« Well, I’m running down the road/Tryin’ to loosen my load » (« Take it easy », Eagles)

On avait laissé Julien Leclercq il y a quelques mois sur Netflix, où était diffusée la deuxième saison de la série adaptée de Braqueurs (2015), son quasi remake de Heat (1995). L’efficacité de son travail avait presque réussi à faire oublier Sentinelle (2021), monumentale bouse, et on s’était dit que ce ratage n’était qu’un malheureux accident de parcours, comme il en arrive dans presque chaque carrière.

Seulement voilà. Errare humanum est sed perseverare diabolicum. Julien Leclercq, pour des motifs connus de lui seul, a choisi, désormais fidèle à Netflix, de réaliser une nouvelle version du chef-d’œuvre de Henri-Georges Clouzot, Le Salaire de la peur, tiré en 1953 du roman de Georges Arnaud et interprété par Yves Montand, Charles Vanel, Peter van Eyck et Folco Lulli.

Couronné la même année par la Palme d’Or et l’Ours d’Or, puis en 1955 par le prix du meilleur film aux BAFTA, Le Salaire de la peur est un authentique monument du cinéma mondial, sommet de mise en scène, d’écriture et d’interprétation. Montand et Vanel y sont prodigieux et le suspense fonctionne toujours parfaitement. 70 ans après sa sortie, le film n’a pas vraiment vieilli et constitue aussi le témoignage d’une époque, notamment avec le portrait de voyous, petits maquereaux et autres parasites désœuvrés au langage fleuri et à la gouaille typique.

Il fallut le culot de William Friedkin, auteur de French Connection (1971) et de L’Exorciste (1973), pour qu’en 1977 soit livrée une nouvelle interprétation du roman d’Arnaud, évidemment sulfureuse, coûteuse, moite et violente. Le film, d’abord mal reçu, figure désormais au panthéon des œuvres représentatives du génie et des excès du Nouvel Hollywood.

Il fallut donc le culot de l’immense Friedkin pour passer derrière l’immense Clouzot, et on se demande si c’est ce même culot ou plus certainement de l’inconscience qui ont conduit Leclercq à se risquer à son tour à réaliser une nouvelle adaptation du roman de Georges Arnaud, diffusée sur Netflix depuis quelques semaines.

Certaines œuvres sont intouchables, et on voit mal qui pourrait se risquer à réaliser des remakes des trois Parrain ou de Rio Bravo. Reste que certaines démarches ne manquent pas d’intérêt, comme la reconstitution par Gus Van Sant du Psychose d’Alfred Hitchcock ou l’adaptation futuriste du classique de Fred Zinnemann Le Train sifflera trois fois (1953) par Peter Hyams avec Outland (1981).

Hélas, Julien Leclercq n’est, au moins à ce stade de sa filmographie, ni un maître, comme Hitchcock ou Mann, ni un virtuose comme Coppola, ni un théoricien comme Gus Van Sant et son interprétation du Salaire est terriblement mauvaise. Elle est pourtant étonnement fidèle au scénario originel : afin d’éteindre l’incendie d’un puit de pétrole, une équipe de têtes brulées entreprend d’acheminer à travers une contrée très hostile une cargaison d’explosifs instables répartie à bord de deux camions.

L’intention ne suffit cependant pas, malgré les moyens mis en œuvre et un tournage au Maroc. Rien, en réalité, ou presque ne fonctionne dans cette relecture contemporaine du classique de Clouzot. Le prologue, qui présente les personnages et introduit l’intrigue, est certes plus tendu et animé que celui de 1953, mais il est aussi parfaitement ridicule (misérable embuscade et pitoyable scène d’amour). D’entrée, il est manifeste que le film, très mal dialogué, sera mal joué et que les personnages n’auront rien de l’humanité ou de la complexité de ceux de 1953 ou de 1977. L’idée de passer de la jungle guatémaltèque au désert marocain n’était pas bête, mais l’ajout d’insurgés, supposément islamistes, est ridiculement traitée, qu’il s’agisse de tirs de RPG chargés de gaz – une scène aussi ridicule qu’inutile qui rappelle Le Chant du loup – ou d’une embuscade dont nos héros se sortent avec une aisance insolente. De même, la multiplication des personnages secondaires dans les deux convois n’ajoute rien au récit, de même que les ralentis des explosions semblent n’avoir pour but que de montrer le montant du budget des effets spéciaux.

Leclercq et son scénariste, Hamid Hlioua, connaissent leurs classiques. Les combats à mains nues d’Alban Lenoir rappellent évidemment ceux de Matt Damon dans Jason Bourne (2016), tandis que les scènes de révolution évoquent, de loin, le très bon Le Caire confidentiel (2017), de Tarik Saleh. Les belles références, la reprise d’un film mythique et les moyens d’un studio puissant ne garantissent cependant pas la réalisation d’une œuvre convaincante. Cette 3e version du Salaire de la peur vaut à peine mieux que ces productions américaines sorties directement en DVD ou qui meublent les tréfonds des plateformes. Il était peut-être possible, à défaut de faire aussi bien que Clouzot ou Friedkin, de contribuer à la légende, par exemple en quittant le désert ou les tropiques et en gagnant le Grand nord. On ne peut s’empêcher de penser, finalement, que ce remake était inutile et qu’il ne faudra pas confondre son audience et sa qualité.