L’Allemagne paiera.

Venu partager à Bangui le rata de la piétaille, le ministre de la Défense, Jean-Yves Le Drian, a tenu, et on le comprend, à saluer le courage et l’engagement de nos soldats en Afrique. Il convient, évidemment, de rendre hommage, une nouvelle fois, à cette armée française qui, malgré des coupes sombres imposées par des stratèges que l’on prendrait aisément pour des épiciers, n’en continue pas moins de se battre avec abnégation sur des théâtres qui sont autant de témoignages du désastre qu’a constitué notre politique africaine depuis les indépendances.

Volontiers ferme, en particulier à l’égard d’une institution qui n’a que le droit de la boucler, et si possible règlementairement (et compte-rendu à l’issue), le ministre n’est pas non plus avare de coups de menton, par exemple à l’égard de services dont il semble ignorer qu’ils ne sont dans son ministère que pour des raisons politiques. Sans doute, à l’occasion, sera-t-il bon pour son cabinet, peut-être trop occupé à trouver de bonnes places dans les entreprises publiques, de se demander qui diable pouvait bien être Benjamin Barka, dit Ben.

Grâce à l’extrême efficacité d’une communication au cordeau, dont la souplesse rappelle irrésistiblement celle de la défunte Union soviétique, le ministre est manifestement en droit de s’en prendre aux « experts autoproclamés », comme le relate, très respectueusement, le blog Défense globale de La Voix du Nord, le quotidien régional bien connu.

« Je me souviens qu’au mois de février de l’année dernière, des experts – vous savez, il faut toujours faire attention parce que les experts sont souvent autoproclamés – disaient « ah mais au Mali – trois semaines après le déclenchement de l’opération Serval – la France s’enlise ». Heureusement que nous n’avons pas écouté les experts. Et que la détermination de nos forces, leurs compétences, a permis le résultat que l’on connait. Je le dis pour le Mali mais je le dis aussi pour la République Centrafricaine. »

Et bing !, ajoute d’ailleurs le patron de Défense globale, complimentant ainsi le ministre pour sa saillie et s’assurant, l’air de rien, une place de choix parmi les blogs dont l’état-major des armées autorise la lecture à nos soldat(e)s, qui, sans cette aide désintéressée, seraient soumis à de bien vilaines pensées. Ah la la, c’est bien compliqué, tout ça.

Que faut-il donc retenir des fortes déclarations du ministre ? Qu’il existerait des « experts autoproclamés » se permettant – et, disons-le tout net, c’est un comble – de tenir des propos éloignés de la ligne du parti ? Ou, pire, que la France ne serait enlisée ni au Mali ni en RCA ?

Avant de répondre, commençons par dire que M. Le Drian, en assimilant les questionnements des observateurs à une remise en cause des compétences de notre armée, fait preuve d’une mauvaise foi indigne d’un homme de son rang. Hélas, et à mesure que se passe ce quinquennat, force est de constater que la mauvaise foi fait souvent figure d’argumentaire. Et sinon, ça avance, cette courbe du chômage ?

Si l’on en vient à la douloureuse question de l’enlisement dans les deux conflits ouverts en 2013, elle se pose de façon insistante en RCA, et la presse la plus farouchement antigouvernementale, comme Le Monde, s’interroge sur les conditions de notre engagement dans le pays. S’agissant du Sahel, dont j’ai déjà évoqué ici, à maintes reprises la situation sous le seul angle de la menace jihadiste, je pense pouvoir affirmer sans me dédire que si j’ai toujours soutenu une opération armée contre AQMI et ses alliés j’ai également mis en garde contre son déroulement, ses risques et ses conséquences. Autant dire que si je ne me sens nullement concerné par les déclarations du ministre, j’éprouve néanmoins l’envie d’y répondre. Un défaut qui m’a valu bien des froncements de sourcils dans ma carrière – ou ce qui en tient lieu.

Près d’un an après le début de l’opération Serval, il est tout à l’honneur de la France d’avoir rétabli la souveraineté de Bamako sur l’ensemble de son territoire. Pour autant, et comme prévu, la chose se prolonge. Au mois de novembre dernier, un officier du 1er RHP confiait ainsi dans la presse que « l’ennemi s’était dilué dans la population. » Noooon ? Sans rire ? Ah les fumiers. Quel dommage que des experts autoproclamés aient envisagé cette opportunité des semaines avant le début des opérations. Et quelle tristesse qu’un conseiller militaire de Matignon ait été surpris de la combativité de nos adversaires. Et quel soulagement de savoir que l’amiral Guillaud, parfaitement renseigné par de vrais experts, claironnait, quelques heures après le début des combats, que les jihadistes seraient balayés. On a les chefs qu’on mérite, et croyez-moi, je sais de quoi je parle.

Où sont les montagnes de crânes des émirs tués ? Qui a noté qu’il y avait eu plus d’attentats au Mali depuis le printemps 2013 que dans toute l’histoire du pays ? Qui souligne que la France va maintenir au Mali un millier d’hommes « pour des années » et en déploie encore 2.500 sur le terrain ? Et qui va célébrer l’efficacité opérationnelle de l’armée nigérienne, pourtant soutenue à bout de bras, lors des attentats d’Arlit et Agadez ? Et qui va dire que l’armée française, persuadée de réduire l’ennemi en miettes, n’avait, jusqu’à il y a peu, ni planifié ni budgété l’installation de bases permanentes au Mali ? Et puisqu’on parle de sujets qui fâchent, qui va rappeler à certains services que quand on n’a ni le mandat ni la technique pour traiter des sources humaines clandestines on laisse ça aux grandes personnes, afin d’éviter des drames ?

Le ministre de la Défense, sans doute gagné par l’attachante culture du dialogue qui règne dans son ministère, ne semble pas goûter la pensée hétérodoxe ou les interrogations, certes plus ou moins pertinentes, de la société civile. Mais tout le monde n’est pas Michel Onfray ou Xavier Cantat, et certains commentaires sont d’abord le fait de citoyens désireux, profondément, sincèrement, de voir triompher notre pays mais qui croient, tout autant profondément, que réfléchir ce n’est pas commencer à désobéir.

Et au milieu coule un jihad.

Le 29e café stratégique d’AGS, qui aura lieu le 21 novembre prochain, sera consacré, fort à propos, à Boko Haram, la fameuse secte islamiste nigériane devenue membre émérite de la mouvance jihadiste mondiale.

Pour décrire et expliquer ce mouvement, qui de plus indiqué que Marc-Antoine Pérouse de Montclos, spécialiste du Nigeria ? Il nous fera l’honneur de sa présence jeudi prochain, à 19h, au Concorde.

Le commissaire Bialès porte un costume laine et soie, avec chemise et cravate aux motifs rappelant ceux de Calder.

Nous ne céderons rien, nous devons aller jusqu’au bout, a déclaré ce matin le Président au sujet de notre intervention au Mali. Cette phrase, admirable de fermeté, tranche singulièrement avec l’optimisme du ministre de la Défense au mois de mai dernier. A l’époque,  la guerre n’était pas finie mais l’après-guerre commençait (une réflexion dont je ne me suis jamais complètement remis) et le retrait n’allait pas tarder à commencer. Aujourd’hui, 3.000 de nos soldats font encore le coup de feu au Mali, et on annonce même l’envoi de renforts, tandis que le ministère de l’Intérieur, poursuivant une stratégie ancienne d’implantation internationale, vient de créer un nouveau poste à Dakar pour coordonner les activités de renseignement dans la région. Si j’avais mauvais esprit, je pourrais ajouter qu’il serait déjà bon que ça se coordonne à Paris, et si j’étais caustique, je pourrais sans doute me laisser aller à remarquer que coordonner le renseignement au Sahel, c’est comme essayer de chercher un programme politique au Front National. Mais, étant plutôt un gentil garçon, je préfère, à la réflexion, me caler dans mon canapé, un mojito à portée de main, et contempler le cirque.

