« I’m stupidly happy/Everything’s fine/I’m stupidly happy/My heart pumping wine » (« Stupidly Happy », XTC)

Après avoir observé pendant quelques jours un silence prudent, les autorités britanniques ont indiqué le 4 novembre qu’elles estimaient que le crash de l’Airbus de Metrojet dans le Sinaï, le 31 octobre dernier, pourrait bien avoir été provoqué par un engin explosif placé à bord de l’appareil. Cette déclaration, manifestement mûrement réfléchie (nous parlons de l’association Foreign Office – JTAC – MI6, cf. ici, des gens assez différents des éditorialistes du Point) a rapidement été suivie d’effet, et le Royaume-Uni a donc, dans la foulée, annoncé que les vols commerciaux britanniques à destination de Sharm El Sheikh étaient suspendus. Admettons que c’est logique : si vous estimez que l’avion perdu a été détruit par une bombe, vous vous demandez où et quand elle a été embarquée. Et une fois que vous le savez (ou que vous pensez le savoir), vous estimez plus sûr de plus y poser vos propres appareils, le temps que les responsables locaux mettent un peu d’ordre dans tout ça – on peut toujours rêver.

Il faut s’arrêter ici sur un point très important. Jamais jamais jamais les Britanniques n’ont affirmé détenir la moindre preuve directe à l’appui de cette hypothèse (et d’ailleurs, avec de telles preuves, il ne s’agirait plus d’une hypothèse mais bien d’un fait avéré). Alors que d’autres, de façon assez surprenante, suspendaient dans l’urgence le survol de Sinaï, il a été décidé à Londres réfléchir un peu avant (il paraît que ça se fait). Pour parvenir à cette conclusion, les responsables britanniques ont suivi un processus analytique simple – même s’il semble encore trop complexe pour certains :

Contexte sécuritaire : menace terroriste, ou pas ? Plutôt, oui.

Communiqué de revendication : crédible, ou pas ? Plutôt, oui.

Volonté de l’EI de frapper 1/le tourisme égyptien 2/la Russie : Plutôt, oui.

Capacités de l’EI de réaliser un attentat aérien ? Aucune raison d’en douter.

Cause mécanique/non criminelle : possible, ou pas ? Plutôt, Oui.

Cause criminelle : possible ou pas ? Plutôt, oui. (Je précise ici, par honnêteté, que j’ai cessé de suivre sur Twitter et d’accorder la moindre attention à tous ceux qui, samedi, alors que l’Airbus, qui, lorsqu’il s’est disloqué, était à 30.000 pieds, ont osé évoquer la thèse d’un MANPADS. Quant à ceux qui ont écarté la piste criminelle à cause du fait qu’aucun MANPADS n’atteignait cette altitude… Bref, #jemecomprends)

On ne s’étonnera pas que l’analyse objective de la situation soit venue d’un pays qui a donné au monde Sir Arthur Conan Doyle, créateur – entre autres héros – de Sherlock Holmes, incarnation de l’enquêteur/analyste parfait : « Et bâtir une théorie avant d’avoir des données est une erreur monumentale : insensiblement on se met à torturer les faits pour qu’ils collent avec la théorie, alors ce sont les théories qui doivent coller avec les faits. » (in Un scandale en Bohême, 1891)

Que la thèse de l’accident ait été crédible (et qu’il ne faille toujours pas l’écarter), évidemment, et il était même indispensable, non seulement de ne pas la négliger mais même de la juger prioritaire dans les premières heures. Que les tenants de cette thèse aient tenu à écarter les autres, alors même qu’ils révélaient leur méconnaissance du sujet, reste un sujet d’interrogation. Les partisans de la thèse de l’attentat, dont je suis, n’ont, pour leur part, jamais écarté la piste accidentelle, pour la simple raison qu’ils se contentaient de compiler les fais qui émergeaient pour les assembler et leur donner un sens.

Pourquoi, en effet, rejeter d’emblée  la piste jihadiste ? Par sidération, peur de la réalité de la menace, confort intellectuel – de celui qui donne naissance, justement, aux catastrophes ? Mystère. Le fait est que la décision britannique, du moins officiellement, ne repose sur aucun fait documenté. Tel n’est pas le cas de la position américaine, hélas pour certains. Après, en effet, avoir écarté la thèse du MANPADS (soupir), les responsables américains ont indiqué le 4 novembre, dans un savoureux mélange de on et de off auprès des médias, qu’ils penchaient de plus en plus pour la piste terroriste et, surtout, qu’ils disposaient d’éléments – dont des interceptions de communication – plus que suspects. Je précise ici, pour les complotistes et les autres, que le renseignement technique, comme la vidéosurveillance, ne sert pas tant à prévoir les faits (et donc à les anticiper voire à empêcher qu’ils se produisent) qu’à les expliquer une fois qu’ils ont eu lieu. Il était donc très certainement impossible pour les grands services occidentaux de détecter les préparatifs de l’attentat – si attentat il y a eu. Et si attentat il y a eu, il me semble que les premiers à blâmer ne sont pas les services américains ou israéliens ou russes mais bien les services égyptiens. Et s’il s’agit d’une catastrophe causée par un problème mécanique, il faudra, une fois de plus, s’interroger sur l’état des flottes de certaines compagnies. On finira bien par savoir.

Que des responsables américains commencent à suggérer qu’ils avaient peut-être plus que des doutes au sujet du crash de l’Airbus n’est évidemment pas déterminant, mais c’est important. Que l’EI ait de nouveau revendiqué (audio, puis vidéo) l’attentat en affirmant qu’il avait commis pour célébrer l’anniversaire de l’allégeance d’Ansar Bayt Al Maqdis au calife, et qu’il choisirait de révéler le mode opératoire de l’attentat en temps et en heure peut être compris comme une forme de confirmation. Le groupe, en effet, joue gros sur cette affaire et ne pourra pas tenir longtemps ce silence mystérieux. Al Baghdadi, après tout, n’est publié ni au Seuil ni aux Editions du Caillou, on me dit que c’est un garçon sérieux et sa crédibilité, comme l’enseignait Carlos Marighella, repose sur les actions qu’il réalise effectivement.

Des éléments techniques ont, par ailleurs, commencé à émerger hier. Un satellite américain aurait ainsi détecté un flash de chaleur dans le Sinaï au moment de la catastrophe – ce qui pourrait mettre à mal la théorie d’une dislocation en vol en raison d’une rupture de l’ensemble queue/dérive. De même, on a appris qu’un nombre conséquent de corps portaient des « brûlures et des traces de blast », ce qui va évidemment dans le sens d’une explosion en vol, prélude à la séquence dislocation/crash dans le désert.

Face à ces doutes grandissants, les autorités égyptiennes, fidèles à la ligne qui les rend si attachantes, ont commencé à vociférer avec force. Respectant l’exigence démocratique qui nourrit à son action depuis le putsch du mois de juillet 2013, le président Al Sissi n’a pas eu de mots assez durs pour ceux qui osaient accorder du crédit à la thèse de l’attentat et, plus grave, à la revendication de l’EI. La Wilaya du Sinaï, après tout, est censée être vaincue et la Péninsule sous contrôle. A ce propos, demandez donc aux touristes mexicains leur appréciation de la stratégie anti terroriste égyptienne, ça vous éclairera La Russie, plus prudente, laisse sa presse s’en prendre aux déclarations britanniques. Là aussi, personne n’a envie d’entendre de mauvaises nouvelles.

La divulgation, finalement assez tardive, par Londres et Washington – alors qu’à Paris on n’en pense pas moins mais qu’on se souvient que le client, surtout s’il est bon, a toujours raison et qu’on garde donc un silence poli – constitue un autre indice intéressant. Il n’y a pas de raison que les services américains ou britanniques soient plus mauvais que les autres (ni meilleurs, d’ailleurs), et sans doute ont-ils forgé leur opinion assez vite. Les propos tenus à Londres hier rompent ainsi avec les usages diplomatiques : on ne formule pas, ordinairement, d’hypothèse contraire à la thèse officielle, surtout quand le pays dont il est question est un Etat important, précieux, et que son président, l’ancien maréchal Al Sissi, s’apprête à débuter une visite officielle chez vous. Londres, puis Washington, ont donc peut-être bien forcé la main du Caire, ou, en tout cas, choisi de se prononcer alors qu’en Egypte la gêne est palpable et qu’aucune (rpt : aucune) thèse contraire n’est avancée. Là-bas aussi réfléchir c’est désobéir.

On pourrait arguer que les Américains et les Britanniques ont fait là une mauvaise manière aux Egyptiens, mais ces derniers, même si on comprend bien qu’ils ne veulent ni ruiner leur tourisme, à peine convalescent, ni admettre l’échec complet de leur politique sécuritaire, ne se rendent pas service. Un Etat solide ne devrait pas avoir de difficulté à admettre ses difficultés, et faire taire, de façon presque hystérique, les voix discordantes, n’est jamais bon signe. De plus, le silence obstiné du Caire empêche de réévaluer comme il le faudrait les mesures de sécurité dans les aéroports. On peut toujours glisser la poussière sous le tapis, mais là, on parle quand même de 224 personnes, toutes civiles, mortes, assassinées, et d’un Airbus éparpillé dans le désert. L’affaire mériterait un traitement plus adulte.

