Afghanistan : les guerres de l’Empire

Un soldat français est mort hier en Afghanistan, et deux de ses camarades ont été blessés, lors de combats contre ceux que l'on appelle pudiquement les "insurgés", mais qui sont en réalité des Talibans auxquels se mêlent quelques jihadistes. Ces pertes, prélevées dans les rangs du 3e RIMa, incarnent tristement la réalité d'une guerre que les Français ne comprennent pas, par ignorance et aveuglement. Très révélateurs sont à cet égard les commentaires que l'on trouve sur les sites Internet du Monde et de Libération. On n'y entend parler que de guerre coloniale, de politique servile à l'égard des Etats-Unis, de combattants trop jeunes, etc.

Il n'est que temps de rétablir quelques vérités et d'asséner quelques coups aux dogmes que les Français, Munichois dans l'âme, ne cessent de véhiculer dans le vaste monde.

Chaque siècle a son centre de gravité géographique. Après la guerre civile européenne (1914-1945) entraînée par le conflit franco-prussien de 1870-1871, qui a mis l'Europe au centre du monde avant de sceller son déclin au profit des Etats-Unis, le Vieux Continent si cher à Dominique de Villepin dominait outrageusement les débats internationaux, ignorant le reste du monde ou au contraire le conquérant.

L'effacement de l'Europe, ou plutôt son changement de statut, la faisant passer de maîtresse du monde à l'enjeu d'une lutte entre deux systèmes, a laissé la place à une multitude de conflits nés de la décolonisation. L'Afrique a sombré, l'Amérique du Sud surnage, l'Extrême-Orient s'en sort haut la main, le Moyen-Orient se débat dans ses contradictions et les regards se tournent avec inquiétude vers l'Asie du Sud. Là convergent en effet toutes les tensions de notre monde : crises nucléaires, radicalismes religieux, nationalismes exacerbés, pauvreté extrême, etc.

Après les tentatives russes et britanniques au 19ème siècle, puis l'invasion soviétique de décembre 1979 et désormais l'intervention occidentale déclenchée en octobre 2001, l'Afghanistan demeure, plus que jamais, le centre du monde stratégique. La vitalité, ou les dérives, du débat d'idées dans l'Occident post-11 septembre placent également ce pays au coeur des polémiques. Comme aux temps de la Guerre froide s'affrontent, pour de bonnes et de mauvaises raisons, et avec de bons et de mauvais arguments, les partisans de l'intervention occidentale et ses détracteurs. Tout y passe, de l'antiaméricanisme le plus primaire au néoconservatisme le plus échevelé, tout cela teinté de radicalisme religieux, de tiers-mondisme réécrit et d'antimilitarisme imbécile - ou d'ignorance crasse de la chose militaire.

Les plus curieux pourront lire ce classique de Zbigniew Brzezinski, "Le grand échiquier", à la fois belle initiation à la géostratégie impériale et état du monde assez lucide, bien que sans doute légèrement daté.

On pourra également voir avec intérêt le film de Mike Nichols, "La guerre selon Charlie Wilson", certes un peu outré mais néanmoins éclairant. Je préfère pour ma part les livres de Peter Bergen, voire le chef d'oeuvre de Robert Littell "La Compagnie". 

Mais attaquons-nous, comme promis, aux fadaises que l'on lit ici et là :

1/ L'intervention américaine en Afghanistan est une entreprise illégale.

Déclenchée le 7 octobre 2001 par les Etats-Unis sous le nom d'opération "Enduring Freedom", l'intervention contre les Talibans est une riposte aux attentats du 11 septembre 2001 à New-York et Washington. Seuls des individus à l'intellect limité et/ou aux motivations douteuses osent encore affirmer que ces attentats sont le fruit d'un complot américano-israélien dont la finalité change régulièrement en fonction des réfutations. Cette opération est validée par les Nations unies par deux résolutions (analyse contestée par le collectif Echec à la guerre, cf. http://www.echecalaguerre.org/index.php?id=49, qui oublie en passant la Résolution 1267 de 1999 établissant un lien direct entre le régime des Talibans et Al Qaïda et sanctionnant les deux entités et suggère que les Etats-Unis ne disposent d'aucune preuve contre Oussama Ben Laden, mais passons) et endossée par l'OTAN.

Cette intervention militaire, qui entraîne la chute rapide du régime talêb, conduit les factions afghanes à se réunir à Bonn en décembre 2001 sous les auspices de l'ONU. Celle-ci crée, le 20 décembre 2001, par la résolution 1386, l'International Security Assistance Force (ISAF, cf. http://www.nato.int/ISAF/topics/mandate/unscr/resolution_1386.pdf) qui ne se substitue pas à Enduring Freedom mais est censée la compléter en rétablissant un semblant d'ordre en Afghanistan (cf. http://www.nato.int/ISAF/docu/official_texts/index.html). Les troupes françaises, présentes dans le pays AVANT les attentats, puisque le commandant Massoud, assassiné le 9 septembre 2001, disposait d'un détachement de membres de la DGSE, ne participent pas aux premiers combats au sol mais interviennent dans les airs (raids) et sur mer (patrouilles en mer d'Arabie).

La décision de soutenir les Etats-Unis dès ce moment n'est nullement le fait du Président Sarkozy, alors réfugié à Neuilly, mais celle, CONJOINTE, du Président Chirac et du Premier ministre Jospin. A part quelques voix isolées à l'extrême-gauche et à l'extrême-droite et les habituels exaltés et autres nostalgiques, personne ne s'oppose à cette intervention...

2/ L'intervention occidentale est illégitime.

Tous les arguments des apprentis juristes au sujet de l'Afghanistan se heurtent à un écueil de taille : l'émirat talêb n'a jamais fait l'objet de la moindre reconnaissance internationale, et il n'est pas absurde de considérer ce régime comme le premier Etat voyou dénoncé par l'ONU. Seuls au sein de la communauté internationale, le Pakistan, les Emirats Arabes Unis et l'Arabie saoudite avaient en effet reconnu en 1996 la prise du pouvoir à Kaboul par les étudiants en religion, aussi bien pour des raisons stratégiques qu'idéologiques et religieuses. Dans ces conditions, l'intervention occidentale dans le pays est parfaitement légitime, puisqu'elle s'en prend à un régime illégal, qui plus est dénoncé pour ses innombrables exactions : exécutions publiques, soutien à Al Qaïda, destruction de trésors de l'humanité comme les Boudhas de Bamyan (avec la complicité amicale de l'armée pakistanaise, soit dit en passant).

Considérant donc que ce régime n'avait aucune existence légale et qu'il représentait une menace aussi bien pour sa population que pour de nombreux Etats, la Coalition engagée dans le pays, aux côtés des Etats-Unis dans Enduring Freedom comme au sein de l'ISAF, fait ce que les Européens n'ont pas su faire dans les années '30 contre le IIIe Reich naissant.

3/ Aucune menace ne provient d'Afghanistan

Les esprits purs qui dénoncent cette intervention affirment également qu'aucune menace terroriste ne provient d'Afghanistan. Je laisse de côté les théories conspirationnistes qui relèvent de la psychiatrie pour me concentrer sur quelques faits pour le moins troublants, mais sans doute ignorés, ou "oubliés", de nos stratèges en chambre.

- Dès 1997, la justice française diffuse une commission rogatoire internationale (CRI) consacrée aux "volontaires afghans", c'est-à-dire aux islamistes radicaux ayant reçu dans le pays un entraînement paramilitaire ET un endoctrinement jihadiste. Souvenons-nous que les enquêteurs de la DST ayant travaillé sur l'attentat de Port-Royal (3 décembre 1996 à Paris) ont remonté la trace de la lettre reçue à l'Elysée et exigeant la conversion du Président Chirac à l'islam. Et cette piste nous conduit tout droit aux camps pakistanais abritant les jihadistes arabes alliés aux Talibans. Faut-il y voir un complot ?

