas la moindre pensée pour les premières catégories, mais je ne peux m’empêcher de contempler avec tristesse – mais sans pitié – le gâchis de ces vies populaires rongées par la peur, l’incompréhension et la haine. Là, nous avons raté quelque chose, et je ne vois pas comment nous allons pouvoir rattraper le coup. En même temps, me direz-vous avec raison, je ne fais pas de politique.

12% de Français, pour les mêmes motifs – peur, incompréhension, colère – ont voté pour un parti qui justifie, lui aussi, des crimes innombrables. Le vocabulaire des uns et des autres est le même : on y conspue des élites mondialisées, on y déteste de mystérieuses oligarchies, on y attaque les élites, on s’y complait dans la vulgarité haineuse, on y vante la violence purificatrice. M. Mélenchon et Mme Le Pen ont tort de s’attaquer avec tant de vigueur : en 1940, certains électeurs du premier auraient refusé de combattre le Reich quand certains électeurs de la seconde auraient choisi de collaborer avec l’occupant.

Pour tout dire, j’en ai assez du romantisme révolutionnaire qui nous envoie à la mort pour la bonne cause. J’en ai assez d’une certaine gauche drapée dans sa soi-disant supériorité morale, et j’en ai assez d’une certaine droite qu’on préférait complexée plutôt que confite dans ses certitudes imbéciles et sa médiocrité ravie, celle qui préfère Jean-Marie Bigard à Woody Allen, celle qui préfère Didier Barbelivien à Bob Dylan.

Parce qu’on serait de droite, anti-communiste, on serait une crevure fascisante ? Et parce qu’on pense qu’un Etat doit protéger les plus faibles, on serait un Bobo ? Désolé, mais ça ne marche pas comme ça.

Le 22 avril au soir, les oreilles encore emplies des musiques de Hans Zimmer et de James Newton Howard, j’ai entendu avec incrédulité des commentateurs politiques s’émouvoir du score de Marine Le Pen. Ah, ça, évidemment, 18%, c’est pas glorieux. Mais où est la surprise ? En 2002, ce funeste 21 avril qui fit jurer à nos politiques que tout allait changer, le FN avait fait 16%. Le Président sortant a bien joué la droitisation, poussé par Buisson et de malheureux calculs électoraux, mais les lignes ont-elles tellement bougé ?

Dans le pays de Poujade, de Pétain, de l’affaire Dreyfus, celui d’une décolonisation sanglante, celui du PNFE, comment s’étonner ? Comment oser s’étonner ? Qui a oublié que François Mitterrand faisait fleurir la tombe de Pétain ? Ou était un ami de Bousquet ? Ou avait été un terrible ministre de la Justice pendant la guerre d’Algérie ? Et qui se souvient du groupe parlementaire du FN à l’Assemblée en 1986 ? La mémoire ne devrait pas être réservée aux seuls historiens, comme l’usage du cerveau, d’ailleurs.

Bref, je me suis laissé aller, et ça n’a sans doute ni queue ni tête. Je ne peux pas voter pour un candidat socialiste, pourtant brillant et attachant, dont le programme sera caduc le soir de son élection. Et je ne peux voter pour un homme qui fait comme s’il n’avait pas été élu il y a 5 ans sur un programme de rupture en promettant une République irréprochable mais qui s’est mis dans la main d’un idéologue d’extrême-droite et tolère dans son entourage des tenancières de claques.

Le 6 mai, je pense que mon programme m’éloignera des urnes.

« Those people/They’ve got nothing in their souls » (« Tonight, the streets are ours », Richard Hawley)

On enterre beaucoup d’enfants, ces jours-ci, en Europe. Ça nous donne un drôle de printemps, et la lumière qui change dans les forêts ou les fleurs qui apparaissent n’y font rien.

Les cadavres de ce matin, les réactions des uns et des autres, les commentaires nauséabonds, les enquêtes de comptoir, les théories du complot (juif par ci, arabe par là, Sarko par ci, Hollande par là), les airs entendus du type qui sait tout mais qui ne peut trop en dire sinon il devra vous tuer mais comme il est sympa et qu’il aime crâner il vous fait remarquer qu’on est en pleine campagne électorale (ah bon ? sans rire ? mais c’est quoi ? les européennes ?), tout cela me lasse, me fatigue, me passionne, m’inquiète et me force presque à écrire ces quelques lignes (en même temps, personne ne m’a jamais forcé à rien, maintenant que j’y pense).

Depuis le début de cette affaire, je suis très partagé, entre ce que je vois et ce que je sais. Commençons par ce que je vois, depuis l’assassinat d’un premier parachutiste du 1er RTP, le 11 mars dernier.

J’ai vu un assassinat, une exécution, faite par un professionnel, un homme manifestement déterminé et expérimenté, capable de tirer avec un Colt .45 et de partir sans détaler. Pas une petite frappe en survêtement, donc, mais plutôt un homme serein, en mission, décidé à aller jusqu’au bout. Alors ? L’exécuteur d’un contrat ? Une vengeance ? Rien dans l’assassinat de ce soldat ne nous montrait le crime vulgairement raciste d’un grand frère jaloux ou d’un milicien du dimanche décidé à laver on ne sait quel honneur national.

Arrive alors la fusillade du 15 mars contre trois soldats du 17e RGP (2 tués, un troisième grièvement blessé). Même calibre, même mode opératoire, même calme, même détermination, même habitude manifeste de l’arme, même dédain pour les témoins ou les caméras de surveillance, décidément utiles lors des enquêtes mais bien inefficaces contre des individus décidés. Le lien avec l’assassinat du 11 mars se fait naturellement, et les hypothèses changent. D’autres portes s’ouvrent, que les enquêteurs doivent fermer. Les victimes se connaissaient-elles ? Quels sont leurs points communs ? Des trafics d’armes en provenance d’Afghanistan ? De drogue ? Des dettes de jeu ? Des histoires de fesses ? Des secrets gênants ? L’enquête vient de changer de dimension, le tueur se déplace, il est organisé, solide, il n’a pas peur d’être vu, même s’il est casqué. Les points communs apparaissent vite : des parachutistes, issus d’unités ayant combattu en Afghanistan et tous les trois d’origine non européenne. Deux pistes principales, donc : un raciste, mais pas un Dupont Lajoie, plutôt un loup solitaire digne d’une milice du Montana, habitué aux flingues, ou un farouche opposant à la guerre en Afghanistan. Dans ce dernier cas, la piste du jihadiste, lui aussi solitaire ou envoyé en mission, voire issu d’un réseau de soutien qui ne se dévoile pas, prédomine. Reste l’hypothèse du règlement de compte, le tueur ayant le bras ferme d’un employé de Michael Corleone.

Jusqu’à ce matin, j’hésitais entre le jihadiste et le tueur raciste – étant entendu que le jihadiste est rarement un farouche défenseur de la diversité ethnique et religieuse. La tuerie du collège Ozar Hatorah (4 morts, dont 3 enfants) change-t-elle tout ? Oui et non, en réalité.

Que ne change-t-elle pas ? Le tueur reste le même homme déterminé, qui après avoir tiré sur un soldat blessé qui rampait, a poursuivi des enfants dans la cour d’un collège pour les tuer et qui a, sans paniquer, changé d’arme quand son premier pistolet s’est enrayé. Il est terriblement froid, effrayant de détermination, et on est en droit, quelles que soient ses motivations, de parler de fanatisme. Son moyen de transport est le même – un scooter – et il se confirme qu’il opère donc dans et autour de Toulouse.

Que nous apprend-elle ? On peut lire un rythme – une opération tous les 5 jours, il faudra craindre vendredi prochain – et une montée en puissance : d’abord un meurtre, puis trois, puis l’attaque d’un collège. Cette croissance laisse craindre le pire, une nouvelle tuerie, voire un suicide final, soit lors de la dernière opération planifiée, soit lors de l’arrestation.

Que change-t-elle ? Après avoir visé des militaires, tous d’origine extra-européenne (je déteste cette expression, qui ne rend pas justice à leur engagement pour notre pays et les singularise inutilement), le tueur s’en est pris à nos enfants, des enfants français, quoi qu’en pensent certains, issus d’une communauté qui se sent, à tort ou à raison, visée et menacée. Le calcul me semble simple, on peut presque y lire une stratégie, un  but à atteindre, mais déjà un débat plus que bancal apparaît, et il nous renseigne, paradoxalement, sur le tueur.

Déjà, ici et là, jusque dans des esprits que l’on pensait éclairés, on parle de complot, de manipulation. Des intelligences supérieures plissent les yeux et énoncent de terribles questions, de troublantes révélations : Hmm, en pleine campagne électorale, le meurtre d’enfants juifs… A qui profite le crime ? Car quand on tue des soldats, c’est presque la routine mais quand on tue des enfants juifs, c’est forcément un complot – et au profit des juifs, hein, pas de blague. Ces gens-là profanent les crucifix, ils peuvent bien tuer leurs propres enfants. C’est bien simple, c’est à vomir, et on se demande à quoi servent les modérateurs de certains journaux en ligne.