C’est, en effet, avec une triste lassitude qu’il faut constater, aujourd’hui, que cette apparente détermination relève, au mieux de l’incantation, au pire de l’inconscience. Inutile, en effet, d’être le plus brillant des stratèges à la retraite – de ceux moqués, par exemple, par le ministre de la Défense ou quelques députés à peine alphabétisés, de tous bords – pour percevoir que tout ne se passe pas nécessairement comme souhaité dans les lointaines terres du Sahel. En réalité, d’ailleurs, si la situation actuelle n’est évidemment pas souhaitée par nos gouvernants, elle ne saurait être une surprise pour eux tant les mises en garde ont été nombreuses depuis plus d’un an. Nous sommes même quelques uns à avoir annoncé, avec les moyens des pauvres artisans que nous sommes devenus, les difficultés actuelles (ici, s’agissant de votre serviteur), et on peut penser que d’autres, plus puissants, mieux renseignés, l’avaient fait aussi. Si rien ne se passe comme on le voudrait, tout se passe, en revanche, comme prévu.

Comme prévu, donc, et malgré les mâles assurances de l’amiral Guillaud au mois de janvier dernier, les jihadistes se sont révélés un peu plus coriaces que les milices du Kivu. Aguerris, expérimentés, fins tacticiens, les hommes que nos troupes et leurs alliées ont affrontés au Mali n’ont pas tremblé sous les coups et se sont même accrochés avec acharnement au terrain. Je vous concède que la combativité de jihadistes, des gars que l’on peut raisonnablement qualifier de fanatiques et qui font le coup de feu depuis près de vingt ans dans la région, était imprévisible. Ah la la, c’est bien du malheur.

Puis, toujours comme prévu, ces braves garçons, certes un peu turbulents, n’ont pas attendu que nos chasseurs leur expédient quelques bombes bien placées. Pour des raisons encore très mystérieuses, ils ont manœuvré, ont éclaté leur dispositif, ont sécurisé leurs communications et ont attendu que ça passe dans les pays voisins. Il faut dire, et il s’agit là d’un choc (attention : percée conceptuelle) phénoménal : les Etats du Sahel, parmi les plus pauvres, de la planète, ne sont pas en mesure de contrôler leurs frontières malgré les assurances données à qui veut bien les entendre. Je vous laisse vous ressaisir.

Du coup, évidemment, quand l’ennemi se défend, qu’il manœuvre, qu’il contre-attaque, nous voilà bien démunis. S’agissant des jihadistes, l’aisance avec laquelle ils alternent le terrorisme urbain et la guérilla est connue, et a été décrite de longue date, mais encore faudrait-il lire les notes. Cela nous éviterait les remarques étonnées de colonels aux postes importants qui lancent en public « Mais on ne pensait pas qu’ils se battraient autant ». Soupir.

Près d’un an après le début de l’intervention française au Mali, le théâtre a donc évolué, non pas en fonction du wishful thinking de certains, mais selon des processus maintes fois observés. Du coup, le calendrier de retrait a explosé, et s’il est sans doute prématuré de parler d’enlisement, on ne peut plus exclure une présence militaire longue, très longue, au Mali, mais aussi au Niger, et sans doute ailleurs.

Je ne pense pas trahir de secrets en indiquant ici que la crainte d’attentats ne cesse d’ailleurs de grandir au Niger, donc, mais aussi en Mauritanie ou au Sénégal, cible idéale de cellules jihadistes ambitieuses, capables de frapper et, évidemment, inspirées par les autres composantes du jihad mondial. Je ne m’attarde pas sur ce dernier point, j’ai noirci des milliers de pages depuis des années à ce sujet, et ça devient une rengaine.

Le fait est que la situation est loin de se stabiliser au Mali, et on en vient à faire la publicité de la destruction d’un seul pick-up dans le désert dans la nuit du 13 au 14 novembre. On est loin des grandes opérations de l’hiver passé, dont on ferait d’ailleurs bien de revoir les conséquences sur AQMI et le MUJAO à la baisse, et notre armée s’enfonce désormais dans cette zone molle, cette période longue et indécise de ratissages, de harcèlement réciproques avec l’ennemi, qui fait toujours le jeu du faible du Sud contre le fort du Nord.

Il va donc falloir rester, encore des mois et des années, et livrer une guerre longue pénible, dans un pays toujours en proie à des tensions politiques et communautaires, au cœur d’une région qui s’enfonce dans le chaos. Et parce que c’est la France, il va de soi que cette crise qui n’en finit pas va receler bien d’autres motifs de fâcherie.

Une fois salués le courage et l’abnégation de nos soldats et des fonctionnaires qui les soutiennent, sur le terrain ou à Paris, dans les ambassades ou dans les ministères, il est quand même permis de s’interroger sur l’aveuglement des décideurs. Déclencher cette guerre a été une admirable décision, et il n’est pas impossible qu’elle reste comme un des plus grands moments du mandat du Président. Force est cependant de constater que ça ne suit pas, derrière – comme d’habitude, pourrait-on dire.

Faut-il s’attarder sur les erreurs d’appréciation de certains chefs militaires ? Doit-on souligner les difficultés entre les administrations à Paris ou ailleurs ? Il y a un an, le chef du COS, désormais à la tête de la DRM, déplorait le manque de coordination entre les services, et on ne dirait pas que les choses se soient tellement arrangées depuis. Pas grave, c’est juste la guerre, hein, pas d’affolement.

De même, puisque nos chefs avaient décidé que nous ne resterions pas au Mali, rien n’a été préparé dans l’hypothèse où il nous faudrait malgré tout rester. Et si les chars allemands traversent les Ardennes ? Mais puisqu’on vous dit que c’est pas possible, alors ? Rien n’est donc prêt, ou si peu, et il va de soi que ce ne sont pas nos immenses moyens financiers qui vont nous permettre de nous sortir de là, sans parler de la main ferme qui exerce le pouvoir en France.

Je n’aurai pas, non plus, la cruauté de m’appesantir sur l’armée malienne, encore bien chétive, sur les troupes de la MINUSMA, à l’utilité toute relative, ou sur le MNLA, pitoyable formation minant avec une admirable constance la cause des Touaregs à coup de déclarations ridicules (« L’armée française fait des rafles ») ou de révisionnisme éhonté (« Nous avons combattu l’islamisme bien avant les Français »), sans parler des #MNLAfacts qui font les délices de Twitter : Il y avait un membre du MNLA avec Armstrong sur la Lune, le MNLA sait qui a tué JFK, le MNLA a la clé de la consigne de la gare routière de Nazareth où est entreposé le Graal. Bref.

On est bien obligé, en revanche, de contempler avec inquiétude l’état de la communauté française du renseignement dans la zone. La libération, dans des conditions pour le moins étonnantes, des otages d’Arlit a ouvert une crise entre le boulevard Mortier et le ministre de la Défense qui n’a pas fini de faire tousser. Manifestement, personne, rue Saint-Dominique, ne se souvient de la raison, purement tactique, qui a fait passer les services extérieurs de Matignon à Brienne. Du coup, on essaye de faire rentrer dans le giron un service qui n’y a jamais vraiment été. Et il semble, soit dit en passant, bien plus facile de faire claquer des garde-à-vous à des militaires et des civils culturellement très loyaux que de condamner les dérives d’une poignée de Bretons en roue libre défiant ouvertement l’autorité de l’Etat, pas vrai, Monsieur le Ministre ? De même, il est assez baroque de voir un ministre régalien marginaliser une administration qui ne l’est pas moins au prétexte qu’elle ne parvient pas à remplir une mission rendue impossible par la parole présidentielle. La France ne paye donc pas de rançon, mais elle fait payer les copains et valorise les affairistes. On sent là toute la puissance d’une solide autorité morale.

Entre des services qui ne se parlent pas et d’autres auxquels on ne parle plus, il manquait cependant la touche de fantaisie du ministère de l’Intérieur. Nous voilà désormais servis, puisque M. Valls a annoncé aujourd’hui la création d’un poste d’ASI, à Dakar, chargé de coordonner la lutte anti terroriste au Sahel.

Il n’a pas échappé à votre sagacité que les Etats de l’Afrique occidentale française étaient indépendants, mais ces détails ne concernent pas certains policiers, qui rêvent depuis des décennies de combattre la menace terroriste qui nous vise sans s’embarrasser des espions et autres gendarmes, à peine capables de libérer des otages ou d’attraper des voleurs de poules (sic, entendu en délégation interministérielle), qui ne voient pas pourquoi ils devraient prendre au pied de la lettre le qualificatif d’Intérieur. Il va de soi que l’arrivée d’un nouvel acteur de ce genre dans la région va considérablement fluidifier l’ensemble du dispositif, déjà complexe, déjà fatigué, déjà confronté à ses échecs. Comment va-t-on articuler tout ça ? On s’en moque, il faut être là, s’agiter, être visible, se mêler de tout, et de toute façon on verra bien, c’est pas comme si c’était important.

