Chahdortt Djavann est née en Iran en 1967. Réfugiée en France après avoir fui avec sa famille la révolution islamique de 1979, elle porte sur l’islam radical un regard acéré, voire acerbe. Sa quête de liberté et de laïcité se nourrit de sa condition de femme et la conduit à écrire de courts textes, enlevés, polémiques, où la provocation le dispute à l’appel au sursaut citoyen.
Parmi ses ouvrages, je conseille vivement « Bas les voiles ! » et « Que pense Allah de l’Europe ? ». On y trouve des pensées salvatrices contre le politiquement correct, la lâcheté des élites, la faillite de la République et le dévoiement de l’islam par une poignée de radicaux.
Dans le même ordre d’idées, je vous invite à lire deux brulots de Jack-Alain Léger, « Tartuffe fait Ramadan » et « A contre Coran ». Violents, parfois même choquants tant l’exaspération de l’auteur le conduit aux pires excès de langage, ces deux livres ont au moins le mérite de mettre les pieds dans la plat. On pourra exprimer des réserves sur certains points, mais au pays de la polémique-reine, leur lecture est revigorante. Evidemment, on est loin de Gilles Kepel ou d’Olivier Roy, Jack-Alain Léger a parfois la plus un peu lourde, mais il faut bien s’amuser… L’essentiel est de lire ses textes comme autant de cris d’épouvante, et non comme des essais sérieux et argumentés.
Le très fréquenté blog de Libération, « Secret défense », a mis aujourd’hui en ligne un remarquable texte du théoricien australien de la contre-insurrection David Kilcullen (à gauche sur la photo). On me pardonnera de reprendre à ma façon cette contribution en la complétant bien modestement.
Ce texte, initialement écrit en 2006 à l’intention des troupes engagées en Irak, reflète les vues des nouveaux stratèges anglo-saxons, dont le général Petraeus, que Kilcullen a conseillé, est l’archétype. Intitulé « Twenty-Eight Articles. Fundamentales of Company-level Counterinsurgency », il est disonible à l’adresse suivante : http://edbatista.typepad.com/edbatista/files/2007/01/DJ_Kilcullen_28_Articles_Counterinsurgency_March_2006.pdf.
Les Français oublient souvent que l’Australie a, pour une jeune nation, un passé militaire bien rempli. L’Australian War Museum de Canberra, que j’ai eu la chance de visiter, met en évidence l’engagement permanent de l’Australie depuis la création des forces de la colonie britannique, d’abord aux côtés de la Métropole – lors de la guerre des Boers par exemple – puis de façon indépendante lors de deux guerres mondiales, notamment en Birmanie, puis en Corée, au Vietnam, au Timor, en Irak, en Afghanistan, et pour tout dire partout où cela chauffe.
Les militaires australiens sont formés au Royaume-Uni et aux Etats-Unis et entretiennent un esprit de rusticité que les Français croient être les seuls à posséder. Mais être rustique n’empêche pas de penser, et les Australiens ont lu, eux aussi, les grands textes de la guerre révolutionnaire et les manuels de contre-insurrection. Kilcullen cite Galula, T. E Lawrence.
Il cite également Robert Thompson, un expert peu connu de ce côté du monde et pourtant auteur de quelques livres fondamentaux, dont en 1966 « Defeating communist insurgency » sur son expérience en Malaisie et au Vietnam (où il conseillera les Etats-Unis) et surtout en 1969 « No exit to Vietnam » qui en dit long sur son analyse conflit.
Mais, bien qu’il ne les cite pas, Kilcullen est aussi l’héritier des Lyautey, Galliéni, et des vétérans que la France prêta aimablement à l’Empire dans les années ’60, dont le sulfureux général Aussaresses.
Le général Aussaresses, dont le nom évoque chez les lecteurs de James Ellroy la fameuse Ecole des Amériques, a par ailleurs contribué au projet Condor, mais c’est une autre histoire. Interrogé sur les dictatures sud-américaines soutenues par la CIA, William Colby répondait : « Ce sont peut-être des salauds, mais ce sont NOS salauds ».
Je délaisse Al Qaïda pour vous signaler la réédition, prévue à la fin du mois de septembre, de l’étude d’Ernest R. May « Strange victory: Hitler’s conquest of France ».