Reprenons donc. A qui profite le crime ? Bon Dieu, on se le demande. Au Président sortant ? On en doute, quoi que fassent remarquer quelques analystes de 3e zone qui relèvent les « origines juives » du Président (encore une expression idiote) mais oublient que son émotion est sans doute plus due à son obsession des victimes qu’à un réflexe culturel ou communautaire. Si c’est un jihadiste qui a fait le coup – je vais y revenir –, l’idée de manœuvre est limpide : il s’agit de punir la France et le chef de l’Etat de l’engagement en Afghanistan et du soutien à Israël. Comment le candidat Sarkozy se relèverait-il du communiqué d’un quelconque groupe jihadiste revendiquant ces trois opérations et les justifiant par la diplomatie présidentielle ? Et si c’est un néo-nazi, un tueur en série en goguette, un ancien militaire ayant fondu un câble, comment le Président sortant pourra-t-il défendre son bilan sécuritaire, l’échec manifeste de la fusion des services de sécurité intérieure, le manque de moyen des institutions médicales qui laissent sans soin des malades mentaux, dangereux pour eux comme pour les autres ? Et soupçonne-t-on François Hollande, le candidat socialiste, un homme en apparence paisible, d’ourdir un complot de cette sorte contre le Président ? Je ricane.

Après toutes ces années, je n’ai vu que très peu de complots, et ils étaient tous bien plus subtils qu’un enchaînement binaire de causes et de conséquences dont sont friands les scénaristes de XIII et les lecteurs de Robert Ludlum, parfois à peine capables de découvrir la fin d’un épisode des aventures des sœurs Parker. Il faut se méfier des raisonnements de post-rationnalisation qui tentent de donner à des phénomènes ayant leurs propres logiques des explications acceptables ou, ce qui est pire, compatibles avec ses propres croyances.

Alors qu’un tueur animé par une haine farouche tue des enfants et des soldats, et s’apprête probablement à recommencer, au lieu d’exprimer notre solidarité et d’observer un silence de circonstance devant les réactions sans doute maladroites de responsables sous le choc, certains s’émeuvent. Laissons-les s’émouvoir et dégoiser sur les réactions d’une communauté qui vit le traumatisme d’une horreur historique et qui, dans le seul pays « souverain » à avoir collaboré avec le Reich et dont le comportement a entrainé la fondation du sionisme, entend certains leaders politiques baver sur les oligarchies cosmopolites ou le pouvoir des banques (air connu) – sans parler de quelques universitaires autoproclamés libres penseurs, comme les hilarants Bernard Lugan ou Aymeric Chauprade. Les remarques sur les supposés excès communautaristes des juifs de France n’ont pas leur place dans le débat public ce soir, même si on est en droit de se sentir blessés par les insinuations de personnes proches.

Mais revenons à notre tueur, unique objet de notre ressentiment. En décembre 2006, j’avais écrit une note – ou était-ce un mail officiel ? – à ma bien aimée hiérarchie afin d’apporter mon modeste éclairage sur l’évolution de la menace terroriste à l’approche des élections présidentielles. Toujours optimiste, et d’un naturel enjoué, j’avais, avec mes mots simples, exposé les vulnérabilités de notre pays. Il me semble avoir alors écrit, mais les archivistes le retrouveront peut-être, que les tensions politiques, sociales et communautaires nous exposaient à des attaques ciblées contre des objectifs à forte valeur symbolique mais faiblement protégées (High value soft targets, pourrait-on dire), afin de provoquer des crises politiques. En gros, l’idée n’était pas de faire des quantités astronomiques de morts et de blessés, mais de créer une onde de choc d’une telle violence que la vie de la nation en serait durablement et profondément bouleversée.

A New York, à Madrid ou à Beslan, les terroristes avaient réussi, si j’ose dire, le pire du pire en détruisant des cibles majeures tout en tuant des centaines de victimes. Dans la France de 2006, après 5 ans de destruction systématique des réseaux jihadistes, on pouvait imaginer que des terroristes chercheraient d’abord des cibles d’importance ne présentant pas de risques opérationnels : crèches, hôpitaux, écoles, musées. Mon raisonnement était, comme toujours, d’une grande simplicité : les terroristes veulent peser sur nous, nos vies, notre système politique et social, ils veulent appuyer là où ça fait vraiment mal. Quelles cibles plus sacrées que nos enfants ? Plus vulnérables que nos hôpitaux ou nos crèches ? Comment empêcher, comme à Beslan, la perte de contrôle de parents dévastés par la douleur ? Comment, comme le décrit Norman Spinrad dans Oussama, éviter que les parents des uns aillent massacrer les frères des autres ?

Dès lors, pourquoi chercher à identifier une manœuvre électorale aussi improbable qu’inutile alors que le contexte électoral fournit aux malfaisants de tout poil une caisse de résonnance rêvée ? Nous revenons à nos deux pistes : des jihadistes ou des types d’extrême droite.

Commençons par les nazillons. Dans un pays où l’ultra droite, qui y est également ultra minoritaire, est surveillée avec attention par la DCRI et dont les membres sont seulement capables de profaner des cimetières en rêvant de druides et de combats désespérés dans les ruines de Berlin, on peut rêver. Evidemment, il existe une poignée d’imbéciles, et Le Point a diffusé un article rappelant fort opportunément que trois soldats du 17e RGP avaient, en 2008, été sanctionnés pour avoir été photographiés avec un drapeau nazi. Nul doute que l’affaire a été reprise par les enquêteurs qui logent actuellement les soldats fautifs et leurs entourages, identifient leurs relations, explorent leur vie, étudient leur alibi.

En fin d’après-midi, le Marquis de Seignelay, (Le fauteuil de Colbert) rappelait fort opportunément que le tueur d’Oslo, Anders Behring Breivik (ABB), avait affirmé qu’il existait en France des cellules désireuses de mener des actions semblables à la sienne. On ose croire que 8 mois après ses déclarations les services de police ont achevé la cartographie de l’ultra droite française, à supposer qu’ABB n’ait pas joué les Tartarins de Tarascon de la croisade.

Le mode opératoire de ces trois opérations a révélé un homme, on le disait plus haut, expérimenté, et il est bien naturel que les regards se tournent vers les anciens militaires, habitués aux armes à feu, aux gros calibres, aguerris, voire à certains collectionneurs un peu particuliers parfois désireux de tester « pour de vrai ». Le sang-froid, la montée en puissance, les cibles plaident cependant pour un homme ayant développé une réflexion politique – si on peut appeler ça comme ça.

J’ajoute, l’air de rien et en passant, que la piste du tueur en série, avancée par les épées de BFMTV ce soir, aurait sans doute gagné en crédibilité si l’auteur du reportage n’avait pas recopié les premières lignes de l’article de Wikipédia. Le journalisme d’investigation, ça reste un métier. Passez moi le Quid.

Et mes barbus ? Pourquoi diable suis-je encore sur mes barbus, malgré mes doutes depuis cet après-midi ? Sans doute par habitude, par paresse intellectuelle, me répondrez-vous, sévères mais justes. Mais aussi en raison de quelques points de détails.

D’abord, il n’a, je l’espère, échappé à personne que nazillons et jihadistes ont en commun quelques détestations : l’Occident, si horriblement dépravé, si affreusement cosmopolite et permissif, si colonialiste, les juifs, la démocratie, le libéralisme, entre autres.

Ensuite, nous sommes quelques uns à craindre depuis des mois que nos amis barbus ne frappent en France afin de peser, comme à Madrid en mars 2004, sur la campagne électorale et de provoquer un choc. C’est surtout vrai des petits plaisantins d’AQMI, pour lesquels la France est l’ennemie à frapper en raison de ses liens avec Alger (mon Dieu, s’ils savaient !) et les pays du Sahel. A l’automne 2010, les services européens s’étaient mobilisés contre l’arrivée imminente de petits gars en provenance de la zone pakistano-afghane désireux de refaire à Paris, Londres ou Berlin ce que leurs compagnons du LeT avaient réalisé à Bombay en 2008. Des hommes solides, très motivés, bien entraînés, habitués au maniement des armes à feu, suivant avec rigueur un plan bien conçu.

L’engagement en Afghanistan et les opérations au Sahel ont été vivement dénoncés, à de multiples reprises, par les responsables jihadistes comme par les idéologues islamistes radicaux qui nous ont menacés et prédit le pire des châtiments. Et puis, je suis un nostalgique, je pense à l’école juive de Villeurbanne cible d’un attentat le 7 septembre 1995 de la part de la bande de Khaled Kelkal, le dynamique jeune homme qui finira mal et  dont Guy Bedos saluera la mémoire plus tard.

Alors, nazillon ou jihadiste ? La piste de l’ultra-droite est intéressante. Ce serait une première pour la France : premier loup solitaire du pays, premiers assassinats de l’ultra-droite – mais le manque de sophistication me trouble. Les cibles sont cohérentes, mais on reste dans du classique, si j’ose ce commentaire horriblement froid, loin du raffinement opérationnel observé à Oslo chez un homme seul.

Jihadiste ? Là aussi, les cibles sont cohérentes, le manque de moyens et la détermination pourraient plaider pour un émir décidé à agir, venu seul d’Algérie, du Yémen ou du Pakistan, vétéran de combats en Kabylie ou en Irak.

Je ne tranche pas, comme vous le voyez. J’ai privilégié ce matin, dans un autre contexte et pour un autre public, la thèse jihadiste, essentiellement parce que l’hypothèse d’un ABB français ne me convainc pas. Pour l’heure, et à l’instar du commissaire Bialès, je vais laisser la police faire son travail et expliquer à mes enfants pourquoi ils observeront une minute de silence demain.

