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Le très fréquenté blog de Libération, « Secret défense », a mis aujourd’hui en ligne un remarquable texte du théoricien australien de la contre-insurrection David Kilcullen (à gauche sur la photo). On me pardonnera de reprendre à ma façon cette contribution en la complétant bien modestement.

Ce texte, initialement écrit en 2006 à l’intention des troupes engagées en Irak, reflète les vues des nouveaux stratèges anglo-saxons, dont le général Petraeus, que Kilcullen a conseillé, est l’archétype. Intitulé « Twenty-Eight Articles. Fundamentales of Company-level Counterinsurgency », il est disonible à l’adresse suivante : http://edbatista.typepad.com/edbatista/files/2007/01/DJ_Kilcullen_28_Articles_Counterinsurgency_March_2006.pdf.

Pour ceux qui veulent aller plus loin, je ne peux que conseiller le remarquable exposé du même Kilcullen, téléchargeable à l’adresse http://www.smallwars.quantico.usmc.mil/documents/Counterinsurgency_in_Iraq_Theory_and_Practice_2007.pdf sur le site du Small Wars Center of Excellence du Corps des Marines (cf. http://www.smallwars.quantico.usmc.mil/).

Les Français oublient souvent que l’Australie a, pour une jeune nation, un passé militaire bien rempli. L’Australian War Museum de Canberra, que j’ai eu la chance de visiter, met en évidence l’engagement permanent de l’Australie depuis la création des forces de la colonie britannique, d’abord aux côtés de la Métropole – lors de la guerre des Boers par exemple – puis de façon indépendante lors de deux guerres mondiales, notamment en Birmanie,  puis en Corée, au Vietnam, au Timor, en Irak, en Afghanistan, et pour tout dire partout où cela chauffe.

Les militaires australiens sont formés au Royaume-Uni et aux Etats-Unis et entretiennent un esprit de rusticité que les Français croient être les seuls à posséder. Mais être rustique n’empêche pas de penser, et les Australiens ont lu, eux aussi, les grands textes de la guerre révolutionnaire et les manuels de contre-insurrection. Kilcullen cite Galula, T. E Lawrence.

 Il cite également Robert Thompson, un expert peu connu de ce côté du monde et pourtant auteur de quelques livres fondamentaux, dont en 1966 « Defeating communist insurgency » sur son expérience en Malaisie et au Vietnam (où il conseillera les Etats-Unis) et surtout en 1969 « No exit to Vietnam » qui en dit long sur son analyse conflit.

Mais, bien qu’il ne les cite pas, Kilcullen est aussi l’héritier des Lyautey, Galliéni, et des vétérans que la France prêta aimablement à l’Empire dans les années ’60, dont le sulfureux général Aussaresses.

  

Le général Aussaresses, dont le nom évoque chez les lecteurs de James Ellroy la fameuse Ecole des Amériques, a par ailleurs contribué au projet Condor, mais c’est une autre histoire. Interrogé sur les dictatures sud-américaines soutenues par la CIA, William Colby répondait : « Ce sont peut-être des salauds, mais ce sont NOS salauds ».

  

11 septembre 2001 : des images.

Plutôt que par de longs discours, je préfère ici commémorer les attentats du 11 septembre en postant ce montage réalisé par le Washington Post.

http://www.washingtonpost.com/wp-dyn/content/video/2006/09/06/VI2006090600596.html

Vous y retrouverez des extraits du remarquable documentaire réalisé par Jules et Gédéon Naudet, ainsi que par Rob Klug et James Hanlon, mais aussi des vidéos tournées par des touristes.

Enfin, je vous invite à visiter ces sites : http://www.libertynews.org.nyud.net:8090/wtc/ et http://911.navexpress.com/.

9 septembre 2001 : la mort du commandant Massoud

Il y a huit ans mourait dans un attentat-suicide le commandant Ahmed Shah Massoud, le Lion du Panshir, tacticien hors-pair, chef de guerre sans pitié, homme politique ambigu, personnage fascinant.

