Petite et modeste leçon de journalisme

Soyons clairs, la mode est à l’escroquerie et aux prophètes autoproclamés. Omniprésente dans les commentaires que laissent les internautes sur les sites du Monde, du Figaro, de Libé ou d’autres, cette tendance a trouvé ses hérauts avec les « médias citoyens ». Ces derniers, que n’étouffe pas la modestie, affirment que leur ligne éditoriale s’affranchit des intérêts défendus par l’Etat, les grandes entreprises et en fait n’importe qui. Il va de soi que cette posture de « père-la-vertu » prête à rire tant elle est naïve et arrogante. Cette morale inflexible semble ne pas souffrir de la présence sur la page d’accueil de publicités pour le jeu en ligne, pour un programme de détection du cholestérol ou pour un site de rencontres. Faîtes ce que je dis, pas ce que je fais.

L’article posté le 12 février par AgoraVox au sujet d’Al Qaïda (cf. ici) laisse ainsi pantois tant il combine les défauts de notre époque : racoleur, inexact, mensonger, faussement objectif, inutilement péremptoire.

Essayons de lister ensemble les menus problèmes de cet interminable article, à commencer par son titre : « Al Qaïda n’existe plus selon la DGSE ». Pour illustrer ce titre, pour le moins provocateur, AgoraVox fait appel à une vieille gloire du renseignement français, Alain Chouet, ancien chef du Service de Renseignement de Sécurité (SRS) à la DGSE, qui intervenait en janvier dernier au Sénat dans le cadre d’un colloque – et non des travaux d’une commission – portant sur « Le Moyen-Orient à l’heure nucléaire ».

Pour ceux qui l’ignorent, précisons ici qu’Alain Chouet, après une longue carrière au sein du SDECE puis de la DGSE, a quitté cette prestigieuse administration pendant l’été 2002 en raison de divergences politiques. A la retraite depuis, Alain Chouet n’est aucunement en position de parler au nom de la DSGE, et l’article d’AgoraVox est à cet égard d’une fascinante malhonnêteté intellectuelle. Il faut préciser de surcroît qu’Alain Chouet, excellent connaisseur du monde arabe, a fait ses armes au Liban et en Syrie et qu’il a, tout au long de sa carrière, combattu des mouvements terroristes classiques organisés à la mode occidentale. Il n’a ainsi jamais vraiment compris le fonctionnement intime de la mouvance jihadiste, et il a même, en août 1998, nié la responsabilité d’Al Qaïda  dans les attentats commis contre les ambassades américaines au Kenya et en Tanzanie… Obsédé par les Frères Musulmans égyptiens, Alain Chouet a longtemps refusé d’envisager l’existence d’une mouvance terroriste échappant au contrôle d’un Etat ou d’une organisation religieuse.

Le léger problème de chronologie – mais il s’agit sans doute là d’un concept bourgeois rétrograde – soulevé plus haut ayant été méprisé par les auteurs de cet article, la place est donc libre pour les révélations fracassantes d’Alain Chouet : « Comme bon nombre de mes collègues professionnels à travers le monde, j’estime, sur la base d’informations sérieuses, d’informations recoupées, que la Qaïda est morte sur le plan opérationnel dans les trous à rats de Tora Bora en 2002. Les services secrets pakistanais ensuite se sont contentés, de 2003 à 2008, à nous en revendre les restes par appartements, contre quelques générosités et quelques indulgences diverses. Sur les quelque 400 membres actifs de l’organisation qui existait en 2001 (…), il en reste moins d’une cinquantaine, essentiellement des seconds couteaux, à l’exception de Ben Laden lui-même et de Ayman al-Zawahiri, mais qui n’ont aucune aptitude sur le plan opérationnel. Donc moins d’une cinquantaine ont pu s’échapper dans des zones reculées, dans des conditions de vie précaires, et avec des moyens de communication rustiques ou incertains. Ce n’est pas avec un tel dispositif qu’on peut animer à l’échelle planétaire un réseau coordonné de violence politique. D’ailleurs il apparaît clairement qu’aucun des terroristes post 11/9, qui ont agi à Londres, Madrid, Casablanca, Djerba, Charm-el-Cheikh, Bali, Bombay, etc., ou ailleurs, n’a eu de contact avec l’organisation. Et quant aux revendications plus ou moins décalées qui sont formulées de temps en temps par Ben Laden ou Ayman al-Zawahiri, à supposer d’ailleurs qu’on puisse réellement les authentifier, elles n’impliquent aucune liaison opérationnelle, organisationnelle, fonctionnelle entre ces terroristes et les vestiges de l’organisation ».

Par où commencer ? Allons au plus simple et listons ensemble les arguments avancés :

–  « J’estime, sur la base d’informations sérieuses, d’informations recoupées, que la Qaïda est morte sur le plan opérationnel dans les trous à rats de Tora Bora en 2002 ». Informations sérieuses, recoupées ? On ignorait, mais on se réjouit de l’apprendre, qu’Alain Chouet avait poursuivi sa carrière dans l’ombre d’une retraite bien méritée. Il aurait donc reçu de ses « collègues professionnels » des éléments que n’auraient pas reçus les services officiellement en charge de ces questions ? Vite, un poste officiel pour Alain Chouet, le vieux sage des montagnes descendu révéler la vérité au monde. Il faut souligner ici le mépris, sans doute générationnel, d’Alain Chouet pour les terroristes d’Al Qaïda, et on retrouve dans sa bouche les propos déjà évoqués ici d’un Chaliand.