Il s’agit d’un ouvrage indispensable, qui explique l’inexplicable, ce que Sir Basil Liddell Hart décrit dans son « Histoire de la Seconde guerre mondiale » comme la plus spectaculaire victoire militaire de l’ère moderne.
Et il ne vous aura pas échappé que May emprunte son titre à Marc Bloch, dont « L’étrange défaite » reste un chef d’oeuvre fondamental que chaque Français devrait avoir lu, et qui devrait figurer dans toute bibliothèque d’officier. Pour les admirateurs, je ne peux que conseiller ce site : http://www.marcbloch.fr/sommaire.html.
Un soldat français est mort hier en Afghanistan, et deux de ses camarades ont été blessés, lors de combats contre ceux que l'on appelle pudiquement les "insurgés", mais qui sont en réalité des Talibans auxquels se mêlent quelques jihadistes. Ces pertes, prélevées dans les rangs du 3e RIMa, incarnent tristement la réalité d'une guerre que les Français ne comprennent pas, par ignorance et aveuglement. Très révélateurs sont à cet égard les commentaires que l'on trouve sur les sites Internet du Monde et de Libération. On n'y entend parler que de guerre coloniale, de politique servile à l'égard des Etats-Unis, de combattants trop jeunes, etc.
Il n'est que temps de rétablir quelques vérités et d'asséner quelques coups aux dogmes que les Français, Munichois dans l'âme, ne cessent de véhiculer dans le vaste monde.
Chaque siècle a son centre de gravité géographique. Après la guerre civile européenne (1914-1945) entraînée par le conflit franco-prussien de 1870-1871, qui a mis l'Europe au centre du monde avant de sceller son déclin au profit des Etats-Unis, le Vieux Continent si cher à Dominique de Villepin dominait outrageusement les débats internationaux, ignorant le reste du monde ou au contraire le conquérant.
L'effacement de l'Europe, ou plutôt son changement de statut, la faisant passer de maîtresse du monde à l'enjeu d'une lutte entre deux systèmes, a laissé la place à une multitude de conflits nés de la décolonisation. L'Afrique a sombré, l'Amérique du Sud surnage, l'Extrême-Orient s'en sort haut la main, le Moyen-Orient se débat dans ses contradictions et les regards se tournent avec inquiétude vers l'Asie du Sud. Là convergent en effet toutes les tensions de notre monde : crises nucléaires, radicalismes religieux, nationalismes exacerbés, pauvreté extrême, etc.
Après les tentatives russes et britanniques au 19ème siècle, puis l'invasion soviétique de décembre 1979 et désormais l'intervention occidentale déclenchée en octobre 2001, l'Afghanistan demeure, plus que jamais, le centre du monde stratégique. La vitalité, ou les dérives, du débat d'idées dans l'Occident post-11 septembre placent également ce pays au coeur des polémiques. Comme aux temps de la Guerre froide s'affrontent, pour de bonnes et de mauvaises raisons, et avec de bons et de mauvais arguments, les partisans de l'intervention occidentale et ses détracteurs. Tout y passe, de l'antiaméricanisme le plus primaire au néoconservatisme le plus échevelé, tout cela teinté de radicalisme religieux, de tiers-mondisme réécrit et d'antimilitarisme imbécile - ou d'ignorance crasse de la chose militaire.
Les plus curieux pourront lire ce classique de Zbigniew Brzezinski, "Le grand échiquier", à la fois belle initiation à la géostratégie impériale et état du monde assez lucide, bien que sans doute légèrement daté.
On pourra également voir avec intérêt le film de Mike Nichols, "La guerre selon Charlie Wilson", certes un peu outré mais néanmoins éclairant. Je préfère pour ma part les livres de Peter Bergen, voire le chef d'oeuvre de Robert Littell "La Compagnie".
Mais attaquons-nous, comme promis, aux fadaises que l'on lit ici et là :
1/ L'intervention américaine en Afghanistan est une entreprise illégale.
Déclenchée le 7 octobre 2001 par les Etats-Unis sous le nom d'opération "Enduring Freedom", l'intervention contre les Talibans est une riposte aux attentats du 11 septembre 2001 à New-York et Washington. Seuls des individus à l'intellect limité et/ou aux motivations douteuses osent encore affirmer que ces attentats sont le fruit d'un complot américano-israélien dont la finalité change régulièrement en fonction des réfutations. Cette opération est validée par les Nations unies par deux résolutions (analyse contestée par le collectif Echec à la guerre, cf. http://www.echecalaguerre.org/index.php?id=49, qui oublie en passant la Résolution 1267 de 1999 établissant un lien direct entre le régime des Talibans et Al Qaïda et sanctionnant les deux entités et suggère que les Etats-Unis ne disposent d'aucune preuve contre Oussama Ben Laden, mais passons) et endossée par l'OTAN.