Curieusement, les conspirationnistes n’évoquent jamais cet attentat aux conséquences majeures, comme si la preuve irréfutable de la responsabilité d’Al Qaïda dans cette affaire les gênait. Mais on comprend que des esprits aussi tortueux préfèrent se perdre en discussions sans fin sur la résistance du béton des Twin Towers.

L’assassinat du commandant Massoud fut un succès majeur d’Al Qaïda. Pour la première fois, les responsables de l’organisation atteignirent en effet une de leurs principales cibles en associant étroitement lors de l’opération cellules maghrébines, à l’époque sans véritable leader, et réseaux jihadistes. Les deux terroristes ayant assassiné le chef de l’Alliance du Nord étaient en effet porteurs de passeports belges volés à Strasbourg et La Haye en 1999 et munis de faux visas pakistanais obtenus à Londres. Un passeport volé à Strasbourg dans la même série avait déjà été retrouvé en possession d’un terroriste marocain, Mustapha Maakoul, arrêté au Pakistan en 2000 alors qu’il préparait des attentats pour le compte d’Oussama Ben Laden.

Les deux assassins de Massoud avaient de surcroît bénéficié de l’aide décisive d’un islamiste radical égyptien basé à Londres, Yasser Toufik al Siri, le responsable de l’Islamic Observation Center. Ce sympathisant du Jihad Islamique égyptien et de la Gama’a Islamyyia avait en effet fourni aux terroristes une lettre d’accréditation et des cartes de presse de son organisme leur permettant de se faire passer pour des journalistes. La justice a estimé qu’il ignorait que ces documents allaient contribuer à la mort du chef de l’Alliance du Nord, mais l’intime conviction des services n’a pas changé. Je rends d’ailleurs ici hommage à l’analyste français qui, seul, et en pleine tourmente post-11 septembre, trouva la clé de cette affaire. Il se reconnaîtra.

Yasser Toufik al Siri était déjà bien connu des services de sécurité occidentaux et moyen-orientaux pour son implication dans la tentative d’assassinat, en 1993, du Premier ministre égyptien Atef Mohamed Sedki par un groupe nommé Les Avant-gardes de la Conquête, une expression chère au bon docteur Ayman al Zawahiry. Al Siri était également recherché par le FBI qui le soupçonnait d’avoir financé pour partie la cellule de Brooklyn ayant commis en 1993 le premier attentat contre le World Trade Center. La suite de l’enquête sur l’assassinat de Massoud permit de confirmer l’implication dans cette affaire d’un terroriste belge d’origine tunisienne né à Oran, Amor Sliti, responsable d’une filière de faux documents administratifs en Europe au profit des réseaux maghrébins. Quant aux veuves des assassins, elles furent accueillies aux Emirats Arabes Unis par Oum Bilal, la veuve de Redouane Laadjal alias Abou Bilal, l’ancien chef de la Maison des Algériens en Afghanistan.

Mais ceci est une autre histoire, qui nous conduirait en Stockholm, à Alger, à Londres. Une autre fois…

Afghanistan : une sale guerre ?

Un soldat français est tombé hier en Afghanistan, tué par l’explosion d’une bombe artisanale. Neuf de ses camarades – et non de ses « collègues » comme l’a dit hier un journaliste de France Info qui les confondait sans doute avec des employés de la Mairie de Paris – ont également été blessés, certains sérieusement. Je me permets ici de rendre hommage à ces soldats qui conduisent au coeur du monde une guerre que peu veulent comprendre et qui défendent, malgré elles, nos valeurs.