– « Les services secrets pakistanais ensuite se sont contentés, de 2003 à 2008, à nous en revendre les restes par appartements, contre quelques générosités et quelques indulgences diverses. » Encore et toujours cette obsession de la main invisible des services. Il faut confesser ici une réelle déception devant la fragilité de cet argument, et surtout les innombrables erreurs qu’il avance. Bien sûr, les services pakistanais jouent, et depuis le début, un rôle étrange dans ces affaires, mais nombre d’opérations contre Al Qaïda conduites en Afghanistan, au Pakistan, au Moyen-Orient ont abouti à des succès opérationnels majeurs MALGRE les services pakistanais. La mort ou la capture de nombre de cadres dirigeants d’Al Qaïda depuis 2001 contredisent par ailleurs le mépris de Chouet.

–  « Sur les quelque 400 membres actifs de l’organisation qui existait en 2001 (…), il en reste moins d’une cinquantaine, essentiellement des seconds couteaux, à l’exception de Ben Laden lui-même et de Ayman al-Zawahiri, mais qui n’ont aucune aptitude sur le plan opérationnel. Donc moins d’une cinquantaine ont pu s’échapper dans des zones reculées, dans des conditions de vie précaires, et avec des moyens de communication rustiques ou incertains. Ce n’est pas avec un tel dispositif qu’on peut animer à l’échelle planétaire un réseau coordonné de violence politique. »  Chouet semble considérer qu’Al Qaïda s’est révélée incapable de recruter de nouveaux cadres depuis le 11 septembre. Quant au « manque d’aptitude », on préfère en rire, malgré les milliers de morts…

– « D’ailleurs il apparaît clairement qu’aucun des terroristes post 11/9, qui ont agi à Londres, Madrid, Casablanca, Djerba, Charm-el-Cheikh, Bali, Bombay, etc., ou ailleurs, n’a eu de contact avec l’organisation. » Alain Chouet semble oublier que c’est sous ses ordres que l’enquête concernant l’attentat de Djerba (avril 2002) a été menée. Il ne se souvient sans doute pas des preuves irréfutables (appels téléphoniques, e-mails) qui liaient Nizar Nawar, le kamikaze, à l’état-major d’Al Qaïda. Je précise ici qu’on aurait aimé que l’immense sagacité d’Alain Chouet se déploie au sujet de l’attentat de Karachi de mai 2002… Et donc, il n’y aurait pas de lien entre Al Qaïda et les attentats de Londres, de Madrid, de Bali, de Bombay ? Qu’il me soit permis de rappeler ici que ces attentats ont tous eu lieu après la démission de Chouet, et qu’il n’a sans doute eu accès qu’aux éléments publiés par la presse. Il est un peu décevant de voir un tel professionnel analyser aussi piètrement des données publiques. Mais si on veut « en connaître », il ne faut pas démissionner sur un coup de tête. Les enquêtes nationales et internationales menées sur ces opérations ont en effet démontré sans la moindre ambiguïté qu’Al Qaïda avait, au minimum, apporté sa caution aux terroristes. Il a même été enfin dit, le 11 février dernier, aux premières journées européennes sur le terrorisme organisées par la Fondation pour la Recherche Stratégique (FRS), que les attentats de Madrid, en mars 2004, sont liés à d’importants membres d’Al Qaïda. Mais voilà, on ne peut pas parler du nucléaire au Sénat et être invité à un colloque professionnel… 

Je ne peux en revanche qu’approuver la remarque de Chouet sur les revendications des attentats. Certaines, en particulier celles signées par les Brigades d’Abou Hafs al Masri, se sont en effet rapidement révélées fantaisistes. Quant à Oussama Ben Laden, qu’Alain Chouet évoque étrangement comme un vivant, il me semble avoir relayé dans ces pages les rumeurs persistantes au sujet de sa mort. Mais sans doute Alain Chouet ne lit-il pas les notes de la DGSE quand elles sont publiées dans la presse…

Tout cela laisse un sentiment de malaise très désagréable, et la teneur de l’article, pourtant publié par un site « citoyen », laisse songeur. Car finalement, quel est le but de ces pages ? Opposer la DGSE à la CIA, tourner en ridicule la vision américaine d’Al Qaïda, et in fine accuser les services de l’Empire de manipuler la menace à des fins politiques. Il s’agit surtout, en prenant un air désinvolte, de resservir au public les thèses éculées d’un complot américain à l’origine des attentats perpétrés dans le monde depuis 2001, et il suffit de lire les commentaires laissés par les Internautes sur le site d’AgoraVox pour retrouver l’habituel salmigondis de conspirationnistes de tous bords, gauchistes orphelins, crypto-fascistes drapés dans la toge de la défense de la République contre l’Amérique juive, islamistes aux idées pour le moins confuses. La gestion d’un média citoyen empêcherait donc de publier les opinions contraires à la ligne du parti…

Mais cette gestion empêche également de faire fonctionner son cerveau. Au lieu d’opposer stérilement la DGSE à la CIA, et, pour dire les choses, le bien connu génie français à la balourdise yankee, les auteurs de cet article auraient pu utiliser Google et ils auraient ainsi retrouvé la trace d’un article publié dans l’Express en 2004 (ici). Ils auraient ainsi pu y lire un résumé de la fameuse « théorie des 3 cercles », mise au point par la DGSE pour expliquer le fonctionnement d’Al Qaïda et de la mouvance jihadiste, et reprise par l’ensemble de la communauté occidentale du renseignement. Mais la recherche d’informations et l’usage du cerveau ne sont pas très en vogue chez certains médias. 