- En 1998, les services de renseignement français obtiennent de haute lutte de leurs homologues pakistanais les factures détaillées du téléphone utilisé par Abou Zoubeida, le responsable des filières de volontaires d'Al Qaïda. L'étude de ces listings permettra de découvrir 1/ que le réseau téléphonique des Talibans est entièrement pris en charge par l'Etat pakistanais 2/ surtout que les appels d'Abou Zoubeida concernent le gotha de l'islamisme radical mondial. Pas un terroriste un tant soit peu sérieux qui ne soit appelé par Abou Zoubeida. Et inversement, les perquisitions et arrestations effectuées en Europe, au Canada, au Moyen-Orient, en Afrique de l'Est ou en Asie du Sud-Est révèlent que le numéro de téléphone de notre ami est connu de tous les terroristes. "Il n'y a pas de menace en Afghanistan", comme l'aurait dit un colonel que j'ai bien connu ? Difficile d'expliquer alors pourquoi les jihadistes arrêtés alors qu'ils s'apprêtaient à attaquer l'ambassade américaine à Amman, la cathédrale de Strasbourg, ou les stades de la coupe du monde de football en France en 1998 gardaient le numéro d'Abou Zoubeida au fond de leur portefeuille. Sans doute pour parler du temps... Tous ces individus ont reçu dans les camps afghans un entraînement et un endoctrinement solides dispensés par de grands opérationnels d'Al Qaïda et par les idéologues du Londonistan. Alors, pas de menace ?

Mais il y a plus grave encore. Les "Afghans arabes", comme on les appelle dans les services, ont profondément déstabilisé l'Algérie ou l'Egypte dans les années '90 en y important leur volonté de mener le jihad mondial et d'y instaurer des régimes islamistes radicaux. Faut-il penser, comme François Burgat, que nous aurions dû laisser leur chance à ces expériences ? Ou faut-il, comme votre serviteur, considérer qu'il faut soutenir les Etats confrontés à une telle menace - mais en leur demandant des comptes, ce que la France ne fait jamais.

Les attentats du 11 septembre ont été planifiés en Afghanistan, quoi qu'en disent certains gourous pédophiles et ufologues ou des pacifistes qui tueraient pour leur auto-radio. Mais ils ne sont pas les seuls. Le projet de Richard Reid contre le vol American Airlines 63 du 22 décembre 2001, l'attentat contre la synagogue de la Ghriba le 11 avril 2002 à Djerba ou les attentats du 7 juillet 2005 à Londres ont été organisés depuis le sud de l'Afghanistan et les zones tribales pakistanaises.

4/ Les talibans ont été créés par la CIA.

Là, il faut reconnaître un point important et je vous invite à lire avec attention les lignes qui vont suivre. Non seulement les Talibans ont été créés par la CIA, mais des travaux récents indiquent même que le Prophète serait en réalité un agent de la CIA projeté dans le passé grâce aux machines extra-terrestres stockées dans la zone 51, au nord de Nellis AFB (Nevada). Une autre hypothèse indique que le Prophète serait un agent byzantin, mais la vidéo du 7e siècle promise par Thierry Meyssan n'est pas visible sur un lecteur DVD zone 2. 

Soyons sérieux. S'il est exact - et nullement caché - que les Etats-Unis ont apporté leur soutien au projet ARS/EAU/Pakistan de financer la résistance afghane en jouant sur l'islam, il est tout autant avéré que les Etats-Unis, comme la France ou le Royaume-Uni qui étaient dans le coup, ont été abusés par ces trois Etats musulmans radicaux qui ont profité de l'argent occidental pour financer le développement de l'islam radical à leur profit, essentiellement contre l'influence iranienne. Mais justement, d'où provient cet islam radical ? La CIA a-t-elle créé la Confrérie des Frères Musulmans en 1928 en Egypte ? Ou alors l'école de pensée déobandie ? La CIA a-t-elle inspiré le grand juriste al Mawardi (10e siècle) qui écrit que le 6e devoir incombant à l'imam est la conduite du jihad, "contre ceux qui refusent d'embrasser la religion musulmane" et "afin de permettre à l'islam de l'emporter sur les autres religions" ?

Il faut donc revoir quelques fondamentaux et poser les choses avec froideur. Oui, la guerre en Afghanistan est une guerre impériale. Il s'agit pour l'Empire de porter le combat chez l'ennemi et donc de ne pas l'attendre sur nos fragiles remparts. Nous sommes là face à une classique stratégie romaine consistant à dépasser le limes pour soumettre des barbares sans conquérir leur territoire. C'est ce que l'Occident fait dans les Balkans depuis près de 20 ans, et pour encore 20 ans. En Afghanistan, il faut évidemment abandonner le projet idiot de vouloir imposer à des populations que nous ne comprenons pas nos modes de vie et de gouvernement, mais il faut par ailleurs poursuivre nos actions de combat. A ce sujet, les parlementaires britanniques ne s'y sont pas trompés, en critiquant vertement l'engagement de l'ISAF et l'absence totale de début de mise en oeuvre du projet officiel de "nation building". Paradoxalement, les opérations purement militaires d'Enduring Freedom pourraient bien être les plus productives, à la fois en éliminant des adversaires et en clarifiant la situation par une accélération de la crise régionale. N'oublions pas que la crise religieuse et ethnique qui secoue l'Afghanistan ET le Pakistan est un héritage direct de la partition de l'Empire britannique des Indes en 1947 et qu'elle couve, de façon plus ou moins spectaculaire, depuis cette date. Après tout, le Pakistan est avant un tout un Etat confessionnnel et il est naturel qu'il soit touché par la profonde crise que connaît l'islam.

Alors, oui, bien que cela soit d'une infinie tristesse, il faut continuer à se battre en Afghanistan, à y tuer des Talibans et des jihadistes tout en tentant, tant bien que mal, d'y appliquer les doctrines classiques de la contre-guérilla. Et il convient surtout de rendre hommage à nos soldats - et se rappeler, contrairement à ce que pensent certains internautes, que les combattants sont TOUJOURS jeunes. Mourir à 22 ans est évidemment une tragédie, mais je vois mal un retraité courir de rocher en rocher avec son Famas, et j'en connais même qui ne sauraient pas le faire à 30 ans...

J'ajoute pour finir qu'hier le Monde a également annoncé la mort au Pakistan de six chrétiens accusés d'avoir profané le Coran, mais les Français semblent trouver cela parfaitement normal. Sans doute une de ces aimables coutumes orientales que Kippling évoquait dans ses nouvelles...

Robert Redeker et le Prophète

Profitons des vacances pour revenir sur une affaire déjà ancienne : les menaces de mort proférées par les islamistes radicaux à l’encontre du philosophe français Robert Redeker.

Le 19 septembre 2006, Redeker publie dans Le Figaro un article intitulé : « Face aux intimidations islamistes, que doit faire le monde libre ? ». Révélant une méconnaissance crasse de l’histoire musulmane, Redeker, au lieu de s’en tenir à son sujet – d’une toujours brûlante actualité – se laisse entraîner à des écarts de langage à la fois inutiles et dangereux.

Une phrase, surtout, pose problème : « Exaltation de la violence : chef de guerre impitoyable, pillard, massacreur de juifs et polygame, tel se révèle Mahomet à travers le Coran. »

Aveuglé par l’ignorance et sans doute par un parti-pris idéologique et religieux, Redeker réécrit les premiers temps de l’histoire musulmane et se trompe donc de cible. Au lieu de s’en prendre aux adeptes de l’islam le plus radical et le plus intolérant, Redeker attaque son prophète. On voit mal un adversaire du christianisme attaquer le Christ, alors qu’il y aurait par ailleurs tant à dire sur les dérives que l’Eglise a connues au fil des siècles.

Mais revenons aux propos de Redeker sur le prophète :

– « Chef de guerre impitoyable » : Chef de guerre, Mahomet/Muhammed l’est certainement, mais rien n’indique qu’il ait été sans pitié. A la tête d’unê troupe de fidèles, il doit en effet mener des durs combats contre ses adversaires. Cela fait-il de lui un chef sanguinaire ? Non. Est-il moins brutal que certains des personnages de l’Ancien Testament ? Non.

– « Pillard » : Le prophète, comme le rapporte Nikita Elisséeff dans son ouvrage de référence « L’Orient musulman au Moyen-Âge. 633-1260 », s’est en effet livré à des razzias contre des caravanes. Je me permets de citer Elisséeff, peu suspect d’islamophobie :

« La situation matérielle des Emigrants est difficile à Médine. Les Emigrants n’avaient pas de terre à travailler et ils ne pouvaient pas aller se louer comme ouvriers chez les juifs : il n’y avait qu’une issue, les razzias et le butin. C’étaient des opérations de pur brigandage qui n’avaient rien de la guerre sainte. On décide d’attaquer les caravanes de La Mecque et les nomades, pour avoir quelques revenus et pour gêner l’économie de la grande cité. » On en donc loin, là aussi, d’un brigand.