Cette intervention militaire, qui entraîne la chute rapide du régime talêb, conduit les factions afghanes à se réunir à Bonn en décembre 2001 sous les auspices de l'ONU. Celle-ci crée, le 20 décembre 2001, par la résolution 1386, l'International Security Assistance Force (ISAF, cf. http://www.nato.int/ISAF/topics/mandate/unscr/resolution_1386.pdf) qui ne se substitue pas à Enduring Freedom mais est censée la compléter en rétablissant un semblant d'ordre en Afghanistan (cf. http://www.nato.int/ISAF/docu/official_texts/index.html). Les troupes françaises, présentes dans le pays AVANT les attentats, puisque le commandant Massoud, assassiné le 9 septembre 2001, disposait d'un détachement de membres de la DGSE, ne participent pas aux premiers combats au sol mais interviennent dans les airs (raids) et sur mer (patrouilles en mer d'Arabie).
La décision de soutenir les Etats-Unis dès ce moment n'est nullement le fait du Président Sarkozy, alors réfugié à Neuilly, mais celle, CONJOINTE, du Président Chirac et du Premier ministre Jospin. A part quelques voix isolées à l'extrême-gauche et à l'extrême-droite et les habituels exaltés et autres nostalgiques, personne ne s'oppose à cette intervention...
2/ L'intervention occidentale est illégitime.
Tous les arguments des apprentis juristes au sujet de l'Afghanistan se heurtent à un écueil de taille : l'émirat talêb n'a jamais fait l'objet de la moindre reconnaissance internationale, et il n'est pas absurde de considérer ce régime comme le premier Etat voyou dénoncé par l'ONU. Seuls au sein de la communauté internationale, le Pakistan, les Emirats Arabes Unis et l'Arabie saoudite avaient en effet reconnu en 1996 la prise du pouvoir à Kaboul par les étudiants en religion, aussi bien pour des raisons stratégiques qu'idéologiques et religieuses. Dans ces conditions, l'intervention occidentale dans le pays est parfaitement légitime, puisqu'elle s'en prend à un régime illégal, qui plus est dénoncé pour ses innombrables exactions : exécutions publiques, soutien à Al Qaïda, destruction de trésors de l'humanité comme les Boudhas de Bamyan (avec la complicité amicale de l'armée pakistanaise, soit dit en passant).
Considérant donc que ce régime n'avait aucune existence légale et qu'il représentait une menace aussi bien pour sa population que pour de nombreux Etats, la Coalition engagée dans le pays, aux côtés des Etats-Unis dans Enduring Freedom comme au sein de l'ISAF, fait ce que les Européens n'ont pas su faire dans les années '30 contre le IIIe Reich naissant.
3/ Aucune menace ne provient d'Afghanistan
Les esprits purs qui dénoncent cette intervention affirment également qu'aucune menace terroriste ne provient d'Afghanistan. Je laisse de côté les théories conspirationnistes qui relèvent de la psychiatrie pour me concentrer sur quelques faits pour le moins troublants, mais sans doute ignorés, ou "oubliés", de nos stratèges en chambre.
- Dès 1997, la justice française diffuse une commission rogatoire internationale (CRI) consacrée aux "volontaires afghans", c'est-à-dire aux islamistes radicaux ayant reçu dans le pays un entraînement paramilitaire ET un endoctrinement jihadiste. Souvenons-nous que les enquêteurs de la DST ayant travaillé sur l'attentat de Port-Royal (3 décembre 1996 à Paris) ont remonté la trace de la lettre reçue à l'Elysée et exigeant la conversion du Président Chirac à l'islam. Et cette piste nous conduit tout droit aux camps pakistanais abritant les jihadistes arabes alliés aux Talibans. Faut-il y voir un complot ?