Alors, quelle morale en tirer ? Jean-Pierre Filiu reconnaissait récemment, avec une modestie feinte, qu’il n’était qu’un « académique » et qu’il se situait donc bien loin des « praticiens ». Cette déclaration cachait mal sa frustration de ne pas avoir accès aux données dont disposent les services – et il faut admettre ici que la France a bien du mal à créer des passerelles entre les sphères. Mais Jean-Pierre Filiu a bien plus de raison de parler du jihadisme qu’Alain Chouet et que les plumitifs d’AgoraVox, juste capables d’entretenir les pires penchants de leurs lecteurs.

Rendons cependant justice à Alain Chouet de sa lucidité sur l’Arabie saoudite, et passons sous silence le fait qu’AgoraVox, au lieu d’interroger Olivier Roy, se tourne vers Eric Dénécé pour décrire Al Qaïda. On a les références qu’on peut.

30 secondes sur Kaboul

Quelques mots pour vous signaler la parution du 17e hors-série de la revue WingMasters, consacré cette fois à la guerre aérienne menée depuis octobre 2001 en Afghanistan contre les Taliban et Al Qaïda.

Aux côtés des habituels montages de maquettes d’avions et d’hélicoptères, on trouve plusieurs articles clairs et concis qui constituent une bonne initiation à ce conflit.

A lire donc, avant de se plonger dans la presse anglo-saxone et de fréquenter les sites Internet spécialisés.

New model jihad

Essayons de prendre de la hauteur.

Echec opérationnel, l’attentat raté du 25 décembre contre le vol 253 de Northwest Airlines a d’abord été perçu par les observateurs comme la preuve de la volonté intacte des réseaux jihadistes de frapper. L’efficacité des systèmes de sécurité et l’activisme des services en Europe comme au Moyen-Orient et en Asie du Sud n’auraient donc pas désarmé les terroristes ? Quelle surprise !

Cette opération, qui n’a échoué qu’en raison d’un problème technique et non d’une quelconque intervention extérieure, a vu un homme seul, porteur d’explosifs conditionnés de façon inédite, déjouer les contrôles d’un grand aéroport occidental et parvenir à bord d’un vol transatlantique le jour de Noël.

Le rappel est sévère pour les services de sécurité comme pour les opérateurs privés, alors que les mesures de surveillance et de protection avaient été considérablement renforcées depuis le 11 septembre 2001, jusqu’à inquiéter les défenseurs des droits de l’Homme – qui sont certes facilement émus. Ainsi, au choc initial provoqué par cette opération s’ajoute désormais la mise en place de nouvelles mesures techniques (scanners corporels, « contrôles au faciès ») et diplomatiques (création de listes de « pays à risques », un fascinant concept que l’Empire parvient à défendre mais que nos ambassadeurs vendent avec le talent d’un commissaire soviétique à la Production).

Ces mesures, déjà porteuses de nombreuses difficultés, confirment la victoire des terroristes, qui poussent les Etats démocratiques à toujours plus d’exceptions au nom de la sécurité, alors que leur efficacité, déjà discutable, ne fait que décroître avec le temps. Perçue comme un aveu d’impuissance par plusieurs observateurs, la revendication de l’opération par Al Qaïda dans la Péninsule Arabique (AQPA), puis par Al Qaïda elle-même, a illustré la satisfaction du groupe yéménite et de ses inspirateurs. Il est en effet le premier groupe jihadiste régional à frapper loin de ses bases. Plus encore, dans son communiqué de revendication de l’attentat sur le vol Amsterdam/Détroit, AQPA célèbre une « seconde » victoire opérationnelle sur les services occidentaux par la mise à jour des failles sécuritaires, la première étant l’attentat manqué contre le vice ministre de l’Intérieur saoudien, le prince Mohammad Bin Nayef, le 23 août 2009 à Djeddah.

Il convient cependant de noter que les opérations suicides de jihadistes contre des avions ont rarement réussi. A l’exception notable du 11 septembre, aucun projet terroriste contre de telles cibles n’est allé à son terme. En décembre 2001, Richard Reid, déjà, avait été maîtrisé par des passagers.