J’ajoute, car c’est évidemment d’une grande importance, que les déclarations entendues hier et ce matin ont été le fait de plusieurs administrations et de responsables politiques. Ils n’ont, eux encore moins que d’autres, aucun intérêt à s’exposer publiquement et à engager publiquement la parole de l’Etat sans être sûrs de leur coup. On peut alors penser que la divulgation de ce qui est poliment présenté comme (gros gros) doute constitue, non pas une confirmation – puisque nous ne possédons pas leurs éléments – mais un nouveau signal, très fort, à prendre en compte. A contrario, l’attitude égyptienne est de plus en plus troublante, et il faudrait se souvenir, au Caire, que le silence, quoi que disent les avocats, est parfois un aveu. A ce propos, tant que j’y pense, vous êtes tous certains d’avoir effacé vos statuts Facebook et vos tweets ? Sinon, n’hésitez pas, hein, nous on les a gardés.

« Tell me all about man/Tell me so I can understand/Tell me somebody all about wars/Please try and tell me just how much more » (« Tell me », Terry Kath)

Un Airbus A321 de la compagnie russe Metrojet s’est donc écrasé, le 31 octobre en début de matinée, dans le centre du Sinaï, et aucun des 224 passagers et membres d’équipage n’a survécu à la catastrophe. Après quelques dizaines de minutes d’une confusion finalement bien compréhensible, et alors que certains voyaient déjà le malheureux avion s’approcher de Chypre, les autorités égyptiennes ont confirmé la réalité de la tragédie tandis que des moyens se déployaient afin de sécuriser les débris et récupérer les dépouilles des victimes, toutes, évidemment, civiles.

Pour un obsessionnel tel que moi, la disparition d’un avion de ligne au-dessus du Sinaï ne pouvait que susciter des doutes, mais la rigueur que mes maîtres m’ont péniblement enseignée m’empêchait d’avoir, justement, autre chose que des doutes, ou un vague pressentiment. Il existe quantité de raisons purement techniques et mécaniques capables d’expliquer la destruction d’un Airbus, et ça aurait été aller bien vite en besogne, alors que l’épave n’avait pas encore été retrouvée, que d’affirmer qu’un acte de malveillance était à l’origine de la tragédie. Il reste que la situation sécuritaire en Egypte, et en particulier dans le Sinaï, même au sud, incitait à conserver encore un peu l’hypothèse d’un attentat. Après tout, et malgré l’apparente amnésie de quelques uns, la destruction criminelle d’avions civils en vol n’a rien d’une nouveauté, et il existe plusieurs conventions des Nations unies consacrées au terrorisme aérien, celle de 1971 (ici) traitant précisément de l’usage d’explosifs à bord. Je sais bien qu’on ne peut pas demander plus aux frères Volfoni qu’aux fils de Charlemagne, mais la connaissance des faits marquants d’un domaine que l’on prétend traiter ne devrait pas être superflue. L’attentat de Lockerbie, c’était en 1988. La destruction du DC-10 d’UTA, en 1989. Et le vol 182 d’Air India, en 1985.

Dans l’après-midi du 31 octobre, alors qu’on s’apprêtait à déguster la finale de la Coupe du monde de rugby, un communiqué de la Wilaya du Sinaï de l’Etat islamique (EI), diffusé en plusieurs langues – dont le français – par les canaux habituels, est venu plomber l’ambiance. Affirmant que le groupe avait « provoqué le crash » de l’appareil, le communiqué, qui par ailleurs n’apportait aucun élément de preuve, indiquait que la catastrophe était une réponse à la « présence » russe en terre musulmane (comprendre, sans le moindre doute, la Syrie). Forcément, ça changeait tout – et venait conforter les doutes que nous avions été quelques uns à exprimer.

Revendication en français

Le communiqué de l’EI ne prouvait donc rien, mais il était d’autant plus troublant 1/qu’il venait confirmer la menace croissante contre la Russie et ses intérêts à la suite de son intervention tonitruante en Syrie 2/qu’il était émis par un groupe qui jamais auparavant ne s’était attribué (et non, pas même lors de l’attentat du Bardo) un attentat auquel il n’avait pas, au minimum, participé 3/que l’EI, dont la stratégie en terme de communication est, hélas pour nous, d’un grand professionnalisme, n’avait aucun intérêt à se décrédibiliser en revendiquant une catastrophe aérienne qui n’aurait été due qu’à un tragique problème technique – comme, par exemple, les dégâts mal réparés d’un accident ancien.

Face à la perte de cet avion et au communiqué, crédible, de l’EI s’en attribuant la responsabilité, le plus sage aurait été de reprendre les quelques faits connus, d’étudier le contexte et d’attendre que tout cela se décante. Mais, pour des raisons qui restent mystérieuses, et alors qu’aucun élément objectif ne permettait ni de rejeter le texte de l’EI ni de le prendre pour argent comptant, certains décidèrent de le tenir pour nul et non avenu. La démarche aurait pu être intellectuellement stimulante si elle s’était appuyée sur un raisonnement construit, mais ce ne fut hélas pas le cas. Deux arguments principaux furent alors avancés : 1/l’EI n’avait pas de missile capable de frapper à cette altitude – ce qui tombait bien, puisque, justement, un missile n’était très certainement pas en cause 2/ ça n’était jamais arrivé.

Je dois avouer que ce dernier argument m’a proprement sidéré. On savait déjà qu’un fait ne doit pas se produire car cela serait trop horrible – oh non mon Dieu, pas ça. On sait désormais qu’un fait ne peut pas s’être produit car ce serait trop horrible – oh non mon Dieu, pas ça. De même que les Ardennes sont infranchissables, que les Anglais n’auront pas d’archers à Azincourt et que les Japonais ne maîtrisent évidemment pas la guerre aéronavale, voilà que l’EI ne saurait avoir détruit un avion en vol puisqu’il ne l’a jamais fait avant. Ben oui, faut admettre, c’est logique, et avec une telle logique, selon la formule bien connue, personne n’aurait jamais mangé d’oursin. Si l’on pousse ce raisonnement à ses extrémités, rapidement atteintes, il va de soi que l’EI jamais n’aurait tiré un missile contre un bâtiment des gardes-côtes égyptiens au mois de juillet dernier, n’aurait jamais isolé pendant quelques heures la ville de Sheikh Zuweid au mois de juin dernier à la suite d’une spectaculaire offensive terrestre, ou n’aurait abattu d’hélicoptère militaire dans le Sinaï en 2013. Ben non, puisqu’il ne l’avait jamais fait auparavant.

Alors que, selon un réflexe orwellien typique de la merveilleuse démocratie égyptienne, le président Al Sissi a affirmé aujourd’hui que relayer la thèse de l’attentat relevait de la propagande pro-jihadiste (une attachante façon de considérer, et la diffusion de l’information et la maturité politique de ses concitoyens), il faut admettre que les soupçons se font de plus en plus pressants. A Paris, dans des milieux où, selon le mot de Coluche, on s’autorise à penser, la piste terroriste est prise avec le plus grand sérieux. Reste que, en l’absence de tout fait supplémentaire, on n’est pas beaucoup plus avancé que samedi soir. L’EI, en tardant confirmer son implication, prend le risque de perdre de sa crédibilité, ce qui n’est pas son genre, et il est donc permis de penser, si on retient la thèse d’un acte terrorisme – qui plus est relativement complexe à réaliser – que sa stratégie de communication a prévu autre chose.

On pense alors à ce que réalisa le 29 octobre 2010 (amusante coïncidence) Al Qaïda dans la Péninsule arabique (AQPA), la franchise bien connue d’AQ au Yémen. Bien que son projet d’attentat aérien ait été déjoué (l’affaire est plus complexe que ça, mais passons), le groupe le détailla quelques semaines plus tard dans un numéro devenu mythique d’Inspire. Cette revendication, apaisée, permit d’exposer les buts et le mode opératoire de l’opération. Rien ne permet, à ce stade, d’exclure une telle pratique de la part de l’EI, qui ne néglige pas dans Dabiq de recourir à l’autocélébration mêlée d’ironie à l’encontre de ses ennemis – toujours plus nombreux.

Inspire

Si la catastrophe du 31 octobre n’a pas de cause criminelle, il faudra la classer parmi les nombreuses tragédies qui, depuis des décennies, endeuillent le transport aérien. S’il s’agit bien d’un attentat aérien, il s’agira du premier du genre jamais réalisé par l’EI, et du premier réussi par un groupe jihadiste depuis des années – et il s’agira donc aussi, en creux, d’un échec pour Al Qaïda. La Russie pourra sans doute y voir la première riposte de taille de l’EI à son intervention en Syrie, et on pourra alors se souvenir que le pays a déjà connu des attaques d’importance depuis une vingtaine d’années de la part des islamistes radicaux du Caucase, mais toujours sur son sol. C’est, en réalité, pour l’Egypte que le choc sera le plus rude. Après des mois d’opérations de plus en plus importantes, et des bilans de plus en plus exagérés, l’armée – au pouvoir, quoi qu’on dise – se verra confrontée à l’échec de sa stratégie, bien sûr dans le Sinaï mais aussi dans le reste du pays, alors qu’un attentat a été évité de justesse devant un hôtel du Caire il y a quelques jours.

Presque quatre jours après la chute de cet Airbus et la mort de 224 personnes, aucune certitude n’est donc apparue. Je reste, pour ma part convaincu qu’il s’agit d’un attentat et que la revendication de la Wilaya du Sinaï n’a rien de fantaisiste. Je reconnais cependant volontiers que ce sentiment ne repose que sur des éléments de contexte et aucune preuve directe, pour reprendre l’attachante expression des services de renseignement américains. Ceux qui doutent de la crédibilité de cette revendication ont pour leur part quelques arguments intéressants à articuler, mais qu’ils nous épargnent, de grâce, les enchaînements douteux de certitudes sans fondement. Ce n’est pas parce que des faits ne se sont jamais produits qu’ils ne se produiront jamais, et c’est pour cette raison que la langue française possède le mot « inédit ». Qu’ils soient bien conscients, également, qu’avoir raison à la fin d’un mauvais raisonnement n’a rien de bien convainquant. Et, pour tout dire, si on pouvait démontrer que l’EI n’a pas assassiné 224 civils après avoir tiré profit des failles de la sécurité aéroportuaire égyptienne, j’en serais le premier soulagé.