Les policiers, et ils n’ont pas tort, viennent ainsi combler le vide laissé par d’autres, occupés à d’impossibles missions (« Essayez de ramener les gars d’AQMI à la raison », « Mettez les Nigériens au boulot », « Liquidez-moi ces émirs, sans drones, et sans source technique propre, ‘veux pas le savoir »), mais on est en droit de douter du succès de leur projet.

La douloureuse affaire de Kidal comme l’enlèvement du Père Vandenbeusch au Cameroun démontrent, pour ceux qui ont le comprenoir un peu grippé, que la menace terroriste s’étend, hors de tout contrôle, et qu’elle prend, ici comme ailleurs, de multiples formes : attentats, enlèvements, guérilla, actions spectaculaires à fort retentissement politique. Comme je l’ai déjà écrit, je n’ai pas de solution. Depuis plus de dix-sept ans, je ne peux que réfléchir à la répression, puisque la prévention comme les solutions politiques semblent encore à concevoir. Mais pour réprimer, encore faudrait-il des moyens, des chefs et des agences qui se parlent, de la lucidité, des objectifs réalistes et des réflexions sans tabou. En attendant, et puisque je suis décidément très content de ne plus être au milieu de ce foutoir, je dessine, à mes heures perdues, et je me disais que cet insigne pourrait convenir aux forces de l’opération Serval :

Allez, le bar est ouvert. Joue-le pour moi, Mokhtar, tu l’as bien joué pour elle.

J’ai ouve’t une g’osse voie d’eau

Avant toute chose, saluons le retour en France des otages d’Arlit. Quelles qu’aient été les conditions de leur libération, les voilà vivants, en famille, dans leur pays, après plus de 1.000 jours de détention aux mains de types qu’on aurait dû flinguer depuis longtemps. Je repense, aujourd’hui, aux visages vus lors des réunions des familles (ici et ) et je ne que peux me féliciter du dénouement de cette affaire. On vous souhaite à tous beaucoup de bonheur et, surtout, de paix.

Hélas, nous sommes en France, et si plus rien ne finit par des chansons, tout finit par des polémiques. Quelques jours après l’annonce publique de la libération des Quatre d’Arlit, les torrents de médiocrité qui se déversent sur nous pourraient bien emporter avec eux toutes les bonnes volontés.

Commençons par la sortie de Mme Le Pen sur Europe 1 au sujet des choix vestimentaires de nos concitoyens récemment libérés. Passé le premier moment de stupeur, on se demande à quoi la fille de son père peut bien faire allusion. S’agit-il de s’étonner de voir revenir du Sahel des hommes ne portant pas d’impeccables smokings à la manière d’Hubert Bonisseur de la Bath ou de James Bond, mais bien des chèches, comme des millions de Français désireux de se protéger du froid, du soleil, du vent, du sable ? Faut-il s’émouvoir d’entendre Mme Le Pen révéler au monde que ses seules connaissances concernant le Moyen-Orient ou le terrorisme ont été glanées dans la – remarquable – série Homeland ? Doit-on encore être surpris par la capacité qu’a cette femme à dire tout et n’importe quoi, comme si la décence et la réflexion étaient des attitudes décidément bien dépassées ? A force de vouloir supposément libérer la parole publique, on atteint aisément le niveau d’une conversation de comptoir, si ce n’est d’après match. Il faut croire que la dédiabolisation d’un parti est sans effet sur l’intelligence de sa parole, au contraire. Mais bon, je vous le dis entre nous, moi aussi j’ai été troublé par l’attitude des ex-otages. J’en ai vu plusieurs sourire, et (murmure conspiratif), l’un d’eux est noir. Non mais vous vous rendez compte ? Manquerait plus qu’il demande à rester en France, tiens.

Et puisqu’il s’agit de commenter, la fine équipe de On refait le jihad s’était réunie dans l’urgence sur le plateau de C dans l’air, sous la houlette d’Yves Calvi, qui confond décidément vulgarisation et médiocrité. On trouvait là, dans l’après-midi du 30 octobre, Roland Jacquard, plus bronzé que jamais, Christophe Barbier, qui a toujours quelque chose à dire, et Antoine Glaser, ancien patron de la Lettre du Continent. Étonnamment, au milieu de cette assemblée se débattait Diane Lazarevic, la fille de Serge, et on se demandait bien – on se le demande encore, d’ailleurs – de quelle utilité pour les téléspectateurs pouvait bien être la jeune femme, victime et non spécialiste (bon, vous me direz, les autres non plus ne sont pas spécialistes, et vous n’aurez pas tort). Du coup, et comme à chaque fois, l’émission atteignit de nouveaux sommets, M. Barbier, entre ses quatorze éditoriaux quotidiens, ses vingt-deux coups de gueule de la semaine, la direction d’un hebdomadaire et ses diverses apparitions people, trouvant le temps d’asséner quelques lieux communs d’anthologie au sujet de l’état psychologique des otages.

Prétendant toujours que son père était 1/géologue 2/apiculteur 3/bonne d’enfants, Mlle Lazarevic n’a, pour sa part, de cesse d’accuser les autorités françaises d’avoir abandonné son père et son défunt comparse, Philippe Verdon, à leur sort, alors que les otages d’Arlit, soutenus par « une grande entreprise », ont été libérés. On comprend et on partage la peine de la jeune fille, mais faudrait voir, aussi, à ne pas nous prendre pour des caves. Les deux hommes, au sujet desquels de nombreux doutes ont rapidement émergé, étaient plus probablement en mission pour le Seigneur que lancés dans une complexe mission de prospection scientifique. Et d’ailleurs, les entreprises employant les captifs d’Arlit avaient un devoir de protection – et quand on sait comment était défendu le site en septembre 2010, hein, les gars… – et se devaient donc de tout faire pour les sortir de là. Et à ce sujet, je me demande bien qui a pu lancer le duo Verdon/Lazarevic au Mali en ce funeste mois de novembre 2011. Si quelqu’un a une réponse, ça m’intéresse. #Justsaying

Le fait est que Philippe Verdon est mort, et que Serge Lazarevic manque toujours à l’appel. Tant que j’y suis, d’ailleurs, je voudrais préciser à Diane L que son papa n’a pas été enlevé par le MUJAO, comme on lui a affirmé, mais par AQMI. Avant de crâner devant une jeune femme éplorée, les mecs, ayez au moins la décence de bosser un minimum. Mais la question n’est pas là, et s’il fallait énumérer toutes les énormités proférées depuis trois jours, on y passerait la journée et ça n’aurait aucun intérêt.

Bien plus que les saillies paranoïaques de Marine Le Pen ou les remarques creuses de Christophe Barbier, le point le plus intéressant de cette affaire réside en effet dans son issue. Douze heures seulement après l’annonce de la libération de nos concitoyens, Le Monde publiait ainsi sur son site Internet un long et passionnant article signé Jacques Follorou modestement intitulé Otages d’Arlit : le dessous des négociations.

Manifestement très bien renseigné, ce papier relatait, avec un luxe de détails rarement atteint, surtout si peu de temps après, les péripéties ayant conduit à cette issue heureuse. On y confirmait ainsi le versement d’une rançon, l’implication de tous les moyens de l’Etat, et le rôle ô combien déterminant à la fois de Pierre-Antoine Lorenzi et du cabinet du ministre de la Défense lui-même.

Disons-le tout de go, le fait qu’il y ait eu rançon, et peut-être même libération de terroristes détenus, est un problème, et une fois de plus la parole officielle française a tout de l’incantation vaine, mais mon attention a été retenue ailleurs. L’article de M. Follorou a été reçu avec stupeur tant il apparaît à la fois qu’il a été quasiment pris sous la dictée et qu’il confirme, plus ou moins habilement, que l’auguste maison sise boulevard Mortier n’a manifestement pas été déterminante dans cette affaire. Mieux (ou pire, c’est selon), on dirait bien que l’administration dont le service de contre-terrorisme était progressivement devenu un service de contre-kidnapping (une mission noble, mais somme toute secondaire) a perdu la main, au moins dans l’affaire d’Arlit.