« They might have left some babies/Cryin’ on the ground » (« Pocahontas », Neil Young)

J’ai un fond de sensibilité que je n’arrive pas à réprimer. Sous mes airs de brute décérébrée partisan de la manière forte, à la manière de James Woods dans The hard way (1991, John Badham), et malgré toutes ces  années, je reste extrêmement sensible à la violence faite aux plus faibles, aux crimes commis contre les civils, aux massacres et autres horreurs. Evidemment, me direz-vous, avoir été un spécialiste du système concentrationnaire nazi ou être passionné depuis près de 30 ans par le sort des populations amérindiennes rend nécessairement plus sensible que d’autres aux crimes de masse. Sans doute le fait d’être père de famille rend-il, aussi, plus réceptif aux images d’enfants rwandais découpés en lamelles ou aux récits d’atrocités commises ici et là par de fougueux guerriers du dimanche.

J’ai donc été impressionné, mais hélas pas surpris, par la virulence des réactions turques lors du vote à l’Assemblée par une poignée de nos députés de la proposition de loi de Valérie Boyer ayant trait à la négation du génocide arménien. Il ne fait guère de doute, dans mon esprit, que ce texte, voulu par le Président, a des motivations électorales et qu’il flatte bien maladroitement une communauté. Il a cependant eu le mérite de déclencher une véritable hystérie collective au sein du régime turc, de sa population et même d’une partie de ses communautés expatriées, un phénomène toujours intéressant à observer et si révélateur… Pour l’Europe, les gars, désolé, mais vraiment ça ne va pas être possible.

La grossièreté du procédé employé par le Président et l’UMP ne doit cependant pas faire oublier qu’il y a bien eu génocide en 1915 contre la population arménienne de la part des autorités de l’Empire turc, avec la participation active de supplétifs kurdes, toujours dans les bons coups. Devant la violence du débat – rapidement oublié grâce aux fêtes de fin d’année, il ne me semble pas inutile de rappeler une poignée de faits et d’avancer quelques remarques.

D’abord, et quoi qu’en disent le gouvernement turc, le génocide arménien n’est plus contesté que par lui, le débat historique étant clos de longue date. A ce sujet, ceux qui, comme Pierre Nora dans Le Monde, râlent devant « ces politiciens qui écrivent l’Histoire », devraient pourtant être en mesure de faire la différence entre l’imposition d’un dogme historique par des manuels écrits sous la dictée d’un régime, comme au temps de la glorieuse Union soviétique, et la protection de la mémoire des victimes. Quoi qu’on en pense à la Sorbonne ou au Collège de France, l’Histoire, n’est pas la propriété exclusive des professionnels qui en vivent mais celle des citoyens – du moment, précision capitale, que ceux-ci la pratiquent avec la rigueur intellectuelle qui sied à une science (voilà qui devrait nous permettre de nous débarrasser des révisionnistes, négationnistes et autres inquisiteurs qui polluent le débat). Il faut d’ailleurs saluer, en passant, les interventions courageuses et argumentées d’Ara Toranian ou de Bruno Chaouat contre les postures de mandarins de certaines de nos gloires universitaires, manifestement oublieuses des liens entre la science et la Cité.

La réalité du génocide arménien n’est donc plus contestée que par la Turquie, qui vit dans un état de déni permanent et qui harcèle tout universitaire ou journaliste qui ose évoquer ce fait historique. En France, les travaux scientifiques de qualité ne manquent pas et on pourra avec profit se référer aux publications d’Yves Ternon (ici, par exemple) ou de Gérard Chaliand.

Dans de nombreux pays occidentaux et au sein de plusieurs organisations internationales, le génocide est considéré comme tel, et non pas comme une conséquence anecdotique de la Première Guerre mondiale. L’Encyclopédie en ligne des violences de masse, portée par Sciences Po et le CERI, et qui fait autorité, met d’ailleurs à disposition du public plusieurs articles décrivant sans ambiguïté le génocide, dont celui-ci, signé Raymond Kevorkian, est d’une grande clarté. J’ajoute que les archives et autres témoignages ne manquent pas, ce qui ne contribue évidemment pas à faciliter la démarche turque.

En réalité, dans ce genre de dialogue de sourds, l’intérêt n’est pas historique mais politique. Un survol rapide des arguments des défenseurs de la glorieuse et innocente Turquie, dont on a pu admirer récemment la subtile gestion de la question kurde, est en effet plein d’enseignements.

Pour ma part, j’ai d’abord été frappé par le tiers-mondisme dévoyé dont ont fait preuve les opposants à cette loi. Comme pour la Syrie voisine, il ne saurait donc être question de se mêler des affaires de quiconque, au nom du respect des différences culturelles ou d’appréciation. Je vais sans doute sembler un peu brutal, mais je ne vois pas bien quelle valeur accorder à des différences d’appréciation qui conduisent à nier des génocides. La vie humaine a-t-elle un prix que l’on peut négocier en fonction des enjeux ? 42 millions d’Africains, 40 millions d’Amérindiens, 6 millions de juifs, 3 millions de Cambodgiens, 3 ou 4 millions d’Ukrainiens, etc. Laissons les pays concernés se débrouiller, et n’imposons pas notre bourgeoise et occidentale obsession de la vie et des droits inaliénables à des Etats souverains. Sauf que cette défense, finalement assez gaullienne dans son obscurantisme borné, de la souveraineté ne tient plus après un 20e siècle peu avare en massacres, tueries, boucheries et autres fascinantes expériences socio-politiques qu’il faudrait tolérer au nom de principes surannés.

Le refus de ce qui est considéré par certains comme des leçons de morale – et d’ailleurs, pourquoi le nier ? Il s’agit bien de cela – renvoie à un nationalisme singulièrement rance d’observateurs qui râlent devant les révolutions arabes, ou autres, par crainte de l’avenir. Il s’agit là, ni plus ni moins, du syndrome du vieux con, celui qui dit « c’était mieux avant », qui déplore la chute de Kadhafi ou la révolution syrienne, qui n’a aucun sens, même élémentaire, de l’Histoire (Hegel ? Braudel ? Connais pas. Ils jouent à quel poste ?).

La Turquie, intrinsèquement isolée (il faudra, un jour, comparer les destins des Turcs et des Hongrois, peuples déracinés qui nourrissent en Europe ou à ses portes un persistant sentiment d’isolement qui les pousse à faire et dire bien des foutaises), voit son environnement immédiat sombrer dans le chaos et défend ses dogmes bec et ongles. Le raidissement turc, que l’on perçoit depuis quelques décennies, trouve naturellement des relais parmi nos souverainistes, sans doute abusés par la fable d’un islam politique turc apaisé, par le mythe de la République indivisible ou d’une armée domptée (rires). L’hystérie nationaliste dont nous avons été les témoins sidérés en a tellement dit sur l’état de ce pays qui n’a, décidément, pas sa place au sein d’une Union européenne qui se construit, faut-il le rappeler, sur les décombres de deux guerres mondiales, de trois totalitarismes et du génocide des juifs et des Tsiganes. On voit mal comment ce travail de mémoire, lancé à l’échelle d’un continent, pourrait être compatible avec le refus têtu, et pour tout dire puéril, de regarder son passé en face. « Mon grand-père n’est pas un assassin », proclamait une pancarte pendue par une jeune fille devant l’Assemblée, il y a quelques semaines ». Mais qu’en savez-vous, chère enfant ? Faut-il renvoyer aux travaux de Christopher R. Browning sur les réservistes de la Wehrmacht sur le front de l’Est, ou aux réflexions de Hanna Harendt sur la banalité du mal ?

Car, une fois de plus, il ne s’agit pas de nier la maladresse de ce projet de loi mais de se demander où se situe la faute la plus grave : entre une grossière manœuvre politique et un révisionnisme d’Etat qui, sur le forme comme sur le fond, rappelle les plus beaux raisonnements des amis de M. Faurisson, ou de certains violeurs : « Je n’ai pas violé cette salope, il ne s’est rien passé, et elle l’a bien cherché, de toute façon ». On peut lire ce genre de justifications turques sur quantité de sites Internet, comme dans les commentaires de cet article, par exemple : http://www.turquie-news.fr/spip.php?article3326.

Minimiser le bilan, nier les crimes, se défausser sur les circonstances ou le contexte, tout cela relève bel et bien du négationnisme, et est donc indigne d’un Etat qui prétend être une démocratie moderne – et qui, soit dit en passant, dénie toute légitimité à notre propre représentation nationale. La loi proposée par Mme Boyer n’est sans doute pas très opportune, mais elle a eu l’immense mérite de faire tomber les masques.

Quant aux politiques, non seulement ils ne font pas l’Histoire, quoi qu’en disent ceux dont les lois interdisent les travaux scientifiques indépendants, comme ceux menés par Taner Akçam (cf. ici, par exemple), mais en l’espèce ils la défendent contre ceux qui voudraient la réécrire à leur convenance, et ils défendent ceux qui l’étudient. La condamnation pénale du négationnisme est un devoir moral et politique qui place les radicaux hors de la loi, et qui donc les exclut du débat politique car la liberté de parole ne saurait autoriser tous les excès ni la défense de toutes les idéologies.

« Heard ten thousand whisperin’ and nobody listenin’  » (« A hard rain’s a gonna fall », Bob Dylan)

Qu’est-ce qui construit votre élégance ?

Votre prestance ? Votre regard ? Votre attitude en société ? Votre savoir-vivre ? La finesse de votre conversation ? Votre humour ? La discrète présence de votre culture ?

Prenez George Clooney, par exemple (ou Gary Cooper, ou Colin Firth, ou Alain Delon, ou Jean Dujardin, ou John Hamm, ou Christian Bale). Voilà un homme qui a su s’extraire de son image de bellâtre pour tourner avec les frères Coen, casser son image de séducteur arrogant dans des publicités ironiques, fonder une maison de production avec Steven Soderbergh et réaliser des films politiquement engagés.