- En 1998, les services de renseignement français obtiennent de haute lutte de leurs homologues pakistanais les factures détaillées du téléphone utilisé par Abou Zoubeida, le responsable des filières de volontaires d'Al Qaïda. L'étude de ces listings permettra de découvrir 1/ que le réseau téléphonique des Talibans est entièrement pris en charge par l'Etat pakistanais 2/ surtout que les appels d'Abou Zoubeida concernent le gotha de l'islamisme radical mondial. Pas un terroriste un tant soit peu sérieux qui ne soit appelé par Abou Zoubeida. Et inversement, les perquisitions et arrestations effectuées en Europe, au Canada, au Moyen-Orient, en Afrique de l'Est ou en Asie du Sud-Est révèlent que le numéro de téléphone de notre ami est connu de tous les terroristes. "Il n'y a pas de menace en Afghanistan", comme l'aurait dit un colonel que j'ai bien connu ? Difficile d'expliquer alors pourquoi les jihadistes arrêtés alors qu'ils s'apprêtaient à attaquer l'ambassade américaine à Amman, la cathédrale de Strasbourg, ou les stades de la coupe du monde de football en France en 1998 gardaient le numéro d'Abou Zoubeida au fond de leur portefeuille. Sans doute pour parler du temps... Tous ces individus ont reçu dans les camps afghans un entraînement et un endoctrinement solides dispensés par de grands opérationnels d'Al Qaïda et par les idéologues du Londonistan. Alors, pas de menace ?
Mais il y a plus grave encore. Les "Afghans arabes", comme on les appelle dans les services, ont profondément déstabilisé l'Algérie ou l'Egypte dans les années '90 en y important leur volonté de mener le jihad mondial et d'y instaurer des régimes islamistes radicaux. Faut-il penser, comme François Burgat, que nous aurions dû laisser leur chance à ces expériences ? Ou faut-il, comme votre serviteur, considérer qu'il faut soutenir les Etats confrontés à une telle menace - mais en leur demandant des comptes, ce que la France ne fait jamais.
Les attentats du 11 septembre ont été planifiés en Afghanistan, quoi qu'en disent certains gourous pédophiles et ufologues ou des pacifistes qui tueraient pour leur auto-radio. Mais ils ne sont pas les seuls. Le projet de Richard Reid contre le vol American Airlines 63 du 22 décembre 2001, l'attentat contre la synagogue de la Ghriba le 11 avril 2002 à Djerba ou les attentats du 7 juillet 2005 à Londres ont été organisés depuis le sud de l'Afghanistan et les zones tribales pakistanaises.
4/ Les talibans ont été créés par la CIA.
Là, il faut reconnaître un point important et je vous invite à lire avec attention les lignes qui vont suivre. Non seulement les Talibans ont été créés par la CIA, mais des travaux récents indiquent même que le Prophète serait en réalité un agent de la CIA projeté dans le passé grâce aux machines extra-terrestres stockées dans la zone 51, au nord de Nellis AFB (Nevada). Une autre hypothèse indique que le Prophète serait un agent byzantin, mais la vidéo du 7e siècle promise par Thierry Meyssan n'est pas visible sur un lecteur DVD zone 2.
Soyons sérieux. S'il est exact - et nullement caché - que les Etats-Unis ont apporté leur soutien au projet ARS/EAU/Pakistan de financer la résistance afghane en jouant sur l'islam, il est tout autant avéré que les Etats-Unis, comme la France ou le Royaume-Uni qui étaient dans le coup, ont été abusés par ces trois Etats musulmans radicaux qui ont profité de l'argent occidental pour financer le développement de l'islam radical à leur profit, essentiellement contre l'influence iranienne. Mais justement, d'où provient cet islam radical ? La CIA a-t-elle créé la Confrérie des Frères Musulmans en 1928 en Egypte ? Ou alors l'école de pensée déobandie ? La CIA a-t-elle inspiré le grand juriste al Mawardi (10e siècle) qui écrit que le 6e devoir incombant à l'imam est la conduite du jihad, "contre ceux qui refusent d'embrasser la religion musulmane" et "afin de permettre à l'islam de l'emporter sur les autres religions" ?