L’article de M. Follorou vient, avec d’autres, confirmer que les relations entre le nouveau tôlier du Service et certains acteurs parallèles des négociations s’étaient, sans surprise quand on connaît les uns et les autres, tendues ces derniers mois. Et on apprend, au détour d’une discussion impromptue, que les fonctionnaires du boulevard Mortier étaient accusés « de tourner en rond dans le désert » alors que le temps de détention devenait interminable – et que ça se passe de mieux en mieux au Mali. Du coup, et puisqu’on en vient, finalement, à reprocher à une administration d’appliquer les consignes de l’Etat, quand bien même celles-ci seraient politiquement de plus en plus difficiles à tenir, on fait appel à des réseaux d’anciens et à quelques habitués des manœuvres plus ou moins élégantes, comme cela est fait ici de façon particulièrement limpide.

La situation peut donc être résumée ainsi. Confrontée à la difficulté – voire l’impossibilité – de régler une affaire en suivant les directives présidentielles (« Pas de rançon pour Miss Blandish »), soumise à la volonté du ministère de la Défense de reprendre la main, même brutalement, sur tous les acteurs relevant de son autorité (en dépit d’habitudes déjà anciennes), fragilisée par une affaire camerounaise où d’autres que la France ont payé pour des Français, Mortier mesure à son tour les incohérences et les tensions internes d’un pouvoir dont on ne doute pas qu’il veuille la sécurité du pays mais qui a bien du mal à tenir ses engagements de fermeté et de moralisation.

Aux coups de mentons succèdent donc les coups de pub de vétérans sulfureux, complaisamment relayés par des journaux qui alternent ou associent attaques contre le renseignement et scoops écrits par d’autres, et qui, tout en appelant avec emphase à une moralisation des activités des services secrets, vantent les mérites d’officines plus ou moins recommandables.

On applaudit.

« I watched you suffer a dull aching pain » (« Wild Horses », The Flying Burrito Brothers)

Aux dernières nouvelles, il restait près de 3.000 soldats français au Mali, et il paraît que nos avions y réalisent encore des missions de combat. Pour une guerre déclarée gagnée il y a déjà quelques mois, avouons que ça fait quand même un peu désordre. Je n’aurais pas ici l’indécente cruauté de rappeler que c’est un Président et un gouvernement qui opèrent des coupes sombres dans nos forces armées qui ont engagé le pays dans une courageuse intervention au Mali, qui envisageaient de frapper le régime syrien et qui envoient ces jours-ci quelques centaines de nos fiers guerriers en Afrique centrale. Profitons en, tant qu’il y a encore des munitions, on ne sait pas de quoi l’avenir sera fait.

L’équation, à dire vrai, est infernale. Il s’agit, tout à la fois, de faire des économies sans provoquer de naufrage industriel, et de réduire nos forces sans réduire notre puissance. Inutile de dire que ça ne marchera pas, et que ça ne marche déjà pas, d’ailleurs. Notre impuissance en Syrie est navrante, et notre faiblesse est d’autant plus criante que la situation internationale est plus menaçante que jamais. Comme toujours, les faits vont se charger, sans pitié, de démontrer l’inanité de certains choix et l’incompétence – ou de l’aveuglement – de nos dirigeants successifs.

A bien des égards, l’intervention au Mali a pourtant été exemplaire. On y a vu une armée française aguerrie, combattive, se déployer dans l’urgence et mettre en œuvre, très rapidement et avec une dose d’improvisation so French, des plans mûris depuis des mois. On y a vu des soldats engager le combat contre des jihadistes bien plus expérimentés que les Taliban auxquels ils avaient été confrontés pendant des années. On y a vu des moyens aériens, modestes mais puissants, ravager des colonnes de terroristes et frapper avec une admirable précision des cibles jusqu’au cœur des villes.

Mais on y a vu aussi une armée aux matériels vieillissants, parfois inadaptés au théâtre, aux incroyables manques capacitaires, contrainte, malgré le dogme de l’indépendance nationale, de demander l’aide de l’Empire et d’autres alliés, en théorie plus modestes. Une fois de plus, le monde a admiré le panache gaulois, mais le roi est nu.

Par-delà certaines scènes émouvantes et des élections qui se sont remarquablement passées, en réalité, qu’avons-nous réglé au Mali ? La mort de plusieurs centaines de combattants d’AQMI et de ses alliés n’a nullement conduit à l’anéantissement de la mouvance jihadiste. Au contraire, serait-on même tenté d’écrire.

Passé le choc initial de l’intervention française, les jihadistes, harcelés, repoussés vers le Nord Est, ont reculé en bon ordre, manœuvrant, démontrant un réel sens tactique. Comme prévu, ils se sont dispersés, parvenant parfois à refuser le combat imposé par les Français et les Tchadiens, mais s’accrochant ailleurs durement au terrain. Selon les premières estimations disponibles, plus de deux tiers des jihadistes tués par les forces françaises l’ont été lors de combats terrestres rapprochés, ce qui en dit long sur la dureté des affrontements. Malgré les avertissements, nombreux, il semble bien que la chose ait surpris à Paris, jusqu’ à un niveau incroyablement élevé, mais cette surprise ne me surprend pas. Je me comprends.

Les jihadistes visés au Mali ont certes perdu leur fief, mais il ne s’agissait là que de la première vraie bataille après des mois d’actions clandestines, parfois avortées, et de travail préparatoire. La menace terroriste à l’origine de notre intervention a à peine diminué au Mali même, et il n’est pas absurde de penser que la guerre a même accéléré l’intégration des mouvements jihadistes au sein d’une mouvance régionale en recomposition accélérée.

Avoir libéré le territoire malien n’a évidemment pas apaisé les tensions qui avaient facilité l’intrusion jihdiste, mais je ne connais vraiment pas la scène  politique locale, et je ne vais donc pas m’y aventurer. Je ne vais, en revanche, avoir aucun scrupule à rappeler ici que les groupes présents au Nord Mali avaient d’abord été présents au Nord Niger et étaient composés de combattants venus de toute la région, du Maghreb comme des Etats sahéliens. Les chasser du Mali n’a donc, en rien, réglé la dimension internationale du problème, et le recrutement de volontaires, du Maroc à l’Egypte, de la Mauritanie au Soudan, et de l’Algérie au Nigeria n’a pas faibli. L’opération Serval, pour magistrale qu’elle ait pu être dans ses aspects opérationnels, a, de surcroît, constitué une véritable reconnaissance internationale pour AQMI et ses alliés. La déjà longue geste jihadiste algérienne s’est ainsi vu enrichie d’un affrontement direct avec la France honnie, responsable de tout, soupçonnée du reste.

Si Serval n’a pas sensiblement modifié la menace terroriste qui pèse sur notre pays, dans le Top 3 des cibles depuis 20 ans, elle donné au jihad sahélien une visibilité qui a fait réagir les plus grands groupes de la mouvance. AQMI en a tiré un bénéfice immédiat, alors même que les suites chaotiques des révoltes en Tunisie ou en Libye – en attendant l’Egypte – libéraient des forces qui, étouffées plus qu’éteintes, attendaient leur heure. On trouve désormais des vétérans du Mali en Tunisie, des dizaines de jihadistes tunisiens dans le Sud libyen, et l’enchevêtrement des réseaux dans toute la zone n’a jamais été aussi dense, de mémoire d’analyste.

Le ministre de la Défense, M. Le Drian, a confirmé hier matin qu’un millier de nos soldats resteraient au Mali en soutien de Bamako, dont les forces sont pour le moins convalescentes, et en appui du contingent international qui n’apporte rien – ce qui tombe bien puisqu’on n’espérait rien de lui. Combien de temps cette présence peut-elle durer ? Pour quel mandat exact ? Quelle articulation avec les autres forces actives sur place ? Quelle coordination avec, au hasard, l’Algérie ? Et quelles capacités de projection ?

Ce dernier point est loin d’être anodin, tant la naissance d’Al Mourabitoun, le 22 août dernier, issue de la fusion du MUJAO des Mouthalimin de Mokhtar Belmokhtar, le Keyzer Söze du jihad, représente une menace qui dépasse de loin le seul Mali. Allez donc jeter un coup d’œil au Niger, où la situation sécuritaire se dégrade presque à vue d’œil, où certains coopérants européens portent désormais des armes (attention à ne pas vous blesser, les gars) et où il est manifeste que les forces de sécurité sont largement inopérantes. Et je laisse ici le soin à d’autres de détailler les immenses failles révélées par les attaques d’Arlit et Agadez, le 23 mai dernier.