Prenons à présent l’armée égyptienne. Voilà une armée qui, au pouvoir depuis 1952, a perdu toutes ses guerres mais tente avec obstination, pour l’instant, avec succès, de faire passer la tannée de la guerre du Kippour (6-22-24 octobre 1973) pour une victoire. Voilà une armée qui a donné à l’Egypte tous (rpt fort et clair : TOUS) ses chefs d’Etat et qui a – la manœuvre mérite d’être saluée – (re)pris le pouvoir après la révolution du 25 janvier 2011, imposé à la tête du pays un maréchal faussement débonnaire et s’est présentée comme la garante de la démocratie naissante. Fallait oser, ils ont osé, saluons au moins le culot de la chose.

Saluée par la foule reconnaissante, l’armée égyptienne a en effet, pendant quelques semaines, fait mine de préparer la transition et organisé un référendum – qui s’est d’ailleurs bien passé. Hélas, certains réflexes ne s’oublient pas, et on voyait mal comment une armée de vieux généraux, formés par les Soviétiques, peu habitués à la contradiction, confits dans la corruption et le luxe de leur empire économique (le charme de ces républiques arabes socialistes, demandez donc aux Syriens ou aux Algériens), confortés depuis des décennies dans leurs certitudes par une propagande implacable, on voyait mal, disais-je, comment elle allait gérer cette turbulente jeunesse. Une minorité de jeunes cultivés contre de vieilles ganaches islamo-nationalistes, l’affaire promettait d’être virile.

Et elle l’est, assurément. Après avoir instauré des tribunaux militaires qui condamnent sans répit bloggeurs et autres saloperies de jeunes cons prétentieux qui osent protester, après avoir ouvert le feu en octobre dernier contre des coptes, après avoir pratiqué – attention, je vous parle d’élégance, de raffinement – des « tests de virginité » sur de jeunes manifestantes bloquées au sein du Musée du Caire, après avoir plus que laissé faire l’incendie de l’ambassade israélienne, l’armée égyptienne a passé la vitesse supérieure et nous montre, depuis quelques semaines, l’étendue de son attachement à la démocratie.

Les très violents incidents qui agitent le centre du Caire depuis des semaines ont enfin montré au monde que l’armée égyptienne, non seulement ne maîtrisait rien et n’avait aucune véritable stratégie, mais de plus ne contrôlait même pas ses troupes. Il ne fait guère de doute, du moins à mes yeux, que certains affrontements ont ainsi débuté en raison d’initiatives individuelles de crétins en treillis plus à l’aise sur le toit du Parlement qu’en opération de ratissage en Haute Egypte. Mais, comme je l’ai entendu des centaines, une troupe est à l’image de son chef, et les images que nous avons vues ces derniers jours nous en disent long sur cette armée égyptienne et sur ses généraux, dont l’aveuglement, l’autisme, le déni de réalité, l’obsession du complot, conduisent le pays au bord du gouffre.

Pour l’heure, les jeune révolutionnaires en sont réduits à montrer sur Internet les vidéos qui démentent les foutaises avancées par tel général psychotique ou tel Premier ministre sous hallucinogène. Où sont les manifestants drogués ? Où sont donc ces hippies forcément payés par la sournoise main de l’étranger ? Où sont ces prostituées qu’il est juste de frapper à terre ?

On attend, désormais, les commentaires définitifs de nos orientalistes sur l’avenir radieux des révolutions arabes, coincées entre des vieux cons en uniforme et des vieux cons aux barbes et aux regards sombres.

Quoi, je m’énerve ? Enervez-vous à votre tour en regardant ces vidéos.

Tu n’invoqueras pas le nom du Seigneur en vain

Après toutes ces années, je parviens encore à m’indigner, mais il paraît que c’est très tendance, un peu comme les jeans trop grands, les caleçons apparents et les mèches blondes collées sur le front. Il y a d’abord l’acte, le premier, le plus visible, celui de l’incendie, acte d’un grand courage dont j’ai salué ici la grandeur.

Puis il y a eu le piratage du site Internet de Charlie par une bande de charmants garnements planqués en Turquie, la sémillante démocratie d’outre-Bosphore qui tue des Kurdes après avoir tué des Arméniens. Et voilà qu’on apprend que les dessinateurs de l’hebdomadaire ont reçu des menaces de mort. Et tout cela s’accompagne de très solennelles demandes d’excuses, pour un blasphème qui, comme le rappelait fort opportunément Thomas Legrand ce matin dans son éditorial politique sur France Inter, n’a aucun fondement juridique. Il est en effet là, le point dur. Le droit et la raison contre une pratique imbécile et primitive de la religion.

Et on en vient à présent au pire, au plus agaçant, au plus exaspérant. On en vient aux condamnations hypocrites et aux explications attristées. Oui, mon bon Monsieur, c’est terrible, cet incendie, c’est malheureux. Quel gâchis. Mais quand même, quelle idée d’avoir insulté le Prophète (QLPSSL). Le problème n’est pas seulement dans le radicalisme de quelques crétins, il est dans le silence complice de leurs coreligionnaires, dans les propos à double sens, insigne preuve de lâcheté. Vous condamnez, oui ou non ? Etes-vous réellement et profondément choqués, ou au contraire vous réjouissez-vous que des gamins manipulés par d’autoproclamées autorités religieuses aient fait ce que votre faiblesse ou votre tiédeur vous ont interdit de faire ? Savez-vous que Dieu vomit les faibles ?

Le jihad ? La défense de la vraie foi ? La guerre aux incroyants ? En avant, les amis (mais passez devant, je dois vérifier que les fenêtres sont fermées. On se retrouve devant Antioche. A plus.). Les réactions lues sur la page Facebook de Charlie Hebdo sont édifiantes, et elles font, sans nul doute, les délices des petites frappes du Front national, celles qui sont censées défendre l’Occident chrétien mais qui ont peur dans le noir et finiront par épouser la voisine, la fille du colonel de cavalerie, l’aînée des 14 enfants, pas bien belle mais pas méchante et soumise.

On me disait hier soir : Et si c’était le Front national ? Ou d’autres idiots ? Et si c’était un complot ? Car – air mystérieux de celui qui a tout compris, qui comprend d’ailleurs toujours tout, parfois avant même que ça ne soit arrivé – en fait, à qui profite le crime, sinon aux durs de l’UMP et aux chefs du FN ? Hein, qu’est-ce que vous dîtes de ça ? Sauf que non, il n’y a pas que l’incendie, il y les hackers turcs, il y a les menaces de mort, il y a le rappel, presque hypnotique, sur Facebook et Twitter du premier pilier de l’islam : Il n’y a de dieu que Dieu, et Muhammad est son prophète. Et il y a les explications, les accusations de sacrilège. Pour tout dire, la thèse du complot ne me semble pas tenir debout une seconde – et si l’enquête me détrompe, je n’en serai pas plus rassuré car il restera les mots, et les écrits, ceux qui restent.

Un complot, donc. Et qui ? Et pourquoi ?

Qui ? Vous demandez qui ? Mais, les juifs bien sûr, toujours les juifs, ceux qui détiennent les banques, ceux qui attaquent l’islam sans cesse, ceux qui contrôlent les médias. Comment ? Vous ne les saviez pas ? Dès hier soir, la nauséabonde rengaine revenait, dans la bouche de gens qui ne réalisaient même pas, ou même plus, qui déliraient, qui ressassaient des décennies de conneries scandées par les régimes laïcs comme religieux du sud de la Méditerranée. Il faudra que je vous parle de cette étude faite par le CIA en 2005-2006 sur les manuels scolaires du monde arabe. Les résultats étaient terrifiants, et décourageants. Une autre fois, promis.

Les juifs donc, car à qui profite le crime ?

Aux juifs. !

Mais je croyais que c’était au Front national que ça rendait service ?

Vous jouez sur les mots, camarade. Méfiez-vous de votre attitude hostile aux vrais croyants !

On croit donc rester sur cette conclusion, d’une abyssale idiotie, mais qui a le mérite de la clarté. Puis, après un silence, votre interlocuteur vous dit : Quand même, c’est bien fait. Ils l’ont bien cherché.

Monsieur le Juge, cette salope portait une jupe ! Elle m’a provoqué ! Elle n’a eu que ce qu’elle cherchait, c’est bien fait !

L’hypocrisie est là, répugnante, abjecte, et si étroitement liée à la lâcheté. Ce qui a été fait n’est pas si grave, c’est la réponse du berger à la bergère, n’est-ce pas ? Et puis, il ne faut pas jouer avec ça. A un moment, il faut payer. Les locaux de Charlie ont brûlé ? Bah, qu’ils ne se plaignent pas, il n’y pas eu de victimes.

Sauf une, la démocratie, et donc l’idée que nous nous faisions de nos concitoyens d’une autre religion – surtout moi, qui me contrefous des croyances des uns et des autres, comme vous le savez. Et on passe à un autre argument, que ses défenseurs croient sans doute définitif, du genre à vous clouer le bec, à vous laisser statufié sur le trottoir, frappé de stupeur devant l’évidence. Pensez donc, jamais, jamais un musulman n’aurait fait ça, car c’est mal (en même temps, c’est mal, mais c’est bien fait car il y a blasphème. Il y a des jésuites dans le sunnisme ? Non non, simple curiosité)

Mais oui, les amis, quelle évidence ! Quelle fulgurante vérité ! Jamais un musulman ne ferait ça. Deux viols par heure en Egypte, nous dit-on. Mais pas par des musulmans. Des coptes, probablement. Ou alors les fils cachés des Templiers morts à la Masourah, avec l’autre dingue de Robert d’Artois.