« Trying to make some sense of it all/But I can see it makes no sense at all » (« Stuck In The Middle With You », Stealers Wheel)

Personne ne devrait contester le fait qu’il faille, systématiquement, affronter ceux qui pratiquent le terrorisme contre nous. Personne ne devrait non plus contester le fait qu’il faille parfois les affronter par la force armée, lorsque les groupes qui nous menacent se déploient sur des théâtres lointains, qu’ils sont manifestement inaccessibles aux menées de la justice et qu’ils rompent des équilibres stratégiques.

Pour autant, et si on évite de se laisser séduire par les cris de guerre des Guy de Lusignan du pauvres, avides de combats mais incapables d’exposer une stratégie, il est permis de s’interroger sur les buts de guerre de la République. Il n’y a, après tout, pas de honte à s’interroger sur les voies que nous empruntons contre le jihad, car on peut tous vouloir la victoire sans s’accorder sur les batailles qui nous y mèneront – si elles nous y mènent un jour.

De fait, et alors qu’il est manifeste que la France va s’engager en Syrie contre l’EI après avoir, il y a deux ans, voulu s’engager contre le régime que ce même EI combat, quelques questions méritent d’être posées. Commençons par celles-là : si nous intervenons demain contre l’EI en Syrie pour réduire la menace terroriste qui pèse sur notre territoire, à quoi ont donc servi les opérations lancées contre ce groupe il y a un an en Irak ? Doit-on penser que cette évolution a été dictée par les événements de cette année, pas encore achevée mais déjà mémorable ? Doit-on, alors, en conclure, que notre stratégie initiale n’était pas pertinente, voire qu’elle reposait sur une compréhension partielle de la réalité ? Ou faut-il en conclure que nos opérations en Irak ne relevaient pas de la lutte contre le terrorisme mais bien d’un combat mené contre une force politique régionale porteuse de déstabilisation et de dangers – et que nous avons su en profiter habilement pour nous imposer auprès des Etats-Unis ?

Evidemment, si nos actions en Irak n’avaient jusque là, en réalité, que peu à voir avec la défense du territoire national, il va falloir rependre les déclarations de nos gouvernants faites après les attentats du mois de janvier, et constater qu’on a vendu à nos concitoyens une belle histoire. Expliquer que nous affrontions alors l’EI pour des motifs stratégiques sans lien direct avec la sécurité de nos rues est donc si difficile ? Quelle différence y a-t-il, à cet égard, avec l’intervention au Mali ? Faudrait-il ne combattre les jihadistes que s’ils nous menacent directement sur notre sol ? La question n’est pas anodine.

Toujours est-il que l’heure est grave et que, invoquant l’article 51 de la Charte des Nations unies, la France s’apprête à frapper l’EI en Syrie en raison des menaces que le groupe fait peser sur nous. La France n’a pourtant pas été aussi ambitieuse, cet hiver, alors qu’Al Qaïda dans la Péninsule arabique (AQPA) revendiquait fièrement, depuis le Yémen, sa responsabilité dans les attentats de Paris. Il faut dire que dans ce beau pays la pression la plus intense contre les jihadistes est exercée par les Etats-Unis. A l’aide de drones, de missiles de croisière ou de chasseurs, les Américains y réalisent depuis des années des frappes aériennes dont le but est, non pas de détruire AQPA, mais de casser son ossature opérationnelle et ses centres de conception. Cette stratégie, qui ne crée pas de miracles, a le mérite – d’un strict point de vue opérationnel – de peser très lourdement sur les capacités de projection du groupe. Evidemment, le coût politique est une autre affaire…

On peut déjà commencer à tirer des enseignements de la vaste campagne (Pakistan, Afghanistan, Yémen, Irak, Syrie, Somalie, Libye) de frappes ciblées conduite par Washington. Pour qu’elle génère des résultats (militaires, sécuritaires, et donc politiques), une telle stratégie doit reposer sur des moyens solides, puissants, dont les cibles sont fournis par des renseignements exploités très rapidement. Au Sahel, dans un environnement pauvre en objectifs, et le plus souvent hors de toute zone habitée, l’armée française expérimente avec succès, depuis des mois, cette méthode d’élimination de chefs ennemis. En Syrie, en revanche, l’affaire ne va pas être aussi simple.

Ça n’est pas faire preuve de défaitisme, et cela ne relève pas de la trahison, que de noter que nos moyens sont de plus en plus contraints. Comme c’est implacablement rappelé ici, notre participation aux opérations de la coalition contre l’EI est d’abord politique (vis-à-vis de nos alliés comme de nos concitoyens) et il ne faudrait pas que nos dirigeants, grisés par tant de succès (#OhWait), en viennent à croire que nous avons les moyens de mener, seuls, une campagne de frappes ciblées en Syrie contre les responsables de l’EI qui nous visent. Nous sommes sans doute capables d’obtenir quelques résultats, mais il nous sera impossible de les obtenir seuls, et, surtout, qui peut croire qu’ils contribueront à réduire la menace terroriste en France ?

Pour que cela soit possible, il faudrait que notre campagne soit, comme l’a été celle des Etats-Unis entre 2011 et 2013, particulièrement intense. Or, nous n’en avons pas les moyens. Où sont nos drones armés ? Nos missiles de croisière ? Et nos escadrons complets de chasseurs ? Et quid de nos unités spécialisées au sol, confirmant la nature des cibles, voire les éclairant ? Y aura-t-il des membres du COS au sol ? Ou du SA ? S’agit-il, une fois de plus, d’une initiative de quelques uns pour obtenir à Paris des succès qu’ils savent ne pouvoir remporter sur le terrain ?

Posons une autre question : les enquêtes sur attentats commis ou déjoués en France depuis six mois ont-elles tous prouvé en Syrie l’existence d’une centre unique de conception et de projection de la menace terroriste ? On ne le dirait pas, et s’il est clair que nous n’avons pas affaire à des loups solitaires, il est plus que probable que toutes les attaques subies n’ont pas été lancées par une seule structure de commandement. A dire vrai, d’ailleurs, croire cela en 2015 après plus de vingt ans de jihad contre les Occidentaux, révèle une incompréhension très préoccupante du mode de fonctionnement de ces réseaux, complexes et en permanente mutation. Il va falloir dénicher au milieu d’une guerre civile, alors que des dizaines de groupes se déchirent, les petites cellules qui, au sein de l’EI, préparent des attentats. Il y a là de fascinantes perspectives pour un analyste, et un défi gigantesque pour le politique. Quelle sera la sanction des citoyens si des attentats ont lieu alors que nous nous sommes engagés dans une nouvelle guerre justement pour les éviter ?

Tout porte à croire, par ailleurs, que les cellules que nous allons viser sont composées de jihadistes français. Ce sont donc des Français que nous allons tuer – ce qui ne me pose aucun problème – mais il serait préférable que nos chefs aient préparé un argumentaire, car on me dit en régie que ça va quand même secouer un peu dans l’opinion. On verra, alors, quelle est la solidité des positions morales que nous présentaient les défenseurs de la loi sur le renseignement.

Il est d’ailleurs permis, une fois de plus, de s’interroger sur le bienfondé de ce texte. On nous l’a présenté comme la réponse à tous nos problèmes, comme la fondation indispensable à nos services, celle sur laquelle nous allions bâtir notre sécurité, et voilà qu’on nous explique que nous allons finalement faire la guerre en Syrie pour protéger nos villes. A quoi a donc servi le durcissement du mandat de nos administrations spécialisées si, en définitive, nous choisissons d’employer des moyens militaires – qui plus est insuffisants – après avoir reconnu, de surcroît, qu’aucun système n’était infaillible ?

On ne peut pas reprocher à nos dirigeants de ne pas se démener contre le jihadisme. Mais on peut déplorer que toute cette agitation soit manifestement vaine, voire porteuse de dangers plus grands encore que ceux qu’elle est supposée combattre.

Le grappin est notre maître. Il choisit ceux qui s’en vont et ceux qui restent.

Selon un fascinant phénomène qu’il faudra un jour nommer, au chaos des crises moyen-orientales enchevêtrées répond le naufrage intellectuel d’une classe politique française, au pouvoir ou dans l’opposition, en grande partie incapable de penser et de prendre de la hauteur. Il est désormais délicat de moquer les saillies de Donald Trump, Sarah Palin ou Michele Bachman alors que dans l’Hexagone – et on pense ici très fort à Renaud – se multiplient les déclarations les plus imbéciles au sujet de la Syrie, de l’Irak, de l’EI et de ces milliers de malheureux qui fuient des guerres que nous avons déjà perdues.

Donné éliminé au premier tour de la prochaine élection présidentielle par un récent sondage, désavoué quotidiennement par la situation économique, ridiculisé par la chancelière allemande dont le portrait est promené triomphalement dans les rues irakiennes pour sa politique d’accueil des migrants, notre Président en est réduit à envisager des frappes aériennes en Syrie contre nos ennemis de l’Etat islamique. Personne n’est dupe quant à l’efficacité militaire de ces éventuels raids, que notre armée, déjà sur engagée, réalisera avec le génie de l’adaptation qui fait sa légende, mais il s’agit pour un homme dont le mandat ressemble de plus en plus à un chemin de croix, de montrer qu’il agit et qu’il fait face.