Il faut donc revoir quelques fondamentaux et poser les choses avec froideur. Oui, la guerre en Afghanistan est une guerre impériale. Il s'agit pour l'Empire de porter le combat chez l'ennemi et donc de ne pas l'attendre sur nos fragiles remparts. Nous sommes là face à une classique stratégie romaine consistant à dépasser le limes pour soumettre des barbares sans conquérir leur territoire. C'est ce que l'Occident fait dans les Balkans depuis près de 20 ans, et pour encore 20 ans. En Afghanistan, il faut évidemment abandonner le projet idiot de vouloir imposer à des populations que nous ne comprenons pas nos modes de vie et de gouvernement, mais il faut par ailleurs poursuivre nos actions de combat. A ce sujet, les parlementaires britanniques ne s'y sont pas trompés, en critiquant vertement l'engagement de l'ISAF et l'absence totale de début de mise en oeuvre du projet officiel de "nation building". Paradoxalement, les opérations purement militaires d'Enduring Freedom pourraient bien être les plus productives, à la fois en éliminant des adversaires et en clarifiant la situation par une accélération de la crise régionale. N'oublions pas que la crise religieuse et ethnique qui secoue l'Afghanistan ET le Pakistan est un héritage direct de la partition de l'Empire britannique des Indes en 1947 et qu'elle couve, de façon plus ou moins spectaculaire, depuis cette date. Après tout, le Pakistan est avant un tout un Etat confessionnnel et il est naturel qu'il soit touché par la profonde crise que connaît l'islam.
Alors, oui, bien que cela soit d'une infinie tristesse, il faut continuer à se battre en Afghanistan, à y tuer des Talibans et des jihadistes tout en tentant, tant bien que mal, d'y appliquer les doctrines classiques de la contre-guérilla. Et il convient surtout de rendre hommage à nos soldats - et se rappeler, contrairement à ce que pensent certains internautes, que les combattants sont TOUJOURS jeunes. Mourir à 22 ans est évidemment une tragédie, mais je vois mal un retraité courir de rocher en rocher avec son Famas, et j'en connais même qui ne sauraient pas le faire à 30 ans...
J'ajoute pour finir qu'hier le Monde a également annoncé la mort au Pakistan de six chrétiens accusés d'avoir profané le Coran, mais les Français semblent trouver cela parfaitement normal. Sans doute une de ces aimables coutumes orientales que Kippling évoquait dans ses nouvelles...
De façon inquiétante et même alarmante, être un « ami d’Israël » est devenu, dans nos contrées rongées par la paix et la prospérité et gavées de bons sentiments, une insulte. Quand le prêt-à-penser se nourrit des pires théories, il faut craindre pour l’avenir.
Les défenseurs de la cause palestinienne, gagnés par le désespoir, rejoignent la cohorte des diffuseurs de haine, qu’ils soient partisans d’un islam radical construit sur la frustration, d’une idéologie marxiste dont l’échec a ensanglanté le XXe siècle ou des pires dérives des idéologies nationales nées de la Révolution française.
Mais être un ami d’Israël n’implique pas, sauf pour les esprits faibles, une adhésion totale et permanente à la politique de l’Etat hébreu. L’amitié et la loyauté n’ont de valeur que si elles autorisent la franchise, voire les désaccords. Cette exigence de rigueur intellectuelle et morale conduit ainsi à des débats houleux avec ceux que l’on soutient pourtant contre la barbarie.
Ce texte, que j’avais commencé à écrire il y a quelques semaines, a changé de nature à la suite d’une étrange expérience vécue il y a peu et que certains lecteurs reconnaîtront sans peine.
Plutôt que de me lancer dans la rédaction d’un long et insipide « post », je vais tenter d’énumérer dans le désordre les points de fixation d’un débat devenu stérile et pour tout dire assez déprimant tant les deux camps sont sourds.
1/ Quoi qu’en disent certains, la question israélo-palestinienne ne repose pas sur une hostilité intrinsèque de l’islam et le simple fait d’envisager cette hypothèse nous fait plonger dans les horreurs d’une guerre de religion. Il faut en revanche avoir une conscience aigue de la récupération de ce conflit par les islamistes, les nationalistes arabes et les jihadistes. Toute confusion entre islam et islamisme conduit en revanche à une analyse faussée de la crise, et donc à la mise en œuvre de solutions irréalistes, voire contre-productives. La vigilance salvatrice de la communauté juive et sa défense des valeurs de la République ne doivent pas – ou en tout cas ne devraient pas – la conduire à une lecture simpliste d’un phénomène qui dépasse largement le cadre de la Palestine. Le discours du Président Obama au Caire ne devrait pas être perçu par les responsables israéliens comme une menace mais plutôt comme le signe d’une possible détente.