La mort de ce jeune caporal, dénoncée à Paris par les « anti-guerre », ceux-là même qui défilent pour la laïcité et font assaut d’humanisme, intervient alors qu’un raid de l’OTAN contre un groupe de Taliban (je me refuse à qualifier ces individus d’insurgés) a entraîné la mort de plus de 90 personnes. Si ce bilan est proprement terrifiant, et s’il y a tout lieu de penser que de nombreux civils ont en effet été touchés par ce raid, il serait bon de rappeler qu’il a été provoqué par l’explosion d’un camion-citerne volé par des Talibans et touché par un projectile au milieu d’un village. Sans vouloir me faire l’avocat du pilote qui ouvert le feu et qui doit en avoir gros sur le coeur ce matin, je rappelle que les Taliban maîtrisent parfaitement la désormais fameuse méthode du bouclier humain, et surtout qu’ils savent, comme toutes les guérillas qui les ont précédés, que les démocraties en guerre ne supportent pas la mort. Dès lors, plutôt que de tenter de vaincre les forces alliés en rase campagne, les Talibans procèdent par opérations ponctuelles et utilisent au mieux les inévitables bavures – voire les provoquent.

Les Français n’aiment pas la guerre. Il convient de s’en féliciter. Il faut hélas parfois le déplorer car cette posture, qui les a vus refuser d’intervenir contre le Reich en 1936 et 1938, les a conduits où l’on sait.

Plus grave, les Français, comme les Européens, ont perdu toute connaissance de la guerre, et ce, rendons grâce au ciel et à la sagesse de nos père, gâce à la paix qui règne sur le continent depuis 1945. Les Français n’ont plus qu’une vision édulcorée de cette catastrophe habituelle de l’histoire humaine, et ils ont oublié les drames qui l’accompagne. Il faut ici remercier la médiocrité des programmes d’histoire de nos collèges et de nos lycées.

La mort de soldats et la mort de civils, en Afghanistan comme en RDC ou au Sri Lanka, font partie de ces horreurs que nous devons intégrer. L’incapacité criante de nos dirigeants à expliquer ce conflit et le défaitisme criminel des pacifistes d’extrême-droite ou d’extrême-gauche constituent le second front de cette guerre. A nous d’expliquer qu’il ne s’agit pas de colonialisme et qu’il n’y a nulle gloire à vouloir défendre les « traditions » d’individus qui pratiquent le crime d’honneur.

Monsieur Eric, le roman d’un tricheur.

Connaissez-vous la spontéparité ? Il s’agit du terme savant désignant la génération spontanée. Dans l’Antiquité, les Romains pensaient ainsi que pour obtenir un essaim de guêpes il suffisait de laisser en plein soleil une carcasse de bovin et que les insectes apparaîtraient après quelques jours.

L’actualité internationale est un peu comme cette carcasse pourrissant au soleil : elle provoque régulièrement l’apparition d’experts autoproclamés qui pérorent à la radio ou à la télévision et recrachent plus ou moins habilement quelques bribes d’informations glanées dans des brasseries de l’Ecole Militaire auprès d’officiers aveuglés par l’aura qui se dégage de ces stars des médias. Mais tout ce qui brille n’est pas d’or. Le 11 mars 2004, Gérard Chaliand, véritable expert de la guérilla ayant roulé sa bosse sur tous les champs de bataille du monde, affirmait ainsi sans sourciller sur l’antenne de France Inter que les attentats de Madrid ne pouvaient être que l’oeuvre de l’ETA. Au même moment, votre serviteur, sur la foi des seules informations véhiculées par la presse, écrivait à ses responsables qu’il s’agissait évidemment d’une opération jihadiste. Nulle gloire à cela, ma fille aurait écrit la même chose, et seul un homme aveuglé par son mépris des groupes jihadistes – et par l’âge peut-être – pouvait aussi lourdement se tromper. Cette erreur l’écarta un temps des plateaux de télévision et des studios de radio, et le conduisit à confier à d’autres le soin de commenter l’actualité terroriste. Tout le monde n’a pas, hélas, l’élégance de ce vieux guerrier, et on croise régulièrement le chemin de quelques apprentis espions, surgissant du néant à chaque attentat ou à chaque prise d’otages. C’est le cas de Monsieur Eric.