Si la France est intervenue au Mali pour affronter des groupes qui la défiait, que fera-t-elle quand les mêmes, remis de leurs émotions, s’en prendront sérieusement au Niger, hautement stratégique pour elle ? L’armée française, à supposer qu’elle en ait le mandat, pourra-t-elle intervenir dans le sud de la Libye, contre Belmokhtar, ses amis et ses alliés ? Le fait de ne pas avoir éliminé plus de chefs jihadistes n’a pas fini de peser, et force est de reconnaître que la mission, ici, n’a pas été remplie.

Mokhtar Belmokhtar a-t-il échappé aux bombes grâce à son habileté – ce que je pense, ou a-t-il été épargné afin de préserver un canal de négociations dans le cadre de la douloureuse affaire de nos otages – ce dont je doute ? Le changement de doctrine en matière de kidnappings, que j’avais modestement salué, visait à inverser les rôles. Moyens de pression des terroristes contre nous, ils devaient devenir des moyens de pression contre eux : la survie de nos otages est la garantie de votre survie. Leur mort impliquera votre élimination. Et au fait, on ne casque plus. Las, las, c’était compter sans l’affaire du Cameroun, et sa rançon payée à Boko Haram.

Les incohérences françaises ont, une fois de plus, fait des dégâts. Au Nigeria même, les autorités, manifestement agacées par ce dénouement inespéré, ont intensifié leur lutte – avec le succès que l’on sait – contre BH. Les carnages s’y succèdent d’ailleurs avec une admirable régularité. Plus au nord, on est en droit de penser que les terroristes d’AQMI qui détiennent les otages ont été attentifs à cette notable évolution de la situation. Devenus les assurances des terroristes, les otages sont soumis à un cruel paradoxe qui les voit destinés à survivre, mais en captivité.

La diffusion, le 16 septembre, pour le 3e anniversaire des enlèvements d’Arlit, d’une longue vidéo d’AQMI a cruellement rappelé aux autorités françaises leur échec dans cette affaire. Elle a, surtout, été un nouveau crève-cœur pour les familles, partagées entre la peur, l’impuissance et la colère.

Samedi dernier, comme l’année dernière, j’ai donc arraché ma vieille carcasse au confort feutré de ma grotte pour aller me mêler, l’air de rien, aux quelques dizaines de proches qui s’étaient rassemblés à Meudon pour soutenir les otages et leurs familles. Sans surprise, les discours, sincères, modestes, maladroits, naïfs, ont été émouvants. Plus que par la faible couverture médiatique – puisque la mobilisation, malgré les efforts des uns et des autres, ne prend pas – j’ai été frappé la violence de certains propos, et l’ignorance qu’ils révélaient.

Alors que les jihadistes d’AQMI, terroristes, kidnappeurs, assassins, n’étaient pas mentionnés, il n’y en avait que pour les autorités françaises, coupables, incompétentes, voire complices. Comme d’habitude, un quelconque ami de la famille se laissait aller à une vague théorie conspirationniste tandis qu’un autre dénonçait le désintérêt manifeste de la France pour ses otages. Un autre, inconscient, menaçait même de demander à des acteurs privés de prendre les choses en main afin de réussir là où les services de renseignement échouaient si lamentablement depuis trois ans. Mon Dieu, cher ami, quelle bonne idée ! D’ailleurs, nous pourrions demander aux familles de MM. Verdon (RIP) et Lazarevic – qu’AQMI n’évoque pas dans sa vidéo du 16 septembre – ce qu’elles pensent des opérations clandestines conduites par des amateurs. Qu’en pensez-vous ?

Si on ne peut nier l’échec, pour l’heure, de nos services, il ne serait sans doute pas inutile de rappeler aux familles des otages que leurs parents ont été enlevés par des terroristes. Il y a des coupables, assumés, revendiqués, dans cette affaire, et nier tout à la fois leur responsabilité initiale dans cette tragédie et le fait que ces gens-là sont durs en affaire ne va pas vous conduire bien loin. Faut-il s’attendre, l’année prochaine, à ce que vous dédouaniez les jihadistes, romantiques révolutionnaires, fiers défenseurs d’un Sud outragé – par les employeurs de vos maris, pères, frères, oncles ? Cela serait d’une infinie tristesse.

Monsieur le Président, Monsieur le Ministre des Affaires étrangères, Monsieur le Directeur général, permettez-moi ici, très humblement, de vous faire une suggestion. Pourquoi ne pas convier les proches familles de nos otages à une journée spéciale boulevard Mortier ? Pourquoi ne pas exposer à la maman de Thierry Dol, si admirablement digne, la situation ? Pourquoi ne pas leur montrer l’ampleur du dispositif que la France mobilise depuis trois ans ? Pourquoi leur expliquer qu’Alain Legrand se trompe quand il affirme que la dernière vidéo est la preuve qu’AQMI veut négocier ? Pourquoi ne pas leur faire rencontrer quelques membres, choisis, des cellules de crise ? Personne ne vous demande, évidemment, de dévoiler de secrets ou de mettre en danger les otages ou ceux qui tentent de les libérer, et on pourrait même envisager de leur faire signer un engagement de confidentialité.

Il me semble que ces familles, comme à l’hôpital, par exemple, ont le droit d’en savoir plus sur l’état du patient. Elles n’en peuvent plus, de ces briefings compassés, de ces réponses fuyantes. Ah, et si vous pouviez éviter de faire pleurer Madame Larribe, je vous en serais reconnaissant.

Au lieu de laisser des députés aux égos d’empereurs romains se mêler de renseignement au nom d’une fausse transparence, je crois bien que traiter une dizaine de Français en adultes responsables ne serait pas une mauvaise idée. Enfin, je dis ça, il paraît que ça se fait.

Entre les canines du petit rongeur

Après des années d’un silence pesant, le monde de l’édition s’attaque enfin au Sahel, et ses motivations relèvent, hélas, bien plus de la logique économique que de la volonté d’enfin exposer au public les enjeux et les crises d’une région fascinante à bien des points de vue.

Notre guerre secrète au Mali. Les nouvelles menaces contre la France d’Isabelle Lasserre et Thierry Oberlé, vient ainsi opportunément de paraître chez Fayard afin, soi disant, de nous éclairer.

Je ne m’attendais à rien de précis, et je ne suis donc pas déçu. Le livre est une honnête synthèse de sources ouvertes, comme aurait pu en rédiger un étudiant en licence. On n’y apprend rien, et il faut quand même déplorer que deux journalistes employés par un grand quotidien national, unissant leurs efforts, ne parviennent qu’à aligner des lieux communs. Il faut surtout regretter que deux professionnels de l’investigation se contentent de compiler, sans presque jamais nous donner des informations inédites. « Cet ouvrage, rédigé dans l’urgence, est le fruit d’un long et patient travail », nous dit-on dans l’avant-propos, et il faut saluer l’absurde beauté de la phrase.

Soyons juste, le livre ne contient aucune énormité, mais les approximations et les lieux communs qu’on y trouve, tout au long de ses 252 pages, sont bien décevants. S’agissant de la menace jihadiste, un de ses aspects essentiels, on se surprend même parfois à soupirer devant tant d’ignorance. Affirmer, ainsi, que la France est désignée ennemie principale d’AQMI en 2005 est plutôt surprenant. Le nom d’AQMI n’est apparu qu’en janvier 2007, tandis que la France a TOUJOURS été l’ennemie principale du jihad algérien. Du coup, on ne sait si les auteurs ne se sont pas relus ou si, et on le redoute, ils n’entendent rien à ces histoires de barbus.

De même, ne pas mentionner qu’AQMI et ses alliés locaux géraient, de facto, une partie du Nord Mali depuis 2009 révèle une mémoire bien courte, ou une cruelle méconnaissance des origines de cette guerre. Je n’aurais, évidemment, pas l’outrecuidance de renvoyer les auteurs à ce post

N’y voyez aucune malice de ma part, mais il ne me paraît pas inintéressant de citer quelques unes des perles pêchées dans cet ouvrage. Saviez-vous, par exemple, que le GIA est l’ancêtre d’Al Qaïda ? Ben voilà, vous voilà édifiés. Et aviez-vous noté qu’AQMI a revendiqué l’attentat de Benghazi au cours duquel le légat impérial est mort ? Cela vous avait manifestement échappé, comme à moi, mais la vérité est à présent rétablie – à moins qu’il soit possible de confondre un texte de soutien à des terroristes à un communiqué de revendication… Placiez-vous la Tanzanie et le Kenya en Afrique occidentale ? Non ? Vous aviez tort.