– « Massacreur de juifs » : Initialement allié des juifs de la Péninsule (rappelons-nous que la prière se fait initialement en direction de Jérusalem, et que l’Ancien Testament est souvent cité dans le Coran), le Prophète entre en lutte avec les tribus juives, comme d’ailleurs avec les chrétiens. Des combats ont lieu, mais ils sont tout autant, sinon plus, motivés par la lutte politique en cours que par un quelconque antisémitisme ou antijudaïsme. Faire ainsi un raccourci de 1400 ans entre les premières années de l’islam et les exactions des salafistes est une injure et une erreur.

– « Polygame » : Force est de reconnaître que sur ce point Redeker a raison. Mais la polygamie, qui dans la région ne naît pas avec l’Islam, est toujours pratiquée. Condamnable – et condamnée – dans nos sociétés occidentales comme dans les pays musulmans modernes, cette pratique doit être replacée dans son contexte social. Accuser le Prophète de polygamie est un simplement un anachronisme, indigne d’un scientifique.

Menacé par des islamistes radicaux pour ses propos, Redeker a reçu un soutien des intellectuels français, non pour la qualité de ses travaux (!) mais pour le principe. Chacun doit en effet être libre de critiquer une religion, mais deux facteurs demeurent indispensables pour se livrer à cet exercice :

– la rigueur intellectuelle

– le respect minimum des croyances

Evidemment, les esprits chagrins me diront que les propos de Redeker, pour imbéciles et insultants qu’ils aient été, ne sont rien en regard des attaques continuelles auxquelles se livrent les islamistes radicaux contre le judaïsme, le christianisme, l’hindouisme et plus généralement tout ce qui n’est pas musulman. Mais là, justement, réside notre force : à l’obscurantisme répond l’honnêteté et le respect – qui ne saurait être confondu avec de la faiblesse. Je ne sais pas pour vous, mais moi, ce n’est pas mon genre…

Moines de Tibéhirine : qui sont les témoins ?

Comme les rediffusions de « La grande vadrouille » occupent régulièrement les écrans de la télévision française, l’affaire des moines de Tibéhirine revient régulièrement à la une de notre presse, à l’occasion de révélations toujours plus fracassantes et toujours plus tardives d’individus prétendant savoir.

Mais il leur manque une qualité essentielle : qu’ont-ils vu ? qu’ont-ils entendu ? étaient-ils avec les agents de la DST à Alger ? Ceux de la DSGE à Londres avec le Mi-5 à tenter d’obtenir des rédacteurs d’Al Ansar des informations sur les auteurs du rapt ? Ou alors étaient-ils membres du COS, prêts à intervenir en hélicoptère dans les maquis de Médéa pour exfiltrer les moines ?

Non. Voilà nos témoins :

  1. Le général Buchwalter, ancien Attaché de défense, déjà auteur il y a quelques mois d’une interview anonyme dans un quotidien italien dans laquelle il exposait la même thèse. 2 remarques s’imposent d’emblée : le général ne semble pas envisager qu’il puisse être manipulé – et on retrouve là la délicieuse candeur teintée d’arrogance de certains officiers français, seuls découvreures/détenteurs de la vérité. Et de plus, le jour où la Direction du Renseignement Militaire (DRM), gestionnaire de nos AD, se montrera capable de gérer des sources humaines, la terre aura sans doute changé de sens de rotation.

  2. Le père Armand Veilleux, procureur général de la congrégation de l’ordre des Cistrerciens en 1996, qui dans une longue interview au Figaro Magazine (!), aligne avec la certitude de ceux qui ont la foi une liste d’idioties à faire pâlir. N’ayant évidemment rien vu lui-même, il cite Abdelkader Tigha, un ancien des services algériens dont la DGSE n’a pas voulu comme source tant l’homme paraissait suspect, exalté et prêt à tout pour faire passer ses thèses. Dans le même article, le père Veilleux, que l’on espère plus à l’aise en théologie qu’en recueil de renseignements, affirme avec aplomb que « les deux services [français et algériens] travaillaient toujours ensemble. (…). Si ce vrai-faux enlèvement est une répétition  de celui des années précédentes, cela signifie que, comme celui des années précédentes, il aurait été planifié par les services algériens et français ». On croit rêver ! 2 questions pourtant : de quels services français parle-t-on ? Sans doute pas de la DGSE qui a toujours entretenu avec les services algériens des relations extrêmement difficiles et tendues. Et quelles sont les preuves avancées pour oser affirmer, acte d’une rare gravité, que les services de la République sont impliqués dans la mort de 7 citoyens français ? Le vieillesse est donc également un naufrage chez les religieux…

  3. Les mêmes approximations sont véhiculées par Mohamed Samraoui dans « Chronique des années de sang », délire dans lequel on apprend que Djamel Zitouni, émir du GIA, se promenait dans les couloirs des services à Alger avec son badge autour du cou.

Aucun de ces auteurs ou témoins n’a jamais rien vu de l’affaire des moines. La thèse de la manipulation, qui sert évidemment des intérêts politiques – comme le dit le juge Bruguière dans l’interview infra – illustre surtout l’incroyable suffisance de ceux qui osent parler d’un tel sujet tout en ignorant tout de la vie secrète des Etats. Il existe des témoins, il existe des archives – bien tenues d’ailleurs – et il existe des explications, mais il n’est pire sourd que celui qui ne veut entendre. Dans son article du Point daté du 9 juillet dernier, Mireille Duteil aurait mieux fait d’utiliser le conditionnel. De la part d’une journaliste française, l’excès d’affirmations nuit toujours à la crédibilité du propos, dans un pays où rien de ce qui s’écrit n’a pas été validé et relu 10 fois…

Infra : le texte de l’entretien de Jean-Louis Bruguière avec Christophe Barbier, de l’Express :

L’ex-magistrat antiterroriste Jean-Louis Bruguière est attaqué sur la manière dont il a instruit l’affaire des moines tués en 1996 en Algérie. Il répond à l’avocat des proches des victimes.

L’avocat des proches des moines de Tibéhirine, Me Patrick Baudouin, critique violemment, en particulier sur le site Mediapart, la façon dont vous avez instruit ce dossier. Vous auriez refusé d’entendre le général Buchwalter, qui affirme que les religieux ont été victimes d’une bavure de l’armée algérienne. Que répondez-vous ?

Je ne voulais pas évoquer cette affaire encore à l’instruction, mais ne peux me taire devant les propos mensongers et injurieux de Me Baudouin. Il affirme, par exemple, qu’il m’avait fourni le nom du général Buchwalter: c’est entièrement faux. L’avocat des parties civiles m’avait adressé une longue liste de personnes à entendre, allant d’Alain Juppé à un spécialiste belge du terrorisme. Le responsable de la DGSE et l’attaché militaire de l’ambassade de France en Algérie figuraient sur la liste, mais sans leurs noms. Le second, à l’époque, n’a jamais évoqué une participation de l’armée algérienne comme il le fait aujourd’hui. Je rappelle que le général Buchwalter pouvait à tout moment me contacter, je l’aurais entendu sur-le-champ. Il a tout de même mis treize ans pour se manifester auprès de la justice. J’ai entendu à l’époque le général Rondot, mais sa déposition n’a pas, selon toute vraisemblance, plu à Me Baudouin, qui a ses bons et ses mauvais généraux!

Comme l’affirme Me Baudouin, avez-vous délibérément orienté l’enquête pour écarter la responsabilité des autorités algériennes?

Encore une formule inacceptable et mensongère! En réalité, depuis le début, cet avocat veut démontrer que les services algériens sont impliqués dans ces meurtres avec la participation de la France; la droite, alors au pouvoir, étant évidemment complice… Me Baudouin ne défend pas l’intérêt des victimes en se faisant de la publicité avec une polémique purement idéologique.

Qu’avez-vous fait ?

Il fallait étayer ce dossier. J’ai entendu le père Veilleux, le supérieur des moines. Ensuite, je me suis rendu en Algérie pour recueillir des éléments d’enquête. Cela n’a pas été facile, car Alger a refusé en 2005 une première commission rogatoire internationale, et j’ai dû batailler pour m’y rendre l’année suivante. J’ai ainsi récupéré notamment les communiqués du Groupe islamique armé (GIA), qui reconnaissait avoir enlevé et assassiné les moines. A mon retour, j’ai entendu les quatre personnes au plus près des événements. D’abord l’ambassadeur de France à Alger, Michel Lévêque, ce qui a aussi été difficile, car le diplomate à la retraite ne voulait pas se déplacer. Il a fallu que j’insiste pour qu’il change d’avis. J’ai aussi entendu Hubert Colin de Verdière, le directeur de cabinet du ministre des Affaires étrangères de l’époque, Hervé de Charette. J’ai ensuite reçu le général Rondot, parti à Alger pour le compte de la DST, et enfin Jacques Dewatre, le responsable de la DGSE. Me Baudouin a visiblement à peine regardé ces procès-verbaux, au point qu’aujourd’hui il parle du « général Dewatre », alors qu’il était préfet!

