On nous prie d’annoncer le décès d’Atiyah Abdelrahman, citoyen libyen, adjoint du bon docteur Ayman Al Zawahiry et idéologue du jihad.
– Jihadiste, faut reconnaître, c’est pas une sinécure, doit-on encore entendre dans les salons de thé de Peshawar.
Et il doit bien se trouver un type au front un peu bas pour répondre d’un air entendu :
– Ouais, c’est pas faux.
Atiyah Abdelrahman était pourtant une personnalité attachante. Vous trouverez sans peine sur YouTube quelques réjouissantes vidéos dans lesquelles ce cher disparu vante les mérites de la guerre sainte, les avantages de la lapidation ou l’impérieuse nécessité de tuer des juifs et des croisés. Il faut dire que notre homme était une pointure, une véritable légende du jihad – pensez donc, il savait lire et écrire – à la vie déjà aventureuse.
Membre du Groupe islamique combattant libyen (GICL), il était réputé avoir une connaissance précieuse de la mouvance islamiste radicale maghrébine et avait même effectué un séjour plutôt mouvementé au sein du GIA au début des années ’90, une expérience semble-t-il assez cuisante.
Homme de confiance, il avait aussi joué un rôle central dans le rapprochement entre Abou Moussab Al Zarqawi, le boucher de Bagdad, et les esprits raffinés d’Al Qaïda réfugiés au Pakistan (cris de la foule : « Au Pakistan ? Honteuse calomnie sioniste ! »). Il aurait même eu le courage de retourner en Algérie au début des années 2000 afin d’y convaincre les chefs du GSPC de se rallier au fier étendard d’Oussama Ben Laden. Bref, une épée. Et, mais vous l’aviez noté, Atiyah Abdelrahman est mort alors que des inquiétudes, déjà anciennes, ressurgissent au sujet du poids des jihadistes au sein de la rebellion libyenne. Même le roi Abdallah d’Arabie saoudite, qui s’y connaît, a récemment affirmé que des membres d’Al Qaïda s’étaient glissés parmi les insurgés (notre jeu de l’été : saurez-vous les retrouver ?)
Seulement voilà, il se trouve que l’Empire veille au grain et entend frapper sans relâche les cadres d’Al Qaïda. Assassinat ciblés ? Si vous voulez.
Dix ans près les ricanements d’observateurs qui pensent qu’on recrute des sources avec de petits bouts de bois qui frémissent, ou qui imaginent qu’il y a de l’espace pour une négociation avec des jihadistes enragés, les services impériaux maîtrisent admirablement un processus opérationnel qui leur permet d’éliminer régulièrement des responsables taliban ou jihadistes à l’aide de drones, vous savez, ces petits avions armés et sans pilote dont la France ne dispose toujours pas – une preuve supplémentaire de leur grande pertinence.
Ce qu’il y a d’assez troublant dans cette campagne d’éliminations, à mon sens, c’est que l’Empire semblerait commencer à croire que la victoire est au bout du Hellfire (AGM-114 pour les maniaques qui me lisent, et je sais que vous êtes là).
De fait, viendra bien un moment où le bon docteur Ayman ouvrira une lettre piégée (« Ne l’ouvrez pas ! » serait le conseil de Farès) et où plusieurs de ses aimables subordonnés auront de regrettables accidents de voiture. Il faut dire que les routes ne sont pas sûres au Pakistan ou au Yémen. Mais ces quelques décès d’hommes pieux suffiront-ils à éteindre l’incendie ?
Au nord du Nigeria, les sympathiques agités de Boko Haram ont déjà une réponse. Comme leurs amis des Shebab de Somalie, d’ailleurs. Ou les garnements du sud de la Thaïlande. Enfin, on ne va pas se plaindre en plus, non ? La guerre est déjà longue, mais elle n’est pas finie.
Pour ma part, je suis sensible au geste de mes amis de Langley qui ont choisi de « retirer » d’Atiyah Abdelrahman un 22 août, jour anniversaire de la mort de mon père, un homme dont la main n’aurait pas tremblé. Merci, les gars.