Et le massacre du ravin de Babi-Yar, en Ukraine, en septembre 1941 ? Entre 100.000 et 150.000 personnes massacrées à la mitrailleuse par des SS et des unités de la Wehrmacht. Impossible, pourrait-on vous répondre. Et pourquoi ? Nous avons les archives, nous avons les témoignages, nous avons les aveux, nous avons les procès. Impossible car (roulement de tambour) jamais un chrétien ne ferait ça. Et les tueries de la guerre civile espagnole ? Impossible, car jamais un chrétien ne ferait ça. Et les expulsions de Palestiniens en 1948 ? Et les villages rasés ? Impossible car jamais un juif ne ferait ça. Les croyants seraient comme les lamas de Tintin, ils seraient prévisibles, pauvres créatures soumises à la volonté d’un dieu omniscient et omnipotent. Et le libre arbitre ? Qui ça ? Craig Joubert ? ‘Connais pas. Circulez.

Si nous nous résumons, c’est quand même assez gratiné. Voilà donc un incendie qui est grave mais surtout bien fait, sans doute commis par des juifs et/ou des militants d’extrême-droite qui sont des fumiers bien connus mais qui sont aussi de glorieux défenseurs du Très-Haut. Franchement, c’est pitoyable. A côté, la moindre émission de TF1 fait figure d’un cours au Collège de France.

Mais que ne m’a-t-on pas dit hier ? Qu’il y avait aussi des terroristes chrétiens (c’est vrai) et juifs (c’est vrai aussi). Et qu’il y avait aussi oppression de musulmans par des chrétiens (ça a été vrai, mais je suis curieux d’avoir l’avis des chrétiens d’Irak ou d’Alexandrie sur ce point). Et qu’au Nigeria les chrétiens massacraient des musulmans (c’est très très partiellement vrai). D’ailleurs, quand des chrétiens tuent des musulmans, c’est religieux. Mais quand des musulmans tuent des chrétiens, c’est tribal. Ben oui, je sais c’est compliqué, faut suivre. Tous ces exemples biaisés pour justifier un acte dont on ne veut surtout pas être un défenseur public mais qu’on approuve dans le secret de son cœur. On m’a même dit que des juifs profanaient en France des cimetières musulmans. Première nouvelle. De mémoire, mais j’accepte les remarques fondées, je vois surtout des cimetières juifs ET musulmans profanés par des nazillons de 15 ans ou de risibles adorateurs de Prince des Ténèbres (pas de chichis, appelez-moi Prince).

A ma grande tristesse, mais j’en ai déjà parlé souvent (ici, ou encore ), c’est donc ces jours-ci que se tracent les lignes qu’il est ensuite impossible d’effacer, celles qui déterminent nos conceptions de la liberté, de la fraternité, de la vie publique et de l’intimité, du sacré et du profane. Avec stupeur, je réalise que mon frère n’est plus mon frère, et qu’il me sacrifiera au nom d’une idole que je ne reconnais pas et dont il invoque le nom comme un possédé. Certaines cicatrices ne s’effacent pas.

« T’as la lumière ? Et puis après ? » (« A quoi tu sers ? », Jean-Jacques Goldman)

Alors, les gars, on s’agace ? On perd le contrôle ? On incendie l’immeuble d’un hebdomadaire kâfir pour le châtier de son irrévérence ? Vous avez raison, on en a assez de ces gens qui ne respectent rien. Et puis, franchement, ça, c’est de l’étoffe, du panache, la classe. Le jihad contre les mécréants de nuit dans Paris contre un bâtiment civil, ça a quand même une autre gueule que de combattre en Afghanistan, en Irak, ou en Algérie contre les croisés, les juifs et les taghouts.

Vous êtes des hommes d’actions, et en même temps des esthètes, ça se respecte. Courir sous les balles à Ramadi ou bombarder Bagram, c’est bon pour les petits bras, alors que jeter un cocktail Molotov contre les locaux d’un journal, voilà qui révèle à la fois un authentique courage physique et une grande imagination opérationnelle. Ah oui, j’oubliais, il y a aussi le piratage du site Internet de Charlie et la photo qui montre la Kaaba. Non, vraiment, chapeau bas.

Mais au fait, vous le saviez, vous, que la Kaaba était vénérée avant le Prophète ? Ou que Jérusalem avait été la première ville sainte de l’Islam, en raison de l’influence des tribus juives d’Arabie sur le Prophète ? Franchement, je pense que vous n’en savez rien parce que vous êtes des barbares incultes et que vous ignorez tout de votre propre culture.

En vérité, la foi est une chose admirable, mais les dogmes sont détestables. Incendier les locaux d’un journal ou un cinéma qui passe Persépolis, ou La dernière tentation du Christ, s’en prendre aux homosexuels, aux femmes seules, condamner l’avortement sans autre forme de procès, raconter des foutaises sur la création du monde, bannir le rock – c’est peut-être ça le plus grave, tous les radicalismes religieux sont à vomir, répugnants, détestables. Ils sont l’expression de la bêtise la plus crasse et de l’aveuglement le plus complet au monde qui vous entoure.

La religion a modelé nos sociétés, elle a répondu aux interrogations les plus profondes et les plus anciennes de l’humanité, elle a conduit à des merveilles philosophiques ou artistiques, à de magnifiques démonstrations de fraternité et de charité. Mais vous, vous les incendiaires, vous n’êtes pas mes frères, vous êtes mes ennemis, quelles que soient vos croyances si celles-ci vous prescrivent de brûler des livres et des journaux, de contraindre des écrivains à vivre cachés comme des bêtes traquées, d’enfermer femmes et filles dans des maisons et sous des voiles. Vous êtes mes ennemis, et à ce titre, au nom des Indiens exterminés en Amérique, des huguenots massacrés pendant la Saint-Barthélemy, au nom des juifs anéantis en Europe, au nom des musulmans morts à Antioche ou Jérusalem, je souhaite votre défaite et votre disparition.

Un des plus grands accomplissements de l’Occident chrétien est d’avoir su faire, après deux mille ans de tueries, du christianisme un cadre culturel et moral. Nos lois et coutumes proviennent de la Bible, comme vos lois viennent de la charia. Je ne pousse pas, comme tant d’autres, de cris d’orfraie quand on me parle de la charia comme source des nouvelles lois libyennes. Il n’y a rien là que de la logique culturelle. Mais, en revanche, je m’étouffe de stupeur et de rage quand j’entends Rached Ghannouchi, le leader d’Ennahda, affirmer que Napoléon Bonaparte – Vive l’Empereur ! – s’est inspiré du malikisme lors de la rédaction du Code civil. Car, dans votre pratique démente et arriérée de la religion, vous pratiquez le révisionnisme et vous croyez à des conneries, d’ailleurs voisines que celles que d’autres, dans d’autres églises, au nom d’autres fois, tentent de nous inculquer. Non, il n’y pas la physique quantique dans le Coran, malgré les affirmations de vos imams. Non, la terre n’a pas été créée il y quelques milliers d’années, comme le disent les Témoins de Jéhovah. Non, l’homme n’est pas apparu sur terre d’un coup, nu dans un verger. La science, la vraie science, celle que vos savants pratiquaient il y a mille ans à Bagdad ou Alep, nous a appris le contraire. Et nous avons aussi appris que la raison dépassait la religion, le domaine de l’irrationnel, de la magie.

Ces leçons, chèrement apprises, nous ont également enseigné que la pratique superstitieuse de la foi était une erreur, une démarche au mieux idiote, au pire ostentatoire. Je ne m’agenouille pas à la messe, je ne crois pas un début de seconde à la transsubstantiation, je crois pas que Satan soit un ange déchu – je pense même qu’il est sans doute un assez bon camarade avec lequel on doit pouvoir bien rigoler. Je ne mange pas de poisson le vendredi parce que je sais que ça n’est pas dans la Bible et que je connais les raisons historiques de cette pratique. Et toi, incendiaire, as-tu lu le Coran, et la Sunna, et les grands théologiens du Xe siècle ? Lis-tu même l’arabe ? Peux-tu m’indiquer le passage où il est prescrit aux vrais croyants de ne pas se baigner pendant le Ramadan parce qu’ils risqueraient d’ingérer de l’eau par inadvertance et que c’est haram ? Ou la sourate qui interdit les crèmes sur le visage car il y a, là aussi, ingestion d’une forme d’aliment ? Superstition, foi des charbonniers, bêtise crasse, comme celle qui faisait sortir nos curés de leurs églises avec les restes de Sainte Ursule pour faire pleuvoir.

Que dirait le Prophète de voir des analphabètes aux barbes prépubères, aux pantalons trop courts et aux Nike rutilantes s’en prendre à des femmes, à des hommes de lettres ? Où sont passés les savants de Damas et de Bagdad, les médecins de Sicile, les philosophes d’Al Andalus, les architectes de Samarkand ? Où sont vos poètes, vos savants, vos architectes ? Où est le raffinement qui faisait du Califat abbaside le cœur du monde, quand Bagdad comptait 1 million d’habitants alors que Paris n’était qu’un cloaque nauséabond ? Ah, vous ne savez peut-être pas ce que désigne « abbasside »… Et entre nos écoles et vos écoles, vous n’êtes pas près de l’apprendre. Où a donc disparu cette grandeur arabe et musulmane qui me fascine depuis près de trente ans ? Dans vos régimes socialistes en faillite ? Dans vos pétro-théocraties décadentes ?