Manifestement mal renseignés, les auteurs ne se contentent pas de parsemer leur propos d’erreurs qui font désordre. Ils relaient aussi quelques banalités et autres idées reçues qui, à force de nous être serinées, pourraient presque devenir des vérités. Une étude attentive de la région aurait ainsi pu leur éviter d’écrire, comme d’autres avant eux, que la crise malienne est la conséquence directe de la guerre en Libye. Personne ne nie les conséquences de la chute du colonel Kadhafi, mais la lecture de quelques bons auteurs et la fréquentation du terrain auraient pu les déniaiser quand aux racines du mal – et nous épargner des phrases débutant par « Dès 2007, des prédicateurs venus du Pakistan ». Pas une seule fois dans le livre ne sont, par ailleurs, mentionnés le wahabbisme ou les ONG du Golfe…

De même faut-il regretter la confusion mentale qui fait écrire que les jihadistes sont « combattus au Mali, soutenus en Syrie et en Libye ». Il ne faut pas toujours croire la presse algérienne, ou certains retraités qui hantent les médias quand ils sortent de l’hospice. De même, citer Olivier Roy, un homme que l’on a connu si brillant mais que l’on a perdu en route, n’était sans doute pas indispensable. Au moins nous a-t-on épargné BHL et Michel Onfray…

S’agissant du narcotrafic, le panorama offert par les auteurs n’est guère plus convaincant, mais au moins n’est-il pas fait mention du narcojihad, cette imposture inventée par quelques uns. Mokhtar Belmokhtar y est, sans surprise, affublé de son surnom de Mr. Marlboro, et les auteurs ne peuvent s’empêcher de le comparer au regretté Abou Zeid, présenté comme un « prédateur et un assassin ». Belmokhtar, quant à lui, reste naturellement connu, comme Arthur de Bretagne, sous le nom de «Gentillet ».

On l’a compris, le livre ne pèche pas seulement par ses approximations, il souffre aussi des lieux communs et des banalités qu’il reprend, du rôle supposé des services algériens (« Le DRS est passé maître dans l’art de manipuler des groupes clandestins grâce à des taupes ») à l’amusante description de Philippe Verdon et Serge Lazarevic (« géologues ») en passant par les fulgurances de Marc Trévidic (« Nos schémas sont dépassés »). Evoquant les personnalités pour le moins intéressantes de Jean-Marc Gadoullet ou de Moustapha Limam Chaffi, le livre est, en revanche, bien plus prudent alors qu’il y avait là matière à bien des révélations. Ne comptez pas sur moi, je ne suis pas journaliste, moi.

Il faut également relever une certaine candeur dans le domaine militaire qui confine parfois au sublime (« Rarement une opération militaire aura été aussi bien préparée ») dès qu’on évoque le déroulement – par ailleurs admirable – de l’opération Serval. Pour une des toutes premières fois dans l’histoire de la guerre, une armée aurait donc préparé son coup. Ni César ni Napoléon ni Tamerlan ni Alexandre ni Eisenhower ni Foch n’y avaient pensé…

Livre express, au même titre que ceux parus après l’arrestation de DSK à New York, Notre guerre secrète au Mali ne tient donc pas ses promesses. Ceux qui connaissent le sujet en relèveront les faiblesses sans jamais rien apprendre de cette fameuse guerre secrète, bien mieux traitée par les blogs spécialisés (à commencer par celui-ci), et ceux qui le découvrent seront intoxiqués par de nombreuses erreurs, parfois bien gênantes. Il faut cependant saluer une conclusion qui met bien en évidence le caractère international de la mouvance jihadiste. De là à dire qu’il s’agit d’une découverte, il y a cependant un pas que je ne franchirai pas.

Vite écrit, vite lu, et hélas vite oublié.

 

Que de sable, que de sable.

De façon parfaitement inexplicable, on parle décidément beaucoup du Sahara, ces jours-ci, alors que la situation y est totalement stabilisée et que la vie s’y passe désormais dans la paix et la prospérité.

Il nous a semblé qu’inviter un vrai connaisseur de la région permettrait de rompre avec les idées reçues et les approximations relayées depuis des mois. Arnaud Contreras nous fait ainsi l’honneur de participer au prochain café stratégique, jeudi 13 juin au café Le Concorde. Il nous y parlera cultures et géopolitique dans la région, et répondra aux questions.

A jeudi, donc.

Dans la mâchoire des chacaux

Les récits du terrain sont trop rares pour ne pas être signalés, et ceux correctement écrits sortent naturellement du lot, alors que des apprentis mercenaires arpentent les plateaux pour vendre leur soupe et raconter la guerre qu’ils n’ont pas menée. C’est donc avec curiosité que j’ai lu Dans les mâchoires du chacal. Mes amis touaregs en guerre au Nord-Mali, de Gaël Baryin – habile homonyme d’Alain Brégy (2013, Le passager clandestin).

Personnel et élégant, ce petit livre (92 pages) est tout sauf neutre. Engagé, il prend fait et cause pour les Touaregs, quels que soient les clans ou les tribus, et décrit avec empathie les drames qui n’ont cessé de les frapper depuis la création du Mali et du Niger. Le néophyte que je reste dans ce domaine a beaucoup appris en peu de lignes, et certains passages dénotent même un vrai talent de conteur.

Hélas, et c’est éminemment regrettable, l’auteur se laisse aller à un ressentiment qui dessert son propos, et c’est sans doute à un excès de rancoeur comme à un manque de travail qu’il faut attribuer les foutaises (je ne trouve pas d’autres mots) consacrées au GSPC et à AQMI.

Rien, en effet, ne nous est épargné des clichés et des fantasmes qui circulent depuis près de vingt ans sur les services secrets algériens, le GIA et les ténébreuses manoeuvres des uns et des autres. Je pense avoir déjà largement démontré que je ne comptais pas parmi les admirateurs les plus béats du régime algérien et de ses forces de sécurité, mais les sentiments ne devraient pas avoir une telle influence.

Reprenant sans vergogne tous les fausses révélations véhiculées par de bien ambigus observateurs et complaisamment relayées par des organes aussi neutres et rigoureux que Le Monde Diplomatique (la révolution prolétarienne, c’est follement tendance), M. Baryin montre, hélas, l’étendue de son ignorance. On comprend, évidemment, sa colère à l’égard des jihadistes et de l’Algérie, mais on sent bien qu’il n’a été témoin de rien et qu’il ne fait que reproduire les affirmations qui servent ses convictions, parfaitement respectables, tiers-mondistes, à défaut de les étayer.

Sur le jihad, tout est faux, ou incompris, et on regrette que l’auteur se soit engagé sur un terrain si glissant. Un seul coup d’oeil ici, en attendant de lire des études plus sérieuses, lui aurait peut-être évité cette pénible sortie de route. De même, on ne peut que déplorer son effrayante naïveté lorsqu’il impute la crise malienne à l’intervention occidentale en Libye, citant un rapport à la fascinante médiocrité ou invoquant le patronage de personnalités qui sont, au mieux d’authentiques impostures, au pire les missi dominici d’un régime qu’il rend, par ailleurs, responsable de bien des maux.

Si Baryin/Brégy raconte avec talent et émotion ses nombreux séjours dans l’Azawad et décrit avec tendresse les populations qui y vivent, il fait montre d’une incompréhension des mécanismes diplomatiques, militaires et, osons le mot, stratégiques, qui rend la fin de son livre décevante, quand le début était plus que prometteur.

Dans les mâchoires du chacal est donc un petit livre à manier avec précaution, utile lorsque l’auteur est à son affaire, sur son terrain, indigent lorsqu’il tente de nous expliquer, après tant d’autres, que tout ça c’est la faute à Tracassin et à l’Empire, qui tire les ficelles pour la grande finance apatride et les élites financières mondialisées.

On reste toujours triste de voir des auteurs ayant tant vécu lancer des appels à la diversité et au respect de la complexité du monde pour finir par le caricaturer comme un vulgaire propagandiste. Eux, pourtant, mieux que bien d’autres, devraient tout savoir des nuances.

« And though you came with sword held high/You did not conquer, only die » (« Conquistador », Procol Harum)

Vous la sentez, l’onde de choc ? Vous les voyez, les brasiers qui apparaissent ici et là ? Regardez-les bien, mais ne vous laissez pas distraire, car ça n’est que le début. Tout se passe comme prévu, oserait-on dire, même s’il n’y a pas lieu de se réjouir.