Paradoxalement, c’est donc un homme de gauche qui aura multiplié les opérations militaires extérieures, qui aura déployé la troupe dans la rue, fait voter une loi sur le renseignement dont le ministre de l’Intérieur a pratiquement avoué devant les ASI qu’elle ne servait à rien (ici), après avoir sensiblement réduit les moyens de nos forces armées. La cohérence, on vous dit.

C’est devenu la mode, la tendance : quand ça ne va pas, on déploie l’armée, pour la sécurité publique, contre les orages, et désormais contre les migrations de masses. On voulait bombarder les passeurs en Libye, et voilà qu’on veut intervenir au sol en Syrie. Tout cela révèle un terrible manque de stratégie, celle-ci ayant été remplacée par des coups médiatiques dont le but est de faire croire qu’on a des idées alors qu’en réalité on ne fait que s’agiter comme une mouche dans un bocal.

Des frappes aériennes françaises contre l’EI en Syrie seraient-elles susceptibles de modifier la situation actuelle ? Il est permis d’en douter alors que la campagne aérienne contre le mouvement jihadiste est essentiellement le fait des Etats-Unis, qui réalisent une écrasante majorité des raids. Notre participation à ce volet d’Inherent Resolve ne serait que symbolique, et s’il flatterait en effet notre goût de l’action et de l’aventure, il ne pèserait pas lourd en raison de la faiblesse de nos moyens. Il ne s’agit donc que de gesticulations, d’amples effets de manche destinés non pas à nos alliés mais à la population. Celle-ci, émue par les migrants mais qui ne semble pas vouloir aller au bout du raisonnement, demande des actes et semble estimer que de nouvelles opérations lui permettront de gérer sa frustration.

Je n’ai, évidemment, aucune réticence de principe à des actions militaires contre l’Etat islamique, Al Qaïda ou n’importe lequel de ces groupes jihadistes qui nous défient depuis des années. Je ne me contente pas, en revanche, à la différence de quelques uns, des déclarations martiales et des nuages de poussière soulevés par les GBU. J’ai besoin de savoir, en tant que simple citoyen, où nous mène cette stratégie, quels buts elle poursuit, et j’ai d’abord besoin de savoir si nos arsenaux sont à la hauteur de nos ambitions. Il est permis d’en douter. S’agissant, même, de l’argument selon lequel ces frappes permettraient de réduire la menace terroriste sur notre sol, je me permets de rappeler que les attentats de cette année ont été commis alors que les Etats-Unis menaient une campagne aérienne depuis déjà six mois. Je dis ça, c’est pour aider.

Il n’est pas, ici, inutile de rappeler que nous sommes déjà engagés au Sahel. La situation au Mali est loin d’être idéale, toute la région est sur la voie de la déstabilisation, mais nos gouvernants observent à ce sujet un silence modeste. Quant à nos médias, on sent bien qu’un vol en hélicoptère et une matinée avec le REP les a convaincus du succès durable de notre intervention. Est-il besoin d’ouvrir, avec la régularité d’un métronome, des nouveaux fronts qui ne nous apportent qu’une gloire éphémère mais des responsabilités durables ?

Les frappes aériennes qu’on nous promet en Syrie seraient, par ailleurs, justifiées par le tragique et spectaculaire afflux de réfugiés. Celui-ci, faut-il le rappeler, ne date pas d’hier et il aura donc fallu la photo d’un petit garçon mort sur une plage turque pour que nos concitoyens réalisent que la guerre civile syrienne n’était pas seulement un concept historique abstrait mais une terrible réalité. Comme toujours soumis à l’opinion, nos dirigeants ont rapidement changé les positions qu’ils affirmaient si fermement au printemps afin de répondre à la soudaine prise de conscience de nos concitoyens. Ce n’est pas comme si on parlait de centaines de morts en Méditerranée depuis des mois…

Désireux, et on le comprend tant la tâche est immense, de se doter au plus vite d’une carrure présidentielle, Xavier Bertrand, qu’on ne savait pas si en pointe sur les questions de sécurité internationales, ne veut pas seulement des frappes aériennes. Il veut une intervention terrestre, « au plus vite », et il l’a même écrit au Président. Sa lettre, cependant, n’est qu’une suite de vœux pieux évitant soigneusement toute piste concrète, toute proposition sérieuse et, surtout, postulant que tous les réfugiés venus mourir à nos portes quittaient leurs pays en raison des horreurs commises par l’EI. Comment expliquer, alors, la présence de toutes ces nationalités ? (Le tableau infra a été réalisé par Les Décodeurs)

D'où viennent les migrants ?

Il se trouve, en effet, que les enquêtes menées par les journalistes auprès des réfugiés depuis quelques jours mettent autant en avant les violences de l’EI que celles du régime syrien. Les études des ONG disent la même chose, mais nos hommes politiques n’ont que faire des faits, des données brutes, et même des conséquences de leurs actes. Des réfugiés fuient la Syrie ? L’EI est en Syrie ? Alors frappons l’EI en Syrie avec ce qu’il nous reste de force armée, et tentons de faire croire que nous allons ainsi réduire la menace terroriste et réduire les flux migratoires. Le raisonnement, repris en chœur par tous les ténors qui se voient un destin, est d’une telle médiocrité qu’on se croirait devant Bob Roberts, le brulot de Tim Robbins (1992).

S’agissant des flux migratoires, on voit mal comment une intervention terrestre en Syrie, sans objectif politiques et opérationnels précis, pourrait réduire le nombre de départs. Voulons-nous croire que Damas va accepter sur son territoire des troupes étrangères, occidentales et/ou arabes ? Nos stratèges ont-ils récemment étudié la composition du Conseil de sécurité des Nations unies et observé les positions russes, par exemple ? Voulons-nous croire que notre armée de terre est prête à se déployer dans un pays où il n’y a que des coups à prendre et où il sera d’une complexité abyssale de créer des zones sous contrôle international ? M. Bertrand, qui aime à faire des propositions martiales, est-il prêt à encaisser les conséquences d’un attentat commis contre nos troupes en Syrie, où nos ennemis sont nombreux – et bien plus dangereux qu’au Sahel ?

Qui, par ailleurs, croit vraiment que des opérations terrestres en Syrie n’entraîneront pas des représailles en France, où nos services sont, comment, dire, déjà pas mal occupés ? Quelle est notre stratégie ? En avons-nous une, d’ailleurs ?

Faire la guerre à l’Etat islamique, à Al Qaïda, et aux groupes jihadistes ? Oui, EVIDEMMENT, mais nous ne devons pas tomber dans les pièges que des acteurs plus habiles que nous tendent. Intervenir en Syrie sans objectif sérieux pour le seul plaisir de réaliser des briefings ? Prendre le risque de prolonger l’existence du régime syrien alors que depuis des décennies il est un de nos plus farouches adversaires et que nous soutenons son opposition depuis quatre ans ? Favoriser le passage à l’acte de jihadistes qui verront dans une opération terrestre une nouvelle et insupportable – à leurs yeux – ingérence occidentale ?

Notre impuissance politique, ou notre incapacité à concevoir une authentique stratégie, nous conduit à nous lancer dans des actions improvisées, qui ne sont que des manœuvres de communication, sans d’autre ambition que de faire croire qu’il y a un quelqu’un à la barre. Nos opérations militaires sont de plus en plus dictées par des réactions émotives et non par une réflexion solide. Nos soldats sont ainsi devenus des variables d’ajustement au service d’une pratique de la politique irresponsable et, de plus en plus souvent, teintée de démagogie et de populisme. On attend toujours qu’une de nos actions nous donne, enfin, l’initiative.

Toute résilience est inutile

L’attaque perpétrée contre Charlie Hebdo est l’acte de terrorisme le plus meurtrier réalisé dans notre pays depuis des décennies. Il est également l’attentat jihadiste le plus sanglant commis en Europe depuis ceux de Londres, au mois de juillet 2005 (57 morts).

Ce crime intervient dans un contexte sécuritaire très tendu, marqué par la croissance hors contrôle de la menace jihadiste et la saturation progressive des services de sécurité et de renseignement, confrontés à un phénomène d’une ampleur inédite.

Malgré les affirmations hâtives de quelques commentateurs, opportunistes, sous le choc ou simplement médiocres, il ne s’agit évidemment aucunement d’une rupture opérationnelle (le mode opératoire a été vu maintes fois, de Bombay à Nairobi en passant par Peshawar ou Fort Hood), ni d’une évolution doctrinale (les journalistes sont des cibles privilégiées des jihadistes, d’Alger à Mogadiscio), la chose ayant même été théorisée et encouragée depuis des années. Ceux qui observent avec un effroi comique la planification de l’attentat découvrent sans doute le phénomène – qui n’a, il est vrai, qu’une grosse trentaine d’années – et on peut légitimement penser qu’ils sont la réincarnation de certains des dirigeants qui furent balayés en 1940 par un ennemi qui eut alors l’outrecuidance de manœuvrer selon ses plans et non les nôtres, sans jamais être rendu muet par notre évidente supériorité. Les fumiers.

L’attaque contre Charlie Hebdo est une agression inqualifiable contre ce qui fait de nous des Français, irrévérencieux, arrogants, ricaneurs, raisonneurs, amoureux de la vie, des bons mots et des grosses rigolades. En tuant des journalistes, des dessinateurs, des chroniqueurs, les jihadistes ont frappé des symboles, une partie de notre identité. En tuant des policiers, ils ont confirmé – ce que d’aucuns semblent découvrir, ces jours-ci – que l’autorité républicaine ne les concernait pas, et même qu’elle était leur ennemie. En tuant des citoyens moins connus, employés, mais tout aussi respectables, ils ont montré que nous étions tous leurs ennemis.

Les rassemblements spontanés d’hier soir ont, en retour, exprimé la réponse intransigeante d’une population consciente de ce qui se joue. Le Président, en décrétant un deuil national, a répondu à l’émotion du pays et à la solennité que requiert un tel moment.