Vos frères d’Egypte viennent de couvrir à Alexandrie une statue de Zeus. Savez-vous que la ville a été fondée par Alexandre de Macédoine, tout comme Kandahar, la capitale des Taliban afghans, des pouilleux analphabètes qui osent se dire étudiants en religion ?Honte à vous, martiaux pudibonds, vous qui mourez en martyr au milieu des civils en espérant des dizaines de vierges au paradis ! Est-ce cela, le paradis d’hommes aussi chastes et pieux que vous ? Quels dégénérés êtes-vous donc, pour rêver d’un paradis qui ne serait que déflorations de gamines ? Mais peut-on espérer mieux d’hommes qui épousent des fillettes au Yémen et qui vitriolent des femmes au Pakistan ? Nous aussi, nous avons eu nos porcs – quoi ? J’ai dit « porcs » ? Ah bon, je n’avais pas fait attention – nos défenseurs de la vraie foi qui tuaient et violaient au nom du Christ sauveur. Mais nous les avons combattus et nous les avons vaincus. Et désormais, la superstition imbécile ou les diktats de religieux frustrés n’ont plus cours. Vous devriez y réfléchir, au lieu d’encourir les foudres de puissances dont vous êtes manifestement incapables de mesurer les moyens.

Ah, au fait, j’écris ces lignes en face d’une charmante jeune femme manifestement originaire de la Dar Al Islam. Et je pense à votre infinie médiocrité en me disant qu’elle a droit, comme mes filles, à une vie debout, sans une flopée de gamins faits à la va-vite par un Tartuffe barbu, qu’elle a le droit de divorcer, ou de ne pas se marier, d’avoir plusieurs amants dans sa vie, qu’elle a le droit de se maquiller et de me regarder dans les yeux comme une citoyenne libre, comme mon égale. C’est pour cette inconnue, pour nos filles, nos épouses, nos mères que nous ne plierons pas, pas devant la barbarie et l’ignorance de jeunes crétins qui ne valent pas mieux que les SS, les gardes rouges, les croisés, les conquistadors ou les tuniques bleues.

On règle ça à la régulière, en Afghanistan ou en Somalie, ou on vous chope et on vous envoie faire du prosélytisme sous les douches à Fleury ?

Ah oui, une dernière chose. Un ami de Ryad me demande s’il y avait de l’alcool dans vos cocktails Molotov. Ben oui, c’est important.

Arrêtons de sauver des vies, bon Dieu !

Bravo, M. Girard, bravo ! Enfin, une voix pleine de bon sens, de décence républicaine, de réalisme, pour enfin s’opposer à cette déplorable tradition française qui veut, on croit rêver, que l’on sauve la vie de nos compatriotes pris en otage. Votre tribune dans Le Figaro du 10 octobre, sobrement intitulée « Otages : arrêtons de payer les rançons », a au moins le mérite de la franchise.

Oui, mille fois oui ! Vous avez raison, laissons-les crever, oublions les circonstances de leur enlèvement, méprisons les missions qu’ils remplissaient ! Du beurre ? Non, des canons, des canons !

D’où nous vient, en effet, cette pénible habitude de nous mobiliser pour sauver nos compatriotes ? Pourquoi nous laisser attendrir ? Ne faut-il pas y voir, comme vous l’avez écrit dans quelques uns de vos articles vantant la vision du Président iranien Mahmoud Ahmadinejad (aka « le petit pompiste », vu ici auditionnant pour le rôle de Silvio Dante), la marque de notre décadence ?

 

Alors oui, certes, certaines prises d’otages sont difficiles à accepter. Des journalistes pris en Afghanistan comme des gamins trop sûrs d’eux, des plaisanciers trouvant que les côtes de Somalie ont quand même plus de gueule que l’école des Glénans, des touristes préférant le trekking au nord Mali plutôt que dans le Nevada…

Les exemples sont nombreux, mais je me permets, malgré votre CV plutôt impressionnant (Normale Sup’, ENA, grand reporter, moi qui ne lis couramment le français que depuis quelques mois), une poignée de remarques.

1/ « Faut casquer, gros père, faut casquer »

Vous écrivez ainsi : « Depuis trente-cinq ans, depuis l’affaire Claustre très exactement, la France a pris la mauvaise habitude d’accepter de payer des rançons aux différents mouvements rebelles qui, à l’étranger, prennent ses citoyens en otages ».  A vous lire, ces paiements seraient naturels, la défaite serait dogmatique, le refus de s’engager constant. On pourrait croire, et c’est sans doute le but de votre tribune, que la France ne cesse de capituler, qu’elle se roule dans l’humiliation comme le GQG, en mai 1940, se roulait dans l’aveuglement.

Certes, notre pays a payé des rançons, certes, il a accepté des compromis, mais toujours dans le but de sauver des vies, celles de nos compatriotes comme celles de leurs guides ou accompagnateurs. Quoi que vous en pensiez, le devoir de la France est de protéger ses enfants, y compris les plus imprudents. Qu’il est facile de les condamner quand on n’est pas celui qui prendra la décision, quand on ne fait que commenter les faits avec l’irresponsabilité du chroniqueur qui vole de Hilton en Sheraton, de Fairmont en Shangri-La. Nous vous laissons volontiers le choix d’apprendre à une veuve ou à des orphelins que leur père est mort pour le principe, voire pour l‘exemple.

Nous payons, donc, et vous seriez surpris de la complexité infinie de cette démarche, de la mobilisation des énergies, des volontés. Oui, c’est coûteux, très coûteux, comme l’enseignement gratuit et obligatoire, comme l’accès aux soins ou à la justice. Oui, c’est long, pénible, oui cela nous affaiblit, mais cela fait aussi notre grandeur et même le plus endurci ne peut s’empêcher d’avoir une bouffée de bonheur et de fierté en découvrant sur un tarmac des Yvelines ou du Loiret les visages de nos compatriotes, libres. Chaque individu libéré des mains d’un groupe terroriste est mon frère, mais je ne sais comment qualifier celui qui les condamne d’un méprisant « Ils ont voulu y aller, qu’ils y restent ». Sont-ce là les valeurs dont vous vous réclamez ? La France éternelle vantée par le Figaro a bien changé, et on aimerait avoir la réaction de votre confrère Georges Malbrunot. Il sera probablement sensible à votre détermination, comme à celle de M. Guéant, le Buster Keaton de la haute fonction publique française. Pourquoi ne pas emprisonner les parents des otages, comme pourrait le suggérer les phénix de la pensée politique française que sont Lionnel Luca, Eric Mini Me Ciotti ou Frédéric Lefèbvre, l’homme qui n’en rate pas une mais qui les rate toutes ?

2/ « Passez devant, je vous rejoins »

Emporté par votre élan, vous ne vous arrêtez pas (jamais !) et vous livrez une fascinante description des mandats des services français : « Le seul message que Paris devrait envoyer à tous les kidnappeurs en puissance à travers la planète, qu’ils se drapent ou non dans une idéologie révolutionnaire, est le suivant : « Si vous osez toucher à un Français, on ne vous paiera jamais ; on vous retrouvera et on vous tuera, même si cela doit prendre des années ! » Il n’est pas sain que la DGSE se spécialise dans le paiement inavoué de rançons. Sa mission première devrait être de repérer les kidnappeurs pour aller ensuite les neutraliser, tout cela dans le plus grand secret, afin de renforcer son pouvoir dissuasif. »

Heureusement que la République vous a, car sans votre déterminante contribution, qui sait quel serait le sort de la DGSE, mais aussi de la DCRI, du Quai d’Orsay, des unités du COS ? Comment leurs mandats et leurs missions seraient-ils définis ? Avec vous, au moins, tout est simple. Pour ne rien vous cacher, je ne suis moi-même pas insensible aux opérations un peu viriles, au payback time de nos camarades de la CIA ou du SIS. Seulement voilà, ça ne s’improvise pas et mener une lutte secrète selon la Chicago way du sergent Malone nécessite bien plus qu’un martial coup de menton devant l’écran de son ordinateur.

Cela a pu vous échapper pendant que vous combattiez aux côtés des Peshmergas, des guérilleros karens ou dans les rangs de l’Alliance du Nord, mais la France ne s’en laisse pas tant compter. Etiez-vous dans la tour de contrôle de Marignane, en décembre 1994, quand le sniper du GIGN a ouvert le feu sur le cockpit de l’Airbus d’Air France ? Avez-vous fait sauter la voiture piégée devant l’ambassade syrienne à Beyrouth ? Vous a-t-on entendu lorsque nous tentions de sortir nos otages du camp d’Abou Sayyaf, à Jolo ? Etiez-vous dans un certain bureau du 20e arrondissement de Paris lorsque les Britanniques ont dit d’un chef talêb qui avait détenu deux Français : « Ne vous embêtez pas, on envoie le SBS le flinguer, lui et sa troupe de crétins analphabètes ». Et en janvier 2000, est-ce vous qui avez recommandé un raid de Jaguar sur les hommes du GSPC qui menaçaient le Paris-Dakar ? Avez-vous été impliqué dans les opérations visant à éliminer les ravisseurs de vos confrères Malbrunot et Chesnot ? Avez-vous sauté (tranche arrière ?) en même temps que Favier au-dessus de l’Océan Indien pour libérer l’équipage du Ponant ? Est-ce vous qui avez conduit le raid des forces spéciales au Mali en juillet 2010 pour délivrer Michel Germaneau ? Etiez-vous le servant du canon d’une des Gazelle lancées à la poursuite des terroristes d’AQMI en janvier dernier, au nord du Niger ?