En août 2006, les terroristes afghans qui tentaient de détruire des appareils avec des explosifs liquides avaient été interpellés. La répétition des attentats de New-York reste de toute façon hors de portée, et le restera probablement tant que les terroristes tenteront de contourner les dispositifs de sécurité. La prochaine étape de leurs tentatives devrait donc voir les groupes jihadistes recruter des personnels des aéroports ou des compagnies aériennes. C’est en tout cas la prévision que font certains analystes des services de sécurité, mais entre les délires d’un certain aristocrate vendéen et les postures politiquement correctes de nos gouvernants, la voie est étroite.

L’évolution stratégique de doctrine d’Al Qaïda avait été vue dès les attentats de Bombay, en novembre 2008, et ne fait désormais plus de doute, malgré les articles de quelques uns. Emir de facto du mouvement terroriste depuis la disparition d’Oussama Ben Laden, Ayman Al Zawahiry, fidèle à son passé de jihadiste égyptien, a toujours clairement encouragé les initiatives régionales des alliés d’Al Qaïda. Pour lui, la conduite d’opérations localisées et la multiplication de jihads régionaux ne contredisent pas les ambitions globales d’Al Qaïda, mais contribuent, au contraire, à les compléter. Souvenons-nous, et je m’adresse ici aux vétérans du contre-terrorisme, ceux qui, il y a 15 ans, luttaient déjà contre les barbus quand d’autres rédigeaient de poussifs livres blancs, souvenons-nous, disais-je, de l’Armée Islamique de l’Ogaden, d’Al Ittihad Al Islami, de l’Armée Islamique d’Aden-Abyan, du KMM, de la Jemaah Islamiyah, du Lashkar-e-Tayyeba, d’Abou Sayyaf, et de dizaines d’autres. A cette époque, le jihad global porté par Al Qaïda supportait parfaitement l’existence de jihads locaux,

Sérieusement handicapée par la pression militaire américaine en Afghanistan et dans les zones tribales pakistanaises, l’organisation a donc choisi de revenir à sa posture des années ’90 en soutenant des organisations locales. Cette association du global et du local, baptisée « glocal » dans les services de renseignement, et que Jean-Luc Marret a contribué à populariser, trouve sa parfaite illustration en AQPA.

Mais AQPA est allée plus loin encore. Capable de frapper des cibles sensibles (« high value targets ») dans sa zone naturelle d’action, elle se révèle également capable de projeter des terroristes en Europe pour frapper des intérêts américains. La menace en Europe ne provient plus seulement de groupes déjà présents sur le continent (AQ) ou dans sa périphérie (AQMI), mais de groupes censés être actifs dans d’autres régions du monde. L’Union du Jihad Islamique (UJI), une organisation ouzbèke, a ainsi déjà tenté de fapper en Allemagne, mais ses tentatives ont été déjouées.

En multipliant les angles d’attaque, Al Qaïda apporte une réponse inquiétante aux multiples opérations des services occidentaux contre elle et ses alliés. Le récent attentat en Afghanistan d’un membre des services jordaniens contre un centre de la CIA illustre ainsi cette évolution majeure : la menace jihadiste gagne en complexité, et ses membres correspondent au modèle de l’insurgé innovant cher à Jean-Marc Balencie et Arnaud de la Grange.

Espérons que ceux qui nous défendent contre elle en ont conscience. Il est permis d’en douter.

On peut rire de tout, mais pas avec tout le monde : « Jihad! The musical »

 

 

En août 2007, le festival d'Edimbourg (www.edfringe.com/) a accueilli une comédie musicale au sujet osé : "jihad!". Je dois avouer que la chose m'avait échappé, mais je viens de la découvrir à l'occasion de sa présentation à Londres (www.jihad-the-musical.com).

Evidemment, tout le monde en prend pour son grade, mais avouons que ça nous change des invectives lancées par les islamistes radicaux - qui ont bien sûr protesté - et des discours assommants de nos contre-terroristes en veste d'intérieur...

Un avant-(mauvais)goût :

Vivement le DVD !

Bouvard et Pécuchet visitent l’Afghanistan

Il n’y a pas si longtemps, les autorités gouvernementales françaises se refusaient à commenter les affaires d’otages. Correctement briefées par les services en charge de ces délicats dossiers, elles faisaient preuve de la plus grande prudence et se gardaient bien de donner leur sentiment sur l’éventuelle responsabilité de nos compatriotes.

Bien sûr, dans l’intimité des cellules de crise, au Quai d’Orsay ou boulevard Mortier, les langues se déliaient au fur et à mesure que les détails concernant le rapt étaient recueillis sur le terrain et transmis à Paris. Certains éléments plaidaient en faveur des otages, enlevés par des terroristes ou des bandits de grand chemin malgré toutes leurs précautions. D’autres, au contraire, suggéraient une légèreté irresponsable dans le comportement des otages, mais peu importait, car seul comptait la libération de nos compatriotes. Si des reproches devaient être faits, ils n’étaient assénés qu’après la fin de la prise d’otages.

Cette élémentaire élégance répondait à la nécessité d’observer un silence prudent et de ne pas créer d’inutiles polémiques, dans un pays qui en raffole. Hélas, cette prudence ne semble plus être de mise dans l’affaire des deux journalistes de France 3 actuellement détenus en Afghanistan.