Je vais me tenir éloigné des commentaires trop poussés alors que l’affaire n’est pas finie, qu’on a encore tué une policière ce matin porte de Châtillon, que des héros anonymes, farouches et intrépides défenseurs de la République, s’en prennent courageusement à des mosquées et que les alertes à la bombe se multiplient dans la capitale. Je vais, de même, ne pas laisser s’exprimer ma colère contre ceux qui justifient l’injustifiable, évoquent l’irrespect de Charlie Hebdo et renvoient la souffrance des uns, en France, à celle, ni plus ni moins insupportable d’autres, en Syrie ou ailleurs. Ceux-là ont le droit de parler, mais rien ne nous oblige à les écouter.

Je ne vais pas non plus laisser parler mon émotion, parce qu’elle est mienne, que je dois l’encaisser pour pouvoir la surmonter, qu’elle m’empêche de réfléchir, d’établir les faits et de poser mes réflexions, et parce qu’elle est observée par ma famille, mes amis, mes collègues et même ceux qui perdent du temps à me lire.

L’onde de choc n’a pas fini de secouer le pays, et elle demande, pour qu’elle ne nous renverse pas, que nous respirions lentement et que nos réflexions sèchent nos yeux. Je dois donc écrire ici que la une du Monde de cet après-midi m’afflige. Non, l’attentat du 7 janvier 2015 à Paris n’est pas le « 11 septembre français ». Cette affirmation, brutale, définitive, péremptoire, a manifestement été écrite sous le coup de l’émotion, et semble tragiquement déconnectée de la réalité. Ce crime, conjonction de l’assassinat de douze personnes et d’une attaque contre un des symboles de notre société, met-il en péril la République et l’Etat ? Non. Va-t-il faire vaciller notre économie, et celle du monde ? Non. Va-t-il nous conduire à lancer dans une opération militaire punitive contre les soutiens des terroristes ? Non. Les pertes humaines subies hier – et même ce matin – ont-elles un caractère inédit nous renvoyant aux grandes guerres du 20e siècle ? Non.

Ben non

Raison garder n’est pas nier l’horreur, ou même la relativiser, mais la réflexion, aussi froide que possible dans ces circonstances, doit nous éviter le piège que l’on nous tend et dans lequel certains sont déjà tentés de nous précipiter. L’émotion, nécessaire, indéniable, doit être acceptée, puis dépassée, afin que la riposte soit digne de nous. La résilience est là, et on n’attend pas d’un organe de presse respecté et responsable qu’il cède ainsi. Il ne faudrait surtout pas, enfin, que le drame d’hier soit perçu comme le pire de ce qui peut arriver. Le 7 janvier 2015 n’est pas le 11 septembre, c’est le 7 janvier 2015, un crime, un drame, un défi. Et c’est déjà beaucoup.

Tu ne distingues pas un cochon d’un chef de clan corse ?

Depuis sa parution sur le site du Point, le coup de gueule de Pierre Beylau contre les « spécialistes du terrorisme » ne cesse de m’être signalé par des amis, qui savent à quel point je peux être sans pitié, et parfois injuste, à l’égard de la faune qui hante les couloirs des grands médias de notre pays et squatte les plateaux ou les studios.

La lecture de cette chronique m’a pourtant troublé, et même déplu, et il m’a fallu le week-end pour identifier les causes de ce léger malaise. Dénoncer, après tout, les impostures de certains, surtout quand elles contribuent à rabaisser le niveau des débats jusque dans le caniveau, ne saurait me choquer, moi qui m’arroge ponctuellement le droit de pointer du doigt les escrocs, mythomanes et autres pipoteurs. Le terrorisme, sujet éminemment politique, doit naturellement faire l’objet de discussions sur le forum, et si certaines réalités sont intangibles, il est important de confronter les savoirs, les analyses, les perceptions – à la condition expresse que les raisonnements se confrontant aient suivi les mêmes règles de rigueur. Comme chacun le sait, toutes les opinions n’ont pas la même valeur intellectuelle, et c’est bien pour cette raison que je ne pratique pas l’autodiagnostic médical après une séance de VTT un peu trop virile.

Le portrait collectif dressé par Pierre Beylau est d’une cruelle justesse :

Espions retraités n’ayant jamais beaucoup espionné, demi-soldes d’un journalisme à compte d’autrui (et pas d’auteur) ; spécialistes ès questions de sécurité qui ont surtout sécurisé leurs honoraires ; universitaires ayant usé leurs souliers d’aventurier sur les trottoirs du Quartier latin ; « consultants » que pas grand monde consulte ; chercheurs qui n’ont nullement vocation à trouver quoi que ce soit. Ils se bousculent, se succèdent sur les plateaux, déversent une logorrhée savante à donner le vertige à un derviche tourneur, à faire oublier la direction de La Mecque au plus enfiévré des islamistes.

L’enchaînement de formules rappelle bien des figures médiatiques, du professeur de langue devenu un professionnel de l’anti terrorisme au demi-sel ayant fait le choix de l’action et de l’aventure, en passant par l’ancien chef de service exposant avec d’autant plus de vigueur ses succès qu’il a, en réalité, eu tort sur tout depuis des décennies sauf sur la date de la veille. L’énumération, cependant, au-delà des sourires qu’elle provoque, gêne par son caractère systématique comme par les biais qu’elle fait apparaître.

M. Beylau, manifestement porté par son expérience de terrain (LE TERRAIN, LES GARS !), expose, trop rapidement, une vision très personnelle des modes d’acquisition de la connaissance :

Tous ont généralement un point commun : ils n’ont généralement jamais mis les pieds, ou si peu, dans les pays dont ils parlent à profusion. Ils n’ont vu les terroristes qu’en photo et n’ont entendu siffler à leurs oreilles que des balles de golf ou de tennis.

Faudrait-il donc avoir arpenté le pont d’une trirème à la bataille d’Actium pour parler d’histoire antique ? Avoir dirigé une entreprise pour évoquer les théories des cycles économiques ? Avoir commandé l’opération Bagration pour disserter sur l’art opératif soviétique ? La fréquentation du terrain (LE TERRAIN, LES GARS !) et de ses réalités les plus concrètes est, indiscutablement, un plus, et les médias regorgent de commentateurs au passé plus ou moins bidonné n’ayant rien compris de ce qu’ils ont vu. Certaines thématiques sont bien plus enrichies par les intellectuels que M. Beylau semble juger avec tant de mépris que par des vétérans particulièrement expérimentés mais incapables de tirer quoi que se soit d’utile de leur vie aventureuse. Parmi les meilleurs contre terroristes de ce pays, répartis dans les différents services compétents, combien, en vérité, ont vu le feu ? Et combien l’ont vu dans le cadre de leur mission et pas lors de leur précédente affectation ? L’argument de la balle qui siffle aux oreilles est parfaitement vain. J’ajoute que pendant bien des années on n’a guère entendu de détonations en Europe, et je ne suis pas certain, par exemple, que M. Caprioli, ancien sous-directeur T à la DST, ait jamais subi le feu de l’ennemi. Comme je l’ai déjà écrit à maintes reprises, opposer le terrain à la connaissance théorique est souvent le fait d’esprits sans élévation, théoriciens refusant d’affronter la réalité ou opérationnels refusant de se livrer à la moindre réflexion abstraite.

On peut reprocher à certains des intervenants habituels d’être des escrocs, voire des affabulateurs, mais on ne devrait pas reprocher à de vrais spécialistes de tenir des discours complexes, et encore moins d’avoir des réponses aux questions que le public se pose. La plupart des vrais experts, d’ailleurs, refusent d’être interrogés sur des sujets en marge de leur domaine et préfèrent suggérer les noms de personnes plus à même de répondre aux questions de la presse. Pourquoi mépriser par avance des années, sinon des décennies, de travaux ? Pourquoi se gausser des universitaires, chercheurs, consultants ? Tous ne sont pas nécessairement si mauvais, et on se demande si l’agressivité de M. Beylau ne cache pas, soit une forme de jalousie, soit un refus par avance de toute la complexité du monde. Sa tirade pourrait alors s’apparenter à un populisme à peine déguisé, dont l’incohérence est bien connue des praticiens et autres conseillers : il faut expliquer simplement et résoudre rapidement des problèmes d’une complexité parfois abyssale au profit de décideurs et/ou clients et/ou consommateurs qui ne veulent rien savoir, rien comprendre et se méfient comme par réflexe de ceux qui paraissent en savoir plus qu’eux.

On trouve ces cohortes de beaux parleurs dans bien d’autres domaines que le terrorisme, et les émissions de vulgarisation, à la télévision ou à la radio, nous servent quotidiennement une demi-douzaine de personnalités capables de disserter de l’industrie automobile, des pandémies, du cinéma ou de la fiscalité. On trouve même, sur tous ces plateaux, dans tous ces studios, quelques esprits supérieurs, comme Christophe Barbier, capables de disserter de tout, tout le temps, avec tout le monde, avec une assurance égale. Egyptologue et neuropsychiatre, avocat pénaliste et gardien de but, pilote de rallye et bonne d’enfant…

La question se pose de savoir si la responsabilité de ces torrents de commentaires plus ou moins avisés déversés sur le pauvre public n’incombe pas autant, sinon plus, aux médias qui les sollicitent et les diffusent qu’à ceux qui les profèrent. On pourrait même, dans un élan de mesquinerie irrespectueuse, lier les remarques de M. Beylau à ses fonctions au sein de la rédaction du Point. Vautré dans la démagogie la plus décomplexée, l’hebdomadaire, dont les marronniers sont la risée de la profession, offre à BHL une tribune régulière et ouvre largement ses colonnes à Michel Onfray, autre esprit supérieur et omniscient, dès que celui-ci entreprend de démontrer que Newton n’a rien compris, que Shakespeare était un droïde de protocole et qu’Einstein faisait des fautes d’accord.