Autoproclamé spécialiste du renseignement, Monsieur Eric ne rate pas une occasion de se présenter, avec une fausse modestie teintée de mystère qui force le respect, comme un « ancien des services ». Ce fut encore le cas, le 27 août dernier, dans une dépêche de l’AFP et dans une interview téléphonique à RTL, à l’occasion de la toujours mystérieuse évasion/libération d’un agent français en Somalie. D’un ton docte dans lequel on percevait la longue et douloureuse expérience de l’espion qui en a vu d’autres, Monsieur Eric se permettait de juger « crédible » les maigres informations disponibles et glissait quelques détails censés démontrer à quel point il avait l’habitude de ce genre d’affaires.

Je dois confesser une forme de fascination pour ces experts, capables de dire « nous » en parlant des services de renseignement français, et avançant des théories relevant de la psychiatrie quant à l’entraînement des agents de la République. Si un certain nombre d’entre eux, issus du Service Action de la DGSE ou du COS, sont en effet capables de véritables exploits, il faut garder en tête que les membres de la communauté française du renseignement sont recrutés sur leurs qualités intellectuelles et non pas sur leurs capacités physiques. Et de toute façon, je n’aime pas être giflé et je dirai tout à un homme armé de tenailles. Bien peu de ces analystes seraient capables d’encaisser le choc d’une détention, voire d’un interrogatoire un peu poussé.

Mais Monsieur Eric joue les vétérans, et il n’hésite pas à détailler son CV dans une revue pour étudiants voire sur son site Internet. Quand on interroge les témoins, cependant, on découvre vite que la pompeuse fonction « d’analyste à la direction de l’Evaluation et de la Documentation Stratégique du Secrétariat Général de la Défense Nationale » a essentiellement consisté en un poste auprès de la photocopieuse. Surtout, nulle part n’apparaissent des fonctions opérationnelles au service de la République. Monsieur Eric a-t-il traité des sources ? A-t-il eu des entretiens opérationnels avec des services alliés ? A-t-il participé à la gestion de crises majeures ?

Connu des services français, Monsieur Eric n’y a pas bonne presse. Les « vrais » n’aiment pas que d’autres s’attribuent des fonctions qu’ils n’ont jamais occupées. Et ils aiment encore moins qu’on tente de les débriefer pour régurgiter à la télévision des informations incomplètes et mal comprises… Pour tout dire, Monsieur Eric n’a jamais travaillé pour un service de renseignement, et il n’a fait que passer au SGDN, structure d’analyse stratégique oeuvrant au profit des autorités politiques et nullement mandatée pour aller cueillir le renseignement sur le terrain.

Mais si cela relevait simplement de la fascination, voire d’une forme douce de mythomanie, cela pourrait encore être toléré. Mais il y a plus grave que ces mensonges, ce CV arrangé ou ces déclarations péremptoires sur les ondes. Dans cette interview à L’Etudiant, Monsieur Eric présente son métier de consultants d’une façon proprement scandaleuse, et il y avoue même des pratiques plus que douteuses. Laissons-lui la parole :

« L’intelligence économique, c’est du renseignement au service des entreprises. Cela ne consiste pas simplement à faire de la veille technologique sur Internet, mais plutôt à monter un réseau d’informateurs, recruter des agents, infiltrer, manipuler des sources, mettre en place des procédures de sécurité pour ne pas se faire piéger… C’est un métier d’expert en information ou de conseil un peu particulier. »

Faut-il ici préciser que le recueil de renseignement dans notre pays est une pratique régalienne, et que les cabinets privés n’ont que le droit de compiler puis surtout d’analyser les informations recueillies au sein de la jungle des sources ouvertes. Il n’y a pas d’espionnage privé en France, ou en tout cas il ne saurait y en avoir. Quant à recruter des agents, cela veut concrètement dire : faire trahir un salarié ou un fonctionnaire, le rémunérer en échange de renseignements qui ne devraient pas quitter certains bâtiments… Et il y a mieux. A la question « Utilisez-vous des gadgets ? », Monsieur Eric répond :

