Maman, ceci est ma dernière lettre. Je m’apprête à révéler une série de retentissants secrets d’Etat puisque les journalistes de notre pays sont muselés par l’omniprésente police politique et la crainte, toujours plus forte, d’une déportation définitive dans le Massif Central, en Corse, voire, pour ceux que nous ne reverrons sans doute jamais, en Bretagne.
Je vais donc prendre le maquis dès demain, probablement du côté de Fontainebleau, et j’ai bon espoir qu’un Lysander de la RAF viendra m’exfiltrer, d’ici une semaine, de ce pays fermé et apeuré qu’est devenue la France. Sinon, s’ils me retrouvent après mes terrifiantes révélations, je ne faillirai pas et je saurai mourir pour la liberté, en fier fils de la Gaule.
Mais vite, car j’entends déjà les véhicules de la milice boucler le quartier et résonner sur les trottoirs luisants de ce débuts d’automne les chaussures à clou des agents de l’infâme oppression. Quels sont donc ces secrets ? Les touches de ma Remington me semblent brûlantes, et chaque lettre tapée me rapproche de l’issue. Qu’importe, le peuple doit savoir.
Depuis plusieurs jours, les plus courageux de nos journalistes, ceux qui n’ont pas encore disparu dans les sinistres couloirs de l’hôtel Crillon, osent évoquer, dans les recoins les plus abrités de leurs rédactions assiégées, la mise en examen du préfet Squarcini, un des plus proches collaborateurs du chef de l’Etat. Les éditorialistes de la presse clandestine, celle qu’on ne trouve que dans les squats insalubres du nord de la Capitale et qu’on ne lit que sous la douche ou à la cave sans lumière, les rédacteurs en chef de ces quotidiens intransigeants que nous savons voués à disparaître lors du lancement du prochain plan quinquennal, ces fiers défenseurs de la liberté de pensée ont imprudemment écrit que M. Squarcini, dit « le Squale », dit « le mari de la Française Turpin », serait le chef du renseignement français.
Hélas, la réalité est bien plus horrible, et ça n’est qu’au prix de risques inconsidérés que j’ai découvert que ce redoutable personnage était en réalité le directeur de la DCRI, un organisme mystérieux dont le siège est habilement dissimulé dans une épicerie de Levallois, une ville interdite aux étrangers où résonnent chaque soir les hurlements des opposants. Alors, si M. Squarcini n’est pas le chef du renseignement français, qui cela peut-il être ? Un homme de l’ombre encore plus redoutable ? Il se murmure, mais j’ose à peine l’écrire, qu’il y aurait au-dessus de lui un autre serviteur impitoyable de la tyrannie, surnommé ironiquement Ange. Mais j’en ai déjà trop dit et je sens presque déjà le froid canon d’un Manurhin sur ma nuque moite de peur.
J’ai aussi dévoilé un autre secret, bien plus angoissant encore. Un exemplaire du Monde, que je consultais fébrilement il y a peu dans un souterrain de La Défense, titrait : « Affaire Bettencourt : les services secrets ont espionné un journaliste du Monde ». Une de mes sources m’a avoué, et elle a disparu depuis, qu’il ne s’agissait pas des services secrets mais du contre-espionnage, un service intérieur. Il existerait, dans un quartier désolé de Paris, une mystérieuse caserne abritant les VRAIS services secrets, des gens mystérieux utilisant des faux noms, travaillant hors du pays et se livrant aux pires turpitudes. J’en frissonne.
Un correspondant anonyme, qui vient de quitter le pays déguisé en cadre sup’ de L’Oréal, m’a d’ailleurs fourni deux schémas qui seront d’une grande utilité à nos amis du MI-6 et de l’OSS. Je crois que tout y est et l’invraisemblable cruauté du système répressif mis en place dans notre pays y est dévoilée dans son horreur. Le premier date de 2008, et on me dit que des gens sont morts pour que je puisse le tenir ce soir entre mes mains :
Et l’autre a été publié par un hebdomadaire révolutionnaire connu sous le nom de L’Express, mais j’avoue que je n’ai jamais eu la chance d’en lire un exemplaire.
Ah, on frappe à ma porte. Cette fois, c’est pour moi. Je saute dans le vide-ordures et je file à travers champs avec ma Sten.
NB : sérieusement les gars, avant d’écrire en une des trucs qui vous auraient fait virer du CFJ, essayez donc Google. Vous verrez, ça peut servir.