Hôpitaux Francs-maçons

Les assistés Ceux qui cassent la France

On comprend dès lors qu’un homme qui nous livre avec constance son avis éclairé sur toutes les questions internationales lui passant par la tête puisse ne pas supporter l’existence de professionnels ayant résisté à la déplorable manie de l’éditorialisme.

J’avoue, pour ma part, ne pas m’être senti concerné par cet article. Je ne vais jamais à la télé, et je ne la regarde pas non plus.

 

 

Et j’adresse mes salutations au commentateur qui, sous le pseudonyme de Davric, a exprimé en quelques lignes ce qu’il faut penser des propos de M. Beylau.

« It’s buried in the countryside/Exploding in the shells at night/It’s everywhere a baby cries/Freedom, freedom, freedom. » (« Redemption day », Johnny Cash)

Pendant deux jours, l’évaluation froide et l’espoir insensé se sont affrontés. Pourquoi ces Soldats du Califat en Algérie (SCA), dissidents d’AQMI, auraient-ils enlevé un Français et l’auraient-ils menacé de mort devant le monde entier pour finalement reculer et l’épargner ? Pourquoi auraient-ils pris le risque de se déconsidérer alors que le but d’un acte de terrorisme est justement de frapper les esprits en concrétisant les cauchemars de ceux qu’on vise? Comment aurions-nous pu infléchir le cours des événements alors que nous n’avons aucun contact avec ces partisans de l’EI, à supposer même qu’ils soient disposés à parler ? Il n’était, de toute façon, pas question de céder, alors…

De temps en temps, pourtant, presque par accident, je me disais que les ratissages de l’armée algérienne pourraient provoquer un miracle (ce qui n’arrive hélas jamais), que les ravisseurs devraient reporter leur projet sous la pression sécuritaire, que leur otage, qui en était physiquement capable, leur échapperait. Je n’accordais guère de valeur à ces réflexions, mais elles me permettaient de repousser les conclusions auxquelles il était inévitable d’aboutir. Certaines vérités sont parfois difficiles à formuler.

Hervé Gourdel a donc été assassiné par les Soldats du Califat, admirables défenseurs de leur foi ayant démontré ainsi l’étendue de leur courage et la grandeur de leur combat. Bravo, les gars, bravo. Enlevé le 21 septembre, exhibé le 22, menacé de mort « dans les 24 heures » si Paris ne cessait pas ses opérations contre l’EI en Irak, notre compatriote a été décapité, et son agonie filmée puis diffusée le 24 dans ce que les terroristes ont sobrement appelé un « message de sang à la France ». Hervé Gourdel devient ainsi le premier Français à mourir dans un maquis du nord de l’Algérie depuis 1996. Il est aussi la première victime à succomber sous les coups du SCA, et le premier de nos concitoyens à périr du fait d’un groupe inspiré par l’Etat islamique. Autant dire que l’événement, au-delà de la tragédie, est d’importance. En 2008, un ingénieur de la société Razel était mort dans un attentat près de Lakhdaria, et en 2013 le chef de la sécurité d’In Amenas avait été presqu’immédiatement abattu par les assaillants du complexe gazier, mais Hervé Gourdel, lui aussi assassiné, était otage, et ça n’est pas un détail.

L’affaire illustre, une nouvelle fois, l’échec absolu de l’Algérie face à ses terroristes. Quoi qu’on dise, le jihad n’a jamais été éradiqué dans le pays depuis les premiers maquis de Moustapha Bouyali, au milieu des années ’80, et jamais les généraux n’ont su, pu ou vraiment voulu porter l’estocade. Je ne reviendrai pas sur les théories conspirationnistes qui polluent sur ce sujet, aucune n’étant documentée et toutes étant véhiculées par des acteurs très engagés de la crise et non des esprits impartiaux. J’ai, par ailleurs, toujours pensé qu’un régime aussi médiocre était, de toute façon, incapable de manœuvres aussi subtiles – et qui, de plus, auraient été inédites dans l’Histoire.

Combattue par une armée démotivée par l’imposture qu’a constitué le processus de réconciliation nationale, AQMI n’a cessé de recruter en Algérie, même avant de se développer au Sahel, à partir de 2009, puis de saisir les opportunités offertes par les révolutions arabes, en Tunisie (2010) puis en Libye (2011). La montée en puissance de cette deuxième génération de jihadistes aboutit désormais, fort logiquement, au rapprochement de certains avec l’EI, et illustre l’étendue de l’impuissance des autorités algériennes. Avoir répété, pendant des années et contre toutes les évidences, que le terrorisme était résiduel, n’a manifestement pas suffi, et on peut, de même, estimer que l’augmentation de 10% du budget de la Défense, décidée il y a quelques jours, ne rendra pas l’ANP plus efficace dans sa lutte anti insurrectionnelle. De récentes études ont, par exemple, douté de la pertinence de l’emploi d’un porte-hélicoptères d’assaut dans les massifs de Kabylie.

Echec sécuritaire algérien, cet assassinat est aussi un défi direct lancé à la France, dont j’évoquais récemment l’ancienneté et le poids croissant de l’engagement contre le jihad mondial. La redécouverte par quelques uns de l’existence de la guerre, d’abord secrète, puis publique, que nous menons contre les réseaux islamistes radicaux depuis plus de vingt ans ne devrait pas nous conduire à ces pénibles moments de panique collective. Passé le moment, bien compréhensible, de sidération à la suite de l’annonce de l’assassinat de notre otage, il serait plutôt opportun de ne pas succomber à une hallucination nationale. Cette mort, que rien ne peut justifier, confirme avant tout l’étendue de la menace qui pèse sur notre pays, ses ressortissants comme ses intérêts, et illustre la dégradation de la situation en Algérie, mais elle ne constitue pas une révolution.

L’assassinat de notre otage est, évidemment, susceptible d’inspirer d’autres assassins, voire d’encourager des groupes à agir contre d’autres pays, mais nous savons, depuis des années, que la mouvance jihadiste mondiale nous a placés parmi ses objectifs prioritaires et nous ne devons, nous ne pouvons être surpris. L’affaire ne bouleverse pas les données opérationnelles du problème, et la menace jihadiste, déjà spectaculairement élevée, ne vient pas de franchir des dizaines de paliers supplémentaires. Souvenons-nous, par exemple, que des dizaines d’étrangers sont morts en Algérie entre 1993 et 1996, tués par le GIA, certains étant décapités, eux aussi.

L’ambition de cet acte de terrorisme était, comme il se doit, d’obtenir un effet politique et elle pourrait avoir été réalisée par les assassins. Il va falloir ainsi se méfier de l’effet de choc, des analyses ridicules, des propos de piliers de bar (que certains confondent avec ceux de l’islam), des initiatives législatives bâclées, inapplicables et inutiles écrites par des élus impuissants, et des amalgames hâtifs. Chacun va énoncer une opinion à l’emporte-pièce devant tous les micros tendus et toutes les caméras pointées, réagissant sous le coup d’une émotion que l’on veut croire sincère mais qui ne mène le plus souvent à rien. La mort d’Hervé Gourdel va être utilisée, détournée, agitée. Des penseurs au rabais vont nous sortir de nouvelles versions du choc des civilisations, tandis que d’autres, devenus islamologues dans la nuit, vont y aller de leurs mauvaises citations coraniques.

Déjà, d’ailleurs, s’affrontent les imbéciles habituels. On trouve là ceux qui pensent que le malheureux Gourdel n’a eu que ce qu’il méritait, et on ne peut que trouver avec cet argument comme un air de ressemblance avec celui tenu par les violeurs. « Cette salope portait une jupe, M. le Juge, c’est vous dire si elle l’a bien cherché, hein ? ». Parfois surpris, mais jamais déçu.

D’autres, toujours prompts à dénicher des explications qui leur paraissent d’autant plus justes qu’elles sont moquées par tous en raison de leur profonde débilité, vont y aller de leur théorie du complot. DRS par ici, DGSE par là, sans parler du Qatar (qui a payé Ravaillac, comme le prouve Pierre Péan dans son prochain livre) et du Président, à la fois parfaitement impuissant mais comptable de tout.

Lundi soir, l’enlèvement d’Hervé Gourdel « arrangeait bien le pouvoir », qui pouvait ainsi détourner l’attention (de quoi, on ne le sait pas). Mercredi soir, le même Président est désormais jugé responsable de ce meurtre, sans que l’incohérence du raisonnement ne saisisse d’effroi ses auteurs. Quoi, François Hollande aurait donc organisé toute cette affaire, mais il en subirait désormais les conséquences, malgré le caractère particulièrement machiavélique de la manœuvre ? Quoi, il aurait bénéficié de l’événement lundi mais devrait démissionner mercredi ? Allons, les gars, vous n’êtes pas sérieux, n’est-ce pas ? Ah, si. Pardon.

Pourtant, le détournement de l’Airbus d’Air France, au mois de décembre 1994, a-t-il profité à François Mitterrand et Edouard Balladur ? La campagne d’attentats de 1995 a-t-elle servi les intérêts de Jacques Chirac ? Et l’attentat déjoué de Strasbourg, en 2000, ou l’intervention en Afghanistan ont-ils porté Lionel Jospin au plus haut ? L’affaire du Ponant est-elle le point d’orgue du quinquennat de Nicolas Sarkozy ?