« Principalement des matériels d’écoute : un micro dans une montre, une caméra dissimulée dans un téléphone… On peut aussi recourir à l’intrusion informatique : des hackers sont capables de pénétrer le central informatique d’un hôtel pour détourner les appels téléphoniques ou modifier un nom sur une réservation. »

Autant de pratiques que la justice française n’apprécie guère et qui sont sévèrement condamnées par les véritables professionnels de la sécurité privée. Pourtant, gageons que notre ami continuera de hanter les colloques sur le renseignement dans lesquels on ne trouve que quelques vieilles gloires tentant de vendre le récit de leur unique exploit il y a 30 ans ou des « consultants » aux compétences et surtout aux méthodes douteuses.

Et pendant ce temps-là, non seulement elle tourne, mais les véritables officiers de renseignement, au lieu de courir le cacheton, se consacrent à leur sacerdoce et dégustent un vieux whisky en écoutant les affabulateurs chez Yves Calvi avant de tenter d’empêcher un attentat ou de débusquer un diplomate russe trop curieux.


Que la guerre est facile vue de Paris

« La meilleure arme contre la démocratie ? 5 minutes avec un électeur lambda », disait le grand Winston Churchill. A la lecture des commentaires des internautes sur l’affaire de nos otages en Somalie, force est de constater que le Premier ministre britannique avait fait preuve d’une cruelle lucidité en lançant cette plaisanterie.

Capturés le 14 juillet derniers dans l’hôtel le plus protégé de Mogadiscio, les deux agents de la DGSE ont immédiatement provoqué l’hilarité de leurs concitoyens, à peine remis sans doute des beuveries du bal des pompiers. Rares ont été les voix pour attirer l’attention des Français sur les risques insensés que couraient nos deux compatriotes dans les mains des groupes islamistes radicaux somaliens. Il a en revanche été fait largement mention d’une rumeur, infondée, selon laquelle les deux militaires se faisaient passer pour des journalistes. Il n’en était rien, comme l’a admis le gérant de l’hôtel et comme n’ont cessé de l’affirmer les autorités françaises.

Si les stratèges de comptoir abandonnaient la lecture de certains quotidiens sportifs, ils réaliseraient – peut-être – que les services secrets français sont un des moyens les plus sûrs que la République utilise pour rayonner et surtout pour se préparer au pire. Parfois qualifié de « Service d’Assistance » par les militaires de la DGSE, le Service Action (SA) regroupe en réalité la fine fleur de la chevalerie et procède en permanence à des missions de soutien, de reconnaissance, et s’entraîne à intervenir dans des régions que les internautes, si prolixes, ne placent même pas sur une carte, et dans des conditions qui n’ont rien à voir avec les aventures des bidasses de la 7e compagnie.

Mais si le Français a raison de ne pas aimer la guerre, surtout après le nombre sidérant de défaites subies ces derniers siècles et les tueries homériques du 20e siècle, il a tort de pratiquer un antimilitarisme teinté d’omniscience, ce trait de caractère gaulois qui fait de la France la patrie de Thierry Meyssan. Les remarques lues aujourd’hui sur nos deux agents sont en effet d’une étourdissante bêtise et révèlent l’ambivalence de nos concitoyens vis-à-vis de la chose militaire. Avides de gloire mais frustrés après tant de roustes, ils en sont réduits à idolâtrer des chauffeurs de taxi marseillais et à refaire les guerres devant un pastis. Surtout, ils n’ont pas de mots assez durs pour fustiger leurs alliés, américains et britanniques, et ils ne cachent pas longtemps leur fascination pour la Wehrmacht. Car le Français, beau parleur, a le discours d’un Empire avec les moyens d’une principauté d’opérette.