Les habits neufs du panarabisme, désormais paré des atours de l’islam le plus radical, dissimulent mal l’ampleur des tensions entre le nord et le sud. Comme il y a 2000 ans, les laissés-pour-compte poussent aux portes de l’Empire et tentent de franchir le limes.
2/ Grisés par ce demi-siècle de paix, véritable anomalie historique, les Européens ne perçoivent pas la pression quotidienne que le terrorisme palestinien, forme dévoyée de la résistance, fait peser sur la population israélienne. Le silence, voire, pire encore, la complicité des médias européens et la lâcheté insigne des pouvoirs politiques, induisent en erreur la population. Laisser défiler des enfants déguisés en kamikazes du Hamas dans les rues de la République alors que le police interpelle à la sortie des écoles de jeunes garçons pour un menu larcin en dit long sur le trouble qui règne dans les esprits. Si résistance il y a, elle ne saurait prendre la forme de la terreur, et ceux qui comparent nos héros aux membres du Hamas ou du MJIP n’ont pas honte.
3/ Parlons justement de résistance. Le débat sur « qui était là avant » est à la fois absurde, puéril et d’une rare mauvaise foi. Arabes et juifs cohabitent depuis des siècles dans cette Palestine / Judée-Samarie, et toute référence à l’Ancien testament est déplacée. Si personne ne conteste la présence des Hébreux dans cette terre, il faut également incorporer dans le panorama une forte présence arabe. A partir de combien de siècles un peuple peut-il s’estimer chez lui ? N’y a-t-il pas un cynisme d’une rare violence à justifier en 1948 l’expulsion des Palestiniens vers la Jordanie, le Liban, et l’Egypte en considérant que ces Etats pouvaient/auraient dû les accueillir ? Même s’il n’y avait pas de réelle identité palestinienne – ce qui reste à démontrer – il y a là des dizaines de milliers de drames personnels qu’un Etats moderne ne devrait pas écarter de la main. Et je passe sous silence le concept historiquement discutable d’Eretz Israël, bien loin des réalités historiques antiques. Je renvoie ici à la lecture de 3 ouvrages majeurs sur ce sujet.
4/ Il faut pourtant défendre Israël. Seule démocratie de la région (on attend encore le jour où des commissions d’enquête internationales seront reçues en Syrie, où le Président tunisien sera mis en examen pour corruption et où certains princes saoudiens seront inculpés pour des crimes sexuels), cet Etat incarne l’espoir d’une communauté que l’Histoire a maltraitée jusqu’à en faire la victime d’un des plus grands crimes commis par l’humanité. Là aussi, cependant, il convient de casser un mythe colporté par les radicaux de tous bords : le projet de « foyer national juif » n’a pas attendu la Shoah pour être théorisé et mis en œuvre.
5/ Enfin, et dans une démarche huntingtonienne totalement assumée, ne faudrait-il pas considérer Israël comme une enclave occidentale au Moyen-Orient ? Malgré tous les défauts de sa diplomatie, le pays mérite d’être défendu car ceux qui l’attaquent ne s’en prennent pas seulement à la terre mais aussi à la société et aux valeurs du pays. Mais la politique de colonisation, illégale, répond à une logique purement stratégique (peupler le plus vite possible des terres afin d’aborder d’hypothétiques négociations en position de force) qui, bien que logique, renforce le monde arabo-musulman dans son radicalisme et incite à penser qu’Israël ne veut pas la paix mais une victoire sans partage. On est en droit de s’interroger sur la pertinence d’une telle posture…
Le garçon de vache le plus rapide de l’Ouest est ainsi qualifié par Joss Jamon, maire un brin corrompu d’une ville de la Frontière. Le motif : Lucky Luke fait feu à plusieurs reprises sur le criminel afin de rendre sa vie d’édile impossible, et un mandat d’arrêt est immédiatement délivré par la justice locale contre le « terroriste Lucky Luke ».
Heureusement, le FBI, surnommé par tous les auteurs de polars américains Foutoir Bordel Incompétence, n’avait pas encore été créé, et Luke s’en tire. Sinon…
Au milieu des dizaines d’ouvrages consacrés au terrorisme émergent parfois des livres de référence, documentés, argumentés, solides. Aux sources du terrorisme, d’Hélène L’Heuillet, appartient indiscutablement à cette catégorie et se place, à mes yeux, parmi les textes de référence sur le sujet.