Le MUJAO, qui n’avait pas commis d’action en dehors du territoire malien depuis l’attentat commis à Ouargla en juin 2012, a revendiqué hier la spectaculaire opération menée au Niger contre une caserne (à Agadez) et un site d’Areva (à Arlit).

Pour tout dire, et je l’ai écrit au bureau hier après-midi, la chose m’étonnait. Pas les attentats, car tout le monde, à commencer par le président Issoufou, redoutait une action des jihadistes. Pas les attentats, donc, mais le rôle du MUJAO. Le mouvement, en effet, mène au Mali, « au nom de tous les moudjahiddine », une guérilla dans les villes du nord qui vise en priorité les troupes engagées dans la sécurisation de la région. On le voit mal, lui qui incarne donc la résistance des jihadistes à l’opération Serval, se projeter aussi aisément dans le Niger voisin alors qu’il est déjà engagé dans une guérilla sérieuse au Mali.

Mais alors, si le MUJAO ne peut réaliser, en tout cas seul, de tels attentats, qui ? Qui, en effet, sinon, le borgne le plus célèbre de la région, my man Mokhtar Belmokhtar ?

Plusieurs éléments m’ont fait, prudemment, écrire hier que l’ami Belmokhtar, le mort le plus vivant du jihad, pourrait bien être derrière les attaques d’Agadez et d’Arlit. Plusieurs points, en effet, me faisaient pencher vers son groupe plutôt que vers le MUJAO.

Le mode opératoire (voitures piégées dont l’explosion ouvre une séquence d’infiltration et de combats urbains) a, certes, déjà été observé au Mali, et les hommes du MUJAO le maîtrisent parfaitement. Le choix des cibles, en revanche, renvoyait, presque inévitablement, aux combattants de Belmokhtar. Il n’est pas question ici, en effet, de s’en prendre à un check point pauvrement défendu dans une ville malienne mais bien d’attaquer une caserne et la mine gérée par la SOMAÏR (Société des mines de l’Aïr), une filiale d’AREVA, où ont été enlevées sept personnes en septembre 2010 – dont quatre restent détenues. On pense à vous et à vos familles, les gars.

Dans le contexte sécuritaire régional, on peut, de plus, raisonnablement estimer que les deux cibles frappées hier matin étaient défendues – y compris par un petit détachement des forces spéciales françaises positionné peu après le début de Serval. Les terroristes n’ont pourtant pas hésité, et cette audace fait penser à la troupe de vétérans menée par Belmokhtar.

Le défi, la réjouissante arrogance, même, de l’assaut, doivent être soulignés. Voilà des hommes que quelques uns annonçaient vaincus, en fuite, et qui viennent pourtant s’en prendre à l’armée d’un pays qui a (modestement) contribué à leur prendre leur petite principauté. Ils viennent, surtout, attaquer une mine d’un métal qui représente les prunelles des yeux de la France, leur pire ennemie, un pays dont le président ne cesse de réclamer leur mort.

Mais, au fait, dites-moi, un assaut combiné, un site énergétique stratégique, des otages, ça ne vous rappelle rien ? Ben oui, l’affaire d’In Amenas, en janvier 2013.

La pertinence politique et la maîtrise opérationnelle des attaques d’Arlit et d’Agadez sont la marque d’un groupe qui sait ce qu’il fait. Même dans un pays où les aventures de Frigide Barjot sont le summum du débat politique, les médias ont évoqué l’affaire, eux qui d’habitude n’abordent qu’avec réticence les soubresauts du vaste monde. Le sentiment qui domine désormais (enfin !) est celui d’un conflit qui nous échappe, dont nous ne maîtrisons pas les développements. On attend que Yann Galut invoque la responsabilité des militants de la #manifpourtous ou que Jean-François Copé demande la démission du préfet d’Arlit.

Dès janvier, j’écrivais que l’ennemi se dérobait. Sa retraite, bien menée après le choc des premières frappes, a conduit les Français et les Tchadiens à le poursuivre jusque dans les Ifoghas, où il a été durement éprouvé, perdant même un de ses chefs, Abou Zeid. Mais, bien qu’éprouvé, l’ennemi n’est pas défait, et encore moins éradiqué. Nous devrions le savoir, nous qui célébrons une victoire, le 8 mai, après avoir subi la plus ébouriffante tannée de l’histoire militaire du millénaire.

Loin d’avoir été mis en déroute, les jihadistes se sont donc réorganisés. Au MUJAO (et à Ansar Al Din), les combats sur les arrières, au Mali. Au groupe de Belmokhtar, les opérations dans la région grâce à ses relations dans toute la zone, et ses contacts au Pakistan. Il faut peut-être lire ainsi les attentats d’hier au Niger : commis au nom du MUJAO, ils auraient été réalisés par Belmokhtar et les siens dans ce qui semble être une belle illustration de l’organisation stratégique de l’ennemi.

Mais l’onde de choc ne touche par que le Niger. Déjà, moins de six mois après le début de la guerre, voilà que des jihadistes venus du Mali viennent encore aggraver la très inquiétante crise tunisienne, que les autorités égyptiennes démantèlent une cellule qui voulait s’en prendre à notre ambassade au Caire, tandis qu’un attentat, le 23 avril, dévste celle de Tripoli . Inutile de préciser qu’à Paris seul M. Heisbourg pense encore qu’il s’agit d’un message envoyé par les milices. Bon, il faut dire que le même affirmait qu’il y avait des ADM en Irak, et nous le laisserons donc à ses certitudes.

L’hypothèse de cellules jihadistes, a minima inspirées par AQMI et probablement liées à l’organisation algérienne, est d’autant plus crédible que l’étude de l’attentat (et de celui raté au même moment contre l’ambassade britannique) rend la thèse du message parfaitement indigente. La Libye est, décidément, une terre bien intéressante, comme semblent d’ailleurs le penser les autorités militaires impériales.

C’est justement du sud libyen, décidément bien mystérieux, que seraient venus les terroristes d’Arlit et d’Agadez. C’est même là qu’on évoque avec insistance la présence d’un noyau dur de combattants d’AQMI – et de certains des otages français – aux côtés de clans Toubous et là que Mokhtar Belmokhtar, le Keyzer Söze du jihad, aurait pris ses quartiers, presque en famille.

Les attentats d’Arlit et d’Agadez suivent par ailleurs, et ça ne vous aura pas échappé, le communiqué vengeur d’Abou Obeida Youssef Al Annabi appelant à des attaques contre les intérêts français « partout dans le monde ». Vous avez demandé un attentat contre la France ? Ne quittez pas, une opératrice va vous mettre en relation avec un de nos émirs. Pour un otage, tapez 1 sur votre Thuraya. Pour une voiture piégée, tapez 2. Pour un truc bien moisi, tapez #.

Employant une formule qu’on étudiera dans cent ans rue d’Ulm, le ministre français de la Défense, (un des seuls responsables de l’actuel gouvernement à tenir son rang, soit dit en passant), a récemment déclaré : « La guerre n’est pas terminée, mais l’après-guerre a commencé ». Vous avez quatre heures, je ramasse les copies. Cette phrase, pour sibylline qu’elle puisse paraître, résume merveilleusement nos impératifs : filer une fois que le gros œuvre est fait, et laisser les copains se débrouiller.

Nos chefs savent bien que le départ de nos troupes replongera le Sahel dans l’ombre, ne suscitant qu’un intérêt poli et les interventions ponctuelles des experts habituels chez M. Calvi. Déjà, la mort des otages nigériens, aujourd’hui, n’a guère été commentée, et nous savons bien que, malgré les beaux discours, tous les cadavres n’ont pas la même valeur. De même, personne ne semble s’émouvoir outre mesure que des hommes du COS aient participé aux combats du jour AU NIGER, et non au Mali.

Il va être difficile de nier que la crise s’étend, irrémédiablement, et qu’elle expose, et notre faiblesse, et celles, immenses, de nos alliés. Et il va être tout autant délicat de nier que c’est après avoir accéléré le processus de décomposition de la région que la France, fière – à raison – de ses soldats se retire. On aurait aimé, après avoir attendu tant d’années un peu de courage de nos chefs, les voir faire preuve d’un peu de clairvoyance. Au lieu de ça, on les voit paraphraser Perceval de Galles : « Merci, de rien, au revoir, messieurs-dames ».

« Papa, get the rifle from its place above the French doors!/They’re comin’ from the woods! » (« The Rifle », Alela Diane)

On se bat en Tunisie, ce soir, à quelques dizaines de kilomètres de la frontière algérienne.