Dans son interview, Me Baudouin déclare que vous étiez à l’époque « intouchable », que vous faisiez « régner l’omerta » au palais de justice de Paris et que vous auriez fait « des pieds et des mains » pour obtenir ce dossier auprès de la chancellerie…

Autre déclaration délibérément calomnieuse et outrancière. L’omerta fait référence à la mafia italienne. De plus, cet avocat, pour les besoins de sa démonstration selon laquelle j’étais à la solde du pouvoir, va jusqu’à commettre une erreur de procédure qu’aucun avocat, même débutant, ne pourrait faire: ce n’est pas le ministère de la Justice qui attribue des dossiers aux juges d’instruction, mais le président du tribunal et, en l’espèce, celui de Paris. Me Baudouin n’a jamais déposé de requête en suspicion légitime pour obtenir un changement de juge, ce qui était son droit le plus absolu. Il aurait voulu choisir son juge, le service enquêteur et les faits qui vont dans le sens de sa démonstration politique. Ce n’est pas ainsi qu’on défend les intérêts des victimes ni ceux de la justice. Contrairement à ce que tente de faire croire Me Baudouin, je n’ai jamais été de parti pris et toujours ouvert au dialogue. Me Baudouin est un imposteur qui tente d’abuser de la crédulité de l’opinion publique.

« London river » : émotion et sobriété

S'il ne fallait ne voir qu'un seul film sur les conséquences personnelles du terrorisme, peut-être s'agirait-il de "London River", réalisé par Rachid Bouchareb.

Auteur du nécessaire mais très surestimé "Indigènes", le cinéaste livre ici un film intimiste, réunissant à peine une douzaine d'acteurs dans des décors banals à souhait. Au lendemain des attentats du 7 juillet 2005, une Britannique et un immigré malien travaillant en France recherchent dans Londres leurs enfants. Rapidement, le doute les envahit et tandis que leurs enquêtes se rejoignent, ils commencent à envisager le pire du pire : morts, leurs enfants auraient été des kamikazes.

Remarquablement interpêté par Sotigui Kouyaté et Brenda Blethyn (vue dans "Secrets and lies" de Mike Leigh), le film, produit par Arte, ne fait que 87 minutes, largement assez pourtant pour prendre aux tripes. Sans effet dramatique, sans violence, sans pathos, le récit développe une analyse psychologique fine et émouvante.

Un grand film, injustement méconnu à mon humble avis, et une leçon d'humanité face à la terreur. 

Des moines, des barbouzes, des terroristes…

On reparle de nouveau de la douloureuse affaire des moines de Tibéhirine, assassinés dans des circonstances pour le moins mystérieuses au printemps 1996.

Deux camps s’affrontent dans cette histoire, et comme d’habitude les thèses sont, de prime abord, irréconciliables. D’un côté, les autorités algériennes et françaises qui considèrent, non sans éléments solides, que ces assassinats ont été perpétrés par le GIA (Groupe Islamique Armé, pour ceux qui ne lisent pas l’arabe et ne traduisent donc pas le sceau du groupe, ou ceux, infiniment plus nombreux, qui développent le sigle sans réflechir ni vérifier : Groupes Islamiques Armés, Groupe Islamique Algérien, pourquoi pas Groupe des Indiens Autodidactes ?). Bref. De l’autre côté, on trouve les mêmes conspirateurs de pacotille, toujours prompts à voir des complots partout, en particulier en Algérie, terre mystérieuse s’il en est.

Une fois de plus, il y a sans doute à prendre dans chaque discours, même si mon expérience me conduit modestement à préférer la version des autorités de Paris.

Essayons, pour le plaisir, de nous lancer dans un scénario :

1/ Un groupe islamiste capture sur un coup de tête les 7 moines trappistes le 27 mars 1996. Les religieux français étaient connus dans la région de Médéa pour leur neutralité. Ont-ils accueilli des terroristes traqués par l’armée algérienne ? Ont-ils déplu à un émir local, petit chef sanguin ? Toujours est-il que voilà nos moines entraînés avec les terroristes dans le maquis.

2/ La nouvelle est rapidement connue et le groupe, qui réalise sa bévue, ou qui prend conscience de l’importance politique de ses otages, rend compte à l’état-major du GIA, dirigé à l’époque par Djamel Zitouni, que personne ne qualifiera d’humaniste.

3/ Plusieurs semaines se passent. Les services algériens et français tentent de localiser les moines et de trouver une solution. Evidemment, les Algériens sont plutôt partisans d’une opération musclée, tandis qu’en France règne comme d’habitude un cirque typiquement gaulois dans lequel s’agitent la DGSE, la DST, le général Rondot – dont on aimerait lire les notes sur le sujet – et les réseaux de M. Pasqua.

4/ Le 18 avril, la revue du GIA, « Al Ansar » (Les partisans), publiée à Londres, diffuse un communiqué du mouvement revendiquant l’enlèvement des moines et réclamant la libération d’un des premiers émirs du groupe, Abdelhaq Layada. Ces longues semaines de silence pourraient s’expliquer ainsi : ne sachant que faire de ces moines, le GIA a hésité avant de finalement rendre publique une revendication inacceptable pour Alger. Cette tactique lui permet de reprendre l’initiative.

5/ Quelques jours plus tard, le 30 avril, un émissaire du GIA se présente à l’ambassade de France à Alger et demande à parler au chef de poste de la DGSE. Celui-ci prend bien soin de ne pas prévenir l’ambassadeur, M. Lévêque, et choisit au contraire, au mépris de toutes les règles, de traiter directement l’affaire avec Paris. Informé par la DGSE, le Quai d’Orsay retransmet l’information à l’ambassadeur qui, comme vous l’imaginez, est enchanté d’apprendre que se tiennent dans ses murs des tractations de la plus haute sensibilité politique. On voit mal en effet les autorités algériennes, qui luttent pour leur survie chaque jour contre le GIA, accepter de bonne grâce que la France, ancienne puissance coloniale, négocie directement avec des terroristes. Quoi qu’il en soit, ce contact avec le GIA ne donne rien, si ce n’est le retour immédiat du chef de poste de la DGSE à Paris, « carbonisé », selon le jargon en vigueur. Un « protocole » a bien été établi entre la DGSE et le GIA au sujet de futurs contacts téléphoniques, mais il semble bien qu’aucune communication n’ait été établie. Les témoins de l’époque pourront sans doute confirmer ce point.

6/ Le 21 mai, un nouveau communiqué du GIA annonce l’exécution des moines. A Londres, au sein de la rédaction d’Al Ansar, où se cotoie la fine fleur de la chevalerie jihadiste (Abou Hamza, Abou Moussab, Abou Koutada), de vives tensions éclatent. Certains annoncent des révélations dans un prochain numéro de la revue, d’autres prennent leurs distances avec le groupe. Dans la mouvance islamiste radicale (on ne dit pas encore « jihadiste »), plusieurs groupes décident de rompre leurs relations avec le mouvement algérien, dont l’influent Groupe Islamique Combattant Libyen (GICL). Finalement, le numéro d’Al Ansar devant révéler les dessous de l’affaire ne paraîtra jamais. Pressions des services britanniques, algériens, français ? Tensions entre rédacteurs ?

Le fait est que d’emblée certains voient la main d’Alger derrière cette affaire, avec les mêmes arguments : Alger aurait « puni » Paris de son absence de coopération face au GIA. Il s’agit là d’une accusation absurde : la France n’a pas condamné l’interruption du processus électoral en 1992, elle a vendu des armes à l’Armée Nationale Populaire (ANP) via des sociétés basées en Suisse, les policiers de la DST n’ont cessé d’arrêter en France des militants islamistes algériens, et certains ont même fait le coup de feu dans le pays avec les Ninjas. Alors, la France punie pour quelle raison ?