A dire vrai, ceux qui accusent le Président (pour lequel je n’ai pas voté) dévoilent une mentalité de putschistes, profitant des crises et des défis menaçant la nation pour avancer leurs pions, jouer leur partition, préférant le pire qui les singularise à l’union qui les efface, tout en professant, la main sur le cœur, leur amour sincère et désintéressé du pays et de son peuple. Merci, mais non merci.

Parmi les complotistes émergent également depuis quelques années une nouvelle tendance, que j’oserai qualifier, car il est tard, de jihad friendly. Pour ceux-là, tout ce qui nuit à l’image de l’islam et surtout des islamistes est la conséquence d’une conspiration. Dans leur discours se trouve toujours un raisonnement articulé autour d’une exception. « Le terrorisme, c’est mal, mais là c’est de la résistance ». « Les attentats, c’est pas bien, mais là c’est bien fait ». « Les massacres, on les condamne, mais aussi pourquoi ne se sont-ils pas convertis, ces cons-là ? ». Cette attachante façon de penser m’a été révélée, il y a maintenant longtemps, par un homme qui m’expliquait que les attentats du 11 septembre étaient un complot, que Ben Laden n’y était évidemment pour rien mais qu’il était un héros pour son rôle. « Oh, me suis-je exclamé de ma voix toujours suave, il est donc un héros pour quelque chose qu’il n’a pas fait ? Très fort ». Hervé Gourdel, que certains voient déjà comme un agent des services français, aurait donc payé pour les crimes de la France, mais il aurait été tué pour le plus grand bénéfice de Paris. Avouez qu’on s’y perd.

Pourra-t-on prouver, en dépassant les communiqués du SCA ou de l’EI, que notre intervention en Irak, à propos de laquelle des réticences justifiées ont été émises, a décuplé la menace contre nous ? Peut-être, pourquoi pas ? J’ai tendance, pour ma part, à voir cela, sinon avec fatalisme, du moins avec détachement. Les derniers jours, marqués par des opérations militaires contre plusieurs groupes, des assassinats, des cafouillages policiers, des débats plus ou moins intéressants, montrent bien à quel point la lutte contre le jihadisme est devenue une donnée fondamentale, aussi bien de notre diplomatie que de notre débat politico-sécuritaire intérieur.

Sans succomber à la tentation du pessimisme le plus éhonté, force est de reconnaître que nous ne cessons de courir après la menace. Notre impuissance devient criante, même si je reconnais volontiers que les services et les forces armées de notre pays n’ont jamais été aussi impliqués, mobilisés, et, disons-le, performants. Cette efficacité, hélas, n’est que tactique et ne produit aucun effet décisif, durable. Se pose-t-on, après tout, les bonnes questions ? Au-delà des discours généraux (« faire obstacle à la menace, patati patata », « même pas peur », « get in the ring, motherfucker »), s’est-on fixé de vrais objectifs définis en fonction de nos intérêts, de nos moyens, et de ce que nous sommes et entendons rester ? Les buts à atteindre dépassent-ils l’horizon d’une gestion administrative de la menace, ou en est-on encore à compter les dépouilles dans le delta du Mékong afin d’alimenter les five o’clock follies d’une déclinaison parisienne du général Westmoreland ? Les rivalités entre services spécialisés étaient censées avoir été dépassées, voire oubliées, mais voilà que s’annoncent d’ambitieuses réformes, portées par le DRM et le COS ,tandis que certains dysfonctionnements, structurels, ne sont pas relevés.

Les derniers mois, qui paraissent s’enchaîner de plus en plus rapidement, ont fait plus que bouleverser le climat sécuritaire, intérieur et extérieur. « Ensemble, tout devient possible », nous disent les jihadistes, affrontés militairement dans de nombreux pays, traqués plus ou moins adroitement ailleurs, mais toujours plus vivaces et entreprenants. Les autorités planchent sur des hypothèses que les producteurs hollywoodiens auraient refusé de porter à l’écran il y a quinze ans : assassinat assumé dans les rues de Londres, attaque massive à Bombay, (quasi)renversement du régime en Irak, capture de villes au Nigeria, émirat à Benghazi, guérilla dans le Sinaï, etc.

La panique qui devrait logiquement naître de cette énumération doit être combattue, par des discours construits comme par la solidité de nos dirigeants et la cohérence de notre politique. Les terroristes peuvent révéler notre grandeur, nos forces, notre résistance, ou dégager la voie à l’abîme dans lequel nous nous enfonçons, poussés par nos doutes, nos faiblesses. A nous de choisir, car il n’est jamais trop tard.

J’ai commis l’erreur d’être libéré par les services de l’anti terrorisme français.

Dans une tribune remarquée parue dans Le Monde du 17 septembre, le journaliste Pierre Torres a exprimé toute sa colère après les malheureuses révélations récemment diffusées au sujet de Mehdi Nemmouche. Manifestement ulcéré par la publication, y compris dans le fameux quotidien du soir qui l’accueille à son tour, de données confidentielles, M. Torres n’y est ainsi pas allé par quatre chemins. Très justement, il a notamment souligné les dangers accrus qui pèsent désormais sur les otages encore détenus en Syrie depuis les fuites dans la presse, mais n’a, curieusement, pas évoqué les déclarations détaillées de Nicolas Hénin au Point. Il faut sans doute voir dans cette omission l’illustration de la solidarité entre victimes des esthètes turbulents de l’Etat islamique.

Le propos de M. Torres, en réalité, est d’abord une charge virulente contre les « services de l’antiterrorisme français », accusés d’avoir fait fuiter dans les médias, à des fins de basse politique, quelques éléments croustillants du dossier Nemmouche. Journaliste lui-même, Pierre Torres exprime là de solides convictions, que bien peu de faits étayent pourtant. Sans doute les quelques informations ainsi divulguées au sujet de son geôlier ont-elles servi les intérêts des services ou du parquet, mais elles n’ont nullement bouleversé les connaissances que le monde accumule depuis des années, sinon des décennies, sur les jihadistes. Elles n’ont, par ailleurs, guère pesé sur une opinion publique déjà largement convaincue de la réalité de la menace qui rôde. Torres, cependant, ne s’embarrasse pas de précautions oratoires et distribue généreusement les accusations de fuites organisées au profit de l’appareil répressif.

J'ai commis l'erreur de collaborer avec les services de l'anti terrorisme français.

Tout, dans l’anti terrorisme, lui fait horreur : ses méthodes, ses buts, ses moyens, et même ses hommes et ses femmes, à commencer par la procureure Camille Hennetier. Pour lui, d’ailleurs, la chose est entendue : Ce qui est certain, c’est que la seule chose qui puisse justifier la mise en danger des autres otages, c’est que quelqu’un ou quelque institution policière a vu là la possibilité de se faire mousser.

La vision que développe Pierre Torres de la lutte contre le terrorisme est celle d’un des ces militants capables dans un même élan de condamner les excès – parfois réels – des Etats et de porter sur les terroristes un regard pour le moins décalé, oscillant entre mépris et commisération sur fond de clichés sociopolitiques. On se permettra d’estimer que la vision que M. Torres a de Mehdi Nemmouche, bâtie à partir de sa terrible expérience en Syrie, n’est pas d’une grande utilité. Les victimes sont des témoins d’un genre particulier, et on ne leur demande pas de raisonner mais de raconter. C’est cruel, injuste, froid, mais c’est ainsi. La justice, à laquelle M. Torres semble si sensible, fonctionne de cette façon, et il en va de même pour les services de renseignement, peu connus pour leur sensiblerie. La souffrance des victimes ne les concerne pas, elle n’est qu’une part de réalité.

Il ne fait, de toute façon, guère de doute que Mehdi Nemmouche n’est pas un garçon très attachant, et on pourrait même déplorer qu’il n’ait pas connu une fin prématurée en Syrie au lieu d’y maltraiter des otages puis de revenir tuer des innocents en Belgique. Il est, pour autant, possible de douter de la pertinence des réflexions de Pierre Torres :

Du point de vue des organisateurs de cette fuite, l’opération a bien fonctionné. « Jeune-délinquant-Arabe-Syrie-attentat-France-terrorisme-antiterrorisme », toute l’artillerie sémantique est déballée afin de finir de nous convaincre que nous avons toutes les raisons d’avoir peur. Nemmouche n’est pas un monstre. C’est un sale type, narcissique et paumé, prêt à tout pour avoir son heure de gloire. Ses raisons d’aller en Syrie se rapprochaient probablement plus de celles qui, à un certain degré, mènent des adolescents américains à abattre toute leur classe ou certains de nos contemporains à participer à une émission de télé-réalité, qu’à une quelconque lecture du Coran. Ce qu’il incarne, c’est une forme particulièrement triviale de nihilisme. Il est, à cet égard, un pur produit occidental, labellisé et manufacturé par tout ce que la France peut faire subir à ses pauvres comme petites humiliations, stigmatisations et injustices. L’empilement sans fin de nouvelles lois antiterroristes en est l’une des facettes.

Nemmouche ne serait donc qu’une victime, frappée par l’injustice de nos sociétés occidentales, intrinsèquement racistes et répressives, obsédée par la gloire médiatique. Et les tueurs de masse américains le seraient aussi, d’ailleurs, ce qui ne manquera pas d’intéresser de l’autre côté de l’Atlantique. Le libre arbitre n’est pas une donnée à laquelle M. Torres semble accorder une grande valeur, et toute cette violence, finalement, ne serait donc que le résultat d’un enchaînement de phénomènes sociopolitiques. La pensée marxiste ne manque pas d’attraits, mais convenons qu’il n’est parfois pas inutile de lever la tête des manuels pour se confronter aux réalités, ici ou ailleurs.