La surprise semble de taille pour bon nombre d’observateurs (le terme m’amuse, ne nous le cachons pas) qui ont oublié qu’en décembre 2006 l’armée tunisienne a déjà affronté des jihadistes. Il faut dire que l’islamisme radical tunisien n’est pas un phénomène récent, ni même importé comme a récemment tenté de me le démontrer une candidate tunisienne qui n’aura donc pas l’avantage de travailler à mes côtés. Et tant que j’y suis, le Qatar n’y est pour rien, faut-il le préciser ?

Dans les années 90, le président Ben Ali, dont l’amitié pour Jacques Chirac ne faisait pas sursauter d’effroi Dominique de Villepin, le bien connu défenseur de l’opprimé et du droit, a fait arrêter par dizaines les militants d’Ennahda, le parti islamiste local, raisonnablement radical mais pas réellement violent. Je me souviens même avoir reçu dans mon bureau, il y a au moins dix ans, une note donnée par le président tunisien à notre bien aimé leader dans laquelle il demandait l’arrestation en France d’intellectuels exilés infiniment moins violents que moi. Et manifestement, personne ne disait à notre grand ami de se calmer un peu avec les arrestations arbitraires ou les demandes extravagantes. N’oublions pas que le premier des droits de l’Homme est de manger à sa faim, comme le dit un jour si aimablement notre gaulliste en chef. Mais je m’agace, ça n’est pas raisonnable.

Comme dans tous les pays de la région, il existe depuis les années 70 une mouvance islamiste radicale tunisienne, militant pour l’instauration d’un régime islamiste, inspirée par la révolution iranienne, toujours prompte à défendre un Etat musulman odieusement agressé par l’Occident impérialiste et décadent. Et les militants tunisiens ne sont pas les derniers à vouloir faire le coup de feu. On les a vus en Afghanistan, à la grande époque – non, pas du temps du Mexicain – et quelques uns ont même fondé le Front islamique tunisien (FIT).

Je ne vais pas vous assommer avec l’histoire du jihad en Tunisie, mais les choses sérieuses ont vraiment commencé, à mon sens, avec la création du Groupe combattant tunisien (GCT), véritable mouvement violent fondé en Afghanistan en 2000 dans l’ombre bienveillante d’Al Qaïda. Le GCT, jihadiste, a, dès ses origines, lié ses ambitions nationales au jihad mondial, et ses membres n’ont pas démérité.

Le 9 septembre 2001, ce sont ainsi deux militants du GCT, Dahmane Abdel Sattar et Rachid Bouraoui El Ouaer, qui ont assassiné le commandant Massoud, lors d’une fascinante opération qu’il faudrait enseigner dans les écoles tant elle révèle le caractère international du jihad.

Le GCT avait été fondé par Tarek Maaroufi, un ancien d’Ennahda passé au jihad devant l’échec des menées non violentes de son mouvement, et par Seif Allah Ben Hassine, alias Abou Iyadh, un idéologue d’abord réfugié à Londres puis en Afghanistan. Abou Iyadh n’est pas un demi-sel, et si Maaroufi a connu la prison en Europe (et a même été déchu de sa nationalité belge), lui a connu les geôles tunisiennes, dont on connaît le raffinement.

L’un et l’autre ont été liés à des attentats ou des opérations de guérilla et sont de véritables dangers publics, que le temps n’a pas apaisés. Amnistié en 2011 après la révolution de Jasmin, Abou Iyadh a fondé Ansar Al Sharia – Tunisie , un mouvement pudiquement qualifié de salafiste mais qui est, en réalité, authentiquement jihadiste.

Le 14 septembre 2012, trois jours après l’attaque du consulat impérial à Benghazi, ce sont les garnements d’AAS qui s’en sont pris à l’ambassade américaine à Tunis. Et dans la capitale tunisienne comme dans la capitale égyptienne le 11 septembre précédent, les services n’ont pas manqué de reconnaître, parmi les assaillants, des sympathisants d’Al Qaïda. Seulement voilà, comment faire pression sur des gouvernements islamistes, à Tunis ou au Caire, dont les membres considèrent les salafistes et les jihadistes comme de sympathiques, bien qu’un peu turbulents, jeunes hommes ?

Il y a donc des islamistes radicaux en Tunisie, depuis longtemps, et ils sont liés à tous nos autres amis, du Caucase au Pakistan en passant par le Sahel, et bien sûr l’Algérie. Le GSPC, bien avant de devenir AQMI, n’a jamais caché ses ambitions régionales et s’est toujours vu comme l’élément de pointe qui devait lancer le jihad régional. Bien avant les révoltes arabes et l’onde de choc qu’elles ont déclenchées, les terroristes algériens – qui ont intégré très tardivement la mouvance incarnée par Al Qaïda – ont essayé de susciter des vocations ou de rallier des vocations. Pour sa part, l’attentat contre la synagogue de la Ghriba, à Djerba, en avril 2002, directement réalisé par l’organisation d’Oussama Ben Laden, ne nous apprit rien sur la mouvance jihadiste tunisienne.

Les incidents de décembre 2006 et janvier 2007 en Tunisie ont ainsi été le fait de volontaires venus des maquis algériens qui avaient implanté des camps dans le djebel Chaambi, celui-là même où on se bat depuis des jours. Ce massif montagneux n’est en effet qu’à une trentaine de kilomètres de la wilaya de Khenchela, à l’extrême est de l’Algérie, dans une zone où AQMI tient depuis des années la dragée haute à l’ANP. Autant dire que si l’armée algérienne ne parvient toujours pas à marquer des points décisifs contre AQMI en Kabylie, ce ne sont pas les troupes tunisiennes, malgré tout leur courage, qui vont éradiquer les maquis jihadistes en quelques journées de combat. Il va de soi que j’espère me tromper, mais ça m’arrive hélas assez rarement.

L’affaire, pour tout dire, est assez délicate. En Tunisie même, les salafistes, menés par Abou Iyadh, un homme qui fait l’objet de sanctions internationales (Comité 1267 contre Al Qaïda et les Taliban, la classe), exercent sur le gouvernement une pression terrible, de chaque instant, dont le but, parfaitement assumé, est d’aboutir à un régime islamiste. Face à cette force que rien ne semble arrêter, les autorités sont d’autant plus inefficaces qu’elles sont ambigües.

Mais, même si elles le voulaient, que pourraient-elles contre le foutoir régional que j’évoquais en octobre dernier ? Oui, je sais, des mois avant qu’il n’apparaisse vraiment, c’est un don.

Et que pourraient-elles faire contre un phénomène vieux de dizaines d’années que la répression idiote, en Tunisie comme en Egypte, n’a fait que radicaliser au lieu d’éradiquer ?

On compte désormais des dizaines de volontaires tunisiens en Syrie au sein des groupes jihadistes combattant le régime, comme on en a compté des dizaines en Irak il y a dix ans. A In Amenas, en janvier dernier, il y avait des Tunisiens (et aussi des Egyptiens) aux côtés des hommes de Belmokhtar, l’émir légendaire que le jihadiste égyptien qui a organisé l’attentat de Benghazi (avec le soutien financier d’AQPA au Yémen, faut-il le rappeler ? et peut-même sa participation physique), en septembre 2012, a appelé pour échanger avec lui des cris de joie.

Et, justement, dans le djebel Chaambi, l’armée tunisienne tente de détruire des camps créés au profit d’AQMI, un groupe algérien, afin d’envoyer des combattants au Mali… D’ailleurs, puisqu’on parle du Sahel, chacun soupçonne fortement l’ami Belmokhtar, qui, comme le pédoncle garou, n’abandonne jamais, d’avoir ravagé notre ambassade à Tripoli, la semaine dernière, peut-être avec l’aide de ses contacts locaux, voire de leurs sponsors yéménites. Laissons la police faire son enquête, mais notons que les crises locales, obstinément, alimentent le combat planétaire.

Le jihad mondial n’est donc pas un fantasme, il est au contraire une réalité que l’on ne peut appréhender que lentement et avec patience. Les évènements de ces derniers jours sont, en tout point, fascinants à ce sujet, de la Tunisie au Cameroun, des Etats-Unis à la Tunisie, de la Libye à la Syrie. Il ne reste plus qu’à redouter le prochain attentat en France, suite logique et peut-être inévitable du processus.

Y a des impulsifs qui téléphonent, y en a d’autres qui se déplacent.