Qui vous permet de penser que les autorités françaises écartent systématiquement l’option offensive, qu’elles capitulent presque par habitude ? Quel mandat donné par le peuple vous permet d’affirmer « qu’il faut y aller », vaille que vaille, même pour risquer une boucherie ? Quel grand stratège êtes-vous, vous qui voyez la méthode plutôt que l’objectif ?

La prochaine fois qu’un ravisseur prendra une bombe guidée dans sa salle de bains, qu’un émir mourra d’un banal accident de voiture au Sahel ou qu’un drone de l’Empire balayera des écrans radars un groupe de Talibans, j’espère que vous recevrez un carton d’invitation. Le fait qu’un théoricien de votre envergure ait pu être tenu à l’écart des actions secrètes de la République est un scandale qui ne peut plus être toléré. Et vous penserez à envoyer à Perpignan votre carnet de saut et votre indicatif radio personnel.

Fin de transmission

L’hypothétique métamorphose des cloportes

Quand même, à quoi ça tient, quand on y pense. On naît, on vit, on trépasse, aurait ajouté le regretté Paul Volfoni, frère de l’autre. Voilà un colonel qui plantait sa tente dans les jardins de l’hôtel Marigny, qui nous promettait des contrats mirobolants (« Et vous me mettrez une centaine de Morane Saulnier MS-406 avec mes 250 chars Renault FT-17 et mes cinq Caravelle ») et qui transformait la bondissante Rama Yade en carpette – preuve qu’on peut faire croire qu’on a un cerveau, des principes et de l’amour propre mais qu’au bout du compte on ne vaut pas mieux que les autres. Sinon, c’était comment, l’UNESCO ?

Bref, on dira ce qu’on veut, mais la chute de Kadhafi, malgré le brushing de BHL (et son anglais de pacotille), le manque de bombes et les livraisons d’armes à AQMI, pardon, aux insurgés, est une excellente nouvelle. Après la fuite de l’épicier Ben Ali et sa bande de souteneurs, après la chute de Pharaon, l’homme que l’on juge dans son sarcophage, voilà un homme qui fait mine de se battre dans son bunker de luxe. Tout le monde ne peut pas avoir la grandeur d’âme de Salavador Allende ou l’éclair de lucidité d’Adolf Hitler et se flinguer en grand uniforme.

Après avoir accusé Al Qaïda ET appelé au jihad, après avoir traité ses opposants de rats ET avoir proposé des négociations sans condition, le colonel le plus célèbre du monde arabe fuit comme un tyran ubuesque. On n’y croyait presque plus, soit dit en passant. Avant cette victoire, le printemps arabe ressemblait à une vaste boucherie, de la riante Syrie au vert Yémen. Avec la chute du régime libyen, les peuples arabes accrochent un 3e scalp et transforment leur printemps en année. A quand Assad ? demande-t-on à Beyrouth ? Mystère.

Abattre Kadhafi n’a pas été si difficile – que les morts au combat me pardonnent, abattre Bachar El Assad, l’ex-gendre idéal qu’évoquait ELLE il y a quelques mois (« son épouse est si élégante »), sera bien plus difficile.

Le système Ben Ali était mourant, le système Moubarak malade, le système Kadhafi à l’image de son maître, foutraque. Le système Assad a l’air de tenir, grâce à l’amical soutien de l’Iran et les subtiles pressions du Hezbollah au Liban. Il faut dire que le Parti de Dieu, en toute modestie, a une façon très personnelle de gérer les désaccords inhérents au jeu démocratique (démocra quoi ?). Demandez donc aux parlementaires et journalistes sunnites, enfin, ceux qui ont survécu, et aux opposants à Damas. La Syrie tient le choc parce qu’elle tient le Liban et que l’Iran la tient. Sans Téhéran, les choses seraient sans doute plus simples mais la turbulente république islamique a besoin de la Syrie pour tenir le Hezbollah,  et le Hezbollah tient la frontière nord du Liban (le Hezbollah a une conception originale de la notion de souveraineté nationale). Donc, si quelqu’un décide de tomber sur le râble de l’ophtalmo-devenu-boucher, le Hezbollah n’aura qu’un mot à dire et le Sud-Liban redeviendra le dernier endroit où l’on flingue. Et comme il y a fort à parier que Tsahal réagira de façon un peu brutale au tir de missiles sur les villes israéliennes, ambiance garantie.

Il se murmure pourtant, mais il peut s’agir d’une intox’ israélienne, que Téhéran aurait coupé les vivres au Hamas en raison des réticences du mouvement palestinien à soutenir la Syrie…

Le succès de l’insurrection libyenne, la première révolte armée à réussir depuis le début des révolutions arabes, pourrait donner des ailes aux insurgés syriens et affaiblir la position du Président et celle de ses encombrants protecteurs iraniens. En réalité, la survie du régime de Damas tient essentiellement à l’opposition de la Chine et de la Russie, deux chaleureuses démocraties, à toute sanction des Nations unies à l’encontre de leur dernier allié arabe. Oh, j’ai oublié l’Algérie ? Non, je parlais d’allié puissant, pas de mascarade. Il se dit que l’Inde et le Brésil seraient également hostiles à un vote du Conseil de sécurité, mais je ne doute pas que la volonté de Brasilia de se rapprocher de l’Empire sera plus forte (« Je vais prendre 70 F/A-18 Super Hornet, oui, c’est à emporter, merci ») et que l’Inde saura prendre le contre-pied de la Chine.

Pékin et Moscou ne pourront cependant pas défendre éternellement Damas, surtout si la répression se poursuit à ce rythme. Leur lâchage obligera forcément Téhéran à une cruelle et douloureuse relecture de ses grands axes stratégiques, ce qui, à terme, pourrait aboutir à des changements politiques profonds à la tête du pays, et donc, peut-être, à une redéfinition du rôle du Hezbollah. Tout ça pour dire que si Téhéran soutient actuellement Damas, la pression sur la Syrie pourrait bien affaiblir l’Iran, par rebond. Evidemment, ça ne se fera pas sans mal, et l’attitude d’Israël, mesurée, comme d’habitude, aura son importance. Israël a perdu gros avec la chute de Pharaon, mais la perte pourrait être compensée par la chute du régime syrien, si les Israéliens font montre d’un minimum de sens politique. Il faut arrêter les colonisations, il faut arrêter les vexations quotidiennes, le vainqueur doit être grand, et les victoires d’Israël devraient suffire pour laisser, enfin, la place à une politique d’apaisement.

Tirer les conséquences de la révolution égyptienne est impératif, et urgent. Dans les rues du Caire, les Egyptiens conspuaient le raïs, mais surtout son alliance avec Israël. L’armée, qui semble de plus en plus réticente à laisser le pouvoir, dans moins d’un mois, aux Frères musulmans, joue sur la profonde colère de la rue contre l’Etat hébreu pour se refaire à bas prix une légitimité. Israël peut casser ce jeu en se montrant enfin raisonnable. Comment ? Par exemple en ne bombardant pas le Hamas à Gaza après des attentats commis par les jihadistes que le mouvement islamiste pourchasse, justement. Comme dans un dialogue de sourds, les Israéliens matraquent systématiquement tous les Palestiniens avec lesquels ils devraient dialoguer (souvenez-vous des installations de police scientifique financées par l’Union européenne au profit de l’Autorité palestinienne et que Tsahal détruisit méthodiquement). Pour faire la paix, il faut être ferme ET trouver un interlocuteur de bonne volonté. Couper le Hamas de l’Iran et de la Syrie, le contraindre à des concessions en le forçant à gouverner sous le regard des Occidentaux, parler à l’Egypte comme on parle à une grande nation souveraine (avez-vous conscience du nationalisme des Égyptiens ?), ne pas surjouer la sécurité pour masquer une crise sociale qui est en réalité la crise d’un Etat colonial.

Je crois à l’existence d’Israël, j’espère son intégration dans un Moyen-Orient avide de liberté qu’il contribuerait à moderniser par des relations équilibrées de bon voisinage, je veux pouvoir conduire mes enfants sur des terres trois fois saintes. Mais, terrible lucidité, je ne peux que redouter les réflexes martiaux de régimes arabes aveuglés par le désir de revanche, je ne peux que craindre la surenchère d’un Etat assiégé travaillé par le nationalisme le plus brutal, et je ne peux que constater la faiblesse des Occidentaux.

Mais revenons à notre colonel. Où va-t-il se réfugier ? A Cuba, la dernière patrie des révolutionnaires gâteux ? Au Venezuela, chez ce bon Hugo, terriblement diminué par un cancer de la prostate qui semble avoir pris le dessus ? Ou à Alger, chez Abdelaziz Bouteflika, le dernier chef d’Etat à dissimuler sa calvitie sous des lambeaux de serpillère ? Mystère.

Et tiens, en parlant d’Algérie. Imaginez un peu que les Algériens parviennent enfin à secouer l’appareil sécuritaire qui les écrase depuis tant d’années. Et imaginez que la situation évolue comme en Libye, ou pire, comme en Syrie. Que ferons-nous, Français, Européens ? Pourrons-nous intervenir en risquant les accusations de néocolonialisme ? Ou laisserons-nous faire en encaissant les nouvelles accusations de lâcheté ? Le défi syrien se pose à Israël. Le défi algérien se pose à nous, et je doute que BHL soit d’une quelconque utilité sur ce coup-là. Tout au plus aurons-nous un article lapidaire du général Desportes dans Le Monde nous indiquant que, là comme ailleurs, la solution est politique. C’est pour cela qu’il est centurion et que je ne suis qu’optione.

« Les vrais durs ne dansent pas. » (Norman Mailer)

Ça y est, c’est parti.