La vision du jihad portée par Torres paraît bien caricaturale, et elle sert surtout à flatter sa propre vision du monde. La référence à Big Brother, véritable tarte à la crème, ou à Wikileaks, le Graal des candides (ai-je dit « idiots » ?) en dit long. Dénoncer les impasses ou les dérives de l’anti terrorisme ne devrait pas conduire à accorder aux terroristes le blanc-seing des victimes. Pierre Torres a, évidemment, le droit souverain de s’en prendre à l’arsenal législatif français, mais il devrait le faire avec son cerveau et non avec ses tripes. Je partage sans doute avec lui pas mal de doutes quant à la pertinence de certaines dispositions adoptées par la représentation nationale.

Surtout, il est étonnant de lire l’effroi d’un journaliste devant des révélations publiées par ses confrères. Doit-on comprendre que M. Torres s’étonne de voir en France des informations secrètes sortir dans la presse, et donc, in fine, des journalistes faire leur travail ? Est-il, lui aussi, persuadé, que rien n’est publié dans notre pays sans que quelqu’un de haut placé y ait intérêt ? On aimerait le savoir.

Est-il également choqué lorsque des PV d’audition de personnalités, de tous bords, sortent in extenso dans les quotidiens et les hebdomadaires les plus lus de ce pays, au mépris de tous les principes censés fonder notre système judiciaire ? On aimerait également connaître sa perception de la dangerosité de tel ou tel article, comme lorsque de belles âmes exposent la sécurité de peuples tout entiers en divulguant des données techniques incomprises, sinon incomplètes.

La colère de Pierre Torres est compréhensible, et respectable. Ses attaques auraient sans doute eu plus de poids si elles avaient reposé sur autre chose qu’une poignée de clichés et de raisonnements biaisés. On notera d’ailleurs, l’air de rien, que cette obsession de la manœuvre souterraine, typique d’une certaine pensée, exonère ici, par exemple, les parlementaires ayant accès au dossier Nemmouche (en raison de leurs liens avec les services) et qui portent l’actuel projet de loi. Le mal ne peut venir que des administrations répressives, intrinsèquement liberticides, et pas d’un fonctionnaire du Palais de Justice ou d’un haut fonctionnaire.

La fuite organisée est évidemment possible, et elle ne serait pas la première. La dénoncer de cette façon est cependant bien puéril. La colère de Pierre Torres, qui pourrait être touchante, semble ici déplacée, et presque ingrate. Au moins est-elle sincère. C’est déjà ça.

C’est alors que je vis le pendule

Une fois n’est pas coutume, je voudrais manifester ici toute mon admiration à M. Laurent pour son travail. Après des années, presque des décennies de tâtonnements et de lutte brouillonne contre le jihad, voilà qu’un professionnel capé sort de l’ombre et prend le temps d’exposer au public la fascinante complexité d’une menace dont personne n’a manifestement pris la mesure.

Déjà, en 2013, vous aviez, dans l’admirable Sahelistan (Seuil, 382 pages), décrit avec force détails ce qui attendait le monde dans le désert brûlant et hostile des confins libyens. Quelques esprits chagrins, sans doute tout autant mus par la jalousie que par la frustration, avaient bien trouvé à redire à votre texte, ergotant ici sur des frappes de drones qui n’ont jamais eu lieu, relevant là que votre propos ne concernait qu’une partie seulement de la région. Ils avaient tort, et votre succès en librairie est là, comme toujours, pour démontrer la justesse de vos vues et la pertinence, ô combien courageuse, de votre analyse. J’en profite, d’ailleurs, pour saluer ici les éditions du Seuil, qui persévèrent dans leur recherche de l’excellence littéraire et scientifique. Votre lectorat en sait, grâce à vous, bien plus qu’on voulait bien lui en dire, et vous faîtes ainsi, sans jamais vous en vanter, œuvre de salubrité publique.

Sahelistan

Après des mois passés au coeur des combats, de la Syrie à la Somalie, au plus près d’un terrain bien éloigné des salons parisiens que vous avez décidément raison de mépriser, vous voilà de retour avec un opus dont le titre, Al Qaïda en France (Seuil, 425 pages), dit tout de sa volonté de nous alerter.

Al Qaïda en France

Loin des plateaux de télévision dont vous vous méfiez avec sagesse, bien décidé à observer par vous-même une réalité qui échappe à la compréhension du commun, vous avez parcouru le Moyen-Orient et la Corne de l’Afrique, multipliant les contacts directs et personnels avec des hommes que les grands services ont, depuis longtemps, renoncé à atteindre. Si vous n’êtes pas homme à vous pousser du col, vous n’hésitez pas, en revanche, à vous exposer pour mener à bien votre mission, quitte à balayer sans pitié les certitudes.

Cette abnégation est naturellement typique d’une modestie qui vous a tenu, trop longtemps, loin des projecteurs. Cette discrétion, qui est la marque des plus grands, fait que même au sein de la petite communauté nationale des contre-terroristes vous étiez inconnu il y a encore deux ans. Je respecte cette rude pudeur, celle de ceux qui ont connu le feu et ne voient guère d’intérêt à se mêler aux mignons qui hantent les couloirs des palais de la République, et j’admire que la conscience que vous avez de votre responsabilité vous ait conduit à surmonter votre dégoût pour les bavardages inutiles et les débats oiseux. Votre sévérité sur les réseaux sociaux doit ainsi être mise sur le compte de cet intransigeant professionnalisme qui vous place un cran au-dessus des Pseudos experts autoproclamés (PEAP) que nous subissons tous à longueur de journée.

Samuel Laurent

A la lecture de votre dernier ouvrage, rares ont été les pages où je n’ai pas souri de plaisir ou retenu un frémissement de satisfaction devant telle ou telle réflexion, fruit d’un authentique travail de terrain et d’une connaissance remarquablement profonde des ressorts du jihadisme. Il se trouvera, évidemment, toujours quelque pinailleur pour objecter que la présence de réseaux jihadistes en France n’est pas nécessairement liée à l’organisation Al Qaïda, mais qu’importe, après tout. Ce qui compte, en effet, est de se mobiliser sans plus attendre et on veut croire, à la lecture de ce futur classique, que nos gouvernants agiront enfin. Nous n’avons que trop tardé et je peux avouer ici que votre livre est celui que j’aurais aimé écrire pour éveiller nos concitoyens. C’est désormais chose faite.

Bravo, donc, et merci.

Dumb and dumber

Les leçons des élections municipales ont été vite tirées, et déjà un gouvernement « resserré » et « de combat » (29 ministres et secrétaires d’Etat, sous la houlette du Premier ministre) se met en place, prêt à mettre en œuvre les nouvelles orientations fixées par le Président. Peu importe que celles-ci soient les mêmes que précédemment, et peu importe que nombre de nos nouveaux ministres (plus de 20) aient été de la précédente équipe. Puisqu’on vous dit que ça change, hein. D’ailleurs, la volonté de faire appel à des compétences avérées plutôt qu’à des personnalités publiques constitue un signal encourageant, et il faut, à ce propos, se féliciter du maintien à son poste de Kader Arif, un expert reconnu et apprécié de tous pour ses contributions, toujours pertinentes, en particulier lors des situations d’extrême tension.

Il est, en revanche, permis de s’interroger sur le choix de Harlem Désir, devenu secrétaire d’Etat aux affaires européennes. Je ne nourris, évidemment, aucune animosité personnelle à l’égard de M. Désir, mais, citoyen à la fois curieux et exigeant, je m’interroge. Alors que tout le pays, triste, éteint, lassé, n’aspire qu’à se sentir soulevé par de nouveaux enthousiasmes, au nombre desquels on aimerait compter le projet européen, voilà qu’on confie, au moins symboliquement, les affaires européennes à un homme qui vient d’essuyer un échec personnel d’une ampleur rarement vue.

Une fois de plus, il est démontré que les discours et les actes ne font pas bon ménage en France, et il faudra bien, un jour, admettre que nos dirigeants se contrefoutent de Bruxelles et de cette merveilleuse idée que fut un jour l’Union européenne. Nommer à ce secrétariat un homme dont les combats et les missions viennent de s’achever par un naufrage historique confirme que l’Europe, pour Paris, reste largement incomprise et que la France, par delà ses postures volontiers messianiques, est incapable de penser le monde autrement qu’avec elle au centre.

On peut donc choisir pour ce sujet si important un type qui ne compte pas, et qui n’a plus le respect de personne. Et d’ailleurs, si le projet européen se voit une fois traité avec une telle légèreté, que faut-il conclure de la façon dont, pour dégager le poste de secrétaire national du PS, on nomme son chef déconsidéré à un poste ministériel ? Le gouvernement de la République ne serait-il donc plus que ça, même pas une récompense pour un vieux guerrier méritant, mais simplement une maison de retraite pour vaincu ? Comme souvent, les jeux de cour ont plus d’importance que les enjeux stratégiques. Vous perdez les municipales ? Ne soyez pas triste, un bureau vous attend au Quai. Même sous les combles, ça ne manque pas d’attrait – et je connais la maison.

Saluons également l’extrême finesse manœuvrière qui place aux Affaires européennes, à quelques semaines, justement, des élections européennes, un homme au tel passif. Il ne faudra pas se plaindre de la nouvelle tannée qui se profile, alors que les sondages du jour donnent l’UMP et le FN au coude à coude (respectivement 25 et 24%) dans les intentions de vote, ni se lamenter du futur taux d’abstention. Souvenez-vous que les déçus ne votent pas, et qu’ils laissent la place, quoi qu’on en pense, à ceux qui croient encore aux matins, fusent-ils douloureux.

On n’espère plus de grandeur depuis longtemps. On ne croit plus trop à la décence. Mais question rigolade, on a encore de beaux moments à vivre avec nos secrétaires d’Etat de combat.

Des épées, on vous dit.