Que des militaires aient pu être capturés en soutenant le moribond régime somalien contre les jihadistes ou les pirates, voilà qui nourrit l’ironie de nos vétérans du dimanche. Que l’un d’entre eux se soit échappé, et c’est le délire, curieux mélange de gloire cocardière et de scepticisme ignare.

En réalité, les choses devraient être simples. L’internaute du Monde, du Figaro ou de Libération devrait admettre, une fois pour toutes, qu’il ne sait pas tout parce qu’il ne peut/doit pas tout savoir. Il devrait également accepter, comme votre serviteur, qu’il n’a pas son mot à dire pour des operations SECRETES, et que s’il a le droit de s’interroger, il devrait REFLECHIR avant de commenter des articles écrits à la va-vite. Internet devait tuer l’écrit. On n’a jamais autant écrit. Mais on n’a jamais écrit autant de c…

Quand le Canard Enchaîné sort de son champ de compétences.

« Hebdomadaire satirique paraissant le mercredi », le Canard Enchaîné est sans doute la dernière preuve que nous vivons dans une démocratie et pas dans une république bananière.

Pourtant, de temps à autres, probablement aveuglés par des certitudes idéologiques et une ignorance assez crasse des questions de défense, les journalistes du respecté palmipède se laissent aller à des déclarations hâtives. Ainsi, dans l’édition du jour, un certain P. L – sans doute Patrice Lestrohan – avance sans autre preuve que son propre parti-pris une affirmation plus que discutable sur le bilan de la CIA contre les dirigeants d’Al Qaïda.

Nul ne contestera l’échec du renseignement américain à l’occasion du 11 septembre 2001 – même s’il convient de blâmer d’abord le FBI, et s’il faut rester prudent dès que l’on parle de faillite du renseignement, surtout en France… J’y reviendrai.

Nul ne discutera non plus le caractère abject de certaines des pratiques de la CIA à l’encontre de ses prisonniers. La torture est indigne d’une démocratie – j’y reviendrai prochainement – et n’est de toute façon d’aucune utilité contre des prisonniers déconnectés de leurs réseaux. Dans d’autres circonstances…

Mais, hélas pour les amateurs plus ou moins éclairés du Canard, le bilan de la CIA contre les responsables d’Al Qaïda est bon, très bon même. Passée la stupeur devant l’ampleur de la catastrophe de septembre 2001, l’agence a su retrouver les méthodes du renseignement humain (HUMINT) et surtout est passée à l’action. L’élimination lors des premiers raids aériens sur l’Afghanistan de Mohamed Atef, alias Abou Hafs al Masri, l’adjoint d’Oussama Ben Laden, ou celle de Juma Namangani, émir du Mouvement Islamique d’Ouzbékistan (MIO) ont montré la rapidité avec laquelle la CIA avait su tranformer en actions concrètes les renseignements recueillis par la NSA ou transmis par ses alliés. Les arrestations successives d’Abou Zoubeida ou de Khaled Sheikh Mohamed, comme les morts successives des émirs d’Al Qaïda en Irak, en Arabie saoudite ou au Pakistan, comme les disparitions prématurées de certains opérationnels au Yémen, aux Philippines ou en Somalie, ont largement fait la preuve de la santé retrouvée de la CIA. Les raids réguliers dans les zones tribales pakistanaises font peser sur l’état-major d’Al Qaïda comme sur les Talibans une pression à peine supportable. Même Oussama Ben Laden, malgré d’infinies précautions, semble avoir succombé aux coups vengeurs de l’Empire, soit directement grâce à impact direct de Hellfire, soit indirectement, la vieille carcasse du terroriste n’ayant pas résisté à cette fuite incessante.

L’agence va désormais devoir s’expliquer sur son obéissance aveugle aux ordres des hystériques conduits par Cheney. Mais il faudra bien veiller à ne pas jeter le bébé avec l’eau du bain…

La CIA et les « exécutions extra-judiciaires » : soit on fait la guerre, soit on ne la fait pas.