Les commentaires du Président sur la supposée – et probable – imprudence de ces deux otages ont été relayés par le Canard Enchaîné, qui n’a fait que son devoir. Au lieu de revenir au mutisme traditionnel, Claude Guéant, vice-Président de facto, a renchéri sur ce thème dimanche. Il faudra que quelqu’un m’explique la nature exacte du mandat de ce grand serviteur de la République, et de quel droit il parle comme un membre du gouvernement, mais passons.

Le mal est fait car Benoît Hamon, que l’on a connu plus inspiré quand il se prononçait sur l’affaire Polanski, a immédiatement réagi en dénonçant l’attitude du Président, soupçonné, évidemment, de vouloir une presse aux ordres….

Et nous y voilà donc. D’un côté, le pouvoir se laisse aller à des commentaires dignes d’un café du commerce, et l’on flatte les pires sentiments en critiquant des otages, quand leurs familles auraient au contraire besoin de réconfort. Dans les chaumières, on doit en effet faire des gorges chaudes en critiquant la folle aventure de journalistes. Un peu de poujadisme et quelques saillies contre la presse ne peuvent pas faire de mal à quelques semaines des élections.

Et en face, au lieu de rester digne malgré tout, on tombe dans le piège. M. Hamon aurait mieux fait de se taire au lieu de défendre le journalisme d’investigation sans connaître le premier mot de l’affaire. Il apparaîtra sans doute, après la libération de nos concitoyens, qu’ils ont peut-être fait preuve de légèreté. N’est pas Robert Capa qui veut, et il n’est pas déplacé de garder en tête que des dizaines d’hommes et de femmes sont mobilisés pour leur survie, alors qu’ils ont une armée à soutenir.

Espérons malgré tout que ces deux journalistes seront rapidement libérés, qu’ils tireront de cette douloureuse expérience les conclusions qui s’imposent. Et en attendant un heureux dénouement, prions pour que notre classe politique montre un peu de dignité.

On peut toujours rêver.

 

« Alive day mémories: home from Iraq »

La capacité de l'Empire à regarder son passé ne cesse de m'impressionner. Pour un esprit européen, il s'agit probablement de voyeurisme, mais j'y vois, pour ma part, une démarche relevant de l'auto-exorcisme.

En 1987, Bill Couturié avait débauché quelques uns des plus grands noms du cinéma pour lire, dans le remarquable film "Dear America: Letters from Vietnam", des lettres d'anciens combattants (cf. http://finnish.imdb.com/title/tt0092851/). 

 

 

 

En 2007, James Gandolfini, l'immense Tony Soprano, se lance à son tour dans le documentaire guerrier en interviewant 10 vétérans de l'intervention en Irak.

 

Loin d'être une approbation des buts de guerre, et surtout des motifs avancés par l'Administration Bush, le film, qui est produit par HBO et très sobrement présenté par Gandolfini, nous place face à des anciens combattants, dont plusieurs sont revenus d'Irak sévèrement blessés. Leurs récits sont émouvants et en disent long sur le sacrifice consenti. Nous sommes loin des lourdes charges antimilitaristes de quelques staliniens attardés ou des délires guerriers d'apprentis commandos.

A voir, à revoir, et à méditer.

 

 

« Nous vaincrons parce que nous sommes les plus forts » (air connu)

Comme d’habitude, que l’attentat soit raté ou réussi, les « experts » jaillissent sur les plateaux de télévision, à la radio et dans la presse, comme les résistants en septembre 1944. L’opération lancée contre le vol Northwest Airlines 253 du 25 décembre dernier a évidemment provoqué ce phénomène, désormais aussi prévisible que les soldes.

La distribution est toujours la même, entre un Gérard Chaliand de moins en moins combattif et un Jean-Pierre Filiu délicieusement coquet, et l’inévitable Monsieur Eric qui nous assène des banalités de son air de comploteur à qui on ne la fait pas.

Et que nous disent nos experts ? Qu’Al Qaïda est vaincue et en est réduite à revendiquer des échecs, qu’Oussama Ben Laden a échoué, que le jihad s’enlise. Dans leur hâte, nos observateurs commettent erreur sur erreur et contribuent au trouble de nos concitoyens.

Je passe, bien sûr, sur les hypothèses de quelques internautes qui voient dans cet attentat un complot américain permettant de justifier la guerre en Afghanistan. A ce stade là, seule la médecine peut être d’un réel secours.

Essayons donc de répondre aux affirmations de nos amis les commentateurs, à commencer par Bernard Guetta, bien plus pertinent quand il parle de la Palestine ou de la Russie que quand il se lance dans l’analyse de la menace terroriste.

1/ Al Qaïda vaincue, réduite à revendiquer des échecs ?

Il s’agit d’une terrible méprise, doublée d’une belle erreur.

Il s’agirait en effet de ne pas confondre Al Qaïda avec Al Qaïda dans la Péninsule Arabique (AQPA pour les intimes), un mouvement régional issu de la fusion de plusieurs groupes actifs en Arabie saoudite et au Yémen. Ainsi, la revendication n’a-t-elle pas été diffusée par AQ mais bien par un des ses alliés. Et celui-ci n’a certainement pas à rougir de cet « échec » : en parvenant, malgré toutes les règles mises en place après les attentats du 11 septembre, à monter à bord d’un vol transatlantique, qui plus est en révélant un nouveau raté des services de l’Empire, AQPA a largement remporté cette manche.