La thèse de la manipulation, comme souvent, est de surcroît plombée par les qualités de ceux qui la défendent : officiers en rupture de ban qui affirment que Djamel Zitouni avait son badge (!) des services algériens, groupuscules d’opposition, ect. Et bien sûr notre nouvel ami le général Buchwalter, qui affirme que les moines ont été tués lors d’un raid d’hélicoptères algériens. Une bavure ? pourquoi pas. Mais quelques questions restent en suspens :

– pourquoi le GIA aurait-il revendiqué l’assassinat des moines s’il en avait su l’ANP responsable ? Il y avait là en effet un boulevard en terme de propagande. Mais, me retorqueront les conspirationnistes, justement, justement ! L’armée fait une énorme bavure, et comme le GIA est sa « chose », elle n’a pas de mal à lui faire « endosser le massacre », comme aurait dit Raoul Volfoni.

– à supposer même que le GIA ait été sous influence en Algérie, les idéologues de Londres, qui lisaient et imprimaient les communiqués, n’ont jamais démenti, ou simplement nié, la responsabilité du groupe dans ces meurtres. Comment expliquer ce mutisme de la part d’individus n’ayant pourtant pas froid aux yeux et que l’on retrouvera plus tard aux côtés d’Oussama Ben Laden ?

A mon sens, la suite des événements pourrait bien avoir été la suivante :

7/ Traqué par l’ANP, le groupe qui détient les otages et qui a des contacts épisodiques avec l’état-major du GIA, choisit d’éliminer les moines sans en référer à sa hiérarchie. Cette initiative expliquerait l’embarras du groupe à Alger et l’absence de contacts entre les ravisseurs et Paris. Il était en effet trop tard… Par la suite, les services algériens, qui ont été formés à bonne école, ne vont en effet pas se gêner pour utiliser les tensions nées de cette exécution afin de provoquer des dissidences au sein du GIA et enfin tenir la clé de la défaite de la première révolte islamiste du pays. La deuxième n’est pour sa part pas près d’être vaincue mais c »est une autre histoire…

Pour Israël

De façon inquiétante et même alarmante, être un « ami d’Israël » est devenu, dans nos contrées rongées par la paix et la prospérité et gavées de bons sentiments, une insulte. Quand le prêt-à-penser se nourrit des pires théories, il faut craindre pour l’avenir.

Les défenseurs de la cause palestinienne, gagnés par le désespoir, rejoignent la cohorte des diffuseurs de haine, qu’ils soient partisans d’un islam radical construit sur la frustration, d’une idéologie marxiste dont l’échec a ensanglanté le XXe siècle ou des pires dérives des idéologies nationales nées de la Révolution française.

Mais être un ami d’Israël n’implique pas, sauf pour les esprits faibles, une adhésion totale et permanente à la politique de l’Etat hébreu. L’amitié et la loyauté n’ont de valeur que si elles autorisent la franchise, voire les désaccords. Cette exigence de rigueur intellectuelle et morale conduit ainsi à des débats houleux avec ceux que l’on soutient pourtant contre la barbarie.

Ce texte, que j’avais commencé à écrire il y a quelques semaines, a changé de nature à la suite d’une étrange expérience vécue il y a peu et que certains lecteurs reconnaîtront sans peine.

Plutôt que de me lancer dans la rédaction d’un long et insipide « post », je vais tenter d’énumérer dans le désordre les points de fixation d’un débat devenu stérile et pour tout dire assez déprimant tant les deux camps sont sourds.

1/ Quoi qu’en disent certains, la question israélo-palestinienne ne repose pas sur une hostilité intrinsèque de l’islam et le simple fait d’envisager cette hypothèse nous fait plonger dans les horreurs d’une guerre de religion. Il faut en revanche avoir une conscience aigue de la récupération de ce conflit par les islamistes, les nationalistes arabes et les jihadistes. Toute confusion entre islam et islamisme conduit en revanche à une analyse faussée de la crise, et donc à la mise en œuvre de solutions irréalistes, voire contre-productives. La vigilance salvatrice de la communauté juive et sa défense des valeurs de la République ne doivent pas – ou en tout cas ne devraient pas – la conduire à une lecture simpliste d’un phénomène qui dépasse largement le cadre de la Palestine. Le discours du Président Obama au Caire ne devrait pas être perçu par les responsables israéliens comme une menace mais plutôt comme le signe d’une possible détente.

Les habits neufs du panarabisme, désormais paré des atours de l’islam le plus radical, dissimulent mal l’ampleur des tensions entre le nord et le sud. Comme il y a 2000 ans, les laissés-pour-compte poussent aux portes de l’Empire et tentent de franchir le limes.

2/ Grisés par ce demi-siècle de paix, véritable anomalie historique, les Européens ne perçoivent pas la pression quotidienne que le terrorisme palestinien, forme dévoyée de la résistance, fait peser sur la population israélienne. Le silence, voire, pire encore, la complicité des médias européens et la lâcheté insigne des pouvoirs politiques, induisent en erreur la population. Laisser défiler des enfants déguisés en kamikazes du Hamas dans les rues de la République alors que le police interpelle à la sortie des écoles de jeunes garçons pour un menu larcin en dit long sur le trouble qui règne dans les esprits. Si résistance il y a, elle ne saurait prendre la forme de la terreur, et ceux qui comparent nos héros aux membres du Hamas ou du MJIP n’ont pas honte.

3/ Parlons justement de résistance. Le débat sur « qui était là avant » est à la fois absurde, puéril et d’une rare mauvaise foi. Arabes et juifs cohabitent depuis des siècles dans cette Palestine / Judée-Samarie, et toute référence à l’Ancien testament est déplacée. Si personne ne conteste la présence des Hébreux  dans cette terre, il faut également incorporer dans le panorama une forte présence arabe. A partir de combien de siècles un peuple peut-il s’estimer chez lui ? N’y a-t-il pas un cynisme d’une rare violence à justifier en 1948 l’expulsion des Palestiniens vers la Jordanie, le Liban, et l’Egypte en considérant que ces Etats pouvaient/auraient dû les accueillir ? Même s’il n’y avait pas de réelle identité palestinienne – ce qui reste à démontrer – il y a là des dizaines de milliers de drames personnels qu’un Etats moderne ne devrait pas écarter de la main. Et je passe sous silence le concept historiquement discutable d’Eretz Israël, bien loin des réalités historiques antiques. Je renvoie ici à la lecture de 3 ouvrages majeurs sur ce sujet.

4/ Il faut pourtant défendre Israël. Seule démocratie de la région (on attend encore le jour où des commissions d’enquête internationales seront reçues en Syrie, où le Président tunisien sera mis en examen pour corruption et où certains princes saoudiens seront inculpés pour des crimes sexuels), cet Etat incarne l’espoir d’une communauté que l’Histoire a maltraitée jusqu’à en faire la victime d’un des plus grands crimes commis par l’humanité. Là aussi, cependant, il convient de casser un mythe colporté par les radicaux de tous bords : le projet de « foyer national juif » n’a pas attendu la Shoah pour être théorisé et mis en œuvre.

5/ Enfin, et dans une démarche huntingtonienne totalement assumée, ne faudrait-il pas considérer Israël comme une enclave occidentale au Moyen-Orient ? Malgré tous les défauts de sa diplomatie, le pays mérite d’être défendu car ceux qui l’attaquent ne s’en prennent pas seulement à la terre mais aussi à la société et aux valeurs du pays. Mais la politique de colonisation, illégale, répond à une logique purement stratégique (peupler le plus vite possible des terres afin d’aborder d’hypothétiques négociations en position de force) qui, bien que logique, renforce le monde arabo-musulman dans son radicalisme et incite à penser qu’Israël ne veut pas la paix mais une victoire sans partage. On est en droit de s’interroger sur la pertinence d’une telle posture…

Raids sur l’Iran : de la politique fiction comme outil diplomatique

Adversaire déclaré des Etats-Unis depuis la révolution de 1979, l’Iran est au cœur de plusieurs crises régionales majeures. Ayant entamé un programme nucléaire – officiellement civil – en violation du Traité de Non Prolifération (TNP), l’Iran est également impliqué au Liban, aux côtés du Hezbollah et de la Syrie, en Irak et en Afghanistan, et apporte un soutien financier au Hamas palestinien, en particulier en versant des indemnités aux familles des kamikazes. De nombreux renseignements indiquent, par ailleurs, que Téhéran abrite des responsables d’Al Qaïda en fuite. Un temps en résidence surveillée, ces-derniers semblent désormais disposer d’une plus grande marge de manoeuvre.