Je le dis tout net, tuer des terroristes lors d’opérations militaires en Algérie, dans le Sahel, en Somalie, dans le Golfe, en Irak ou en Afghanistan ne me pose pas de problème moral particulier. La tristesse liée à la mort d’un être humain est largement compensée par la satisfaction du devoir accompli, mais le membre d’un groupe terroriste tué ou capturé alors qu’il combat au sein d’une guérilla doit être considéré comme un combattant relevant des différentes conventions de Genève relatives au droit de la guerre, et non comme un « non-être juridique », selon les principes de l’Administration Bush.

Deux solutions s’offrent face à des groupes terroristes assez puissants pour contester la souveraineté d’Etats sur leurs territoires, comme au nord du Nigeria, en Somalie ou au Pakistan : la judiciarisation ou l’élimination. Pour ma part, j’ai choisi le pragmatisme.

La judiciarisation est la solution la plus acceptable, aussi bien moralement que politiquement. Je reste ainsi persuadé que les unités américaines présentes en Afghanistan en octobre 2001 auraient mieux fait de remettre leurs prisonniers au FBI, compétent dans le monde entier pour les questions de terrorisme, plutôt que de les confier aux agents de la DIA, le service de renseignement du Pentagone, que l’on sait incapable de mener une enquête sérieuse et encore moins un interrogatoire digne de ce nom. La remise des prisonniers à la justice américaine aurait permis d’éviter la création des fameuses prisons secrètes de la CIA – dont l’utilité fut, hélas, réelle, mais dans de bien difficiles conditions – et surtout l’apparition de ce cancer diplomatique qu’est le camp X-Ray de Guantanamo.

La judiciarisation n’est pas hélas pas toujours si simple ni si pratique. Souvenons-nous de Djamel Beghal, arrêté à Dubaï en juillet 2001, détenu illégalement et torturé par les services émiratis, avant d’être remis à la justice française dans de troubles circonstances… Ah, qui n’a pas rêvé devant un Transall sans cocarde se posant sur une base militaire du Golfe avec à son bord des membres de la DST. La justice emprunte parfois des voies bien tortueuses.

L’action clandestine, aux ordres du pouvoir politique, peut parfois avoir du bon. Dans certains cas, je suis au regret de dire aux belles âmes que l’élimination d’un terroriste par un groupe des forces spéciales ou par un service de renseignement peut avoir de bons côtés. Elégamment qualifiées par les Israéliens d’assassinats ciblés – mais je ne parviens pas comprendre ce que pourrait être un « assassinat non ciblé », ces opérations doivent être comprises comme des « retraits », comparables à ceux pratiqués par les « blade runners » sur les « répliquants » dans le roman de Philip K. Dick. Il s’agit de traiter une menace, de la gérer au mieux, et si possible d’éviter les dommages collatéraux.

La question de ces « retraits » est un défi moral et administratif majeur dans nos démocraties démobilisées par 60 années de paix et sclérosées par la « course aux honneurs », qui décourage l’initiative et favorise les hiérarchies sans énergie. Car quoi que l’on pense des donneurs d’ordre et de leurs ordres, il faut leur reconnaître le courage, si rare, surtout dans notre pays et dans certains de ses services, d’assumer leur commandement et d’en faire usage. Aux Etats-Unis, les moyens financiers colossaux et un réel sens du secret permettent parfois aux directeurs un peu nerveux de déléguer à d’autres le soin d’accomplir leurs missions.

La presse américaine a ainsi récemment récemment que la CIA avait, en 2004, confié à des prestataires extérieurs le soin de traquer et d’éliminer des émirs d’Al Qaïda. Et l’on apprend aujourd’hui que ces mystérieux prestataires n’étaient autres que les poètes de Blackwater, aimable société militaire privée (SMP, mais en France on dit « mercenaires », en tout cas pour l’instant), connue pour son goût du massacre de civils irakiens et la qualité plus que moyenne de ses employés.

