On se surprend parfois – rarement, reconnaissons-le – à ressentir une particulière forme de proximité, voire de complicité, en lisant certains textes. Il ne s’agit pas, évidemment, de se sentir l’égal de l’auteur mais simplement de percevoir une forme subtile de connexion, systématiquement mêlée à de l’admiration et du respect. C’est exactement ce que j’ai ressenti en lisant le remarquable livre de Samuel Forey, Les Aurores incertaines, sorti il y a quelques semaines.
Lauréat du Prix Albert-Londres et du Prix Bayeux-Calvados des correspondants de guerre en 2017 pour sa couverture de la bataille de Mossoul, Samuel Forey n’est plus un débutant et il a déjà tout des plus grands. Ce premier livre, en effet, n’est pas tant un premier recueil de souvenirs que le récit d’un itinéraire personnel, celui de la véritable quête de soi d’un journaliste que fascinent les révolutions et les guerres et qui n’hésite pas à s’en approcher près, très près, en Egypte et en Irak.
Écrit d’une plume sensible et belle, ce premier livre révèle un véritable auteur et pas seulement un de ces écrivaillons qui pondent au kilomètre des romans policiers risibles, des souvenirs de guerre bidonnés, des essais sur la géopolitique du football ou la Russie porteuse de valeurs, ou qui racontent l’évacuation de Kiev en omettant quelques détails peu glorieux. Samuel Forey, pour sa part, livre des pages parfois très intimes et parle de lui, non par nombrilisme mais par honnêteté. La lucidité dont il fait montre n’est ainsi jamais impudique, et il expose sans fard son goût pour la guerre, à l’image d’un Michael Herr ou d’un Tim Hetherington.
Mon émotion est née de quelques détails, comme cette rue Jean-Jacques Rousseau, dans le 1er, où je vécus quelques années avant lui, ou la découverte que nous nous étions peut-être croisés place Tahrir, dans Le Caire révolutionnaire. Bien moins courageux que lui, je n’y passai cependant que quelques fois et je n’y dormis évidemment jamais parmi les jeunes activistes, mais savoir qu’il était dans le coin m’apporte aujourd’hui une étrange satisfaction. Et que dire de ces mentions d’Ernst Jünger ou de Joseph Conrad, géants de la littérature mondiale habitués à fréquenter le pire de l’humanité ?
Samuel Forey remportera, je l’espère, d’autres prix et son livre mérite d’être lu et commenté. On y apprend plus sur la réalité de la guerre contre l’Etat islamique en lisant ses passages sur Mossoul qu’en subissant certaines séries récentes et on peut que s’incliner devant son courage. Témoignage, confession, ce long texte n’est jamais laborieux et il constitue aussi une admirable leçon de journalisme engagé, de celui dont on a besoin quand la télévision se vautre dans l’abjection. Ce livre est une leçon.