Premier groupe régional à se glisser entre les mailles du filet occidental, il frappe fort, et nous force un peu plus à intensifier la pression sécuritaire. Malgré une solide tradition démocratique, le Royaume-Uni en est ainsi réduit à envisager des contrôles au faciès… Ne perdons pas de vue que les terroristes ne cherchent pas tant à tuer qu’à faire régner la peur et à peser sur nos vies. Nous nous sommes habitués aux patrouilles de l’armée dans nos gares, nos aéroports et nos centres commerciaux, mais il faudrait garder en tête que cette présence militaire dans la Cité ne devrait pas être normale.

2/ Oussama Ben Laden aurait donc échoué ?

MM. Guetta et Filiu sont formels : cet attentat manqué, revendiqué malgré tout, confirme l’échec d’OBL. On me permettra de ne pas être d’accord, et d’affirmer, au contraire, qu’il s’agit d’un succès.

Ratée, l’opération de notre jeune Nigérian confirme qu’Oussama Ben Laden a su créer une dynamique mondiale qui conduit de jeunes musulmans radicalisés à choisir le terrorisme pour exprimer leur mal-être et leur refus de l’Occident. La menace est plus que jamais protéiforme. De surcroît, et malgré la – défaillante – démonstration de Filiu, il se confirme également qu’Al Qaïda est revenue à une posture de soutien et d’impulsion, et soutient plus que jamais les mouvements régionaux.

Le jihad, dévoyé par les idéologues terroristes, est devenu un acte solitaire qui rend le travail des services de sécurité de plus en plus ardu.

Au lieu de célébrer la supposée défaite d’Al Qaïda, il serait pertinent d’accepter enfin la réalité : mêmes minoritaires, les jihadistes sont nombreux, très nombreux, peut-être même trop nombreux, et ils ont réussi un hold-up sur l’islam. La tentative d’assassinat, la semaine dernière, du dessinateur danois auteur des caricatures du Prophète en 2005, prouve, malgré les affirmations de Bernard Guetta ce matin sur France-Inter, que le conflit des civilisations est réel tant le silence des « musulmans modérés », pris au piège, a été gênant.

Le dire ne signifie aucunement que l’on s’en réjouit, et il serait bon que nos commentateurs cessent de confondre le monde tel qu’il devrait être avec celui qu’il est. Comme le rappelle le slogan qui donne son titre à ce billet, la méthode Coué n’a jamais été efficace contre la violence et le totalitarisme.

Call of Duty Modern Warfare 2 : des douilles dans le salon

Les concepteurs de la série Call of duty avaient déjà délaissé, à l'occasion de l'épisode 4, les champs de bataille de la Seconde Guerre mondiale pour s'aventurer dans les conflits modernes. L'expérience avait été concluante, même si je persiste à préférer la série Rainbow Six inspirée de Tom Clancy.

Il faut cependant reconnaître que ce premier opus contemporain avait fait mouche.

Forts de ce succès, les auteurs ont donc remis ça avec ce Call of Duty Modern Warfare 2, dont la sortie, en novembre dernier, a été saluée par la presse mondiale comme le plus grand lancement d'un produit culturel (je laisse à ceux qui rejettent ce qualificatif pour un jeu vidéo le soin d'avancer leurs arguments).

Sans aller jusqu'à me dire déçu, je dois bien avouer que cette nouvelle mouture m'a quelque peu laissé sur ma faim. Le scénario, quasiment incompréhensible, est le prétexte à une campagne trop rapidement achevée, mais certaines missions resteront des "must", en particulier la prise d'assaut de la Maison Blanche. Comme dans d'autres FPS, certaines parties s'inspirent ouvetement de films, et il n'échappera à personne que la fusillade dans les douches d'une prison contre un groupe de soldats en embuscade est directement tirée du consternant The Rock, (1996, Michael Bay, avec Nicolas Cage et Sean Connery).

Les parties en ligne, en revanche, donnent au jeu une réelle profondeur, dans des environnements que n'offre pas la campagne. Dans un cimetière d'avion, dans des villes dévastées ou des villages abandonnés, on ne s'ennuie pas, et à la différence du jeu, une seule balle ne pardonne pas - quand il faut presque un demi-chargeur pour abattre un soldat russe dans la campagne.

La réalisation, du moins sur XBox 360, n'est pas parfaite et certains corps ont tendance à flotter. Mais on a rarement le temps d'observer cet intéressant phénomène...

Bref, un jeu qui n'est certainement pas le miracle annoncé, mais qui offre quelques heures de détente - pour ceux qui prennent du plaisir à attaquer des bases navales, bien sûr.

Merry Christmas, Mr. Abdulmutallab

Dans un entretien accordé au Figaro (ici), le toujours prolixe Jean-Pierre Filiu analyse, avec l’assurance de celui qui pense savoir, l’attentat raté du 25 décembre contre le vol 253 de Northwest Airlines entre Amsterdam et Detroit.