Dans tous ces dossiers, la République Islamique défie la communauté internationale et multiplie les provocations, par l’intermédiaire de son Président, Mahmoud Ahmadinejad, peu avare de déclarations incendiaires. Il n’est pourtant, en théorie, qu’un instrument entre les mains des véritables cercles du pouvoir en Iran. Sa position de Président ne lui permet de jouer qu’un rôle de premier ministre (acception française en dehors de la période de cohabitation), avec un pouvoir très limité sur la gestion des affaires publiques, exception faite des secteurs économiques et sociaux.

L’imbrication de ces crises et leur propre implication militaire en Irak et en Afghanistan contraignent les Etats-Unis à rejeter l’option militaire contre Téhéran et à privilégier une stratégie globale. Cette politique, que l’on pourrait qualifier de « containment de basse intensité », vise à pousser l’Iran à modérer sa politique régionale en utilisant tous les ressorts de la diplomatie, des manœuvres aéronavales dans le Golfe aux réunions d’experts des deux pays à Bagdad, en passant par les accusations publiques de toutes sortes.

Les scenarii militaires, que la presse américaine relaie régulièrement, font implicitement référence à la « stratégie du cinglé » mise au point par le Président Nixon lors de son premier mandat, au début du désengagement américain du Vietnam : « Nos ennemis doivent comprendre que nous sommes des fous imprévisibles, détenteurs d’une incroyable force de frappe. Ce n’est qu’ainsi qu’ils se plieront à notre volonté ». En agitant la menace de frappes préventives – dont l’efficacité réelle, sur le programme nucléaire par exemple, reste à prouver mais qui sont susceptibles d’infliger des dommages considérables – l’Administration américaine maintient l’Iran sous pression à moindre frais, tant il est vrai que le régime iranien semble lui-même agir de façon irrationnelle aux yeux des analystes occidentaux. Ce sont dès lors deux diplomaties, en apparence incontrôlables et inconciliables, qui s’affrontent.

C’est le jeu qu’Israël a désormais décidé de jouer seul, depuis le départ de l’Administration Bush. La publication récente d’un rapport établi par deux universitaires américains, Anthony Cordesman et Abdullah Toukan (cf. http://www.csis.org/media/csis/pubs/090316_israelistrikeiran.pdf) confirme que la réalisation de frappes contre l’Iran serait pour le moins hasardeuse et nécessiterait le soutien des Etats-Unis… Autant dire que les rumeurs actuelles participent de la même logique médiatique.

Si cette stratégie peut entraîner un rassemblement de la population iranienne autour du régime en exacerbant ponctuellement un nationalisme déjà virulent, elle vise surtout à montrer à certaines tendances du pouvoir de Téhéran que les provocations répétées du Président iranien ne pourront pas rester indéfiniment impunies et cherche probablement à provoquer un changement de régime à Téhéran. La République Islamique d’Iran, dont la majeure partie de la population aspire à un rapprochement avec l’Occident, et dont certains cercles dirigeants sont exaspérés par les rodomontades et les défis du Président Ahmadinejad, n’est en effet pas à l’abri d’un phénomène d’autorégulation, attendu par certains observateurs depuis le début de la crise nucléaire, et qui aboutirait à l’éviction « en douceur » de l’actuel Président, peut-être à l’occasion des prochaines élections présidentielles.

La stratégie périphérique iranienne

De son côté, l’Iran, dont l’habileté diplomatique n’est plus à démontrer, poursuit de la même façon une stratégie périphérique sous-tendue par des considérations géopolitiques et idéologiques. Dans le cadre d’une stratégie de déstabilisation régionale qu’ils conduisent sans que le régime iranien y soit nécessairement associé, les services spéciaux du Ministère du Renseignement (MR) ne se sont jamais interdits d’entretenir des relations avec les mouvements radicaux sunnites, qu’ils soient politiques ou terroristes.

Malgré l’offensive internationale contre le jihadisme, l’Iran poursuit ainsi une politique ambiguë associant actes de bonne volonté à l’impact faible (interruption de filières, arrestation de militants de base, etc.), soutien à des groupes violents hostiles au processus de paix au Proche-Orient et marchandages au sujet de responsables d’Al Qaïda. Pendant plusieurs années, l’Iran a abrité une des deux filières permettant aux volontaires arabes de rejoindre les camps d’entraînement en Afghanistan. Cette filière, animée par des cellules de la Gama’a Islamiya égyptienne implantées à Téhéran, n’a été interrompue que dans les premiers mois de l’année 2002, lorsqu’il est devenu notoire que de nombreux responsables d’Al Qaïda avaient pu quitter l’Afghanistan par ce pays en se mêlant aux réfugiés regroupés à la frontière.

Depuis début 2002, les autorités iraniennes ont remis à leur pays d’origine plusieurs centaines de membres présumés d’Al Qaïda, pour l’essentiel koweïtiens, saoudiens, égyptiens ou yéménites. De nombreuses rumeurs circulent toutefois quant à la présence en Iran, en résidence surveillée, de hauts responsables d’Al Qaïda. Aucune confirmation officielle n’a pour l’instant été donnée par les autorités iraniennes, mais peu de doutes subsistent. Les Etats-Unis ont réclamé sans succès que ces individus leur soient livrés dans le cadre de leur guerre contre Al Qaïda. L’Iran fait valoir que les terroristes ne peuvent être remis qu’à la justice de leurs pays d’origine.

Les liens de l’Iran avec les groupes fondamentalistes sunnites en Irak sont par ailleurs anciens, un fort soutien ayant été apporté à divers mouvements islamistes kurdes contre le régime baasiste, essentiellement à la fin des années 80 et pendant les années 90. (Le fondateur et chef d’Ansar al-Islam, Najmuddin Faraj Ahmad, connu sous le nom de Mollah Krekar, réfugié en Norvège, était ainsi, depuis Oslo, en relations régulières avec des responsables iraniens tout en maintenant des contacts étroits avec des responsables d’Al Qaïda en Europe).

Cette implication iranienne aux côtés de la mouvance jihadiste s’est également manifestée par la présence à Téhéran, pendant plusieurs années, de Gulbuddin Hekmatyar, chef du Hezb-e-Islami (HIGH), une des formations islamistes les plus radicales d’Afghanistan. Celle-ci, qui a inspiré la formation en Algérie du Groupe Islamique Armé, est actuellement engagée dans la lutte contre la coalition anti-terroriste aux côtés des Taliban et d’éléments d’Al Qaïda et fait l’objet de sanctions de la part des Nations unies.

Téhéran, qui n’a pas les moyens d’un affrontement direct avec les Etats-Unis, dispose ainsi d’une véritable capacité de nuisance, aussi bien en Afghanistan qu’en Irak ou au Liban. Sur ces deux derniers théâtres, la Syrie lui est d’un grand secours en relayant son soutien aux groupes armés ou en laissant passer les volontaires islamistes.

Plus que jamais, l’heure est donc aux manœuvres politiques, entre deux blocs que tout oppose en théorie mais qui ne peuvent s’affronter sans plonger toute la région dans le chaos et qui rèvent, in fine, de se retrouver.

Au sujet des définitions du terrorisme : « une chose n’est pas nécessairement vraie (juste ?) parce qu’un homme meurt pour elle ».

Le Professeur Rollin commencerait sans doute ainsi. De dos, en train d’observer des diplomates conversant à voix basse dans les couloirs du bâtiment du Conseil, à Bruxelles, vêtu d’un étonnant costume, la pipe à la bouche, le cheveu gominé, il se retournerait vivement, vous fixerait un instant et vous dirait « : « Vous l’avez entendu comme moi, l’ambassadeur syrien auprès de l’Union Européenne vient de nier le caractère terroriste du Hamas ».

Je ne suis hélas pas le professeur Rollin, et je vais donc adopter un discours moins comique, mais probablement tout aussi pédant – on ne se refait pas ! La question du caractère terroriste du « mouvement de résistance islamique palestinien », le Hamas pour les intimes, a fait l’objet de débats passionnés au Quai d’Orsay et à Bruxelles tout au long de l’été 2003, lorsque deux camps s’opposaient à la « clearing house », l’organe informel gérant les inscriptions sur la « liste européenne des personnes, groupes et entités terroristes ».

Aux arguments politiques et diplomatiques, (« la cause palestinienne est juste ») s’opposaient les arguments des juristes et des « CT practioners » pour lesquels les actions du Hamas avaient toutes les caractéristiques du terrorisme. Et tous de se disputer autour de l’épineuse question de la définition du terrorisme.

