« Les experts/Levallois » : Philippe Migaux

Les professionnels du renseignement sortent rarement de leur silence, et quand ils le font, il faut parfois le regretter. On a ainsi beaucoup vu et entendu cet ancien directeur-adjoint de la DST tenir, en 2007 et 2008, des propos lénifiants sans doute dictés par les services algériens au sujet d’Al Qaïda au Maghreb Islamique (AQMI)… Etre et avoir été.

Mais tous les policiers ne sont pas comme ce sous-directeur, et il faut ici rendre hommage à la démarche du commissaire Philippe Migaux, pointure du contre-terrorisme à la française, membre de la DCRI et acessoirement enseignant à Sciences-Po. Dans un livre publié en novembre 2009, ce grand professionnel présente sa vision de la mouvance islamiste radicale.

Très documenté, cet ouvrage constitue un ouvrage de référence qui complètera à merveille « L’histoire du terrorisme » écrite par l’auteur avec Gérard Chaliand. On pourra évidemment regretter le ton parfois un professoral de l’ensemble, mais je soupçonne Philippe Migaux d’avoir utilisé ses cours pour bâtir ce texte. Je lui demanderai.

Malgré tout le bien que je pense de ce livre, unique en son genre en français, qu’il me soit permis ici de formuler quelques remarques :

– je ne m’étends pas sur le titre, que je trouve maladroit et finalement assez peu accrocheur, mais je dois confesser ma surprise quand j’ai lu que l’auteur étudiait aussi bien ce que nous appelons le jihadisme – autrefois appelé islamisme radical sunnite – que l’idéologie révolutinnaire iranienne, chi’ite et par la même très différente. Le sujet est évidemment passionnant, mais il convient absolument de différencier le jihadisme, courant de pensée marginal, sans idéologue digne de nom et sans véritable centre de gravité, du chi’isme révolutionnaire iranien, structuré et au service d’un régime.

– je ne partage pas non plus le goût du commissaire Migaux pour les analyses trop fines et les précautions oratoires. Qualifier le jihadisme de salafisme combattant relève de l’excès de prudence et renvoie aux interminables disputes théologiques que connut l’Eglise à la fin du Moyen-Age.

– enfin, je ne peux m’empêcher de réagir à la préface de ce livre, rédigée par Gérard Chaliand. On ne présente plus M. Chaliand, et il faut noter ici qu’il entretient avec Philippe Migaux d’anciennes et amicales relations. Il est cependant permis de s’étonner tant cette préface jure avec le reste du livre, et tant elle en dit long sur les obsessions du maître. Celui-ci, tout à ses certitudes, n’hésite pas, une fois de plus me direz-vous, à relativiser la capacité de nuisance d’Al Qaïda. Cette manie – Raoul Volfoni aurait sans doute dit de Gérard Chaliand qu’il était la « proie des idées fixes » – conduit ce grand spécialiste à écrire que le bilan terroriste d’Al Qaïda est faible. A l’appui de cette bien péremptoire affirmation, M. Chaliand explique sans rire que le groupe n’a frappé qu’à de très rares reprises en Occident et qu’il n’a pu réellement se développer que dans des pays en guerre. Et de citer le Pakistan et l’Indonésie.

On est en droit de s’étonner tant cette certitude est contredite par les faits. Indonésie et Pakistan, des pays en guerre ? Que non -même si le Pakistan n’est plus loin de cet état). Al Qaïda, ses disciples et ses alliés y ont frappé à de nombreuses reprises depuis 2001, et si j’étais cruel je parlerais même de l’attentat de 1995 à Islamabad contre l’ambassade égyptienne.

Quant au faible bilan d’Al Qaïda depuis 2001… New-York, Washington, bien sûr, mais aussi Djerba (2002), Mombasa (2002), Casablanca (2002), Istanbul (2003), Riyad (2003 – 2005), Madrid (2004), Doha (2005), Londres (2005), Amman (2005), Charm el Cheikh (2005), Dahab (2006), Alger (2007), Bombay (2008), Djakarta (2009)…

On a vu bilan plus faible pour une mouvance traquée sans relâche à la surface du globe. Mais que les certitudes infondées de Gérard Chaliand ne vous empêchent pas de lire le livre de Philippe Migaux.