Après quelques banalités sur les sites Internet jihadistes, qu’il avait déjà énoncées dans une tribune publié par Libération, JP Filiu dresse un tableau assez bien vu d’Al Qaïda, durement éprouvée par les raids incessants des drones de l’Empire. Il commet cependant deux erreurs tragiques :

– D’abord, en affirmant qu’Al Qaïda ne revendiquera pas cet attentat, puisqu’il paraît qu’Al Qaïda « ne revendique pas ses échecs ».

– Ensuite, fidèle à sa ligne, il se refuse toujours à admettre qu’Al Qaïda encourage les mouvements jihadistes régionaux.

Hélas, hélas, la réalité a rattrapé notre Mme Irma du contre-terrorisme, puisqu’Al Qaïda pour la Péninsule Arabique (AQPA) vient justement de revendiquer cette opération. Mais il semble avoir échappé à M. Filiu qu’AQPA n’était pas AQ, et que ce groupe régional pouvait, à juste titre, se féliciter de cette affaire. Même raté, en effet, cette opération a replacé au premier plan la menace jihadiste dans l’esprit de nos décideurs. De plus, en étant la première organisation jihadiste régionale à revendiquer un attentat à des milliers de kilomètres de son champ d’action, AQPA a frappé un grand coup et provoqué, comme d’habitude, la volée de mesures ineptes annoncées par nos gouvernants – qui ne manqueront pas d’être dénoncées par ceux qui craignent l’émergence d’un Big Brother.

Comme pour le 11 septembre 2001, il semble bien que la seule mesure qui vaille soit de faire enfin fonctionner correctement les services de renseignement et de sécurité. J’ai déjà, dans ces colonnes, montré à quel point les attentats de New-York et de Washington auraient pu être évités si tout le monde avait fait son travail. Le Figaro donne à cet égard une édifiante explication :

Le changement brutal de comportement d’Umar Farouk Abdulmutallab, le Nigérian à l’origine de l’attentat manqué contre le vol Amsterdam Detroit de la Northwest Airlines, avait alarmé sa propre famille. Lundi, les Abdulmutallab sont sortis de leur silence et affirment avoir informé, il y a deux mois, les services de sécurité nigérians de leurs craintes que leur fils ait été radicalisé par des extrémistes islamistes. Le jeune homme avait en effet abandonné son master de business qu’il avait entrepris à Dubaï et avait confié à sa famille son souhait d’étudier l’islam au Yémen. Une fois là-bas, le Nigérian a cessé de donner de ses nouvelles et a disparu.

Le père d’Umar, un ancien ministre nigérian et banquier réputé, a également pris contact avec des agences de sécurité étrangères pour qu’elles apportent « leur aide et ramènent Umar chez lui ». L’ancien ministre a ainsi signalé la radicalisation de son fils à l’ambassade américaine du Nigéria, en novembre dernier.

Cette alerte avait valu à Umar Farouk Abdulmutallab d’être fiché parmi les personnes soupçonnées de liens avec le terrorisme (Terrorist Identities Datamart Environment). Mais les 550.000 personnes de cette liste n’étant pas forcément jugées actives, elles ne sont pas interdites d’embarquement sur des vols vers les Etats-Unis.

Une fois de plus, donc, malgré les alertes répétées qui démontrent que les signaux faibles ont été correctement recueillis,  un processus froidement technico-administratif a laissé filer le terroriste. La multiplication des outils automatisés de traitement du renseignement facilite bien souvent la tâche des jihadistes, en particulier en raison de l’incapacité des logiciels et des fonctionnaires les mettant en œuvre à lire puis à cribler correctement les patronymes du monde arabo-musulman (puisque c’est hélas bien de lui qu’il s’agit).

Dans sa soif éperdue de communication, notre gouvernement n’a pas tardé à réagir à la menace en annonçant qu’il « [voulait] être informé du profil des voyageurs dès la réservation des billets. » Il s’agit ici de se demander si l’auteur de cette géniale idée a conscience du travail phénoménal que demande une telle mesure. Qui va cribler les dizaines de milliers de noms ? Que va-t-on faire des individus identifiés comme étant « suspects » ? Au nom de quelle loi, de toute façon, ces individus pourraient-ils être interdits de voyages aériens ? Et que se passera-t-il si les policiers découvrent dans un avion non pas un terroriste mais un escroc recherché ? Passeront-ils l’information à leurs collègues, ou le laisseront-ils filer au nom de la priorité accordée  à la gestion de la menace terroriste ? Dans cette hypothèse, que deviendra l’article 40 du code pénal qui impose de dénoncer tout acte illégal dont on a connaissance ?

De réformes idiotes en mesures absurdes, les autorités occidentales paraissent singulièrement démunies. Les avis, motivés par d’obscures certitudes, d’une poignée d’experts hantant les plateaux de télévision, ne font rien, par ailleurs, pour arranger les choses. Aveuglés par l’aura qui entoure, dans nos pays, la notoriété, les responsables des services prêtent parfois une plus grande attention aux sentences des universitaires qu’aux analyses de leurs propres agents. En militant pour la fermeture des sites jihadistes, JP Filiu donne ainsi de mauvaises idées. Qui peut croire, en effet, que les terroristes cesseront de se parler parce que les sites identifiés auront été fermés ou bloqués.