Ce débat, cristallisé depuis des décennies autour du conflit israélo-palestinien et de quelques autres conflits moins connus – ou en tout cas moins médiatiques en Occident, malgré leur nombre élevé de victimes (Cachemire, Tchétchénie) – évolue désormais, intéressant signe des temps, vers d’autres cieux. Ainsi, une certaine presse, éprise sans doute des idéaux qui font la réputation, à défaut d’en être le reflet, de notre pays, n’a cesse de moquer la qualification de terroriste des suspects de la délicate affaire des sabotages des caténaires de la SNCF, désormais connue sous le nom d’Affaire Coupat.

N’ayant pas eu l’heur, à la différence sans doute de tous les journalistes, « intellectuels » et autres bloggeurs qui dissertent doctement de cette affaire (cf. par exemple ici), d’avoir eu accès aux dossiers de la DCRI et de la Sous Direction Anti Terroriste (SDAT), je vais me concentrer sur la qualification de terroriste. Il me semble cependant pertinent de revenir, à l’occasion d’une prochaine chronique, sur l’expression injustement moquée d’ultragauche. Les Didier Porte et autres Stéphane Guillon, malgré leur indéniable talent comique, feraient sans doute bien de se pencher sur les années 70 et 80 européennes. Sans doute les noms d’Action Directe, Rotte Armee Fraktion ou de Brigades Rouges leur diront-ils quelque chose… Mais passons.

Je ne ferai pas l’insulte à mes distingués lecteurs de revenir sur les origines du mot « terrorisme ». Les plus courageux pourront se plonger dans la somme de François Furet et Denis Richet consacrée à la Révolution de 1789, les plus avertis dans l’ouvrage de Gérard Chaliand, Histoire du terrorisme de l’Antiquité à nos jours, et les plus littéraires pourront dévorer le chef d’œuvre d’Anatole France Les dieux ont soif. Et tant que j’y suis, prenez donc deux heures pour voir « Danton », d’Andrej Wajda, le plus grand rôle de Gérard Depardieu.

 

La définition pénale française

Fidèle à sa tradition juridique qui veut qu’elle légifère sur tout et qu’elle sanctionne durement toute déviance, la France dispose d’un arsenal juridico-répressif anti terroriste qui fut unique dans les démocraties jusqu’en 2002, avec l’entrée en vigueur aux Etats-Unis des lois découlant du 11 septembre. Concernant l’arsenal français, j’emprunte ici quelques (!) paragraphes à un ami magistrat, qui me pardonnera :

Les articles 421-1 et suivants du Code pénal définissent les actes de terrorisme comme des limitativement énumérées prévues par la législation pénale lorsqu’elles sont commises intentionnellement en relation avec une entreprise individuelle ou collective tendant à troubler gravement l’ordre public par l’intimidation ou la terreur. L’acte terroriste est ainsi envisagé en associant pénalement deux critères :

L’existence d’un crime ou d’un délit de droit commun incriminé par le Code pénal. Seuls certains crimes et délits limitativement énumérés dans une liste établie par le Code pénal sont concernés, dont :

– Les atteintes volontaires à la vie et à l’intégrité de la personne, l’enlèvement et la séquestration, le détournement d’aéronef, de navire ou de tout autre moyen de transport ;

– Les vols, les extorsions, les destructions, les dégradations et détériorations, ainsi que certaines infractions informatiques ;

– La fabrication ou la détention de machines, engins meurtriers ou explosifs (définition étendue aux armes biologiques ou à base de toxines)  et leur recel.

En second lieu, la relation de ces crimes ou délits avec une entreprise individuelle ou collective ayant pour but de troubler gravement l’ordre public par l’intimidation ou la terreur.

Depuis 1994, l’acte de terrorisme écologique est par ailleurs visé, c’est-à-dire l’introduction dans l’atmosphère, sur le sol, dans le sous-sol, ou dans les eaux, y compris celles de la mer territoriale, d’une substance de nature à mettre en péril la santé de l’homme ou des animaux ou le milieu naturel.

Depuis la loi du 9 septembre 2002, cet acte est puni de vingt ans de réclusion criminelle et de 350 000 Euros  d’amende, et de la réclusion criminelle à perpétuité ainsi que 750.000 Euros d’amende, lorsqu’il a entraîné la mort d’une ou plusieurs personnes (article 421-4 du Code pénal).

Depuis 1996, le droit français sanctionne l’association de malfaiteurs à caractère terroriste, i.e. la participation à un groupement formé ou à une entente établie en vue de la préparation, caractérisée par un ou plusieurs faits matériels, d’un des actes de terrorisme précédemment mentionnés. Cette infraction fait encourir à ses auteurs une peine de dix ans d’emprisonnement et 225 000 Euros d’amende. Cette disposition, que de nombreux alliés nous ont enviée, est connue sous le nom de « méthode Bruguière », du nom du célèbre juge du parquet anti terroriste. Sans réelle efficacité judicaire, elle s’est révélée précieuse afin de « casser » des réseaux et de recueillir des renseignements lors de garde-à-vue, même si politiquement coûteuse.

La loi du 15 novembre 2001 a ajouté aux délits le financement du terrorisme, qui suppose le fait de fournir, réunir ou gérer des fonds, des valeurs ou des biens quelconques ou donner des conseils à cette fin, dans l’intention de voir ces fonds, valeurs ou biens utilisés ou en sachant qu’ils sont destinés à être utilisés, en tout ou partie, en vue de commettre l’un quelconque des actes de terrorisme, indépendamment de la survenance éventuelle d’un tel acte. Cette infraction fait encourir à son auteur une peine de dix ans d’emprisonnement et 225 000 Euros d’amende. Enfin, il faut préciser que la législation française de droit commun permet d’établir une compétence extraterritoriale des juridictions pénales lorsque les auteurs ou victimes de l’infraction sont de nationalité française (compétence personnelle active et passive) ou si elles sont commises contre les agents ou les locaux diplomatiques et consulaires français hors du territoire de la République  (art. 113-10 du Code pénal).

Une compétence dite « quasi-universelle » est en outre prévue par l’article 689-1 du Code de procédure pénale qui prévoit que toute personne (y compris un ressortissant étranger) ayant commis hors du territoire une des infractions énumérées par un ensemble de conventions internationales, peut être poursuivie et jugée en France. Le terrorisme est par principe soumis aux dispositions procédurales de droit commun, sauf lorsque la loi en dispose autrement. En pratique, compte tenu de la complexité des enquêtes relatives à des actes de terrorisme, l’ouverture d’une information judiciaire, confiée à un juge d’instruction, est systématique. Les dispositions dérogatoires applicables en matière de terrorisme figurent dans les articles 706-16 à 706-25 du Code de procédure pénale. »

Je vous fais grâce des conventions des Nations unies, que la France a ratifiées et met en œuvre, mais je vais cependant m’attarder sur deux cas précis.

D’abord, la convention des Nations unies de 1999 sur la répression du financement du terrorisme

13 conventions internationales traitant du terrorisme depuis 1963 ont été adoptées par les Nations unies, parmi lesquelles figure la Convention de 1999 pour la Répression du Financement du Terrorisme (texte téléchargeable ici).

Lancée à l’initiative de la France, après les résultats de l’enquête sur les attentats d’Al Qaïda d’août 98 contre les ambassades US au Kenya et en Tanzanie qui avaient mis en évidence le rôle des ONG islamiques, cette convention ne définit pas le terrorisme mais l’acte de terrorisme :

« Tout autre acte destiné à tuer ou blesser grièvement un civil, ou toute autre personne qui ne participe pas directement aux hostilités dans une situation de conflit armé, lorsque, par sa nature ou son contexte, cet acte vise à intimider une population ou à contraindre un gouvernement ou une organisation internationale à accomplir ou à s’abstenir d’accomplir un acte quelconque. »

Technique, cette définition a été approuvée de facto par tous les pays ayant signé puis ratifié puis mis en œuvre cette convention. Celle-ci, émanant des Nations unies après les séances de palabres que vous pouvez imaginer, est censée, de surcroît, avoir une portée universelle. Dans l’esprit des Etats occidentaux, cette définition de l’acte de terrorisme rend caduc tout débat sur la définition du terrorisme, en particulier de la part des pays ayant signé la Convention.

Le point bloquant : le bloc arabo-musulman et ses contradictions

Pourtant, un certain nombre d’Etats du Sud, essentiellement arabo-musulmans mais également héritiers d’une ligne idéologique héritée ou inspirée de l’URSS (Cuba, Corée du Nord, Venezuela), estiment que cette définition technique ne rend pas justice aux « combattants de la liberté », expression pompeuse qualifiant les individus s’opposant par les armes à une occupation étrangère.