Défendant une thèse que certains services français avaient énoncée dès 2005 mais qu’ils se refusaient à diffuser auprès des autorités politiques par frilosité ou absence de vision, cet ouvrage décrit de façon lumineuse, et avec infiniment plus de profondeur et de recul, le terrorisme contemporain comme une nouvelle étape de la guerre, une évolution majeure de la guérilla.
L’auteur analyse avec sérieux et une remarquable pertinence le concept de « petite guerre », et ouvre des pistes de réflexion que les responsables militaires, policiers et surtout politiques feraient mieux de méditer rapidement.
Evidemment, il est permis de lire avec plus de distance les derniers chapitres consacrés à une analyse du terrorisme contemporain associant psychanalyse et philosophie politique. Il est en effet sans doute trop tôt pour tenter de tirer des conclusions définitives d’un phénomène qui n’en est, hélas, qu’à ses débuts, mais la démarche mérite d’être saluée et tranche avec les compilations plus ou moins habiles, les radotages de vieilles gloires ou les synthèses sournoisement engagées dont nous abreuvent les éditeurs.
Le seul véritable bémol est lié à certaines références, pour le moins maladroites. On pourra ainsi reprocher à l’auteur de citer le site de Thierry Meyssan, « Voltaire.org », ramassis de rumeurs et de théories conspirationnistes nauséabondes, mais il sera beaucoup pardonné à un auteur capable de se hisser au niveau des meilleurs théoriciens anglo-saxons. Il manque hélas une réflexion plus opérationnelle, mais celle-ci finira bien par être publiée un jour…
Un livre chaudement recommandé donc, à l’écriture exigeante et talentueuse, mais qu’on ne peut que difficilement le conseiller à un néophyte. Dans tous les cas, un futur classique, dont aimerait qu’il fasse date rapidement.
La multiplication des publications sur le terrorisme n’est pas le moindre des maux engendrés par le terrorisme islamiste. J’ai récemment eu entre les mains un ouvrage consacré au contre-terrorisme par un certain Roger Tebib, auteur prolifique d’une vingtaine d’ouvrages consacrés de près ou de loin aux questions de défense.
En 2001, notre ami, dont le CV en ferait pâlir plus d’un, publie grâce à une maison d’éditions confidentielle (L’AEncre), un petit livre au titre prometteur « Le renseignement dans la lutte contre le terrorisme. Des violences urbaines à la guerre masquée ». Un tel titre ne peut que faire frissonner d’impatience, et on s’attend à lire de fortes réflexions sur la guérilla urbaine, la Bataille d’Alger, la lutte contre le Viet-Cong, etc.
Pas du tout. En réalité, cet ouvrage n’a ni queue ni tête, s’attarde sur le narcotrafic et la prostitution, aligne les textes réglementaires, évoque à peine les groupes terroristes égyptiens ou algériens, et tente même une modélisation des liens entre terrorisme et renseignement. On croît rêver devant tant d’amateurisme et de certitudes, pour la plupart anciennes (jusqu’à une instruction de 1944 !).
Le coeur de sujet n’est jamais abordé, malgré des références bibliographiques étrangement pertinentes. De l’importance de la relecture critique pour un auteur, même s’il est titulaire de 3 doctorats, qu’il est ancien auditeur de l’IHEDN, etc.
Depuis le 11 septembre et la génération spontanée d’experts autoproclamés du terrorisme, on entend, on voit et on lit beaucoup de bêtises sur le terrorisme et les Etats-Unis. Certains, plus attentifs à leur notoriété qu’à la rigueur intellectuelle, ont même affirmé que les attentats d’Al Qaïda avaient été facilités par l’impréparation des autorités américaines.
Si on ne peut en effet nier les erreurs des services de sécurité, à commencer par l’inconséquence du FBI, il faut se garder des affirmations hâtives tout juste bonnes à impressionner lors des dîners. Les esprits les plus curieux et les plus rigoureux se reporteront au rapport officiel sur les attentats, disponible à l’adresse suivante : http://www.9-11commission.gov/report/911Report.pdf.