Comme mus par un réflexe pavlovien, la presse et un grand nombre d’observateurs se déchaînent devant cette nouvelle preuve des dérives de la Présidence Bush. Mais que critique-t-on précisément ? Le recours à des mercenaires pour des missions relevant de la seule autorité de l’Etat, ou le fait que la CIA ait décidé d’éliminer clandestinement des responsables terroristes ?

La semaine dernière, le point le plus critiqué était le fait que les services américains avaient lancé un programme d’élimination, comme si le fait de vouloir abattre ces ennemis était répréhensible. Tous les services du monde font cela, pour la simple et bonne raison qu’ils ont été conçus pour cette mission. En France, les préparatifs de ces opérations sont bien connus dans le milieu militaire sous le sigle (ah ! les sigles militaires français…) de RFA : Reconnaissance à Fins d’Action (RFA). Ils sont régulièrement pratiqués, sans jamais aller au bout, jusqu’au jour où… Il y a, dans ces exclamations choquées, la preuve d’une candeur presque criminelle et un parti-pris moralisateur bien éloigné des réalités du monde.

En fait, le véritable scandale, dans cette affaire, ne réside pas dans le fait que la CIA ait voulu tuer des terroristes, mais bien dans le fait qu’elle ait « externalisé cette prestation », comme on externalise une cantine scolaire. En confiant à des « amateurs » le soin d’identifier puis d’éliminer des ennemis, la CIA a délibérément fui ses responsabilités, plus par crainte de l’échec que par désapprobation morale. Elle a surtout pris un risque politique majeur, et on ne peut que se féliciter que les quelques millions de dollars donnés par l’agence de Langley n’ait abouti à aucune action. Nul doute en effet que les employés de Blackwater auraient laissé derrière eux autant d’indices qu’une bande de scouts, et je ne parle même pas des éventuels échecs, bavures, etc.

Soyons donc clairs sur un point fondamental : quand on fait la guerre, ou du moins quand on a la prétention de la faire, il faut la faire soi-même. Il ne s’agit pas de confiance dans ses capacités, il s’agit d’honneur et de responsabilité. Confier à des nostalgiques des « Oies sauvages » de telles missions n’est ni plus ni moins que de la lâcheté.

 

NB : En réponse à une question du Docteur Ayman al Z, de Peswhawar (Pakistan), je me permets d’éclaircir encore ma position. Soit nous vous arrêtons et nous vous jugeons de façon impartiale, soit votre arrestation est impossible pour des raisons techniques et nous vous éliminons. La peine de mort ne pouvant être requise contre vous, nous vous offrons le risque d’une condamnation à la prison à vie en échange d’une occasion de vous expliquer sur la motivation de vos actes. Sinon, un groupe de soldats d’élite et un drone régleront la question de façon plus définitive. Dans les deux cas, il ne s’agit pas tant de rendre la justice que de gérer une menace.

Etrange défaite et étrange victoire

Je délaisse Al Qaïda pour vous signaler la réédition, prévue à la fin du mois de septembre, de l’étude d’Ernest R. May « Strange victory: Hitler’s conquest of France ».

Il s’agit d’un ouvrage indispensable, qui explique l’inexplicable, ce que Sir Basil Liddell Hart décrit dans son « Histoire de la Seconde guerre mondiale » comme la plus spectaculaire victoire militaire de l’ère moderne.

Et il ne vous aura pas échappé que May emprunte son titre à Marc Bloch, dont « L’étrange défaite » reste un chef d’oeuvre fondamental que chaque Français devrait avoir lu, et qui devrait figurer dans toute bibliothèque d’officier. Pour les admirateurs, je ne peux que conseiller ce site : http://www.marcbloch.fr/sommaire.html.