Evidemment, dès l’événement connu, les internautes français s’en sont donnés à cœur joie. Complot américain permettant au Président Obama de poursuivre « sa » guerre en Afghanistan, démonstration de la nocivité de l’islam pour d’autres, on a tout lu depuis le soir du 25 décembre.  Certains découvrent même que le Yémen est un Etat virtuellement failli, et les bonnes âmes s’émeuvent des opérations que les Etats-Unis y conduisent – depuis des années – contre les jihadistes.

Cet attentat raté nous rappelle enfin quelques vérités : il y a une guerre là, dehors, et que nous choisissions de la faire ou de ne pas la faire n’entamera en rien la volonté de nos ennemis. Notre société, plus que troublée par ses crises internes et radicalisée par le nauséabond débat sur l’identité nationale, se scinde entre des apprentis croisés avides de combats contre l’islam et des esprits soi-disant éclairés qui pensent que le mal vient des Etats-Unis et de leurs alliés. Dans ce tintamarre, rares sont les voix qui osent défendre l’Occident et qui osent vouloir aider le monde arabo-musulman. On ne peut que craindre, à terme, le déclenchement d’une crise ouverte entre les deux camps dans nos sociétés.

 

France, terre d’asile

On a coutume de dire que les peuples ont les dirigeants qu’ils méritent. Il est dès lors permis de s’interroger sur le peuple français quand on suit les actuels débats qui l’agitent.

Ce blog n’a pas pour objet de commenter l’actualité politique nationale, aussi bien par souci de neutralité qu’en raison de l’insigne médiocrité de cette actualité depuis des années. Cependant, quand la vie publique en vient à se mêler à l’actualité internationale, pourquoi se priver.

Ainsi donc, la politique d’ouverture pratiquée par l’actuelle majorité présidentielle est devenue, en moins de 3 ans, une politique populiste, aux relents nauséabonds. Longtemps complexée, la droite française, désormais décomplexée, n’a rien appris de sa victoire, et exerce donc le pouvoir avec la retenue d’un adolescent timide que l’on aurait jeté dans une maison close après l’avoir enivré.

Le débat sur l’identité nationale, qui se nourrit de vieilles lunes et d’approximations historiques – comme Christian Estrosi l’a récemment démontré en évoquant avec son vocabulaire simple le IIIe Reich – est conduit par un ministre en charge de l’immigration. Que voilà donc un aveu fascinant tant il est assumé : là où ce débat devrait insister sur la dimension plurielle de la société française, il se trouve adossé à une politique qui se contente d’expulser sans jamais intégrer.

Et justement, qui expulsons-nous ? Et vers où ? Des adolescents, vers l’Afghanistan, un pays – le terme d’Etat semble exagéré – en guerre depuis décembre 1979.

Y a-t-il une nécessité impérieuse qui m’échapperait et qui justifierait un renvoi brutal – et singulièrement onéreux pour un pays si endetté – de quelques jeunes hommes vers un pays considéré à raison comme le plus dangereux de cette planète ? On nous dit que le statut de réfugié politique a été refusé à ces adolescents. La belle affaire ! Il serait donc interdit de pratiquer la plus élémentaire charité sous le prétexte que la justice a froidement décidé que leur place n’était pas en France ?

Jamais avare de postures martiales, la fine fleur de nos élus, MM. Lefebvre, Mariani et Luca, entonne fièrement le chant du courage et du patriotisme. Comment ? Des hommes dans la fleur de l’âge, fringants, insolents de santé, seraient réfugiés en France alors que leur nation est défendue par nos troupes ? Mais comment osent-ils protester, eux dont la lâcheté fait monter le rouge de la honte au front de leurs aïeux ? Car notre trio est très clair sur ce point : ces prétendus réfugiés devraient se battre au lieu de quémander un asile – qui leur est d’ailleurs refusé. Ils devraient défendre leur pays contre la barbarie, et mourir à la place de nos soldats. En fait, et pour aller au bout du raisonnement de nos députés de combat, si ces blancs-becs faisaient leur devoir, nous ne serions pas enlisés dans cette guerre lointaine.

Voilà l’argumentaire qui sert à mobiliser un électorat d’anciens combattants, de nostalgiques de l’ordre ancien, dans ces villages où l’on vote Front National sans avoir jamais vu un seul visage étranger. La peur fait décidément des miracles.

Mais le message, comme tous les messages, dépend beaucoup du messager. Et il faut bien admettre que MM. Lefebvre, Lucca et Mariani parlent avec une belle aisance du métier des armes, du courage au feu, du nécessaire sacrifice de sa propre vie pour le bien de tous, mais ils se sont soigneusement tenus à l’écart du combat. Mais, alors, comment osent-ils donner des leçons de courage à de jeunes hommes qui n’ont connu que la guerre ? N’ont-ils pas honte d’une telle légèreté, d’une telle morgue ?

Michel Audiard faisait dire à Fernand Naudin qu’une certaine catégorie de personnes se reconnaît à son audace. Force est de reconnaître cette qualité à nos trois guérilleros de salon, qui moquent, depuis leur bureau de l’Assemblée, la lâcheté supposée d’une poignée d’adolescents.