En réalité, les Etats-Unis, comme la plupart des Etats occidentaux, sont confrontés au terrorisme depuis la fin du 19e siècle. Ce phénomène, provoqué aussi bien par les mouvements anarchistes que par les groupes souverainistes blancs, a conduit les autorités fédérales à confier au FBI des missions qui relèveraient de nos jours de la lutte contre le terrorisme mais qui ont longtemps été incluses dans la « contre-subversion ». Les années 60 ont été de ce point de vue une terrible expérience pour les Etats-Unis, en proie à d’importantes tensions internes en raison de la lutte pour les droits civiques et de l’opposition croissante à la guerre du Viet-Nam.
Dans son livre Les Américains et la guerre du Viet-Nam, Jacques Portes rappelle qu’en 1968 un attentat était commis chaque semaine contre des symboles de l’Etat (commissariats, casernes, centres de recrutement, etc.). Costa-Gavras a lui aussi traité du terrorisme d’extrême-droite aux Etats-Unis dans La main droite du diable (1988).
Comme le note de son côté Jean-François Daguzan dans son essai Terrorisme(s), abrégé d’une violence qui dure, la France a dans les 60 et 70 été touchée par un terrorisme rural d’inspiration marxiste, libertaire ou populiste. Par ailleurs, notre pays, comme d’autres, a subi le passage au terrorisme des mouvements de résistance palestiniens. Enfin, à la différence des Etats-Unis, les pays européens ont eu à gérer les groupes d’inspiration marxistes, soutenus par l’URSS et ses alliés, au cours des années 70 et 80 : RAF en Allemagne, Brigades Rouges italiennes, Action Directe, etc.
L’Europe et les Etats-Unis ont donc développé, de chaque côté de l’Atlantique, leur propre perception du terrorisme et de ses acteurs. Dans les années 80 et 90, les terroristes d’Hollywood étaient le plus souvent des Arabes sans religion précise et sans nationalité particulière. Cette vision simpliste a nourri des navets comme la série des Delta Force, avec Chuck Norris (ne riez pas), ou le Top Gun des forces spéciales, Navy Seals, avec Charlie Sheen. Ces films, d’une médiocrité consternante, ont été tournés alors que par ailleurs les grands studios remettaient au goût du jour la figure fantasmée du terroriste free lance, mû par l’appât du gain. Piège de cristal et Une journée en enfer, de John McTiernan, avec Bruce Willis, ou Le chacal, avec le même, ont illustré cette tendance. The Rock, de Michael Bay, a même mis en scène un général des forces spéciales entrant en rebellion pour d’obscures raisons… Dans True lies, remake lourdinge de La Totale de Claude Zidi, l’actuel gouverneur de Californie poursuivait des terroristes moyen-orientaux avec la finesse qui le caractérise.
Heureusement, au milieu des délires, fantasmes et approximations, certains auteurs gardent la tête froide et nous livrent des ouvrages indispensables. La mort sera votre Dieu, d’Ana Geifman, constitue ainsi une étude passionnante sur les anarchistes russes, leurs méthodes et leur rhétorique. Nous y reviendrons prochainement.
Et Dennis Lehane dans tout ça ? Auteur de polars d’une grande qualité littéraire, déjà adapté deux fois au cinéma – par Clint Eastwood et Ben Affleck – et bientôt par Martin Scorsese, il s’est lancé avec Un pays à l’aube dans un récit au réalisme saisissant, rappelant certains romans de James Ellroy ou George Pelecanos.
Fresque d’une lucidité impitoyable, Un pays à l’aube décrit la violence des luttes sociales aux Etats-Unis après la Première Guerre Mondiale et met en scène, entre autres, un policier impliqué dans la traque de cellules terroristes anarchistes. On y voit par ailleurs l’emergence d’un certain John Edgar Hoover. Mais, ce qui nous intéresse ici, c’est le récit de l’offensive terroriste contre les Etats-Unis, avec des modes opératoires directement importés d’Europe. Tout y est, et l’auteur porte un regard froid sur ses personnages, un peu comme un Zola qui écrirait des polars (je sais, c’est un peu exagéré).
Ce récit, ambitieux mais maîtrisé, constitue une remarquable leçon d’histoire et mérite que les lecteurs français s’y attardent s’ils veulent comprendre les Etats-Unis, leur système politique et social, et leur obsession de la subversion. Mais, il vous faudra apprendre les règles du base-ball…