Je ne retire rien de mes doutes quant à nos capacités à agir, ni ceux quant à la solidité de nos motivations, mais les faits sont là : nous sommes de facto en guerre avec la Libye, et ça, il faut bien le dire, ça fait plaisir. Evidemment, il va y avoir des morts, des drames, des ratés, mais c’est la guerre et comme le disait un des personnages de Tom Clancy dans Tempête rouge : un plan de bataille ne sert plus à rien une fois que les combats ont commencé.

Depuis 1969, le colonel K déstabilise l’Afrique, une partie du Moyen-Orient et jusqu’aux Philippines avec ses tocades, ses élucubrations idéologiques d’un Nasser du pauvre. Nous avons essayé de le renverser plusieurs fois, en vain. Nous avons essayé de l’amadouer, sans plus de succès. Nous l’avons militairement vaincu au Tchad, mais ça ne l’a pas empêché de commettre des attentats contre l’Empire – pour le vol de l’UTA, j’aurais tendance à regarder du côté de Téhéran, mais c’est une autre histoire.

Il a survécu à la superbe opération El Dorado Canyon en 1986, son aviation a été corrigée à deux reprises par la Navy (1981 et 1989), mais il n’a jamais renoncé. Tout en déclarant qu’il mettait fin à son programme militaire non conventionnel, il a pris en otages des infirmières et un médecin, puis des hommes d’affaires suisses.

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Nous l’avons invité, il nous a ridiculisés ? La belle affaire ! Les moralisateurs nous fatiguent avec leurs leçons de civisme, eux qui ont défendu l’URSS, Cuba ou les Khmers rouges. Et je ne parle pas des volontaires de la LVF, de la glorieuse guerre de Maurice Thorez à Moscou ou des admirateurs du colonel Pinochet. Ou même de ce capitaine de cavalerie qui avait refusé de partir en 1990 contre l’Irak.

Ne boudons pas notre plaisir, comme me le disait à l’instant un ami. Quelles que soient les raisons, bonnes ou mauvaises, nous sommes en guerre avec le régime du colonel Kadhafi et c’est une bonne chose. Il y a d’autres dictateurs, ailleurs ? J’en conviens, mais faut-il que nous ne fassions rien parce que nous ne pouvons tout faire ?

En avant, donc. Tous me vœux de succès accompagnent nos pilotes (rapportez-nous des victoires, bon Dieu !) et ceux qui, du sol, vont les guider. Et je joins à mes vœux des pensées plus personnelles à quelques uns de nos soldats, qui se reconnaîtront.

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Quant à Tracassin… C’est en temps de guerre qu’on mesure la grandeur et la hauteur de vue d’un leader. Nous allons donc mesurer.

La diplomatie des talonnettes

On a beau s’y attendre, on a beau le savoir, il nous arrive encore d’être pris au dépourvu par les décisions de notre Président, notre cher leader à nous.

Elu sur un programme de rupture avec les pratiques de la monarchie républicaine, le chef de l’Etat s’échine, depuis mai 2007, à fouler aux pieds les principes qu’il avait défendus lors de sa campagne électorale. Etrillé par les sondages, l’homme semble désormais comme pris dans les projecteurs et incapable de changer de cap. Au contraire, et comme prévu, il réagit aux crises et erreurs successives par des coups de menton qui donnent raison à bien des commentateurs politiques comme à de nombreux praticiens de la médecine psychiatrique.

L’obsession du Président pour les victimes, qui part probablement d’un sentiment louable, le conduit de plus en plus à mener une politique de l’émotion et de la commisération, loin de la nécessaire distance exigée par la conduite d’un Etat. On l’a vu avec l’épouvantable affaire Laëtitia, lorsqu’il a voulu à toute force désigner à la vindicte publique, au lieu d’un coupable, des responsables au sein de la magistrature. Cette recherche anxieuse et brouillonne d’un bouc émissaire en dit long sur la vision du monde que partagent le Président et ses équipes. Pointer du doigt pour nier la fatalité, exiger de la nature humaine comme de la technologie le « risque zéro », vociférer après telle ou telle communauté, telle ou telle profession, flatter les pires instincts d’un peuple traité comme une populace, surjouer l’empathie avec les victimes sont autant de recettes qui confirment un pratique du pouvoir fondé sur l’émotion et le spectaculaire, loin du sang-froid que requiert la marche de notre monde.

Evidemment, me direz-vous, ces constats sont déjà anciens et les derniers jours n’apportent pas d’éléments susceptibles de les modifier. La classe politique française était déjà largement dévaluée aux yeux de nos concitoyens, ce ne sont pas les candidatures multiples, la médiocrité du débat politique ou les luttes d’égos qui vont les faire retourner aux urnes, sauf probablement pour donner un score historique à la redoutable Marine Le Pen. L’Histoire jugera.

Jusqu’à présent, me semble-t-il, et malgré les errements d’un Président hors de contrôle et les carences d’un gouvernement de cancres, la place de la France dans le concert des nations ne s’était pas tant dégradée. Et voilà que le printemps arabe révèle l’infinie hypocrisie de nos dirigeants – et de ceux qui rêvent de leur succéder, soit dit en passant.

Et, parce que le cadavre bouge encore, le Président, qui ne prend manifestement plus son traitement, s’immisce avec la douceur d’une division aéroportée à Kaboul en décembre 1979, dans la vie judiciaire du Mexique, un Etat souverain qui doit composer avec une des plus violentes criminalités organisées de la planète. Pour un homme qui ne parvient pas à endiguer, malgré d’incessantes déclarations d’intention, la montée de la délinquance dans son pays, ça ne manque pas de grandeur. Après avoir mis les juges français dans la rue, notre nain Tracassin donne des leçons aux juges mexicains. Ce n’est plus une manie, c’est une vocation ou pire, un hobby.

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A moins qu’on m’ait caché la vérité, le Mexique est un Etat souverain, malgré les efforts héroïques de notre glorieuse Légion Etrangère au XIXe siècle (encore une tannée, prise avec panache, et devenue une célébration de nos plus belles vertus martiales, faut-il le rappeler).

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Par ailleurs, la justice mexicaine me semble infiniment plus indépendante que celle qui emprisonne, dans la souriante Russie ou dans la lointaine Chine des opposants politiques. Le Mexique n’a sans doute besoin, ni d’un Rafale déjà dépassé, ni de réacteurs nucléaires qui ne fonctionnent pas, et lui faire des remontrances ne coûte pas si cher, surtout quand on rame à moins de 30% d’opinions favorables. Seulement voilà, les Mexicains, qui ont l’année dernière subi un meurtre toutes les 40 minutes à cause de la guerre contre les narcos, n’ont ni le temps ni l’envie de supporter les remarques d’un ancien avocat d’affaires qui a épousé en troisièmes noces une millionnaire italienne dont l’unique titre de gloire artistique est d’avoir eu une liaison avec Mick Jagger et surtout, à mes yeux de bluesman du moins, d’Eric Clapton. Pour le reste, Carla Bruni n’est ni Patti Smith ni Alela Diane.

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Le Président, qui compense manifestement un certain nombre de complexes physiques par son attitude de matamore, a donc jugé utile de rappeler à l’ordre le Mexique. Et voilà que le Mexique décide, pas plus troublé que ça, de suspendre sa participation à l’Année du Mexique en France. En voilà, un joli succès de notre diplomatie, le fruit sans nul doute d’une réflexion stratégique poussée, d’un calcul subtil comme M. Levitte sait les faire. Et il me vient une idée : pourquoi le Mexique ne clamerait-il pas l’innocence d’un de ses ressortissants détenus dans notre pays ? (Je suis certain qu’il y en a au moins un). Le gouvernement mexicain pourrait invoquer les lourdeurs de la procédure – souvent à charge, ou le climat pour le moins hostile aux étrangers, ou la condamnation par la justice européenne de notre sacro-sainte garde-à-vue ? Ou alors la presse de Mexico pourrait s’étonner de la mansuétude de notre justice à l’égard des tyrans maghrébins, ou des hommes politiques des Hauts-de-Seine – le New Jersey français ?

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Disons-le tout net, il y a de quoi être estomaqué par l’amateurisme teinté d’arrogance de notre diplomatie. La réintégration dans l’OTAN, que j’ai soutenue, a été présentée comme un succès alors qu’il ne s’agissait que de cohérence stratégique et que l’Empire ne nous a accordé que des lots de consolation. On nous a vanté les avantages liés à ce retour : poudre aux yeux juste bonne à aveugler les lecteurs du Figaro, la Pravda version UMP. Et que dire de l’Union pour la Méditerranée, une farce redondante avec le processus Euro-Med, et dont le Vice-Président, Pharaon, vit un exil doré dans un palace de la Mer Rouge après avoir été déposé au bout de 18 jours de révolte…

Les indécentes leçons de gouvernance d’un système politique dont les éléments de pointe se nomment Brice Hortefeux (deux condamnations en 6 mois, mes compliments, Monsieur le Ministre), Christian Estrosi (le motodidacte, comme le surnomme plaisamment l’indispensable Canard Enchaîné), Nadine Morano (la femme aux fulgurantes analyses sociétales, connue pour ses « musulmans à casquette »), Frédéric Lefebvre (l’homme qui décrit mieux le Minitel que le Web 2.0 ou qui se dédit), ou Patrick Balkany (l’amant inconnu de Brigitte Bardot) pourraient faire rire si elles n’étaient pas si affligeantes.

On connaissait la diplomatie de la canonnière, on a désormais la diplomatie des talonnettes, pitoyable, improvisée, méprisable en un mot. République irréprochable ? Mon c…