En réalité, les combattants de la liberté sont, dans l’esprit de ces pays, les moudjahiddine palestiniens luttant contre Israël, et c’est là qu’intervient l’interminable débat sur la distinction entre « terrorisme » et « résistance ».

En plus des 12 conventions des Nations unies déjà évoquées, plusieurs conventions ont été adoptées par des organisations régionales, dans un but d’affichage politique. C’est le cas de l’Union Africaine, et également de l’Organisation de la Conférence Islamique (OCI), dont certains membres veulent exonérer tout acte des « combattants de la liberté » de la qualification de terrorisme. Or, comme le soutien la France, « le droit de résister à l’occupation n’inclut pas le droit de tuer ou de mutiler intentionnellement des civils ou des non-combattants. On ne peut pas faire avancer des causes légitimes par des moyens illégitimes. »

Je vais pour ma part encore plus loin en considérant que la défense d’une cause légitime par des moyens criminels nuit à cette cause. Essayons de faire simple et arrêtons-nous sur quelques cas pratiques :

– L’attaque d’un véhicule blindé israélien effectuant une incursion à Gaza est un acte de guerre : moudjahiddine et soldats de Tsahal sont des combattants, armés, se disputant le contrôle d’une rue ou d’une maison. La logique de leur affrontement est purement militaire.

– La destruction d’un car de ramassage scolaire dans les rues de Tel-Aviv, comme en août 2003, est un acte de terrorisme, même s’il a été effectué par le même groupe qui se battait dans les rues de Gaza contre les Merkava. Cette opération clandestine visant des civils – en l’espèce des enfants – n’obéit à aucune autre logique que celle de la vengeance et de la volonté de faire pression sur le gouvernement israélien par l’assassinat de ses citoyens.

– Un raid héliporté contre un véhicule de combattants du Hamas constitue une opération de guerre – en réalité l’expression le plus outrée d’une opération de police. L’expression de « terrorisme d’Etat », sur laquelle je vais revenir plus bas, n’a ici aucune pertinence, tant en raison de la cible visée que des moyens, visibles, engagés.

– La destruction systématique des domiciles de parents de kamikazes palestiniens ou l’emploi indiscriminé de la violence militaire contre des adolescents lançant des pierres est un crime de guerre.

De façon enfin intelligente et responsable, plusieurs ONG ont décidé après l’offensive israélienne à Gaza, en décembre 2008 et janvier 2009, de cesser de répéter en boucle les absurdes accusations de « terrorisme d’Etat » et ont choisi de déposer des plaintes internationales pour « crimes de guerre ». Preuve que cette stratégie est la bonne, Tsahal, qui se contentait auparavant de hausser les épaules, a diligenté des enquêtes internes sur le comportement de ses hommes. Evidemment, les enquêtes ont conclu au caractère irréprochable de la conduite des opérations, mais le fait même qu’elles existent a montré que l’Etat hébreu préparait sa défense juridique. J’ajoute ici que le géopoliticien de France Inter, Bernard Guetta, a, le 26 janvier 2009, relaté un fait qui pourrait bien s’avérer être un authentique crime de guerre de Tsahal.

La focalisation du discours arabe sur la Palestine ne doit pas faire illusion. A la différence de leurs peuples, les régimes arabes se moquent éperdument du sort des Palestiniens. L’avenir de la Palestine fait, dans bien des cas, figure d’épouvantail diplomatique et les 60 années passées ont surtout montré que les donneurs de leçon (Egypte, Syrie, Jordanie, Irak) étaient surtout attachés au contrôle des groupes palestiniens dans le cadre de la sempiternelle lutte pour le leadership au sein de la Ligue Arabe ou de l’OCI. Le débat sur la distinction entre la résistance légitime et le terrorisme vise donc à offrir un blanc-seing aux radicaux palestiniens, et à stigmatiser ceux qui seraient tentés par le passage de la violence au processus politique. De plus, de mes nombreuses conversations dans le monde arabe sur cette douloureuse question j’ai retenu qu’une grande confusion régnait dans les esprits. Le terrorisme est un moyen d’action, alors que la résistance est une démarche politique. Ainsi, résister à une occupation étrangère, comme au Tibet, n’implique pas nécessairement le recours à la violence, et encore moins au terrorisme.

Une autre des obsessions sémantiques de certains Etats arabo-musulmans concerne le concept de « terrorisme d’Etat ». Sans existence juridique, ni dans les codes pénaux nationaux ni dans le droit international, le terrorisme d’Etat est le qualificatif que la Syrie ou l’Iran utilisent à l’encontre d’Israël à chaque opération dans les Territoires palestiniens. Comme je l’ai indiqué plus haut, il serait sans plus efficace, politiquement et juridiquement, de parler de crimes de guerre. Ceux-ci sont en effet définis par une série de conventions internationales, dites « conventions de Genève », qui encadre, autant que faire se peut, les actions armées et les conflits. Le sort réservé aux civils, aux combattants, aux prisonniers, aux biens capturés, etc. y est traité et engage, en théorie, les Etats ayant ratifié ces textes.

Mais, au-delà du fond de la question, il est permis de s’interroger sur la crédibilité des Etats qui évoquent sans cesse le state sponsored terrorism. Dressons-en ensemble la liste :

– la Libye, dont le régime, bien connu pour son influence apaisante dans les relations internationales, a abrité dans les années 80 la fine fleur du terrorisme international, des groupes palestiniens laïcs les plus radicaux aux mouvements d’extrême-gauche européens, en passant par les pacifistes de l’IRA ou de l’ETA. Le régime du colonel Kadhafi a par ailleurs été condamné pour 2 attentats contre de avions de ligne (1988 : Lockerbie, et 1989 : vol UTA au-dessus du Ténéré)

– la Syrie, qui non contente de soutenir le Hamas et le MJIP, deux organisations islamistes radicales palestiniennes, a fait régner la terreur au Liban jusqu’à ces deniers mois en soutenant, de façon quasi avérée, les assassinats de députés chrétiens. La Syrie est également fortement soupçonnée d’avoir assassiné Rafic Hariri. Elle a par ailleurs activement soutenu les attentats réalisés contre la France et les Etats-Unis dans les années 80, en pleine crise libanaise. En septembre 1981, l’ambassadeur de France au Liban, Louis Delamarre, meurt dans un attentat attribué aux services syriens. En 1983, c’est l’ambassade des Etats-Unis à Beyrouth qui subit les assauts de Damas : 63 morts. Damas a donc de réelles compétences à parler de terrorisme d’Etat…

Celui qui n’a pas subi, en négociations à Bruxelles, les simagrées de l’ambassadeur syrien comparant le cheikh Yassine eu général de Gaulle et D’Estienne d’Orves à Khaled Mechaal ne sait vraiment ce qu’est un délire.

– L’Iran, soutien inconditionnel du Hezbollah, certes mouvement politique mais d’abord organisation paramilitaire dotée d’une branche terroriste, l’OSE, directement liée au Ministère du Renseignement iranien, n’est pas en reste. Les attentats contre les parachutistes français (58 morts) et les Marines américains (243 morts) à Beyrouth en 1983 ne lui sont pas étrangers. De même, la piste iranienne reste la plus crédible dans la série des attentats ayant frappé la communauté juive argentine en 1992 et 1994. Enfin, faut-il rappeler les attentats de Paris en 1986 et 1987 ?

Le projet indien de « convention globale »

L’Inde, aussi bien pour décrédibiliser la lutte des groupes cachemiris que pour marquer des points diplomatiques, a lancé il y a déjà de longues années un projet de « convention globale » dont l’objectif affiché est de clore le débat et de compléter l’arsenal des 12 textes préexistants. La principale qualité – ou le principal défaut – de ce texte réside dans sa volonté de définir le terrorisme et donc de tordre définitivement le cou aux élucubrations sémantiques de certains. Bloquées, les négociations ont été suspendues et les défenseurs du texte, à commencer par la France, ont renoncé ne serait-ce qu’à évoquer cette question avec le monde arabe. La cristallisation des tensions nord-sud, autour des questions économiques mais surtout religieuses et culturelles a sans doute condamné cette initiative.

Alors que les bonnes âmes se contentent de condamner le choc des civilisations, comme on condamnerait les marées hautes ou les tempêtes, la persistance de désaccords sur des questions telles que la définition du terrorisme illustre l’incompréhension, croissante, entre les blocs.